Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un chemin vers la paix et la stabilité dans un Baloutchistan bourré d’insurgés

Il faut mesurer comme le décrit l’article ci-dessous comment partout, sur tous les continents, ce qui est ici désigné comme les puissances étrangères – et qui effectivement regroupe un ensemble aux visées parfois contradictoires autour des USA, de la CIA, des forces de l’OTAN (dont la Turquie, l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne, etc…) – qui attisent, à la manière de Ben Laden et Daech, les Ouïghours, des groupes fondamentalistes, des terroristes pour empêcher l’avancée de la Chine et de sa route de la soie et du développement. Ici dans la région stratégique du Pakistan, est décrite à la fois la manière dont il est tenté d’empêcher le développement du port de Gwadar. Est esquissée par ce chercheur pakistanais une stratégie d’apaisement dans laquelle la Russie, héritière de l’URSS, a sur le plan diplomatique des atouts qui renforcent le pacte stratégique qui la lie avec la Chine mais aussi d’autres puissances asiatiques, la Russie est en demeurant le pays qui a hérité d’une longue histoire dans ce “grand jeu” y compris avec l’Inde dont il n’est pas question ici mais qui est au minimum un acteur aux actions contradictoires. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

par Rahim Nasar 2 septembre 2024

L’insurrection au Baloutchistan s’est intensifiée, marquée par une recrudescence des attaques violentes menées par des insurgés baloutches dans toute la région. Le 26 août, jour anniversaire de la mort du leader de l’autonomie baloutche Nawab Akbar Bugti, l’Armée de libération baloutche (BLA) a orchestré une série d’assauts meurtriers à Lasbella, Makran et Gwadar, faisant de nombreuses victimes.

À Lasbella, le poste de contrôle du Frontier Corps a notamment été attaqué par une femme kamikaze, Maheel Baloch, qui a entraîné la mort de plusieurs membres du personnel de sécurité. Maheel Baloch est la troisième femme baloutche, après Shari Baloch et Sumaiya Qalandrani, à avoir perpétré des attentats-suicides.

Pour la première fois, les militants de la BLA ont étendu leurs opérations dans la ceinture pachtoune du Baloutchistan, où ils ont intercepté des bus de passagers et brutalement exécuté 23 personnes de la province du Pendjab après avoir examiné leurs cartes d’identité. Cette attaque souligne la férocité croissante de l’insurrection.

Le Baloutchistan est actuellement aux prises avec la phase la plus intense de sa cinquième insurrection. Le premier soulèvement baloutche a éclaté en 1948, suivi de rébellions ultérieures en 1958, 1963 et 1973 sous le régime de Zulfikar Ali Bhutto.

La vague actuelle est la cinquième de cette série, qui a débuté en 2004. Elle a pris de l’ampleur après la mort de Nawab Akbar Khan Bugti, tué le 26 août 2006 dans le district de Kohlu.

La réponse de l’establishment militaire pakistanais, souvent appelé simplement « l’establishment », a été fondamentalement viciée dès le départ. Ce qui a commencé comme une question politique a été mal géré et transformé en une question purement sécuritaire par le gouvernement fédéral et l’armée.

Cette approche musclée a aggravé la situation, plongeant toute la province dans un état d’insécurité et de chaos perpétuels. L’incapacité à saisir les fondements sociopolitiques complexes du conflit du Baloutchistan n’a fait qu’alimenter le ressentiment, approfondir les griefs et intensifier le cycle de la violence.

Le Baloutchistan est une province d’une immense importance stratégique pour le Pakistan, tant sur le plan géopolitique qu’économique. C’est là que se trouve Gwadar, un port en eau profonde qui est sur le point de devenir un centre économique important, sous réserve d’une gestion et d’un développement appropriés.

L’emplacement central de Gwadar à l’embouchure du golfe Persique offre un accès direct à la mer d’Arabie, ce qui en fait un nœud vital pour les routes commerciales régionales et mondiales. Il s’agit d’un pilier du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un projet d’infrastructure et de développement de plusieurs milliards de dollars visant à améliorer la connectivité entre la Chine et la mer d’Arabie, offrant ainsi à la Chine une autre voie pour ses importations d’énergie.

Le CPEC, un projet phare de l’initiative chinoise Belt and Road Initiative (BRI), passe par le Baloutchistan, ce qui rend la province cruciale pour son succès. La Chine a investi considérablement dans le développement du port de Gwadar et les infrastructures environnantes, avec des plans pour de vastes projets d’autoroutes, de chemins de fer et d’énergie afin d’intégrer les économies de la Chine, du Pakistan et d’autres acteurs régionaux.

L’achèvement et le succès opérationnel du CPEC permettraient non seulement d’élever Gwadar au statut de plaque tournante commerciale et logistique animée, mais aussi de modifier l’équilibre économique de la région, renforçant ainsi la souveraineté économique et l’influence régionale du Pakistan.

Cependant, l’importance stratégique de Gwadar et son potentiel à renforcer la collaboration économique sino-pakistanaise en ont fait une cible pour les adversaires régionaux. Les voisins hostiles du Pakistan, méfiants face à la présence croissante de la Chine en Asie du Sud et dans la mer d’Arabie, considèrent un Gwadar pleinement fonctionnel comme une menace pour leurs intérêts stratégiques.

Par conséquent, ces États peuvent avoir recours au parrainage de groupes militants, à l’incitation à des troubles et à la promotion de l’instabilité au Baloutchistan pour saper l’initiative CPEC. L’utilisation d’acteurs non étatiques pour perpétuer le chaos sert de stratégie principale à ces États adversaires pour saboter à la fois les relations sino-pakistanaises et le plan directeur du CPEC.

Ce bras de fer géopolitique sur le Baloutchistan s’est manifesté par une insurrection à multiples facettes qui s’est intensifiée ces dernières années. Les groupes d’insurgés tels que l’Armée de libération baloutche (BLA), qui ont déjà exprimé des griefs contre Islamabad, sont maintenant de plus en plus perçus comme des mandataires de puissances étrangères déterminées à déstabiliser la région.

Les vastes ressources naturelles de la province, notamment d’importantes réserves de gaz, de charbon et de minéraux, compliquent encore la situation car elles représentent non seulement une source de richesse, mais aussi un point de discorde entre divers acteurs locaux, nationaux et internationaux.

Pour assurer la stabilité et tirer parti du potentiel stratégique de Gwadar, le Pakistan doit adopter une approche globale guidée par une série d’options politiques pragmatiques qui répondent aux besoins politiques et de développement du Baloutchistan tout en contrant les facteurs externes qui cherchent à saper ses progrès.

Premièrement, le gouvernement fédéral doit être sincère dans sa volonté et son engagement à résoudre la crise au Baloutchistan. L’attitude dédaigneuse illustrée par des déclarations comme celles de Mohsin Naqvi, le ministre de l’Intérieur, qui a banalisé l’insurrection baloutche comme n’étant qu’une tâche digne d’un officier de police local (SHO), est non seulement irresponsable, mais aussi contre-productive et condamnable. De telles remarques reflètent un manque de compréhension et d’empathie pour les dynamiques complexes en jeu dans la région.

Deuxièmement, il est urgent au Baloutchistan de prendre des initiatives de développement significatives pour créer un environnement propice au dialogue. Les griefs de longue date enracinés dans la privation économique et le sous-développement doivent être résolus par des investissements ciblés dans les infrastructures, l’éducation, les soins de santé et les opportunités d’emploi. L’autonomisation économique est cruciale pour gagner la confiance de la population locale et jeter les bases de négociations constructives.

Troisièmement, un comité habilité devrait être créé pour entamer un dialogue avec les insurgés baloutches. Ce comité doit être composé de membres dont l’histoire témoigne de la personnalité et de la crédibilité de partis politiques réputés. Inclure des personnalités perçues comme de simples marionnettes de l’armée ne ferait qu’exacerber le problème, saper la légitimité du processus de paix et aliéner les principales parties prenantes.

Quatrièmement, les efforts de réconciliation sont essentiels pour apaiser les nationalistes baloutches mécontents et ceux qui ont pris les armes. Le gouvernement devrait privilégier le dialogue et la négociation plutôt que la force, en proposant des programmes d’amnistie politique et de réintégration à ceux qui sont prêts à abandonner la violence et à œuvrer pour la paix.

Cinquièmement, les violations des droits humains au Baloutchistan, qui sont endémiques et incontrôlées, doivent prendre fin de façon permanente. De tels abus ne servent qu’à renforcer le discours des insurgés et à alimenter le cycle du ressentiment et des conflits.

Le gouvernement devrait veiller au strict respect des normes relatives aux droits humains, en tenant pour responsable tout acteur étatique reconnu coupable de violations. C’est crucial pour renforcer la confiance de la population locale et accroître les perspectives de réussite du processus de paix.

Enfin, la participation politique au Baloutchistan doit être exempte d’implication militaire. La province est connue depuis longtemps pour ses manipulations électorales, par lesquelles le rôle de « l’establishment » dans la détermination des résultats politiques a sapé la gouvernance démocratique et alimenté la méfiance parmi la population.

Pour assurer la stabilité, l’armée doit cesser de s’ingérer dans le processus politique, ce qui permettra la tenue d’élections véritablement justes et transparentes. Ce n’est qu’à travers un tel engagement envers les normes démocratiques qu’Islamabad peut espérer parvenir à une paix et une stabilité durables au Baloutchistan.

Rahim Nasar

Rahim Nasar, analyste politique et de la sécurité basé à Islamabad, écrit sur la sécurité régionale, les affaires politiques et stratégiques, avec un accent particulier sur l’Asie centrale et du Sud. Il tweete @RahimNasari.Autres titres de Rahim Nasar

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