Jean-Claude Delaunay apporte des analyses essentielles qui nous permettent d’entrevoir le caractère totalement original du socialisme chinois et l’impact qu’a sur le monde multipolaire son rôle dirigeant qui n’est pas non plus en train de remplacer celui des USA. Cette réflexion dans le cadre de la crise du dollar et de ses retombées mortifères en terme de récession pour l’ensemble de la planète est éclairante et elle ne doit jamais être isolée d’autres aspects de la crise multiforme de l’impérialisme. Passer à un monde multipolaire, des formes nouvelles de coopération souveraines dans des domaines aussi divers que les problèmes environnementaux, climatiques, d’échange inégal, et dont le financier et le monétaire devraient être le nerf, serait déjà compliqué si tout le monde était d’accord, mais quand ce qui est encore la première puissance du monde est totalement en désaccord et a à sa tête des gens qui sous couvert de “dissuasion” démocratique sont prêts à l’escalade nucléaire et encouragent des déstabilisations terroristes partout, on peut imaginer le caractère complexe de ce à quoi sont confrontés les dirigeants chinois qui se retrouvent à la tête du processus. Jamais la théorie marxiste, sa capacité à saisir les déterminants objectifs (le développement des forces productives, la lutte des classes) mais aussi à opérer de ce fait une critique de l’économisme comme le fait ici Jean-Claude et comme nous tentons de le faire dans ce blog n’est autant apparue comme la théorie capable de cette dialectique pratique. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)
Je suis désolé de manquer totalement de modestie, mais je renvoie au texte que H et S a publié sur la monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Je pense avoir mieux compris les choses depuis, mais quand même, je n’avais pas dit que des bêtises. Et maintenant, j’exprime simplement ce que je crois.
Un système monétaire tel que celui reposant sur le dollar ne pourra pas être remplacé uniquement parce que d’autres monnaies que le dollar US sont ou seront utilisées dans la circulation mondiale des marchandises. Certes, il y a un lien. Mais ce n’est pas suffisant. La monnaie est un rapport social de circulation et de production.
C’est donc lorsque la Chine (car seule la Chine socialiste est en mesure de promouvoir un tel système) avec la collaboration et sous l’impulsion des autres pays membres des BRICS et de l’OCS, auront réussi à définir les règles et à construire les institutions nécessaires au développement économique, c’est-à-dire aussi à l’usage de la monnaie comme rapport social de production pour le développement économique, que la boucle sera bouclée et que le système adverse, celui du dollar monopoliste de l’impérialisme global (je ne dis pas de l’impérialisme sans conflits et sans contradictions, je dis de «l’impérialisme global») sera mis sur le flan et battu.
Pour l’instant, le «dollar system» repose sur ce qui reste de puissance à l’impérialisme, sur la force et le poids des habitudes, sur les engagements du passé, et sur le fait qu’il n’y a rien en face. Il repose aussi sur une définition incomplète des objectifs recherchés. Ce qui est visé n’est pas la disparition du dollar en tant que monnaie des États-Unis, c’est la disparition du dollar en tant que monnaie de l’impérialisme global et de la guerre que ce système porte en lui, comme la nuée porte en elle l’orage, la pluie et la grêle.
Je vais terminer ce bref texte à l’aide de deux commentaires. Le premier concerne l’histoire de l’impérialisme américain. A l’époque où le super-impérialisme fut mis en place (Bretton-Woods), les dirigeants politiques de ce système ont fait pour eux l’expérience que la guerre était bienfaisante, non seulement parce qu’elle stimulait la production et les activités du complexe militaro-industriel, mais encore parce qu’elle détruisait, sur une grande échelle, du capital en excédent, tout en laissant intact le centre géographique et politique de l’impérialisme. La guerre est devenue un moyen régulier du fonctionnement économique capitaliste. L’essentiel étant qu’elle se passe ailleurs que chez soi. Parce que s’il en était autrement, il serait plus difficile d’avoir Bill Sanders dans son camp. Je pense que ce passé proche hante la vision des impérialistes américains d’aujourd’hui.
Mon deuxième commentaire vient de la sagesse chinoise, une sagesse un peu pessimiste comme peut l’être parfois la sagesse populaire, car le peuple peut ne pas avoir d’illusions sur le comportement du monde. Le proverbe que je vais citer s’énonce ainsi : « Tant qu’on ne voit pas les cercueils, il n’y a pas de larmes ». 不见棺材 不落泪。Bu jian guancai (prononcer guantsai) bu luo lei. C’est quand les cercueils sont devenus un peu plus fréquents que les Américains ont commencé à réfléchir à ce que leur apportait la guerre qu’ils menaient contre les vietnamiens. Faudra-t-il que les cercueils se fassent plus nombreux pour que la conscience majoritaire dans les pays développés de l’impérialisme devienne une exigence de paix ?
Nous ne le savons pas. Ce que nous savons en revanche, nous, communistes, c’est ce que notre compréhension du mouvement du monde nous permet d’affirmer avec certitude.
Nous proposons notamment, à toutes celles et à tous ceux qui veulent entendre notre voix, de lutter pour le développement économique du monde à commencer par celui des pays les plus démunis de la planète, et que règnent partout des rapports sociaux de paix.
Développement, Paix, Liberté,
Tel pourrait être notre mot d’ordre
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Xuan
Bien d’accord avec toi Jean Claude, quel que soit le rythme de la « dédollarisation », il ne s’agit pas de supprimer le dollar. Et le concept de « dédollarisation » est ambigu parce qu’il ne contient pas cette nuance.
Or c’est le principe même de la « communauté de destin » d’ailleurs lié à la crise financière.
https://histoireetsociete.com/2024/08/19/on-ne-comprend-rien-a-lattitude-de-la-chine-si-lon-feint-dignorer-la-crise-financiere/#comment-18223
En 2008 je me réjouissais que cette crise déchire enfin le discours triomphaliste du capitalisme, je montrais à mon chef d’atelier les prédictions atterrées des Echos et il angoissait sur ses placements. Deux ans plus tard je le vis pour la première fois dans le cortège de la CGT contre la réforme des retraites. Les rayons de certaines librairies généralistes commençaient même à présenter quelques ouvrages de Marx.
Mais la crise économique n’a rien de réjouissant pour personne, et surtout pour le peuple.
C’est la raison pour laquelle la Chine Populaire s’y oppose tant que possible et fait valoir le concept de « communauté de destin ».
D’autre part la Chine socialiste ne veut pas devenir une nouvelle hégémonie, à supposer qu’elle le puisse dans un monde multipolaire.
Actuellement le dollar continue de dominer très largement. Le Renminbi est la 7e monnaie de réserve (1.23 % des réserves mondiales) et la 8e des devises négociées, avec un volume quotidien 20 fois inférieur à celui du dollar (63 % des réserves de change en volume).
La difficulté réside dans le capitalisme lui-même, où l’empire dominant doit nécessairement préserver les conditions de sa domination, y compris par la guerre, parce que l’hégémonisme est comme le vélo, s’il arrête de pédaler il tombe.
La disparition non pas du dollar mais de son hégémonie fait planer une menace existentielle sur le remboursement « gratuit » de la dette US, parce que ce remboursement implique l’hégémonie du dollar.
Et c’est là où le bât blesse parce que cette transformation signifie pour les USA la nécessité de la guerre. Elle a déjà commencé sous diverses formes contre la Chine, mais pas encore directement sur le terrain militaire.
Jean-Claude Delaunay
Bonjour Xuan, Bonjour mes camarades. Un clou chasse l’autre, et il y a tant de choses à comprendre chaque jour qu’il serait vain et sans intérêt de rester sur l’écran d’Histoire et Société. Sans vouloir clore la discussion, voici une petite remarque, faisant suite à ce que tu dis, Xuan, concernant la volonté du gouvernement chinois de limiter la casse au maximum. Je pense que tu as raison. Les Chinois sont des révolutionnaires. Ce ne sont pas des casseurs.
Parce que, si la puissance monétaire américaine s’effondre de son propre mouvement sans que l’on cherche à contrôler, à orienter, voire à réduire les effets de cet effondrement, c’est tout le monde qui est touché, les américains comme les autres. C’est le paradoxe de la lutte contre l’impérialisme, partout infiltré dans les affaires du monde comme l’est le lierre dans un mur, que pour lutter contre lui, la Chine socialiste et ses alliés doivent contribuer à le faire disparaitre sans disparaitre avec lui. À un moment donné, en effet, ce n’est plus le mur qui supporte le lierre, c’est le lierre qui tient le mur. Cela dit, le mur ne tenant plus que par le lierre, est-ce une raison pour laisser le lierre se développer et nous dévorer à notre tour?
Je pense que nous sommes dans cette situation et que le marxisme, ainsi que la discussion collective menée dans une perspective révolutionnaire cela va de soi, ne sont pas de trop pour y faire face. C’est l’un des problèmes que, à mon avis, nous, communistes français, devrions examiner attentivement, avec les Français d’abord, mais aussi avec nos homologues communistes européens, américains, chinois, et du monde entier. Certes, la monnaie n’est qu’un aspect de l’immense problème qu’est l’impérialisme. Mais c’est un aspect important que la théorie marxiste nous permet d’aborder de façon rationnelle, précise, libératrice. Il est important que nous comprenions ce que fait le gouvernement communiste de la Chine. Voici mon interprétation des phénomènes. Vous la complèterez ou la redresserez utilement.
Je pars donc de la monnaie, qui est notre sujet. La monnaie est un rapport social ordinaire et non une chose puissante, mystérieuse, extérieure à notre capacité humaine d’intervention. Chaque peuple peut et doit en assurer la maîtrise, dans le cadre d’une approche ouverte, planétaire, réciproquement avantageuse. Trois points méritent d’être soulignés pour comprendre ce qui se passe.
A) La monnaie est une créance sur le travail social d’aujourd’hui et de demain. C’est un droit de tirage sur cette quantité, le travail social, le travail vivant et mort dépensé dans l’intervalle. En tant que droit de tirage, c’est une sorte de «droit passif».
Et c’est en même temps un «droit actif», un rapport social à l’aide duquel on peut mettre en œuvre le travail vivant et s’en approprier privativement la dépense.
Le fondement de la monnaie est le travail social.
Précisément, en ce début du XXIe siècle, les sociétés modernes, et les populations qui les habitent, aspirent non seulement à l’indépendance politique. Elles aspirent aussi, et complémentairement, au droit à disposer pleinement de leur travail. Cela suppose notamment qu’elles contrôlent les flux de travail sous forme monétaire qui sortent de chez elles et qui y entrent. Cela s’appelle le contrôle des mouvements de capitaux. Keynes y était très favorable. Elles veulent donc, ces sociétés, utiliser pleinement et librement leur monnaie et non se soumettre à une monnaie particulière, à un pouvoir spécifique qui leur est étranger. Elles veulent se développer. Elles veulent utiliser leur travail et leurs ressources. Elles souhaitent que ces ressources ne soient pas utilisées par d’autres sans contrepartie. Elles souhaitent que leur population puisse travailler sur place au lieu de se rendre en Europe ou en Amérique du Nord. C’est à cela qu’aspirent notamment les BRICS et les membres de l’OCS. Ils sont comme le Tiers Etat il y a deux siècles et demi, ils veulent être quelque chose. Nous sommes en train d’achever le cycle des révolutions bourgeoises avec la fin de l’Impérialisme et la généralisation de l’aspiration au développement. Simultanément commence le cycle des révolutions socialistes. Quel sera le prochain pays socialiste? Nous ne sav ons pas. Mais c’est sûr, il y en aura un, plusieurs.
B) Ça, c’est le premier point. Mais comme je l’ai indiqué dans mon précédent texte, ce bourgeonnement révolutionnaire mondial n’a pas et ne peut pas avoir pour but de supprimer le dollar US, c’est-à-dire les États-Unis, qui sont un grand pays. Certes, il est plein de connards et de shmucks. Mais il est plein aussi de gens généreux, intelligents. L’histoire révolutionnaire des États-Unis est une histoire magnifique. Il s’agit donc seulement de supprimer la fonction du dollar comme agent de rapports sociaux impérialistes, mis en oeuvre par des agents bancaires et financiers aux pouvoirs totalement débridés et libérés, ayant l’appui d’institutions comme le FMI, soumises au droit de véto américain. Essayons d’ailleurs d’être concret. Qu’est-ce que cela veut dire?
Supposons qu’un pays sous développé veuille se développer. Va-t-il pouvoir s’endetter au plan international dans sa monnaie? La réponse est non. Tous les banquiers du monde vont rire au nez du président de ce pays sans fortune. «Endettez vous en dollars, mon ami». Donc ce pays, s’il le peut, si le FMI en est d’accord, s’endette en dollars. Mais il doit rembourser en dollars, c’est-à-dire vendre des marchandises (exporter) et trouver les dollars qui lui permettront de régler sa dette. C’est un cycle infernal qui commence pour cette économie et sa population. D’autant que, pour vendre, il faut des infrastructures, des routes, des ports, des chemins de fer, des aérodromes, des travailleurs qualifiés. J’abrège. Je cherche simplement à dire que le dollar peut être soit un instrument du commerce soit un instrument d’exploitation. Aujourd’hui la majorité des pays l’acceptent comme moyen commercial et tendent à le refuser comme moyen d’exploitation.
La Chine a pu supporter le choc de l’impérialisme parce que c’est un continent, un pays solide et de longue histoire, un pays socialiste, et que les Chinois ont l’habitude de travailler comme des dingues. Ils ont donc travaillé comme des dingues pour leur propre développement. Ensuite ils se sont ouverts et ont cherché à bénéficier, contre rémunération, tant du savoir-faire des multinationales industrielles que de la profondeur des marchés nord-américains et européens. Il y eut des heurts, mais globalement, ça a marché. Le problème avec la Chine, c’est que ce pays de longue histoire et de vieille culture s’est aussi mis à travailler comme un pays de dingues, non seulement avec ses bras mais avec sa tête. Qu’on leur coupe tous la tête, s’est alors écriée la Dame de Pique. Mais la Chine n’a pas terminé son développement. Elle a encore beaucoup à faire. Elle est donc, comme l’ensemble des peuples souhaitant se développer, prête à commercer avec les États-Unis ou les pays d’Europe mais non à se soumettre à eux. C’est hors de question.
C) Comment faire dans ces conditions? Je crois que l’évolution des faits nous donne la réponse. Après la crise de 2007-2008, d’une part la Chine a joué franc jeu avec les États-Unis. Son gouvernement (Hu Jintao, Wen Jiabao) a mis 500 millions de dollars sur la table pour renflouer les affaires du monde. D’autre part, des propositions précises ont été faites par la Banque centrale de Chine pour réformer le système monétaire international. La conception du moment n’était donc pas de créer autre chose que l’ancien. Elle était de faire évoluer l’ancien. Les dirigeants américains n’ont tenu aucun compte de ces efforts.
En 2009, il y eut ce premier mouvement des BRIC, puis en 2010 ou 2011, l’Afrique du SUD s’y est jointe. Un groupe de contestataires se forme. Leurs membres sont très différents les uns des autres, voire hostiles entre eux. L’Inde par exemple ne peut pas blairer la Chine. Donc les Impérialistes regardent ça du coin de l’oeil en ricanant silencieusement.
Et puis voilà que ces contestaires se mettent à s’organiser. Ils décident de se réunir chaque année. Ils se mettent à réfléchir au système monétaire international, au dollar, au rôle des organismes internationaux, à ce qui serait leur intérêt commun dans cette histoire, etc. En 2013, les Chinois lancent leur projet de Routes de la soie. En 2014, ils mettent à l’étude leur projet de nouvelle monnaie électronique de banque centrale. En 2015, ces Brics créent une banque de développement particulière. Qu’est ce que tout cela veut dire?
A mon humble avis, tout cela veut dire que, puisque l’un des propriétaires du mur ne veut rien entendre concernant le lierre qui envahit tout, il va falloir construire un autre mur. La construction de cet autre mur me paraît une certitude, un mur qui devra être distinct du mur enlierré.
Ce qui n’est pas encore décidé, c’est si les constructeurs du nouveau mur continueront, ou non, à avoir des relations à peu près pacifiques avec le propriétaire (l’impérialisme global) du mur enlierré ou s’il y aura la guerre entre eux. Cela ne dépendra uniquement des propriétaires du mur enlierré.
2014 semble une année de premier plan dans l’histoire de l’impérialisme contemporain. C’est en 2014, en effet, que sont signés les accords de Minsk à propos de l’Ukraine, des accords bidon, nous le savons maintenant, destinés à mettre la Russie au pas et à lui faire la guerre si besoin est. La Russie est en effet, un État charnière au sein des Brics. C’est grâce à la Russie, État dont l’alliance avec la Chine est de nature stratégique, que l’Inde, qui n’aime pas trop la Chine, mais qui entretient de bonnes relations avec la Russie, se tient à peu près correctement au milieu des BRICS.
Bref, «la grosse limace», pour reprendre le langage champêtre et gascon de Castelnau, la grosse limace Hollande, que nous avions alors comme président, a non seulement menti à propos des banquiers. Elle a menti sur la guerre à la Russie, déjà envisagée en 2014. Elle a menti sur tout.
J’en termine en me disant combien il est intéressant d’observer que nous, communistes français, nous faisons à nouveau alliance avec le parti de la grosse limace, qui elle-même, réapparaît sur les photos. Serions nous devenus le parti des gros cons?
Rémignard Gilles
L’impérialisme secondaire français mène petit bras la même politique en AEF/AOF avec le franc CFA
Il serait temps que notre pcf entende ce que des intellectuels d’Afrique font comme analyse:
https://m.youtube.com/watch?si=ABVJ8NfpoNqroM3O&v=ZMpAx6Ed6Pk&feature=youtu.be