Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le roman de Jim (film) : le nouvel électorat du PCF ?

Au festival de Cannes 2024, une ovation a salué “Le roman de Jim” et son acteur principal Karim Leklou. Dans ces temps de racisme de classe, défendre “le mélodrame qui fit pleurer Margot” comme Alfred de Musset dans un poème intitulé “Après une lecture” (1842) est nécessaire et je me joins à cette ovation qui à Cannes a salué le dernier film des frères Larrieu. Musset célèbre les mérites des œuvres capables de susciter des émotions profondes, en particulier chez les femmes, qu’elles soient de haute société ou de condition plus modeste, il défend la sincérité, le refus de l’amphigourique mondain, j’avais déjà vanté sur ces bases-là “le professeur”. Donc je vous recommande ce film le roman de Jim parce qu’il suscite des émotions vraies, parce qu’il a une écriture simple et un acteur grandiose dans sa simplicité, une boule de tendresse silencieuse qui exprime la force de cette paternité construite de toutes pièces avec l’attention éblouie de la découverte d’un enfant jouant dans la nature.

Mais il y a plus et j’en reviens à cette université d’été, tout ce qu’elle m’a inspiré… Il y a eu l’intervention de Léon Deffontaines, quand il a longuement décrit les résultats des élections d’abord européenne puis législatives, ce film m’est revenu à l’esprit : le héros du “roman de Jim”, les gens qu’il côtoie sont l’électorat actuel du PCF. Il n’y a pas de doute c’est ce vivier, cette sensibilité mais cela pose aussi la question, tout à fait pertinente de Laurent Santoire à la fin de l’intervention de Léon Deffontaines : quel est le but de la nécessaire recréation de l’organisation du PCF : s’agit-il de recréer du lien social ou de dessiner la perspective du socialisme ? Mais je vais tenter de vous parler du film et ce qu’il nous dit, la manière dont il éclaire ce qui était en débat dans cette conférence…

Depuis plus de vingt ans, les films d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu s’obstinent à dépeindre ce qui se transforme dans le sociétal mais aussi le social français, une France qui a été désindustrialisée et qui a subi parallèlement une évolution des mentalités qui s’épuise autour du normal et du pathologique. Ce film interroge comme le fit Pagnol dans sa trilogie sur ce qu’est la paternité celle de Marius ou celle de Panisse assumant la construction de l’enfant dans son rapport au monde. Comme le film de Pagnol, l’écriture est celle d’un romancier Pierric Bailly qui a porté son roman paru chez POL aux frères Larrieu pour qu’ils en fassent un film. Donc nous sommes bien dans ce lien littérature cinéma et ce qu’elle exige d’épure pour aller directement au cœur d’un peuple, une langue française et son équivalent dans l’image. C’est pour cela que je peux éclairer de ce film par ce qui s’est joué dans cet université d’été du PCF : où va la France ? Même si le héros Karim Leklou est né le 20 juin 1982 à Sèvres, dans les Hauts-de-Seine, s’il est le fils d’un père venu d’Algérie, magasinier chez un fabricant de machines-outils, et d’une mère bretonne, réceptionniste et s’il a grandi dans le département des Yvelines à Saint-Cyr-l’École, c’est lui ce Français qui prend très au sérieux l’acte de voter quitte à voter blanc parce qu’il ne se reconnait dans aucune des propositions mais qui sait qu’il ne veut pas du Front National.

Karim Leklou et Eol Personne dans "Le Roman de Jim" de Jean-Marie et Arnaud Larrieu, en salles le 14 août 2024. (PYRAMIDE DISTRIBUTION)
Karim Leklou et Eol Personne dans “Le Roman de Jim” de Jean-Marie et Arnaud Larrieu, en salles le 14 août 2024 (PYRAMIDE DISTRIBUTION)

C’est un film qui autour de ce personnage et de l’enfant Jim s’étire sur 25 ans de la vie d’une famille de moins en moins atypique vu ce qu’ont été les choix politiques de ces trente dernières années, ce que l’on a appelé le libéralisme inventé libertaire pendant que des gens qui subissaient ce “vive la crise” à la Tapie, celle des mondains tentaient d’inventer un autre monde à la marge. Un mélodrame en tension et retenue autour d’un gentil héros qui rappelle ceux de Chaplin, un pierrot lunaire un peu rond qui est le jouet des événements mais qui résiste étonnamment. Tout commence avec l’abandon des études et l’enrôlement dans un cambriolage amateur digne de la comédie italienne, il purge sa peine et revient dans sa ville natale de Saint-Claude dans le Jura où il enchaine avec beaucoup de conscience tous les petits boulots d’une économie de service et se lie avec d’autres précaires. Tout alors parait affaire de hasard, de rencontres, de tentatives de survie en inventant de nouvelles règles du jeu… C’est ainsi qu’il retrouve une ancienne collègue de travail, avant la prison, Florence (Lætitia Dosch) qui a une mère jadis engagée mais vivant de son gite où elle accueille les randonneurs, Florence est enceinte et le père marié ayant des enfants, Christophe (Bertrand Belin) n’assume pas la paternité. Ils font l’amour parce que son ventre ne le rebute pas au contraire, il accepte à ce moment là d’être le père, celui qui sera là à la naissance de Jim mais tout va être bouleversé sept ans après quand Christophe qui a perdu ses filles et sa femme dans un accident de voiture revient et l’éjecte d’une manière de plus en plus “créative” de nouveaux rapports sociaux, de franches saloperies…

Quel rapport avec Léon Deffontaines et l’université d’été du PCF?

Nous avons dit à quel point nous nous étions trompé sur ce qui se jouait dans cette université qui selon la description médiatique n’était qu’une des opérations promotion de Lucie Castets, la seule chose qui flottait dans l’air était cette interrogation du film sur le caractère empirique de l’évolution des mentalités, le sociétal et sa relation avec la politique… Mais le fond restait ce qui avait provoqué le 38e Congrès, un parti communiste autonome et sur quelles bases le reconstruire. C’est ce qui faisait tout l’intérêt de l’atelier du samedi après midi “Quelles leçons tirer des dernières campagnes électorales du PCF ?” avec une analyse de Léon Deffontaines qui n’éludait aucune des questions que nous nous posions (sauf une celle posée par Santoire et qui était le résultat de tous nos débats collectifs dans les ateliers et dans le “off”).

Notons que ces résultats étaient exposés non pour comprendre l’hypothétique électorat de Lucie Castets mais bien celui du PCF et surtout ce que ces résultats offraient comme possibilité de reconstruire le parti. On comprenait la nature du satisfecit de l’ensemble des militants à Fabien Roussel et à Léon Deffontaines. Il n’y avait rien à leur reprocher, ils avaient défendu le mandat des 38 et 39e congrès, l’autonomie du PCF comme force de rassemblement… Avec courage, talent, fermeté, esprit d’ouverture. Je me permets ici d’exprimer ma position personnelle telle que je l’avais dite dans une rencontre de couloir à Deffontaines : c’est toi qui a organisé pour une part cette campagne, tu les as tous forcés à revenir sur le pouvoir d’achat, sur les salaires, les besoins en service public, la candidate de la LFI comme on dit en cyclisme n’a cessé de te sucer la roue… Mais tu as été confronté à des années d’anticommunisme, à la difficulté d’aller a contrario de cette image négative en particulier en matière de lutte pour la paix… Il me semble que tu étais meilleur dans ta réponse à sciences Po sur le rôle nouveau des BRICS, de la Chine que quand tu t’es plié au consensus. de toute manière ce n’est pas seulement ton problème c’est celui d’un parti capable de remonter le courant en se construisant comme un parti révolutionnaire. Léon Deffontaines m’avait alors exprimé son souci prioritaire, celui de sa génération et effectivement c’était la construction du parti.

C’était ce souci et pas celui de l’électorat hypothétique d’un Nouveau Front Populaire qui était au cœur de sa présentation des résultats des élections que nous venons de traverser. Cela doit être salué, c’est essentiel… Oui mais quel rapport avec le film : le roman de Jim.

Il ne s’agit pas seulement du héros avec son aspect “bienveillant”, gentil, ce qui frappe dans le contact avec les communistes… il s’agit d’un groupe social dans un territoire…

Ce que nous a décrit Léon Deffontaines c’est la manière dont une vague Rassemblement national avait balayé nos anciens bastions industriels malgré la tentative de reconquête de Fabien Roussel. Ce qu’il avait lui-même exprimé en expliquant que la colère de la population de ces zones, y compris dans son fief de Saint-Amant, avait trouvé dans le rassemblement national une expression plus adéquate que celle de la gauche et celle du PCF… et cela renvoyait à une autre de ses remarques sur le fait que ses électeurs lui demandaient à quoi il servait vu que tout passait à coup de 49.3. Notez que c’est cette crise de fait de la démocratie institutionnelle qui fait la clientèle de la FI, à eux deux ces deux “extrêmes” que l’on dit “hors du champ républicain” sont majoritaires et de loin dans les couches populaires… mais 55% des ouvriers qui votent votent pour le RN et 22% pour toute la gauche regroupée.

Mais ce que décrivait Léon Deffontaines allait encore plus loin, il y avait eu une rupture y compris par rapport au vote pour Ian Brossat. les communistes avaient perdu l’électorat de l’ancienne ceinture rouge et des fiefs urbains de jadis, ceux qui avaient encore voté pour Ian Brossat, disons le groupe de Montreuil, celui du “printemps marseillais” qui tend à retrouver une nouvelle expression pas seulement dans la LFI de Mélenchon mais celle de Ruffin, Clémentine Autain, Bessac, Coppola, etc… toute cette mince frange urbaine partagée entre la gentrification et les grands ensembles qui parait temporairement sur le mode de Paris intramuros résister à la vague du RN et le fait essentiellement sur le “sociétal”… rempart des mœurs contre le fascisme limité au conservatisme.

Alors comment se fait-il qu’alors qu’on a plus voté, le PCF conserve son score aux européennes et limite les dégâts aux législatives… Pour le deuxième effet il est clair que le choix de l’union s’imposait et qu’il sera d’actualité dans bien des élections régionales… Mais l’intéressant est de voir là où on a assisté à la progression du PCF dans la campagne des Européennes. C’est là que nous retrouvons le film : le roman de Jim là où le PCF non seulement résiste mais gagne…

Ce qui fait le charme de ce film c’est le paysage et le fait que la nature joue un rôle central au milieu des magnifiques paysages du Jura mais le fait que dans ces paysage se joue vingt cinq ans de la vie d’un prolo qui les traverse comme un héros de western, et avec lui un tas de gens qui n’ont plus les moyens d’habiter en ville, des ouvriers qui inventent un habitat et reconstruisent des rapports de voisinage après un séisme qui a été la désindustrialisation de la France racontée par une voix off. Ces gens-là sont courageux et ont des capacités réelles, ils parlent peu et cherchent à survivre avec un minimum de dégâts… Aymeric le héros trouve sa vocation dans la paternité qui est aussi une manière de s’approprier cette France si belle… Il ne renonce pas à la citoyenneté, cela fait partie de la transmission, de la filiation… Même si leur seul problème est de repousser la fascisation…

Au fur et à mesure que Léon Deffontaines énonçait les zones dans lesquelles le PCF avait fait mieux que résister, je revoyais ce film et ses héros tendrement paumés comme des Indiens réfugiés dans une périphérie, une nature inventive, de nouveaux rapports sociaux… une filiation choisie… Cette fausse paternité, cette fausse classe ouvrière, ces faux bobos, tout cela ne pourrait être qu’imposture et mensonge et ça l’est bien souvent même le plus souvent, mais il y a aussi ce qui tente comme le héros d’être réellement dans les actes juste et vrai, une recherche d’authenticité dans les rapports sociaux ce qui pour le moment est à la base du vote communiste et par bien des côtés ce qui se reconstruit… le héros qui incarne cette aspiration accomplit ce qui caractérise un film réussi, il déborde du cadre de l’histoire, il rompt les codes…

Léon Deffontaines savait-il de quoi il parlait exactement, oui et non… Il proposait à la salle de passer à l’organisation du parti oui mais c’était sur les bases du héros du roman de Jim… L’important était de retisser une société en train de se déliter… Il fallait recréer du lien social à la manière dont certains s’étaient engagés. Nous avions sous les yeux avec la fédération du PCF de l’Hérault de ce que pouvait être cette recréation du collectif autour de l’organisation matérielle de cette université d’été. Cela n’est pas négligeable…

Beaucoup d’interventions qui ont succédé à la présentation de Deffontaines ont décrit effectivement l’actuelle absence d’organisation, l’isolement des sections, la force inertie de l’appareil tel qu’il était… Mais c’est l’intervention de Laurent Santoire qui a posé la question que l’on peut dire théorique, mais celle sans laquelle toutes les tentatives pour construire un parti communiste risquait de s’épuiser, de perdre toute unité et qui ne permettrait pas aux expériences de s’échanger:

“Oui la tâche essentielle est de reconstruire ou plutôt de reconstruire le PCF, si l’on veut réellement s’opposer à Macron et a son alter ego le Rassemblement national, toutes ces décisions de plus en plus empreintes non seulement de racisme mais surtout d’un racisme de classe, ces décisions qui mènent à la guerre, à la misère, à la perte des conquis? Quelle est donc le principe qui gouverne cette reconstruction : celle de recréer “du lien social” ? ou celle de construire la seule alternative à ces politiques, la sortie de l’OTAN, la remise en cause des politiques européennes et le socialisme ? Suivant la réponse que vous donnez à cette question vous avez plus ou moins besoin d’un parti communiste à l’entreprise, d’un retour à une formation marxiste léniniste…

Voilà comme le héros du roman de Jim, chacun à sa manière est confronté à un point de bascule dans lequel bien souvent l’aventure individuelle se confond avec l’histoire… Nous ne sommes déjà plus dans ce temps du repliement dans des zones de résistance dans lesquelles nous tentions de nous adapter par la force des choses avec un maximum d’honnêteté et de bienveillance… Les temps sont autres et nos buts ne sont plus la survie… Allez voir ce film pour l’émotion, le plaisir mais aussi peut-être en vous interrogeant sur la nature du combat qu’il nous faut mener… La culture ça sert aussi à “inonder” le cadre que l’on n’ose pas franchir…

Affiche du film  "Le Roman de Jim". (PYRAMIDE DISTRIBUTION)
Affiche du film “Le Roman de Jim”. (PYRAMIDE DISTRIBUTION)

La fiche

Genre : Comédie dramatique

Réalisateur : Jean-Marie et Arnaud Larrieu

Scénario : Jean-Marie et Arnaud Larrieu

Avec : Karim Leklou, Laetitia Dosch, Bertrand Belin, Sara Giraudeau, Eol Personne,

Pays : France

Durée : 1h41

Sortie : 14 août 2024

Synopsis : Aymeric, le beau-père de Jim, a rencontré Florence, sa mère, alors qu’elle était enceinte de six mois. Tous les trois mènent une vie heureuse dans le Jura jusqu’à ce que le père biologique, Christophe, revienne suite à une tragédie personnelle. Aymeric ne trouve plus sa place et, éloigné de l’enfant, il décide de partir faire sa vie ailleurs. Mais des années plus tard, Jim, 23 ans, frappe à sa porte d’Aymeric.

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