Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un tiers de siècle après le “putsch” d’août 91 : Les forces pro-soviétiques auraient-elles pu gagner ? par Serguei Oboukhov

Hier 20 août 2024, grâce à Marianne et à sa traduction, mais aussi sa capacité à connaitre et à suivre de l’intérieur comme si elle était russe elle-même (et parfois chinoise) à contextualiser les débats tels qu’ils ont réellement lieu au sein de “formations sociales”, pouvoir et sociétés civiles, et non ceux que nous leurs prêtons à partir d’une traduction avec traducteur automatique de déclarations mal interprétées de dirigeants. Donc hier, elle nous a présenté un texte d’un éditorialiste proche du pouvoir Akopov, mais très subtil pour sentir le pouls du peuple. Akopov laissait entendre que ceux qui avaient tenté le “coup d’État” d’août 1991 en fait avaient eu raison.(1) Même s’il s’y étaient pris comme des manches au point que je me souviens de la remarque de Fidel Castro: il va falloir envoyer aux camarades soviétiques un lieutenant bolivien (le Boliviens étant réputés pour leurs coups d’Etat). Mais l”article s’il montre cette maladresse, sur le fond considère non seulement que les dirigeants avaient raison et en particulier à l’inverse des thèse de Carrère d’Encauusse montraient que le coup d’Etat avait été mené contre les républiques d’Asie centrale et la Sibérie, tous ceux qui tenaient au maintien de l’URSS et dont Gorbatchev et ses séides comme Eltsine pensaient qu’ils empêchaient Moscou , Saint petesbourg et les républiques baltes de s’occidentaliser. Aujourd’hui le contexte va a contrario face à un occident qui attaque. Les communistes du KPRF ont tout de suite noté cette “récupération” et ils y ont apporté une longue réponse argumentée que Marianne a traduite aujourd’hui et qui là encore mériterait une réflexion collective en particulier celle du PCF. Sans insister parce qu’en l’état les récriminations sont inutiles, on constate que ceux qui ont en charge la formation des militants dans son université d’été choisissent la censure d’un tel débat et veulent imposer le sacre de la candidate du NFP Lucie Castets et peut-être le fantasme de ministre communiste, oser faire d’un tel choix de censure et de courte vue une “université” est déshonorant… Mais la débâcle est française, le négationnisme est celui d’un peuple à qui on interdit de regarder son passé et donc que l’on prive d’avenir. Heureusement il n’en est pas de même dans bien des partis et forces progressistes au plan international, rien ne sert donc de se lamenter, il faut reconquérir ce qui a été perdu en cherchant partout des points d’appui pour notre réflexion sur le socialisme comme seule réponse au fascisme, un parti communiste facteur de rassemblement populaire réel de ce fait. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

(1) l’article publié hier : https://histoireetsociete.com/2024/08/20/cela-fait-un-tiers-de-siecle-que-sest-deroulee-la-plus-grande-tragedie-russe-par-piotr-akopov/

https://kprf.ru/history/date/228161.html

S.P. Oboukhov, membre du Présidium, secrétaire du Comité central du KPRF, l’un des fondateurs de l’Institut central du Parti communiste de la Fédération de Russie, député à la Douma d’État, docteur en sciences politiques, analyse les événements tragiques des 19-21 août 1991, qui ont culminé avec le coup d’État « de couleur » des pseudo-démocrates et l’effondrement accéléré de notre Patrie soviétique.

Depuis plusieurs années, les instituts de sondage, faisant état des données issues de diverses mesures, donnent de plus en plus raison au GKChP (1). Du moins, dans la perception des citoyens, l’attitude positive a commencé à l’emporter sur l’attitude négative. Aujourd’hui, même l’agence d’État RIA Novosti, dans son document analytique pour l’anniversaire du GKChP, « Un tiers de siècle s’est écoulé depuis la principale tragédie russe », a réussi à reconnaître la justesse du GKChP : « Le GKChP a été l’organe qui a repris toute l’autorité dans le pays qui s’effondrait à cause de la faute du président Gorbatchev. Le GKChP était parfaitement justifié ».

Oui, il est clair que les actions du GKChP le 19 août 1991 étaient une tentative désespérée des forces de sécurité et d’une fraction de l’appareil politique du parti pour essayer d’empêcher l’effondrement de l’URSS dans des conditions où trois systèmes cruciaux garantissant l’intégrité de l’État ont été abandonnés sous la couverture de Gorbatchev :

la gestion centralisée de l’économie par l’État a été détruite (par exemple, les tristement célèbres décrets Ryzhkov sur les coopératives, qui ont désorganisé le système financier du pays) ;

l’élimination de facto du monopole d’État sur le commerce extérieur (une couche parasitaire de revendeurs de commerce extérieur a commencé à se former) ;

la verticale administrative du PCUS a été détruite sous le couvert du slogan du transfert du pouvoir aux soviets (avec le même effet que celui qui s’est produit après février 1917 avec la prise du pouvoir local par les professeurs-conférenciers des zemstvos).

Aujourd’hui, de nombreuses publications font état de la maturation, dans les profondeurs de l’appareil d’État tchékiste, d’un plan de transformation de l’URSS, élaboré depuis l’époque d’Andropov. « Nous sommes justifiés de dire que cette partie de l’élite du KGB (pas toute l’élite, et certainement pas tout le KGB, il y avait un grand nombre de personnes qui remplissaient leurs fonctions très honnêtement) était le moteur de la destruction de l’Union soviétique et de l’entrée de la Russie, libérée de ces franges, en Europe, dans la civilisation occidentale, par tous les moyens », affirme, par exemple Sergei Kourguinian. Il l’appelle aussi le « projet Kuusinen-Andropov ». L’objectif de l’effondrement de l’URSS était de se débarrasser du pouvoir du parti et de l’idéologie communistes afin de « créer une voie positive, pragmatique, pro-occidentale, orientée vers l’État, merveilleuse, normale, qui serait dirigée par cette élite du KGB », souligne l’expert.

Par ailleurs, Jirinovski a ouvertement qualifié de général traître V. Kryuchkov, membre du GKChP et président du KGB. L’ancien premier secrétaire du comité d’État de Moscou du parti communiste de l’Union soviétique, Youri Prokofiev, a même parlé de travailler sur la question de la nomination du chef du KGB, Kryuchkov, au poste de président de l’URSS. En fait, selon la version de Prokofiev, tout le travail sur le « putsch » a été effectué par des généraux du KGB et visait à porter au pouvoir le chef de ce département. D’ailleurs, il y a déjà eu un précédent en 1982, lorsque le chef du KGB est devenu le chef de l’URSS.

En même temps, au niveau politique (voir les mémoires d’anciens employés du département international du comité central du PCUS), on préparait la formation du bipartisme et la social-démocratisation de la « partie avancée » du PCUS.

Le fait est qu’une partie de la nomenklatura du Parti est arrivée à la conclusion que dans les conditions de l’épanouissement de la société de consommation en Occident, il n’y aurait pas là-bas de révolutions, et que l’URSS, pour atteindre un niveau de vie similaire, ne pouvait pas piller le monde dans l’intérêt de ses consommateurs. Le retour de l’URSS à sa mission révolutionnaire et à la construction d’une société de suffisance raisonnable par le réchauffement idéologique de la population était dangereux. Y compris pour les positions de la nomenklatura renaissante, qui souhaite de plus en plus devenir propriétaire à part entière des biens de l’État. D’où la popularité au sommet des idées de convergence des systèmes capitaliste et socialiste, dont le porte-parole était le célèbre académicien dissident A. Sakharov.

D’ailleurs, la poursuite du projet soviétique « rouge » alternatif à l’Occident était considérée par la nomenklatura comme un risque de collision nucléaire avec ce même Occident. Le facteur islamique a également été pris en compte dans le cadre des projets de démembrement de l’URSS discutés au sein de l’« élite ». Il s’était déjà manifesté dans les républiques d’Asie centrale lors de la guerre d’Afghanistan. Et la croissance démographique rapide de ces républiques pouvait mettre en péril les projets de démocratisation pro-occidentale de l’URSS tronquée (sans l’Asie centrale, il serait plus facile de s’intégrer à l’Europe).

D’ailleurs, V.V.Poutine a indirectement confirmé l’existence de ces considérations sur le « facteur islamique » dans la mise en œuvre des plans d’effondrement de l’URSS. Répondant à des journalistes étrangers en juillet 2024, il a publiquement répété les craintes qui, il y a trois décennies, ont incité l’élite du pouvoir de l’URSS et Eltsine-Kravchouk-Chouchkevitch à se séparer des républiques d’Asie centrale au moment des accords de Belovezhie : “Si quelqu’un nous soupçonne d’avoir des ambitions impériales, pensez-y : si nous restaurions l’Union soviétique, nous aurions une population à prédominance islamique. Cela ne vous est jamais venu à l’esprit ? – a déclaré Poutine. Cependant, la séparation du « facteur centrasiatique » a conduit à la fragmentation du « noyau russe » triunique de l’URSS et à la formation de ces trois “moignons” que sont la Fédération de Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. C’est ce que nous payons au prix fort dans le cadre de la SVO, en essayant d’éliminer le projet antirusse que les adversaires géopolitiques occidentaux ont construit en Ukraine – l’une des parties les plus importantes du noyau du « monde russe ».

La quintessence de tous ces plans-projets de la nomenklatura des années 1980-1990 est l’intégration de Gorbatchev et Eltsine « dans l’Europe, de l’Atlantique à Vladivostok » par le biais de relations spéciales avec l’Allemagne unifiée (souvenez-vous de la source originale : la proposition de Beria, dans les années 1950, d’abandonner la construction du socialisme en RDA).

Dans ces conditions, une tentative a été faite pour changer le cours des événements par la création du GKChP.

Je voudrais souligner en particulier que les principaux facteurs cachés du soi-disant « putsch », et qui a finalement ont pris le dessus sur les « siloviki » à l’esprit patriotique, n’étaient pas les forces pointées du doigt à l’époque, c’est-à-dire pas le GKChP lui-même. Mais les organisateurs de la « révolution orange » dans les capitales – une formation politique montante, appelée à l’époque « démocrates » et connue plus tard sous le nom de « libéraux », et leurs porte-parole publics étaient Eltsine, Sobtchak, Popov, Yakovlev, Chevardnadze, etc.

Ils reflétaient naturellement les intérêts des clans économiques de la nomenklatura, qui élaboraient le projet d’échanger le pouvoir contre la propriété et l’intégration ultérieure dans l’Europe, au prix de l’abandon de leur propre projet de civilisation soviétique globale.

Les révélations du premier directeur de la Banque centrale de Russie, Matyukhin, constituent une autre confirmation indirecte de l’échange « pouvoir contre propriété » au sein du pouvoir en place et de la strate économique du parti. Il s’agissait également d’un officier de haut rang du KGB. Il a ouvertement admis qu’une partie des réserves d’or et de devises étrangères de l’URSS, lors de la confrontation aiguë entre Gorbatchev et Eltsine, avait été volée par des clans pour régler des comptes entre la nouvelle « élite » et l’ancienne sortante : « Lorsque nous avons commencé à travailler avec la Vnesheconombank en décembre 1991, nous avons découvert que 12 milliards de dollars de réserves de devises étrangères et 300 tonnes d’or manquaient à l’appel. Il ne restait que des reçus. Rapidement, j’ai commencé à me rendre aux réunions des présidents des banques centrales à Bâle. J’y ai soulevé la question de la recherche des réserves de change manquantes. On m’a promis que je trouverais ces réserves manquantes. Des informations sur mes recherches sont parvenues aux autorités russes. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai été rapidement démis de mes fonctions. Gaïdar, qui n’était pas au courant de mes actions, a également engagé une société américaine pour rechercher l’argent, mais elle s’est arrêtée à temps. Pour mon malheur, j’avais découvert comment l’argent et l’or étaient sortis en octobre-décembre 1991. Ces fonds ont été utilisés par les nouvelles autorités pour payer les anciennes ». Mais c’était déjà une conséquence de la défaite du GKChP, un résultat du désir des nouvelles « élites » de consolider le pouvoir intercepté dans l’espace post-soviétique.

Oui, il y a des opinions très différentes, des souvenirs très différents, mais il n’en reste pas moins que le GKChP avait l’intention de prendre un certain nombre de mesures décisives pour sortir le pays de la crise. Ce comité a été créé non pas par des gens qui couraient avec des mitraillettes dans les bâtiments de l’État, mais par des hommes politiques qui occupaient les plus hautes fonctions de l’État : vice-président, premier ministre, ministre de la défense, président du KGB…..

G.A.Ziouganov a raison – les membres du GKChP n’ont pas pris le pouvoir : « Ce sont tous des gens au pouvoir, ils n’ont rien pris, ils étaient dotés de ce pouvoir ».

Tout ce qu’ils ont fait était légal. De plus, ils avaient le devoir de le faire. Et si Loukianov avait convoqué le Présidium du Soviet Suprême et le Soviet Suprême à temps pour approuver les décisions du GKChP, il n’y aurait eu aucun doute sur leur légitimité. Et les décrets d’Eltsine, par lesquels le pouvoir a été « intercepté », n’auraient eu aucune justification légale – si le Parlement de l’Union avait adopté des décisions confirmant les décrets du GKChP. Après tout, même les autorités séparatistes des républiques de Transcaucasie et des États baltes ont déclaré le premier jour qu’elles étaient prêtes à appliquer les décrets du GKChP.

Malheureusement, les membres du GKChP n’étaient pas préparés à agir dans une situation extrême et ont fait preuve d’ambivalence à l’égard de Gorbatchev qui, le 18 août, leur a dit : « Qu’il aille au diable, faites ce que vous voulez ». Malheureusement, les membres du GKChP se sont révélés être des politiciens trop médiocres, même s’ils étaient de grands bureaucrates. Ils n’ont pas pu empêcher ce qui s’est produit plus tard lorsqu’ils ont été piégés et qu’ils se sont fait balayer. Oui, ils ont tout simplement été dépassés par la partie pro-occidentale de l’appareil du parti-État et des forces de l’ordre, dont l’objectif était de rejeter le projet civilisationnel soviétique, de vouloir la « convergence » et de « rejoindre l’Europe ».

“et seul le soldat comprenait tout”

Malheureusement, nous en connaissons très bien les conséquences : le pays s’est effondré, l’Union soviétique a été détruite, le système politique qui, malgré tous ses défauts, garantissait le développement, l’unité, l’intégrité et le bien-être du pays, a été détruit. Même les principaux dirigeants actuels le reconnaissent aujourd’hui, avec le recul de ces trente trois années écoulées.

Et maintenant, la question rhétorique : Le GKChP aurait-il pu gagner ?

Il s’agit bien sûr d’une question rhétorique, mais il avait une grande chance de gagner. C’est ce que montrent les données que j’ai recueillies dans diverses études et documents d’archives.

Permettez-moi de vous rappeler qu’avant août 1991, sans que le parlement et la société n’y prêtent attention, les premières actions de Boris Eltsine en tant que président ont eu lieu, ce qui témoigne de ses tendances autoritaires croissantes et de son désir de provoquer la partie « pro-soviétique » de la direction du pays dans un « bras de fer ». Le président russe, usant des pleins pouvoirs et de l’autorité de la nouvelle institution étatique, a commencé à frapper son principal adversaire politique – le PCUS et le parti communiste de la RSFSR – en interdisant leurs activités dans les entreprises et les institutions par le décret du 20 juillet 1991. Et bien que le décret du comité central du parti communiste de la RSFSR du 6 août 1991 « sur les questions urgentes du travail des organisations du parti communiste de la RSFSR en relation avec le décret du président de la RSFSR du 20 juillet 1991 “sur la cessation d’activité des structures organisationnelles des partis politiques et des mouvements sociaux de masse dans les organes de l’État, les institutions et les organisations de la RSFSR” ait suggéré aux chefs des organisations et des institutions de ne pas prendre de mesures visant à la cessation d’activité des structures organisationnelles des partis politiques, la légalité de ce décret n’a même pas été vérifiée de manière approfondie et n’a pas été vérifiée. Mais ces actions, ainsi que les projets de Gorbatchev concernant un nouveau traité sur l’Union, ont provoqué l’activité des forces « pro-soviétiques » sous la forme du GKChP.

Quel était l’état de l’opinion publique à l’égard du GKChP ? Rappelons les résultats d’un sondage panrusse réalisé par le VTsIOM en septembre 1991 : 55 % des citoyens estimaient que le succès du GKChP avait été entravé principalement par les « actions décisives des dirigeants russes », 57% par la « résistance du peuple » et 34% par la mauvaise organisation du « coup d’État ». La plupart des études sur cette période tendent à se concentrer sur un problème simple : êtes-vous « en faveur » du GKChP ou des « défenseurs de la Maison Blanche » ? Et c’est là le plus important : même au plus fort de la défaite du GKChP, il s’avère qu’il n’y a pas eu de domination politique univoque dans l’opinion publique sur le soutien aux « défenseurs du parlement ». Ainsi, les médias, se référant au président de l’URSS, M. Gorbatchev, ont cité fin septembre 1991 les données suivantes sur le soutien aux actions du GKChP dans le pays : « Parlant de la base sociale des putschistes – la partie économiquement passive de la population, caractérisée par une conscience “lumpen” – Gorbatchev a illustré son propos par un chiffre : 40 % de la population soutenait le GKChP ». Et il a fait un signe de la main : « Que faire ? Ce pays est comme ça ». Naturellement, les médias libéraux ne pouvaient accepter de telles données sociologiques, puisque l’utilisation publique de masse était basée sur le sondage VTsIOM, selon lequel « le GKChP n’était soutenu que par 20 % de la population ».

Un grand nombre de documents des organes de direction locaux du PCUS, qui ont informé le Comité central du PCUS de l’état d’esprit des masses à l’époque, ont été publiés. Ils ne témoignent pas de la domination des « défenseurs de la Maison Blanche ». Même si les documents des auditions parlementaires organisées par le Soviet suprême de la RSFSR sur le rôle des structures organisationnelles du PCUS et du parti communiste de la RSFSR dans le coup d’État des 19-21 août 1991 montrent que l’opinion publique de l’époque était très ambiguë à l’égard du GKChP et des « défenseurs du parlement », le procureur général de la RSFSR a déclaré que les opinions étaient mitigées aussi bien envers le GKChP que des « défenseurs de la Maison Blanche ».

Le procureur général de la RSFSR V.G.Stepankov avait déjà informé les députés de l’existence d’un télégramme du secrétariat du Comité central du PCUS aux localités, qui prescrivait : « Dans le cadre de l’introduction de l’état d’urgence dans certaines régions de l’URSS, nous vous demandons d’informer régulièrement le Comité central du PCUS de la situation dans les régions, de l’état d’esprit de la population, des mesures prises pour rétablir l’ordre et la discipline, de la réaction de la population aux activités du Comité d’État sur l’état d’urgence en URSS ».

Les télégrammes chiffrés adressés au Comité central du PCUS par le Comité régional de Tcheliabinsk du Parti communiste de la RSFSR – « Sur l’état de la région de Tcheliabinsk sous l’état d’urgence »– donnent un aperçu très caractéristique de l’attitude de la population à l’égard des actions du GKChP et des « défenseurs du Parlement ». « La majeure partie de la population a perçu avec compréhension et espoir la formation du GKChP, ses premiers documents – a rapporté le secrétaire du comité central du comité régional du parti, Litovchenko. – Mais la répétition sans fin des mêmes documents le 19 août au soir a soulevé de nombreuses questions : où est Gorbatchev, le comité n’a-t-il rien d’autre à faire ? À la fin de la journée, l’organisation locale de « DemRussia » a commencé à recevoir des documents de Boris Eltsine, qui ont été immédiatement rendus publics lors du rassemblement, à la télévision et à la radio locales. Le 19 août, les dirigeants du conseil régional ont décidé de n’appliquer que les lois russes. Dans ce contexte, les organes chargés de l’application de la loi dans la région ne prennent pas les mesures nécessaires pour accomplir les tâches du GKChP. Le 20 août, deux rassemblements ont eu lieu sur la place centrale de Tchelyabinsk, organisés par les députés des conseils régional et municipal en soutien à Eltsine et condamnant les membres du GKChP comme des imposteurs et des conspirateurs. Environ deux mille personnes ont participé à ces rassemblements. Le 20 août, le comité d’oblast du PCUS n’a reçu aucune information du Centre sur les actions du GKChP afin de coordonner son travail. Dans une telle situation, l’initiative pourrait être complètement reprise par les partisans d’Eltsine. Nous considérons qu’il est nécessaire de donner une évaluation plus claire des actions d’Eltsine de la part du GKChP, de soutenir l’appel au peuple avec des garanties réelles, tout d’abord dans la sphère sociale, l’imposition de la discipline et de l’ordre ».

Un jour plus tard, un deuxième télégramme arrive : « En général, la situation dans la région est stable, les collectifs de travail maintiennent un rythme de production normal. Cependant, grâce aux efforts du présidium du conseil municipal de Tcheliabinsk, de certains députés du peuple de Russie, des conseils régionaux et municipaux, de la radio, de la télévision et des journaux régionaux, la situation s’est considérablement compliquée, car les résolutions du GKChP N1 et 2 donnent lieu à des intreprétations, les passions s’enflamment, des informations non vérifiées sont diffusées, seuls les ordres et les décrets des organes de la république sont publiés. Le 20 août, le présidium du conseil municipal a tenu trois réunions sur la place centrale du centre régional. La réunion du matin a rassemblé jusqu’à 500 personnes … Les officiers de la garnison sont soumis à une puissante pression psychologique. Les démarches pratiques du comité régional et des organes du parti sur le terrain sont sérieusement entravées par le manque d’informations objectives ».

La désorientation sur le terrain dans les jours d’août 1991 est également mise en évidence par les évaluations suivantes des participants au procès de « l’affaire du PCUS » devant la Cour constitutionnelle: « Le président Boris Eltsine a appelé les travailleurs du pays à la grève, mais personne ne s’est mis en grève. Les GKChPistes ont appelé le parti et le peuple à les soutenir, mais il n’y a pas eu de soutien ».

D’où le « putsch du GKChP » et la « défense du parlement » en août 1991.
Le « putsch du GKChP » et la« défense du parlement » en août 1991, dans la mentalité d’une part décisive des Russes, ont été fermement associés aux jeux de forces supérieures, comme l’ont montré les sondages d’opinion ultérieurs. L’étude des activités des autorités locales, menée par le Présidium du Soviet suprême de la RSFSR après août 1991, a confirmé la conclusion selon laquelle le soutien aux actions de Boris Eltsine et de la direction de l’époque du Soviet suprême de la RSFSR dans les régions était très faible. Le rapport des forces était moitié-moitié.

Les 19 et 20 août 1991, 44 soviets régionaux se sont opposés au GKChP, tandis que 43 l’ont soutenu ou ont adopté une position attentiste. Certes, seules 10 régions ont directement soutenu le GKChP. Mais la qualité du soutien des dirigeants russes pendant les jours de la crise était également contestable. Sur 20 républiques, 3 seulement, sur 6 krais, 1 seulement. Mais sur 9 districts autonomes, on en compte 6.

Ainsi, selon un sondage réalisé en décembre 1992 dans 30 régions du pays par le Centre de recherche sur la culture politique russe (CRPCR), les deux cinquièmes des citoyens étaient d’accord pour évaluer ce qui s’était passé dans l’esprit des explications officielles : ils disaient que la tentative des conservateurs de l’appareil d’Etat, du KGB et de l’armée d’étrangler la démocratie russe naissante et de s’emparer du pouvoir avait été déjouée. Pour une partie importante de la population (jusqu’à 35 %), les événements du mois d’août se sont révélés être autre chose – « une tentative des forces patriotiques d’empêcher l’effondrement de l’URSS ». En outre, environ un quart des citoyens ont reconnu dans le drame du GKChP une « performance bien jouée », grâce à laquelle les « démocrates » se sont débarrassés de leurs principaux adversaires.

Le sondage suivant sur le « thème du mois d’août », réalisé par l’Institut central de recherche sur l’opinion publique en 1998, au plus fort des crises entre la Douma et le gouvernement, a montré de sérieux changements dans l’évaluation des événements de 1991 par les Russes. Une proportion égale de citoyens (14-15% chacun) a adopté des positions radicales.

D’une part, les fervents partisans d’Eltsine regrettaient qu’en août 1991, l’occasion « d’en finir avec les communistes une fois pour toutes » ait été manquée. D’autre part, il ne s’est pas trouvé « un général » qui aurait pu écraser à la fois le GKChP et les démocrates.

En général, la répartition des opinions était la suivante. 20 % des personnes interrogées considèrent les événements du GKChP comme une tentative des conservateurs de détruire l’ordre démocratique dans le pays. 21% ont considéré les événements du GKChP comme une tentative des dirigeants de l’appareil d’État, du KGB et de l’armée de s’emparer du pouvoir suprême. Les événements ont été qualifiés de provocation, les putschistes étant des marionnettes aux mains de M. Gorbatchev, par 12 % des personnes interrogées. Les événements ont été considérés comme une tentative des forces patriotiques d’empêcher l’effondrement de l’URSS par 35 % des personnes interrogées. Le « putsch » d’août a été qualifié de performance bien jouée, grâce à laquelle les démocrates se sont débarrassés de leurs rivaux et opposants et ont ralenti le déclin de leur prestige dans le pays, par 23% des personnes interrogées. Par ailleurs, 5 % des personnes interrogées ont estimé qu’il s’agissait simplement d’une tentative d’éviction de Gorbatchev, qui n’était pas en mesure de diriger.

Comme nous pouvons le constater, à la fin des années 1990, le radicalisme dans l’évaluation des événements de 1991 était déjà le fait d’une minorité. À la fin des années 1990, d’autres sentiments prenaient le dessus.

Tout d’abord, l’opinion selon laquelle le principal défaut des GKChPistes était qu’ils étaient trop faibles, léthargiques, indécis et que, après avoir commencé leur travail, ils ne l’avaient pas mené à bien, dominait. Jusqu’à un tiers des Russes s’en plaignent.

Deuxièmement, certains pensent que tout n’est pas encore perdu. Selon eux, l’expérience d’août 1991 et d’octobre 1993 n’avait pas été perdue, leur avait beaucoup appris et pouvait encore être d’une grande utilité pour le pays. Cette opinion était partagée par près de la moitié des citoyens (53 % en 1994 et 43 % en 2005). Parallèlement, au fil des ans, la prise de conscience de la nature tragique de l’événement, qui a eu des conséquences désastreuses pour le pays et la population, s’est accrue. En 1994, 27 % des Russes partageaient cette opinion ; en 2005, ils étaient déjà 36 %. Au cours des années suivantes, la perception de masse de ces événements s’est effacée, et la proportion de citoyens ayant des difficultés à exprimer leur point de vue a fortement augmenté.

L’opinion publique a également connu une autre évolution curieuse. Par exemple, en mai 1992, selon le sondage du VTsIOM, 30 % des citoyens éprouvaient déjà de la compassion pour les membres du GKChP, prisonniers à la Matrosskaya Tishina, alors qu’en août, selon le même Centre, moins de 20 % d’entre eux déclaraient leur soutien.

C’est surtout dans la période qui a suivi le mois d’août que les résultats du sondage effectué par le VTsIOM en novembre 1991 ont fait sensation. A la question « Soutiendriez-vous maintenant ou non les slogans proclamés par les dirigeants du GKChP : préserver l’unité de l’Union soviétique, rétablir l’ordre dans le pays, etc… » 41 % des personnes sélectionnées par l’échantillon de l’ensemble des syndicats ont répondu par l’affirmative. Le même nombre s’est prononcé contre. 18% des personnes interrogées n’ont pas donné de réponse précise. En général, la présence de deux cinquièmes des citoyens déclarant soutenir les aspirations du GKChP en 1991 est une réponse claire à la question de l’hypothétique possibilité de succès de ce projet.

Comme on peut le voir, même dans les conditions d’une pression totale sur l’information, organisée par les forces à l’origine de la « révolution orange » de 1991, le soutien au GKChP était significatif dans la conscience de masse. Même trente ans plus tard, d’après les sondages réalisés par divers instituts de sondage fédéraux, une majorité relative de citoyens est convaincue de la justesse du GKChP.

Le problème est que les forces politiques organisées sur lesquelles les forces « pro-syndicales » auraient pu s’appuyer en août 1991 étaient démoralisées – à la fois par les décrets de juillet d’Eltsine interdisant les activités du parti communiste de l’Union soviétique et du parti communiste de la RSFSR, et par l’inaction de la direction du parti communiste de l’Union soviétique et du Soviet suprême de l’URSS au cours des jours d’août. Les membres du GKChP eux-mêmes n’ont pas osé recourir au soutien direct de la population dans la rue.

Comme le soulignent à juste titre les chercheurs, si le premier secrétaire du comité d’État de Moscou du PCUS, Youri Prokofiev, avait voulu rassembler 20 à 30 000 membres du parti et travailleurs des entreprises soviétiques sur une place, il aurait été en mesure de le faire. Cela aurait au moins permis d’équilibrer la « foule démocratique » peu importante à la Maison Blanche les 19 et 20 août 1991, et la suite des événements aurait suivi un scénario différent.

D’ailleurs, Iouri Prokofiev lui-même, trente ans après ces événements, se reproche les erreurs du mois d’août : “L’offense est venue plus tard – contre moi-même. Parce que je n’ai pas fait tout ce que j’aurais pu et dû faire. Et ce n’est pas par peur ou par indécision, mais simplement par manque de compréhension de la situation. La compréhension de beaucoup de choses est venue plus tard. Il y avait aussi du ressentiment à l’égard des gens”.

Mais l’histoire ne s’écrit pas au conditionnel. Il faut cependant l’étudier et en tirer les leçons qui s’imposent.

Sergey OBOUKHOV,
Docteur en sciences politiques,
Centre d’étude de la culture politique russe

(1) Le Comité d’État sur l’état d’urgence (en russe : Госуда́рственный комите́т по чрезвыча́йному положе́нию ; transcription : Gosudárstvenny komitét po chrezvycháynomu polozhéniyu), abrégé en CEEU (en russe : ГКЧП ; transcription : GKChP)

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