Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La victoire russe à Khalkhin-Gol a sauvé les Mongols de l’esclavage, par Timur Sherzad

Parfois on s’effraie devant l’ignorance que nous avons non seulement de notre propre histoire mais de celle de l’humanité dont nos gouvernants prétendent avoir un légitime contrôle, mais le plus souvent au contraire il est possible de concevoir l’histoire que nous vivons comme l’opportunité de découvrir des mondes, des événements qui transforment le savoir que nous possédons ou croyons posséder. Ainsi dans cette invitation de Poutine par les Mongols, ce peuple qui a construit l’Asie centrale, pour une part la Chine et même l’Inde, s’est trouvé confronté à “l’axe”, avec l’impérialisme japonais et ce fut la première victoire soviétique de la deuxième guerre mondiale, bien avant l”invasion de l’URSS par les nazis. Le symbole face à l’OTAN et sa guerre par procuration en Ukraine englobe bien des peuples qui d’un point de vue mythique se considèrent comme les héritiers de la “horde”, de Gengis Khan, à commencer par les Turcs mais aussi les Hongrois. (note de danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/9/2/1284995.html

Le 3 septembre, Vladimir Poutine se rendra en Mongolie, un pays dont nos soldats ont conquis l’indépendance il y a 85 ans. La Russie se souvient de ces événements, même s’ils sont dans l’ombre des batailles beaucoup plus importantes de la Grande Guerre patriotique. Mais pour les Mongols, Khalkhin-Gol est devenu une sorte de guerre nationale : cette bataille a déterminé leur avenir pour les cent années à venir.

Dans les années 1930, les intérêts de deux puissances – l’Union soviétique et le Japon – se rencontrent en Mongolie. L’URSS se rend compte de l’inévitabilité d’une guerre majeure en Europe et s’y prépare activement. En Extrême-Orient, Moscou souhaite que tout reste calme, ce qui garantirait la sécurité des frontières et la fiabilité des communications via le chemin de fer transsibérien. Le Japon, au contraire, est entré tardivement dans l’ère des conquêtes coloniales, et les ambitions de Tokyo exigent la création d’un empire vaste et autosuffisant. Le Japon aspire à l’expansion.

Les Japonais sont actifs en dehors de leurs îles depuis la fin du XIXe siècle. Au début des années 1930, ils s’approchent des frontières de la Mongolie, s’emparent de la Mandchourie et y créent un État fantoche, le Mandchoukouo. Les Chinois ont été soumis à des tests de résistance et se sont révélés assez faibles. Ensuite, les Japonais allaient effectuer le même test avec la jeune Armée rouge et, en cas de succès, s’emparer du Transsibérien et mettre la main sur les richesses de la Sibérie.

Moscou n’allait pas attendre que les Japonais commencent à effectuer des tests de viabilité quelque part près d’Irkoutsk. À cette fin, l’État soviétique a collaboré activement avec la Mongolie. Les gardes-frontières soviétiques aidèrent les Mongols à garder la frontière, attrapant les contrebandiers et les saboteurs envoyés depuis le territoire du Mandchoukouo. Mais l’ampleur des « incidents frontaliers » augmenta si rapidement qu’il fallut finalement y répondre avec des chars et des avions.

En 1938, les troupes soviétiques et japonaises s’affrontent par dizaines de milliers dans des batailles près du lac Hasan. Mais ce n’était qu’un galop d’essai – les batailles qui se sont déroulées au cours de l’été 1939 sur la rivière Khalkhin-Gol, vont tout éclipser.

Pourtant, tout avait commencé en douceur : l’ampleur des provocations frontalières s’est lentement accrue à partir de mai 1939. Cinq personnes, trois douzaines, trois cents – ce n’est pas une avalanche, mais une progression constante. Dans le même temps, les batailles grondent non seulement sur le terrain, mais aussi dans les airs.

Dans un premier temps, les Japonais, qui avaient rassemblé les meilleurs pilotes dans la zone de combat, ont pris l’avantage sur les unités aériennes soviétiques stationnées « au milieu de nulle part ». Mais lorsque les dirigeants militaires soviétiques ont transféré à Khalkhin-Gol des pilotes expérimentés qui avaient combattu en Espagne contre les Allemands et les Italiens, les choses ont pris une autre tournure. En conséquence, à la fin de l’été, l’aviation soviétique domine sans distinction dans les airs, ce qui ne peut qu’agir sur le psychisme de l’infanterie japonaise.

Mais au début du mois de juillet, les capacités des deux camps étaient plus ou moins égales. C’est à ce moment-là que les Japonais décident de faire monter les enchères et d’organiser une invasion à grande échelle du territoire mongol. Ils traversent la rivière Khalkhin-Gol et occupent un certain nombre de collines, dont la hauteur de Bain-Tsagan, d’une importance stratégique, et commencent à s’y retrancher.

Le commandant des troupes soviétiques en Mongolie, le futur maréchal de la Victoire Gueorgui Joukov, comprend que si l’ennemi prend pied, il sera très difficile de l’en déloger. Lorsque les Japonais commencent leur offensive, Moscou a déjà compris de quoi il retournait et renforce la direction mongole. Mais certaines troupes sont encore sur la route. Au moment où il faut prendre une décision, Joukov ne dispose que de la 11e brigade de chars. La lancer dans la bataille sans infanterie, c’était condamner les tankistes à de lourdes pertes. Mais le futur maréchal se rend compte que prendre d’assaut des positions déjà fortifiées coûterait plus cher par la suite, et il ordonne aux tankistes de balayer l’ennemi avant qu’il n’ait le temps d’équiper les positions pour de bon.

Les attaques furieuses stupéfient les Japonais. Les chars déferlent vague après vague, écrasant l’infanterie et l’artillerie japonaises, mais subissant également de lourdes pertes. La brigade a frappé coup sur coup, le paroxysme de ses efforts étant atteint le 3 juillet. Incapables de résister à l’assaut, les Japonais faiblissent et, en plein désarroi, abandonnant tout le matériel et l’artillerie sur le champ de bataille, se replient derrière le Khalkhin-Gol.

La contre-offensive de la 11e brigade a été racontée au cinéma. Le film coréen « My Way », sorti en 2011, malgré l’abondance de non-sens fantasmagorique dans tout le reste, a réussi à transmettre le sentiment général de panique qui a envahi les Japonais face aux vagues successives de chars soviétiques.

La brigade est épuisée par les pertes et ne peut poursuivre les Japonais. Joukov fait donc une pause pour concentrer ses troupes en vue d’une offensive plus poussée. Il le fait de manière non démonstrative, en observant toutes les mesures de camouflage. Les Japonais se préparaient également à attaquer, mais ne le cachaient pas. Quant aux Russes, ils prétendaient préparer une longue guerre de position en défense. Par exemple, dans les troupes de Joukov, des échanges radio ont lieu à propos du creusement de tranchées, de la préparation de bois de chauffage et de provisions – de sorte que l’ennemi pense que l’Armée rouge planifie des campagnes pour l’automne et l’hiver.

Joukov commença l’offensive le matin du 20 août. L’ennemi, qui ne se doutait de rien, avait décidé de donner du repos à ses officiers supérieurs, qui étaient en congé ce jour-là. Les services de renseignements soviétiques étaient au courant. Et tandis que les colonels japonais tentent en toute hâte de retourner au front, les positions de leurs troupes sont pilonnées par l’artillerie et les raids aériens des Russes, qui dominent l’espace aérien.

Les défenses sur les flancs de l’ennemi sont percées en trois jours. Ensuite, des chars, des véhicules blindés et des camions avec de l’infanterie se sont engouffrés dans ces brèches. L’ennemi est encerclé. Bien que les Japonais, en raison des particularités de leur culture, ne se rendent généralement pas, il est plus facile de les détruire qu’auparavant : coupés de leur ravitaillement, ils sont privés de munitions. Dès le 28 août, Joukov rend compte à Moscou de l’élimination de toutes les troupes japonaises et du rétablissement de la frontière mongole. Par la suite, toutes les opérations militaires se réduisent à des tentatives infructueuses des Japonais de franchir la frontière avec de petites forces. Finalement, le 15 septembre, le Japon signe un armistice qui entre en vigueur le lendemain. Les empiétements de Tokyo sur le territoire mongol cessent alors.

Si l’Armée rouge s’était révélée être un colosse aux pieds d’argile et que les Japonais avaient disposé de la Mongolie, ils auraient été aux prises avec eux près d’Irkoutsk, ce qui aurait pu changer le cours de la Seconde Guerre mondiale.

La vie des Mongols, qui aidaient activement Joukov en effectuant des reconnaissances et des raids montés, aurait également changé. Une fois sous la domination de Tokyo, ils auraient instantanément connu les délices d’un peuple de troisième classe, ce que les Coréens, les Chinois et les autres peuples qui ont eu le malheur de tomber sous l’occupation japonaise ont dû endurer. La cruauté des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale était sans précédent et, à bien des égards, elle peut rivaliser avec ce qui se passait même dans le Troisième Reich. Les Mongols célèbrent donc la victoire de Khalkhin-Gol en connaissance de cause.

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2 Commentaires

  • Etoilerouge
    Etoilerouge

    Eh oui la guerre mondiale n’a pas commencé en Pologne! C’est ce que n’apprennent pas les pays révisionnistes et colonialistes hier pro fascistes de l’Europe de l’ouest et centrale à leur jeunesse. Parlez moi de la Sorbonne ! Elle est bien bonne.

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  • sun tzu
    sun tzu

    La guerre mondiale a effectivement commencé en 1937 quand la Japon a attaqué la Chine. A ce titre il faut considérer que la défaite japonaise à Khalkhin Gol est un tournant de la guerre puisque le Japon signe un cesser le feu avec l’URSS et décide alors de lancer sa guerre impérialiste par la mer en attaquant les colonies européennes et plus par la terre. La victoire soviétique ouvre la porte à Pearl Harbor et ses suites. Pour l’URSS c’est une grande victoire puisqu’elle n’aura plus à combattre le fascisme que sur le front Ouest

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