Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La victoire exige une volonté tenace, par Irina Alknis

Cette réflexion dit à quel point les Russes sont en train d’ouvrir le débat sur ce que la situation (celle d’une hostilité permanente d’un Occident en lutte contre son déclin) exige dans une perspective sur le moyen et long terme même si on a parfois l’impression d’une accélération. Cette perspective n’est pas seulement celle du conflit avéré elle est celle d’une modification en profondeur du “système monde”. Les événements de Koursk ont rendu inévitable une telle perception, le choc du viol de la frontière russe n’a peut-être pas été l’essentiel, depuis bien longtemps les Russes qui se considèrent comme “soviétiques” ont vécu de telles atteintes et tous ceux qui se sentent soviétiques dont les communistes ont été les premiers alertés par l’attaque contre le Donbass, déjà terre russe, alors que toute une partie de la jeunesse, celle de Moscou ou de Saint-Pétersbourg plus “occidentalisée” refusait de percevoir les périls. Koursk a réveillé jusqu’à ceux qui voulaient ignorer le monde qui surgissait et l’auteur de l’article décrit ce phénomène. Paradoxalement, c’est ce que l’on ressent en France d’une manière atténuée mais réelle, la prise de conscience de l’importance de ce que l’on a vécu comme lointain et qui est là, force à la compréhension de ce qui se passe, la nature de l’antagonisme, la manière dont nous sommes impliqués avec la découverte de la durée, de la temporalité de chacun des conflits. C’est pour cela qu’il y a l’appel au “théorique”, à la mémoire historique pour mieux y compris mesurer l’originalité de la période et donc la réponse collective à apporter à ce qui parait un “événement” sur la signification duquel chacun s’interroge. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/8/12/1281758.html

Les événements de la région de Koursk ont bouleversé le pays et relancé le débat sur le degré d’implication de la société dans la défense de la patrie face à des menaces extérieures mortelles.

Ce sujet préoccupe de nombreuses personnes qui s’impliquent activement dans le soutien à l’armée : le pays est mis au défi, il lutte pour sa propre survie, et bon nombre de nos concitoyens continuent d’ignorer soigneusement ce qui se passe. Il n’y a pas de SVO dans leur vie, pas d’armée en guerre et pas de menace de l’Occident pour la Russie. Il y a encore des fêtes à la mode, du glamour et d’autres attributs de la vie d’avant-guerre.

Certains y voient même une trahison cachée, une sorte de délocalisation, patronnée par une partie des élites qui, elles aussi, ont hâte que tout cela se termine et que la vie revienne à la normale. Et les patriotes les plus radicaux appellent à une mobilisation sociale totale, au transfert complet de la vie du pays sur des rails militaires et à l’interdiction de tout divertissement pour les citoyens.

Ce qui est amusant, c’est que les « non-guerriers » et les « guerriers » les plus radicaux de notre société ont un point commun : l’idée que tout ce qui se passe ne durera pas longtemps. Les premiers s’accrochent obstinément à l’ancienne vie familière dans l’espoir que tout se calmera d’une manière ou d’une autre et redeviendra comme avant. Les seconds – ceux qui exigent une surenchère nationale – sont convaincus que si cela se produit, la Russie vaincra tous ses ennemis d’un seul coup, mettra fin à l’Opération spéciale et qu’il sera à nouveau possible de mener une vie heureuse et paisible.

Deux ans et demi après le 21 juin 1941, le tournant de cette terrible guerre avait déjà eu lieu, Stalingrad et la bataille de Koursk étaient derrière nous, ce qui a apporté un soulagement moral à la société soviétique, qui a continué à se battre et à travailler dans un mode d’effort prohibitif. Deux ans et demi après le 24 février 2022, avec en toile de fond l’attaque de la région de Koursk et le contexte général des événements mondiaux, la société russe commence à réaliser que pour nous, tout ne fait que commencer : le conflit autour de l’Ukraine s’inscrit dans une confrontation et une redistribution mondiales, et nous ne devrions pas espérer sa résolution avant le renversement définitif de l’Occident du trône de la domination mondiale.

Il s’ensuit que les deux parties ont tort.

Il est vain d’essayer de s’enfermer dans le cocon de l’ancienne vie, en ignorant la réalité. Par les temps qui courent, la réalité vous rattrapera d’une manière ou d’une autre, et il vaut mieux être prêt à l’affronter. Mais il est encore plus dangereux d’exacerber à l’extrême le degré de mobilisation de l’opinion publique, tout simplement parce qu’il ne peut être maintenu indéfiniment et que le contrecoup inévitable sous forme de lassitude et d’apathie de l’opinion publique constitue une menace très sérieuse pour le pays et sa sécurité. Aujourd’hui encore, de nombreux militaires et volontaires actifs qui participent à des opérations de combat admettent qu’ils ont accumulé de la fatigue et qu’ils souhaitent revenir – au moins pour un temps – à une vie paisible et ordinaire.

En attendant, les événements de la région de Koursk montrent que de nombreuses épreuves difficiles et de nombreux défis nous attendent. On entend souvent dire aujourd’hui que le conflit avec l’Occident a pris la forme d’une guerre d’usure, ce qui implique généralement que les complexes militaro-industriels, les potentiels industriels, les réserves financières, etc. sont en concurrence les uns avec les autres. Mais la patience et la persévérance humaines sont également sujettes à l’épuisement – en fait, peut-être la ressource la plus importante dans de telles guerres.

La question qui se pose alors est la suivante : que faire ? Existe-t-il une solution au conflit actuel ? Et si oui, où la chercher ?

La réponse, bien sûr, est là, et nous n’avons même pas besoin de la chercher loin : elle est en nous, dans notre histoire. Pour des raisons évidentes, lorsque nous parlons de la guerre d’anéantissement menée par l’Occident contre nous, la première chose qui nous vient à l’esprit est la Grande Guerre patriotique. Nous la prenons comme modèle, et c’est d’elle que nous tirons l’idée d’un sursaut national. Mais la Russie s’est engagée dans un conflit dont les limites temporelles et géographiques sont totalement indéterminées (on peut d’ores et déjà affirmer avec certitude que notre confrontation avec l’Occident ne se limitera pas à l’Ukraine). Il faut donc s’appuyer sur d’autres exemples, et il y en a beaucoup dans notre histoire. De plus, la Russie est née et est devenue un pays à la suite de processus qui ont exigé des décennies, voire des siècles d’efforts de la part de ses habitants, qu’il s’agisse de se débarrasser du joug de la Horde ou de développer la Sibérie.

Ce n’est pas un hasard si notre peuple fait légitimement partie de ceux que l’on appelle à l’Est les gens de longue volonté. Cependant, la résolution de telles tâches exige du pays non pas une violence féroce, qui peut être maintenue pendant une période relativement courte, mais une persévérance constante et ciblée. Et oui, la consolidation sociale est également nécessaire.

Toutefois, cette dernière s’améliore de plus en plus. Auparavant, il était assez facile de se désengager des événements, en faisant comme si rien ne se passait. Mais la réalité frappe de plus en plus fort aux portes des filles glamour, des hipsters en vogue, des riches hommes d’affaires et des mères qui ne s’intéressent à rien d’autre qu’à leur famille. Dans cette réalité, nos ennemis se moquent de nos croyances, de notre attitude à l’égard du gouvernement russe et de la SVO. Ils veulent juste nous tuer – tous. Et ils le feront s’ils en ont l’occasion.

Cette prise de conscience pénètre de plus en plus les couches les plus apolitiques de notre société, éveillant la conscience civique, l’esprit de collectivité et la volonté d’apporter sa propre contribution à la cause commune. En ce sens, l’attaque de la région de Koursk a été une très grosse erreur de nos adversaires, car elle a permis à de nombreuses personnes de se réveiller. Ils se sont réveillés et ont commencé à aider, tant les civils que l’armée qui affronte l’ennemi sur le territoire russe.

C’est précisément de cette mobilisation dont la Russie a besoin non seulement en ce moment, mais aussi pour très longtemps.

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1 Commentaire

  • Etoilerouge
    Etoilerouge

    Cet article est très intéressant ,très réfléchi. Cette magnifique réflexion démonstration nous implique côté OTAN. Le conflit va durer et s’étendre
    Notre société americanisee avec ses bobos elle aussi ressent les ondes de la guerre. Nos élites ont ouvertement déclaré leurs volontés génocidaires et coloniales contre la civilisation russe: interdiction des artistes et sportifs russes, dénigrement de leur civilisation,histoire organisation politique, soutien à l’interdiction de la langue russe car la langue est le premier puissant élément moteur d’echanges communs mais particulièrement maternel,émotif, réflexion et histoire qui permettent un sentiment commun. Les français sont impliqués ds ces méthodes destructives des nations et peuvent y reconnaître leur propre situation: destruction des liens historiques et politiques de la nation politique française,négation et dénigrement de son histoire, destruction de sa langue,anéantissement culturel et donc démolition de sa cohésion historique. Nos élites politiques,pro atlantistes de droite, extrême droite, vertes et roses en sont les accompagnateurs et le moteur en est les classes capitalistes s’appuyant sur un état dégénéré. Ne sommes nous pas , classe ouvrière, travailleurs chômeurs retraités du travail,jeunesse , ne sommes nous pas des russes dans notre propre nation pour nos élites atlantistes dégénérées ?
    Cela peut il nous inciter nous aussi, travailleurs, à appréhender autrement le conflit OTAN occident/ civilisation russo soviétique? Et donc un tel conflit civilisationnel a t il pu démarrer en février 2022 comme disent nos élites atlantistes dégénérées ou a t il camarades , amis et citoyens une origine plus profonde? Y compris de classe? Le tout ds un monde de nations et classes hier colonisées devenues les moteurs du monde. Et qui par connaissance dans leur chair de ce qu’est le capital impérialisme issu de l’occident ne peuvent sur le long terme que fraterniser avec la civilisation russo soviétique. Quel avenir pour nous classe de travailleurs ds ce monde atlantiste dégénéré conséquence du capital impérialisme nécessaire à la richesse ignoble de nos élites tout aussi dégénérées? Et doit on s’en débarrasser et comment ? Socialisme à la française?

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