Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Franck Marsal : ce qu’ont voté les communistes à propos de la guerre en Ukraine…

Voici l’intervention de Franck lors de l’université d’été du PCF après l’étonnante prestation de Vincent Boulet le responsable du secteur international dont je vous décris par ailleurs la “méthode” d’enfumage et d’autres réflexions, impressions sur ces journées. Mais pour revenir à l’intervention de Franck Marsal, il faut voir le rôle très important qu’elle a joué et en quoi elle a fait consensus : les communistes, je ne crains pas de l’affirmer, à 80% minimum veulent que l’on respecte les positions du Congrès et ils ont eu l’impression que sur le plan de l’international en particulier ces positions n’étaient pas respectées et que cela nuisait à leur propre activité durant la campagne électorale ou plutôt les campagnes électorales depuis les européennes jusqu’à la dissolution et les législatives. D’où la force qu’avait pris ce rappel des positions internationales face à la dérive systématique de tout ce qui avait trait à ce secteur dans l’ensemble de la vie du parti. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)


Ce qu’ont voté les communistes à propos de la guerre en Ukraine

La guerre fait rage en Ukraine depuis 30 mois. Elle ne cesse de s’étendre, gagnant désormais le territoire russe, de s’approfondir, avec de nouvelles armes, et de s’approcher d’une guerre totale entre la Russie et l’OTAN, avec le risque d’escalade nucléaire. L’Ukraine n’est pas officiellement admise dans l’OTAN, mais les principaux pays dirigeant cette organisation ont signé avec le gouvernement de Kiev des pactes militaires bilatéraux, dont les détails ne sont d’ailleurs pas complètement connus. Des armes de l’OTAN, des financements de l’OTAN, des mercenaires et conseillers militaires de l’OTAN alimentent quotidiennement la guerre, y compris sur le territoire russe.

Face à cette situation, les mobilisations pour la paix sont faibles. Contrairement à ce qui a pu se produire par le passé, à la longue tradition de résistance à la guerre, en particulier en France, bien peu d’actions sont organisées. Les prises de positions sont parfois confuses, parfois même alignées sur le discours de l’OTAN dans une forme nouvelle d'”union sacrée”, semblable à celle qui avait emportée les consciences durant les premières années de la 1ère guerre mondiale, avant que les horreurs des guerres de tranchées et l’absurdité de cette guerre impérialiste ne soit exposée au grand jour.

Dans ces circonstances, il est important de se pencher sur les positions prises par le parti qui, dans la violente histoire du 20ème siècle a joué ce rôle de conscience irremplaçable, le Parti Communiste Français. Né de l’opposition à la guerre, le PCF n’a jamais hésité à dénoncer les guerres et l’impérialisme. Un épisode en particulier nous ramène directement dans la région du Donbass, de la Crimée et du sud de l’Ukraine : Dès novembre 1918, Clémenceau donne l’ordre d’une intervention en Russie du Sud, contre la révolution. Une escadre est envoyée en mer noire et débarque à Odessa le 18 décembre, puis à Sébastopol le 26. Une escadre britannique participe aussi à l’intervention, ainsi que quelques troupes polonaises, tchèques et roumaines, ce qui permet de lui donner maintenant une coloration plus « alliée ». Il faut attendre janvier pour occuper Kherson, et ce n’est que le 31 que Nikolaïev (centre de construction navale russe), et Kertch sont atteints. L’accueil de la population locale est hostile et les troupes ne comprennent pas le sens de cette intervention. L’armée rouge, l’armée de la révolution combat les troupes “blanches” et progresse vers le Donbass. le 14 mars, Mikolaëv, important port de construction navale sur la mer noire est pris. Le 30 mars, c’est Marioupol et le 7 avril Odessa. L’Armée française tente de garder le contrôle de la Crimée et du port stratégique de Sébastopol. C’est alors qu’une large vague de mutinerie gagne la flotte française. Sur un large nombre de navires, on hisse le drapeau rouge, on chante l’internationale, on élit même parfois des soviets ou des comités de soldats et on refuse les ordres. Deux futurs dirigeants communistes participent à ces mutineries : André Marty et Charles Tillon. Face aux avancées de l’armée rouge et au risque révolutionnaire en son sein, l’armée française se retire.

Toute l’histoire du PCF sera ensuite marquée par ses positions courageuses, valant souvent la prison à ses militants ou à ses dirigeants contre les guerres et contre l’impérialisme : opposition à la guerre du Rif, à l’occupation de la Rhur, participation aux brigades internationales en Espagne, clandestinité et résistance durant la seconde guerre mondiale, engagement dans la décolonisation, lutte pour le désarmement (en particulier nucléaire) …

C’est pourquoi la position du PCF revêt un caractère important face à toute situation de guerre et lorsque se pose la question d’une mobilisation contre la guerre et contre l’impérialisme. La faiblesse de l’investissement du PCF dans la mobilisation pour la paix pose donc question, même s’il n’est pas le seul à se montrer pour le moins attentiste, voire parfois à relayer l’argumentation du gouvernement français et de l’OTAN. On peut citer notamment le vote par les députés de la résolution 390, engageant le soutien militaire de la France à l’Ukraine et fait apparaître le conflit comme sans autre cause que le bellicisme russe, laissant notamment de côté la politique d’extension de l’OTAN vers l’est,  le coup d’état de Maïdan qui a déchiré l’Ukraine en 2014, la non-application des accords de Minsk.

En mars 2023, les communistes avaient l’occasion de s’exprimer en congrès sur cette situation et ont fait entendre un tout autre son de cloche. Pourtant, comme nous allons le voir, cette position prise démocratiquement et statutairement par les adhérents du parti ne se traduit que très partiellement et de manière déformée dans l’action concrète, encore aujourd’hui.

D’abord, sur les causes de la guerre : Si l’attaque de la Russie contre l’Ukraine est dénoncée (“L’invasion de l’Ukraine décidée par le régime russe de Vladimir Poutine est injustifiable et criminelle. Nous sommes solidaires du peuple ukrainien.”), les causes plus larges et plus profondes de l’affrontement global entre l’OTAN et la Russie sont rappelées et mise en exergue (“Elle fut aussi déclenchée dans le contexte de la politique d’expansion continue et de l’installation de bases militaires de l’Otan vers l’Est, en dépit des engagements étasuniens, et de la non-application par les gouvernements ukrainien et russe des Accords de Minsk, qui pouvaient mener à un règlement politique de la guerre civile en Ukraine et dont la France et l’Allemagne s’étaient portées garantes.“). Il a été depuis confirmé publiquement par François Hollande (alors président de la république française) et Angela Merkel (alors Chancelière de l’Allemagne) que les accords de Minsk n’avaient été, du point de vue de l’Ukraine et de l’OTAN qu’une tromperie, destinée à gagner du temps pour réarmer l’Ukraine, sans intention véritable de les appliquer, notamment sur leur volet politique accordant l’autonomie au Donbass). Plus généralement, le congrès du PCF a rappelé que “Pour le capital, la guerre et l’interventionnisme politique et militaire font partie des débouchés. On voit aussi une fraction du capital financier chercher un mode d’accumulation brutal et autoritaire, en s’appuyant voire en s’alliant avec l’extrême droite, ou en nourrissant l’autoritarisme. “. Il est noté que “ la guerre est utilisée par les États-Unis pour renforcer leur hégémonie en Europe, par les États et les industriels de l’armement pour relancer la course aux armements, et les classes dirigeantes l’utilisent pour imposer des politiques d’austérité et des sacrifices toujours plus
importants au monde du travail.”

Ensuite, sur la fourniture d’armes, les communistes ont jugé que “La fourniture d’armes lourdes et offensives ajoute de la guerre à la guerre.” Ce qui équivaut à condamner les transferts d’armes opérés par la France comme les chars, les véhicules blindés, les missiles SCALP … On peut constater également depuis que la distinction entre “armes offensives” et “défensives” n’a plus de sens et que le gouvernement de Kiev est dans une fuite en avant offensive généralisée. Plutôt que la guerre, le congrès du PCF a appelé à des négociations, et en premier lieu à un “cessez-le-feu” : “Tout doit être mis en œuvre pour trouver le chemin d’un règlement politique, sous l’égide de l’Onu, permettant de restaurer la souveraineté de l’Ukraine, d’établir des garanties de sécurité pour tous les pays de la région, pour l’Ukraine et pour la Russie, de réunir les conditions d’une paix juste et durable et d’une sécurité collective sur tout le continent européen, d’un désarmement global et multilatéral.”

En conséquence, les communistes ont décidé de lancer une vaste mobilisation pour la paix : “il y a besoin d’une mobilisation internationale exceptionnelle pour rompre l’engrenage guerrier en cours, l’escalade de la course aux armements, l’aiguisement des tensions et des conflits militaires, et le danger nucléaire.” “”Il y a donc urgence à mobiliser pour dire « stop à la guerre » et pour un cessez-le-feu. Le PCF prendra toutes les initiatives afin de mobiliser l’ensemble des forces de paix (associations et syndicats) pour faire advenir un nouvel ordre mondial de paix, de sécurité et de coopération. Nous appelons les pacifistes, humanistes et progressistes à engager dans tout le pays une grande campagne pour la paix.”

Plus de 18 mois après, alors que la guerre menace chaque jour d’embraser le monde, l’analyse opérée par le congrès du PCF garde tout son sens et la campagne proposée toute son urgence.

Vues : 1018

Suite de l'article

12 Commentaires

  • Rémignard
    Rémignard

    Magnifique de justesse et finesse dans la forme du rappel de la position du Congrès et dans le moment historique où nous sommes
    Merci à Franck pour cette intervention et bien sûr à Danielle pour son blog complètement indispensable
    Ce me sera fort utile lors de la prochaine formation que j’organise pour ma section en géopolitique

    Répondre
  • Xuan

    C’est un grand pas en avant.
    Frank s’appuie à la fois sur le passé révolutionnaire du PCF et sur la volonté de l’immense majorité pour isoler la fraction atlantiste.

    Il nous faudra faire un second pas en avant, pour la paix.
    Revenir sur une autre exigence affirmée par le PCF et Fabien Roussel avant les législatives de 2022 : « Rompre avec l’OTAN pour assurer la sécurité collective »
    https://www.pcf.fr/rompre_avec_l_otan_pour_assurer_la_securit_collective
    Cette déclaration, signée par Vincent Boulet en personne, revendiquait même sa dissolution !

    Mais peu après l’agression russe en Ukraine, Fabien Roussel déclarait avec un opportunisme totalement incohérent vouloir à la fois sortir d’une « alliance de bloc contre bloc », et simultanément : « quitter l’OTAN n’est absolument pas le sujet », repoussant cette exigence à la fin du conflit.
    https://www.dailymotion.com/video/x88r2gi
    Peut-on encore vouloir « sortir de l’OTAN » ? Et ce slogan est-il réaliste ?
    On pourrait penser qu’il est irréalisable dans le cadre du capitalisme, compte tenu de l’allégeance de la grande bourgeoisie.

    Mais dans son intervention, Frank pose déjà les jalons de cette exigence :
    L’OTAN est à l’origine du conflit en Ukraine, l’OTAN nourrit la poursuite du conflit quel qu’en soit le prix et les conséquences pour toute notre région.

    L’OTAN est à l’origine du conflit parce que l’hégémonie des USA est incompatible avec le développement indépendant des autres nations, et qu’elle fomente partout la subversion, la division et la guerre.
    C’est une alliance dont la finalité n’est pas la paix mais la guerre, non pas la sécurité mais la destruction des nations et le massacre des populations.
    Et le scenario s’est reproduit au Moyen Orient, où les USA se sont opposés au cessez-le-feu et continuent de fournir des armes à Israël.
    Maintenant la guerre économique avec la Chine Populaire peut virer au conflit militaire parce que les USA envoient encore des armes à Taïwan, au Japon, en Corée du sud, et poussent les Philippines à l’affrontement.

    Il est absolument indispensable d’accompagner la défense de la paix en désignant l’hégémonisme US comme le fauteur de guerre n°1 et la première menace contre la paix mondiale.

    Répondre
  • Jean François DRON
    Jean François DRON

    Totalement solidaire de ce texte. Sans aucun doute, c’est bien dans ce sens qu’il faut avancer

    Répondre
  • Dechamps Michel
    Dechamps Michel

    L’OTAN a été construit pour faire la police du capitalisme dans le Monde et créer des tensions quand des États ne marchent pas dans leurs sens …c’est le bras armer du capital.et en plus payer par le peuple.

    Répondre
  • Barbazange
    Barbazange

    Bravo pour cette intervention. Comment a t elle été reçue? Quels ont été les développements et les lignes de fuite. Préparez un compte rendu des débat sur cette question. J’étais pour ma part accaparé par la préparation matérielle des repas et de toute l’organisation. J’ai donc une particulière curiosité.
    Beaucoup de ceux qui n’étaient pas à Montpellier ont le même besoin.
    9a aidera

    Répondre
  • Gourmel Michel
    Gourmel Michel

    Rien à redire sauf : “La guerre fait rage en Ukraine depuis 30 mois” / La guerre fait rage en Ukraine depuis 10,5 ans. Mais tous les gens massacrés entre Maïdan et février 2022 ne comptent pas pour l’OTAN.

    Répondre
  • Niveaux Yves
    Niveaux Yves

    Je soutiens complètement cette déclaration. Il est temps que la direction du parti et son secteur international reviennent aux valeurs de Jean Jaurès et cessent leur soutien inconséquent au régime ukro-nazi de Kiev.

    Répondre
    • Etoilerouge
      Etoilerouge

      Je dirai même reviennent aux valeurs de Lénine concernant la guerre ou la paix

      Répondre
  • Sautel
    Sautel

    Danse du ventre tout de même !!
    Dommage, il serait plus que temps de sortir les militants d’une illusion d’unité sur cette question identificatrice de notre engagement !
    Cela me rappelle ces publications dans l’Huma d’interminables interventions au Comité central, qu’il fallait lire entre les lignes pour percevoir les circonvolutions des désaccords de fond… il faut des lecteurs aguerris pour ce genre littéraire, ce qui reduit leur portée… est-ce volontaire !
    « Qu’en termes élégants ces choses là sont dites » (Moliere Le Misanthrope…!)

    Appeler un chat, un chat et ne pas terminer par ce revirement unificateur visant à éviter la bataille indispensable !

    Répondre
  • Denis
    Denis

    Belle intervention.
    Un commentaire toutefois sur la déclaration prise en congrès par les militants en mars 2023 : il est pour le moins contradictoire de déclarer “injustifiable” l’intervention russe en Ukraine, pour reconnaitre ensuite que le conflit est dû notamment au “contexte de la politique d’expansion continue et de l’installation de bases militaires de l’Otan vers l’Est”. Ce contexte ne justifiait il pas une intervention russe (en plus des massacres perpétrés dans le Donbass par Kiev)? Quant à considérer l’intervention russe comme “criminelle”, on pourrait retourner l’argument et considérer que c’est de ne pas réagir qui eut été criminel. Surtout après 8 années de patience et de tentatives de négociations côté russe.
    Mais cette déclaration des militants est certainement le fruit d’un compromis entre des positions contradictoires et va plutôt dans le bon sens étant donné le climat belliciste de la France d’aujourd’hui.

    Merci à Histoire et Société de nous partager ces débats.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.