Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quel jeu stratégique en Ukraine ? la partie sera longue et nous dira les raisons de l’expédition de Koursk ?

Cet article, référencé dans le Monde, qui, une fois n’est pas coutume, fait son boulot d’information, a le grand mérite de montrer dans le détail ce que nous prédisions depuis le début de ‘l’offensive’ de Koursk. La hiérarchie russe, en bonne joueuse d’échec, laisse l’Ukraine faire son show en direction des grands médias occidentaux, sachant à l’avance l’issue stratégique inévitable d’une telle ânerie. Non seulement cela lui permet de détruire à une cadence avancée les meilleures troupes et équipements de l’armée ukrainienne, concentrés dans une poche qu’il leur est impossible de défendre sur le long terme, mais cela accélère l’effondrement attendu du front sur les autres secteurs, comme le détaille si bien cet article.

Pourtant, il serait erroné de conclure à une victoire rapide de la Russie sur l’agresseur occidento-ukrainien et à la fin prochaine du massacre dans l’est de l’Europe. D’abord parce que la logique d’un tel conflit est par essence faite de fluctuations. Mais surtout parce qu’il reste à élucider les raisons de ce qui apparaît à première vue comme une erreur stratégique massive de la part du commandement ukrainien et des ses maitres du Pentagone. Quels sont les buts poursuivis ? Sous couvert de ‘tester les lignes rouges’ du Kremlin, s’agit-il seulement de permettre aux démocrates et aux républicains de s’accorder à laisser l’Ukraine utiliser les armes qu’ils leur fournissent pour détruire les défenses stratégiques de la Fédération de Russie (le but réel des fameuses ‘frappes à longue portée’) ? ou s’agit-il de créer les conditions d’une intervention bottes aux pieds des armées de l’OTAN, Pologne, Roumanie et Lituanie en têtes de pont, venant à la rescousse du voisin ukrainien menacé d’annihilation par les hordes russes ?

La suite nous le dira. Il n’est cependant pas interdit à ceux qui vivent d’espoir d’espérer qu’un changement tectonique intervienne dans les rangs de l’empire (le récent repli de l’Allemagne pourrait en être une préfiguration) et qu’il reconnaisse qu’une autre voie est possible, et même avantageuse. Celle de préférer l’acceptation d’un monde multipolaire à la marche forcée vers la guerre nucléaire.

Amitiés, et merci pour les articles sur l’université d’été du PC !

Jean-Luc Picker

Volodymir Zelensky sous le feu des critiques après que la Russie ait percé les défenses ukrainiennes à l’Est.

Les critiques du président Volodymir Zelensky l’accusent d’avoir affaibli les défenses autour de Pokrovsk, une ville d’importance stratégique.

Un article envoyé de Kiev par Christopher Miller, paru dans le Financial Times du 30 août 2024

Volodymir Zelensky a qualifié la situation sur le front de Pokrovsk d’ « extrêmement difficile ». Photos : AFP/Getty, montage : FT

Alors que l’armée russe progresse rapidement dans l’est de l’Ukraine depuis que Kiev a lancé une incursion téméraire dans la région russe de Koursk, soldats de l’armée, députés ou encore experts militaires accumulent les critiques à l’égard du président Volodymir Zelensky.

Beaucoup d’Ukrainiens s’étaient pourtant réjouis de l’invasion de Koursk lancée le 6 août, dans l’espoir que le coup de poker forcerait Moscou à réorganiser ses forces en direction du nouveau front, offrant ainsi une chance de faire tourner la roue de la guerre en faveur de l’Ukraine. Mais la percée réalisée par la Russie sur le front autour de Donetsk, dans un secteur d’importance capitale, a provoqué de nombreuses condamnations de l’équipe au pouvoir à Kiev.

Les critiques tournent essentiellement autour de l’argument que les positions de défense de l’Ukraine ont été affaiblies par le redéploiement de milliers des meilleures troupes pour alimenter l’offensive de Koursk. Ceci a permis aux forces russes de menacer d’encerclement la ville stratégique de Pokrovsk, après s’être emparés de plusieurs localités des environs cette semaine et avoir forcé des unités ukrainiennes en infériorité numérique à abandonner leurs positions défensives.

Selon Frontelligence Insight, un groupe d’analystes militaires ukrainien, Pokrovsk est un des deux centres ferroviaires et routiers de la région de Donetsk et sa perte menacerait la logistique de l’armée ukrainienne dans toute la région. Les observateurs du groupe Finlandais Black Bird, analysant des images satellites en open-source, indiquent que les forces russes sont à moins de 8 km de Pokrovsk. Les autorités locales ont ordonné l’évacuation des habitants de la région.

Oleksandr Kovalenko, un analyste du groupe Information Resistance, basé à Kiev, parle d’une « complète défaite de la défense » à l’est de Pokrovsk. « Ce n’est pas la faute des soldats ordinaires qui tiennent les positions » écrit-il sur Telegram, ajoutant que « le problème vient de ceux qui prennent les décisions pour ces soldats », visant ainsi les autorités ukrainiennes.

Plusieurs soldats combattant dans la zone ont fait part de leurs doutes sur la défense de Pokrovsk.

Zhenya, un soldat ukrainien de la 93ème brigade motorisée, un vétéran de la terrible bataille de Bakhmout l’an dernier, décrit une situation autour de Pokrovsk qui dégénère rapidement. Dans un commentaire sans fard publié sur X, il accuse la structure de commandement ukrainienne, mentionnant des failles systémiques et une réponse inadéquate à l’évolution des conditions sur le champ de bataille. Il avertit que « honnêtement, je n’ai jamais rien vu de tel. Tout s’écroule si vite » ajoutant que « Pokrovsk tombera beaucoup plus vite que Bakhmout ».

Cette semaine, les troupes ukrainiennes se sont retirées de Novohrodivka, à 8 km au sud-est de Pokrovsk. Selon le Centre pour des Stratégie de Défense (CDS), un think-tank basé à Kiev, cette retraite est un indicateur du manque de ressources défensives, malgré l’importance logistique de la ville.

La députée Mariana Bezulha, membre du comité parlementaire de la défense, a publié sur Facebook ses photos d’une visite du front effectuée la semaine dernière près de Novohrodivka. D’après elle, elles montrent que la route de Pokrovsk est totalement ouverte. Son post incendiaire décrit « des tranchées vides devant Novohrodivka. Il n’y avait pratiquement aucun élément militaire ukrainien dans cette ville qui comptait autrefois 20.000 habitants ».

Dans un communiqué publié jeudi, après une visite de la région de Pokrovsk, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le général Oleksandr Syrsky, affirme qu’il travaille « à renforcer la défense dans les parties les plus difficiles du front et à alimenter les brigades avec des quantités suffisantes de munitions, de matériel et de moyens techniques ».

Lors d’une conférence de presse à Kiev ce mardi, Zelensky a qualifié la situation sur le front d’ « extrêmement difficile » mais affirme que l’avance russe dans  cette région a été ralentie grâce à l’offensive ukrainienne à Koursk.

En réalité, par rapport avec les mois précédents, les forces russes avancent plus rapidement à Donetsk depuis le 6 août, selon de multiples analystes militaires, y compris Deep State, un groupe ukrainien qui entretient des liens rapprochés avec le ministère de la défense et qui étudie les mouvements de la ligne de front. Un de ses analystes, Roman Pohorilyi décrit « un chaos total », prenant en exemple la chute de Novohrodivka et la menace sur Pokrovsk.

Emergency service workers carry children as local residents flee on an evacuation train from Russian troop advances in Pokrovsk, Ukraine

Des membres des services d’urgence de Pokrovsk portent des enfants vers un train d’évacuation, alors que les résidents fuient l’avancée des troupes russes © Thomas Peter/Reuters

Au cours des trois dernières semaines, les forces de Moscou ont capturé rapidement plus de deux douzaines de villes et de villages sans rencontrer beaucoup de résistance. Parmi eux, la ville de Niou-York, une forteresse tenue de longue date par le côté ukrainien.

Rob Lee, un commentateur éprouvé du Foreign Policy Research Institute (NdT : un think-tank états-unien) attribue les gains russes au manque d’infanterie aguerrie et au détournement des ressources vers l’offensive de Koursk. Selon lui « l’Ukraine a envoyé les réserves vers Koursk, se laissant peu d’options pour boucher les trous sur les autres fronts. Certaines des brigades les plus expérimentées ont été remplacées par des nouvelles unités sans expérience ».

Des soldats mobilisés au cours de l’été – grâce aux nouvelles lois sur la conscription passées par le gouvernement pour tenter de répondre au déficit dans les rangs de l’armée – ont été envoyés sur le front après un entraînement minimal et sans expérience du combat. Un lieutenant dont les troupes sont en première ligne près de Pokrovsk témoigne que ces soldats « deviennent paralysés. Ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire dans une situation de combat réelle ». Selon lui, beaucoup d’entre eux « font demi-tour et s’enfuient à la première explosion ».

Des soldats dans les unités d’artillerie près de Pokrovsk décrivent un manque d’obus et une grave infériorité par rapport aux unités russes. Un commandant d’artillerie déclare que « nous arrivons au bout de nos munitions, nous n’en n’avons juste pas assez », notant que ces ressources ont été redirigées vers le nord, en direction de Koursk. Au cours du dernier mois, le rapport en obus disponibles par rapport aux russes a été d’environ un sur six.

Pendant ce temps, les forces russes maintiennent un important avantage tactique, renforcé par la supériorité de leur aviation et de leurs drones ainsi que leur artillerie, ajoute CDS.

Stanislas Aseyev, un journaliste ukrainien enrôlé sur le front de l’est avertit d’une « possible destruction de tout le groupe armé de la région sud, pas seulement à Pokrovsk ». Il cite à l’appui « un ensemble de raisons intérieures : de la plantation de massifs floraux au lieu de construire des fortifications jusqu’à l’incapacité de la haute hiérarchie à comprendre des problèmes pourtant évidents aux yeux des soldats ». Il demande rhétoriquement si « on peut faire quelque chose pour Pokrovsk ? ». « Malheureusement, notre seule option est d’évacuer au plus vite le plus de gens possibles. Je crois que la ville va vite cesser d’exister ».

Frontintelligence, lui, affirme que le commandement ukrainien pourrait encore stabiliser la ligne de front en déployant de nouvelles brigades ou en repositionnant des forces prises ailleurs. Mais si Pokrovsk devait tomber, ce serait la porte ouverte pour une avancée des russes vers Dnipro, la 4ème ville en importance d’Ukraine, ce qui consoliderait leur position de force.

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