Quel besoin avons-nous de la théorie demande un lecteur quand les faits sont aussi révoltants que le sort réservé à nos anciens à la fin de leur vie ? Est-ce que l’indignation suffit même quand elle débouche sur d’importants mouvements sociaux comme les gilets jaunes ou même les manifestations contre les retraites ? Une autre intervenante souligne que la théorie doit être pratique c’est la pratique qui fonde sa validité et pour cela elle a besoin d’un parti, d’une organisation. Notons que cette dernière affirmation renverse l’ordre du constat habituel : sans théorie pas de parti révolutionnaire.
Ce à quoi je fais remarquer que plutôt que de dire que la validité de la théorie est de s’appuyer sur la pratique, je poserai là encore une question : “qui sont les juges de la validité de la théorie ?” et à quoi leur sentence aboutit-elle ?
C’est un peu ce que dit Xuan à propos des “indignés”, la manière dont ils ont fini par se vautrer dans la collaboration de classe social démocrate.
En France, la remise en cause de la théorie marxiste léniniste a été précédée d’une période d’extraordinaire popularité, dans les années soixante avec l’apothéose de mai 68… Ce qui est une bonne chose parce que cela marque que des couches de la petite bourgeoisie sont mécontentes… Mais ce renforcement (on assiste à l’amorce de quelque chose de semblable aujourd’hui tant du côté des “écologistes” que celui de la “radicalité” des insoumis ou des gilets jaunes et d’une partie du vote pour l’extrême-droite) est aussi l’apparition de confusions qui ont des conséquences pratiques importantes.
C’est pour cela que la théorie du parti révolutionnaire doit être révolutionnaire, c’est-à-dire toujours marquer y compris au sein des alliances temporaires nécessaires le non compromis possible entre le capital et le prolétariat. C’est le contraire qui est intervenu dans la période dite de l’eurocommunisme : l’accent a été mis à la fois sur la dénonciation du dogmatisme et le poids des doctrines alors qu’il suffisait de dénoncer la réalité de ce qui se passe sans s’encombrer, ce pragmatisme politique s’accompagnait d’une critique de la théorie du marxisme léninisme et de la multiplication de “théories” novatrices ou considérées comme telles avec le primat de l’éclectisme et l’abandon des “principes”.
C’est sous ce régime qu’a vécu ou plutôt survécu l’idée de la nécessité de la révolution, du socialisme et ce qu’il implique, les expériences concrètes ont été désavouées… Nous sommes à la fois dans la montée des mécontentements, voire de la lutte des classes et dans ce contexte de désaveu. Le refus du bilan sous l’idée assez farfelue que cela avait une forme indigne ‘comptable’ ce qui a permis de gober toutes les analyses de l’adversaire identifiant nazisme et communisme (pour finir par plus ou moins blanchir les adhérences nazies à condition qu’elles combattent le communisme). Quand au refus des aspects comptables elle ne nous a pas interdit au contraire d’identifier la morale à celle des gagneurs en criant “vive la crise” et en assurant la promotion des Tapie et autre Elon Musk aujourd’hui…
Donc la relation théorie pratique et l’existence d’une organisation doit s’interroger sur le “bilan” et qui le fait ?
Dans le Que faire? Lénine reprend les orientations d’Engels à la social démocratie (où il est encore en 1902 avant la trahison de la guerre) et note trois FAITS concernant la théorie révolutionnaire sans laquelle il n’y aura pas de parti révolutionnaire et il aborde la relation entre la lutte des classes et la théorie révolutionnaire, l’une et l’autre ne s’engendrant pas nécessairement:
1) que plus le mouvement ouvrier, les luttes populaires et le mécontentement des intellectuels petits bourgeois grandissent plus grandissent des théories “révolutionnaires” non seulement étrangères au marxisme et à son analyse scientifique mais qui produisent des tactiques erronées dont les conséquences pratiques peuvent être graves.
Ce constat n’est pas aussi simple qu’il parait à affronter et il faut comme Lénine le prendre d’une manière dialectique.
a) ces analyses non marxistes et qui se veulent révolutionnaires, comme celles spontanéistes, clientélistes, divisant ce qui devrait être uni et qui naissent dans la petite bourgeoisie diplômée, urbaine, voire cela peut aller comme aujourd’hui avec les gilets jaunes et certains votes pour l’extrême-droite ne sont pas celles d’ennemis pourtant elles doivent être combattues … y compris et d’abord au sein du parti.
b) Les controverses de fractions et la clarté sur les “nuances” n’ont rien d’inutile quand il s’agit de problèmes aux conséquences importantes et ceci pour de très nombreuses années…
Ainsi en est-il de la question de la guerre et de la paix, de l’analyse du rapport de forces réels au sein de la société française et du choix de proposer un premier ministre, tout ce qui parait constituer l’événementiel …
- Il est insisté sur le fait que la guerre (en particulier les deux plus exacerbées dans la politique de Macron: l’Ukraine et le Moyen orient, mais on s’aperçoit à quel point tous les conflits sont interdépendants) ne jouerait qu’un rôle mineur dans le vote des Français. On explique la même chose pour les Etats-Unis et la plupart des pays classés comme ce type de démocratie en crise. Une crise dans laquelle les institutions sont faites pour bloquer toute intervention réellement transformatrice de la part d’un mouvement révolutionnaire.
- Pourtant, il faut réfléchir sur le fait que les résultats expriment qu’en France, que si nous avons une majorité divisée en camps irréconciliables entre gauche et extrême-droite, les deux tiers s’entendent sur le fond dans la dénonciation d’une politique d’inflation, de chômage, de destruction des services publics et “d’insécurité” qui est celle du pouvoir en place.
- si idéologiquement il a été réussi à imposer la vision de “responsables” : Poutine, la Chine, les immigrés, etc… cela ne va pas jusqu’à cautionner la guerre… ni la militarisation de l’économie..
- Cette politique et la manière dont elle s’est imposée autoritairement malgré l’opinion des Français, les syndicats, une certaine mobilisation, comme a été imposée la constitution européenne malgré le vote des Français est à l’origine d’un vote que l’on définit comme non républicain. Ce qui est un problème institutionnel par parenthèse.
Qu’est-ce qui a manqué ?
- Les mouvements sur les retraites avaient réussi à unifier les syndicats mais notons-le sont demeurés “urbains” et ils n’ont pas réellement réussi à s’implanter dans les entreprises, à y trouver le relais de forces organisées capables non seulement de grèves mais aussi d’explication sur le fond, sur l’adversaire politique qui était devant nous, celui qui exerçait sa dictature bourgeoise sur l’appareil d’Etat. Cette faiblesse pas seulement économique mais politique dans les entreprises, sur les lieux de travail a trouvé sa traduction au niveau électoral. Comme l’a très justement noté Fabien Roussel, la vague de mécontentement nous a balayé parce que le vote pour le rassemblement national est apparu à ces masses prolétarisées (qui ne sont pas toutes racistes loin de là) comme une meilleure traduction de leur colère contre la politique de Macron, celle de l’UE, que celle de la gauche… Il est fondamental de constater que le parti communiste n’a pas été en situation de tirer les conséquences de cette analyse d’une grande justesse.
- je lance deux hypothèses : a) le poids de l’électoralisme qui est effectivement un choix théorico pratique qu’il convient d’analyser et pas d’un revers de main pour le dénoncer a pesé, dans un tel contexte, celui entretenu depuis plus de trente ans ; la survie du parti exige que l’on tienne compte d’un groupe à l’assemblée nationale comme des futures municipales ou sénatoriales. b) celle concernant la faiblesse théorique du parti sur les expériences internationales celles du socialisme et celles du socialisme à l’intérieur du monde multipolaire.
Si tout cela a manqué cela nous interroge encore plus sur ce que nous pouvons attendre comme espoir de changement dans une bataille autour du premier ministre issu du NFP ? Là encore la réponse n’a rien de mécanique…
Après ce débroussaillage du point 1, le mécontentement populaire et même la lutte des classes ne produisent pas nécessairement une théorie qui permet une pratique révolutionnaire juste… Il est comme je l’ai dit dans le texte précédent des périodes historiques, celles où la guerre et le fascisme menacent dans lesquelles s’impose l’union dans des actions à chaque fois limitées et précises… La meilleure garantie de cette union c’est qu’il existe un parti révolutionnaire conscient de ses buts et de ses moyens, d’autant plus ouvert qu’il saura ses principes et les concessions théoriques qu’il ne doit pas faire.
Si l’on examine ce qui s’est passé en France depuis le 38e congrès du PCF par rapport à cette exigence, le bilan du PCF est totalement insuffisant en particulier sur l’articulation avec le socialisme et l’internationalisme (j’y reviendrai) mais il est nettement ce qui s’est fait de meilleur y compris quand l’on considère le cas de Fabien Roussel et de la manière dont il a non pas dirigé le PCF mais dont il l’a représenté.
(à suivre)
Danielle Bleitrach
Vues : 293
Falakia
Un grand Merci Danielle Bleitrach , pour vos articles sur la théorie et la révolution marxiste et vos analyses .
Je partage votre petite colère contre le Parti communiste depuis des décennies qui a abandonné la classe populaire et votre souhait pour un nouveau Parti communiste , et non un renouveau .
Un Parti communiste qui ne doit pas oublier les liens amicaux de Marx avec les sociétés d’ouvriers communistes de Paris dans son époque autant les liens de Marx avec la gauche chartiste , et le mouvement la ligue des justes .
C’est vrai l’eschatologie marxiste est différente de l’eschatologie chrétienne .
Marx a délibérément rejeté et combattu le besoin commun des hommes d’une trenscendance , il y voyait une fuite face aux conditions de vie des travailleurs sans droits et sans protection .
Aparté
Il me semble que le mouvement Me Too s’est inspiré de la doctrine de Marx et des luttes
Xuan
Les communistes devraient balayer d’abord devant leur porte, et cela justement parce que le rôle dirigeant revient à leur parti.
Le rôle dirigeant du parti communiste signifie qu’il a la responsabilité de diriger la révolution, et pour cela de rester un parti révolutionnaire.
Et que s’il dérive lui-même de son objectif, son rôle dirigeant lui donne aussi la responsabilité des dérives réformistes et gauchistes.
Reprocher aux sociaux démocrates d’avoir trahi et écrasé le PCF, c’est oublier que dès 1965 le PCF appelait à voter pour l’aventurier Mitterrand au lieu de présenter son propre candidat.
Et cela alors que ce réactionnaire vaniteux faisait campagne contre le « pouvoir personnel » de De Gaulle. Si De Gaulle ne se prenait pas pour une demi queue de cerise, il était avant tout le représentant des grands monopoles et non de lui-même.
Le huisme a des racines profondes. N’est-ce pas renoncer à son rôle révolutionnaire dirigeant ?
C’est s’imaginer que le renversement du capitalisme puisse avancer d’un cheveu, en poussant aux fesses un réactionnaire « de gauche », dont la candidature serait finalement « acceptable » par les institutions de la république bourgeoise.
Mais c’est démontrer par là même que la voie électorale est définitivement bouchée pour les communistes, tout en proclamant que c’est la seule possible.
Peut-on défendre une stratégie plus incohérente ?
Reprocher aux sociaux démocrates radicaux leur parti gazeux, leur rejet d’une direction communiste et du centralisme démocratique, c’est oublier que le PCF a lui-même rejeté le centralisme démocratique ainsi que tout rôle dirigeant.
On peut relire l’article de l’Huma du 21 juin 1993 :
« Le centralisme démocratique doit aujourd’hui être abandonné »
https://www.humanite.fr/-/-/le-centralisme-democratique-doit-aujourdhui-etre-abandonne-car-cest-la-condition-necessaire-pour
«A mon sens, souligne Maxime Gremetz, l’argumentation du rapport et de plusieurs intervenants est importante. Je pense qu’il faut affirmer clairement que ce n’est pas parce que ce principe d’organisation est issu de la IIIe Internationale et qu’il a été dénaturé par la période stalinienne que nous proposons de le modifier. Mais bien parce qu’il ne correspond plus à notre conception du combat révolutionnaire aujourd’hui, à notre conception du rôle du Parti.»
Nous devrions remettre en question cette “conception”, qui assimile en fait le rôle dirigeant à du sectarisme ou à de l’autoritarisme. Et remettre en question aussi le sectarisme et l’autoritarisme lorsqu’ils apparaissent.
Franck Marsal
Le seul juge de la validité de la théorie, c’est l’histoire. La théorie véritablement révolutionnaire est celle qui permet de faire la révolution. La difficulté réside dans deux choses :
1) avant qu’une théorie soit éprouvée par l’histoire, elle doit avoir créé et trouvé les conditions d’être expérimentée, parfois dans la durée, car une situation historique difficile ne se résoud pas d’un seul élan, cela signifie qu’avoir une théorie, c’est en fait avoir tout un système d’analyse et de pensée, llargement partagé et en interaction permanente au sein du parti,
2) la théorie révolutionnaire doit être adaptée à la situation et aux conditions dans lesquelles elle se déroule, qui changent constamment dans le développement historique, la théorie n’est pas un cadre de pensée fixe, c’est un cadre de pensée dialectique, dans lequel les écolutions constantes et pour une large part imprévisibles peuvent prendre sens grâce au travail et au débat collectif récurrent;
Le Parti Communiste, c’est la preuve de sa nature vivante de parti de masse, a su rapidement s’adaptrt à des changements rapides de la situation politique. Endurci dans la ligne “classe contre classe”, il a su ouvrir la perspective du Front Populaire en 34 – 36, puis basculer dans la lutte très dure de la période 37-38, passer dans la clandestinité, dans la lutte arnée, tout en construisant le Conseil National de la Résistance et parvenir au gouvernement. C’est une séquence tout à fait remarquable. Contrairement aux lieux communs qui consistent à présenter ces évolutions comme des zig-zags, je pense que cette capacité à s’adapter à des situations contradictoires, évoluant rapidement, est la preuve de la qualité de la théorie révolutionnaire dont disposait le PCF à cette période. Théorie qui, d’ailleurs, n’est pas isolée, mais constamment entretenue dans les liens internationaux puissant que le parti conserve avec le PCUS et les autres partis communistes.
L’après-guerre est à nouveau marquée par des évolutions rapides : le gouvernement proviisoire avec participation communiste et les acquis historiques, puis la répression après l’expulsion des ministres communistes et le début de la guerre froide, puis les luttes de décolonisation. A chacune de ces étapes, le PCF joue un rôle très actif et important et il continue globalement à se renforcer. S’il a (logiquement dans le contexte militaire de l’époque) accepté de cesser toute perspective de lutte armée, il n’échappe pas à la répression.
Survient une longue période de stabilisation du capitalisme et de l’impérialisme. Stabilisation relative, il y a encore des guerres, des révolutions, des coups d’états, … mais ceux-ci se déroulent essentiellement dans la périphérie du système impérialiste. Aux USA, en Europe, même au Japon, peu à peu, un système impérialiste globalisé se stabilise, se consolide et s’étend. Les forces réactionnaires se renforcent, mais elles peuvent se permettre de rester relativement discrètes. Elles commencent par aider le réformisme à renaître de ses cendres. Il se développera puissamment. Clairement, le PCF n’est pas théoriquement armé pour faire face à une telle période. Il tente néanmoins de s’adapter, Il est pris de toutes façons dans le mouvement. Sa base sociale se modifie. D’une part, l’élargissement militant a fair rentrer de nouvelles catégories, d’autre part, les bastions industriels ferment les uns après les autres : mines, aciéries, chantiers navals, usines. Comment lutter contre ça ? Beaucoup de choses ont été essayées, mais inéluctablement, les idées et théories réformistes, l’éclectisme, le relativisme sont entrés et se sont développés dans le parti, avec bien évidemment tout l’appui extérieur nécessaire.
Aujourd’hui, cette période a par pris fin. La situation se tend, et nous allons peu à peu vers de grands affrontements de classe, dans le coeur du système impérialiste et dans sa confrontation avec son ancienne périphérie, avec les pays socialistes, avec le “Sud global”. Le PCF en sort très affaibli et en difficulté, mais l’impérialisme et le capitalisme sont entrés dans une nouvelle époque de crise qui ménera inéluctablement à la construction de grands partis révolutionnaires et au socialisme.
La première étape est d’accepter la situation dans laquelle nous sommes, collectivement. Reconnaître la situation dans laquelle est le parti, sans faire injure à personne, c’est un fait et il faut partir des faits.
Il faut admettre que, sous la pression de la situation, le parti a connu une profonde dérive réformiste, dont le point culminant a été la mutation Huiste. Le 28ème congrès a marqué une évolution et je suis d’accord avec le constat de Danielle, c’est ce qui s’est fait de mieux. On ne sort pas de la désorientation en s’élançant à toute vitesse dans une direction, mais en avançant pas à pas et en observant attentivement autour de soi.
Le E9ème congrès est arrivé trop tôt. Il n’a pas représenté une étape supplémentaire, mais a simplement consolidé les acquis du 38ème, en reconduisant certains compromis problèmatiques sur les questions délicates. Par exemple, il n’y a pas eu de débat sur l’Europe, renvoyé à une conférence nationale qui s’est elle-même déroulée sans aucun débat au sein du parti. Toujours pas de débat non plus sur le socialisme.
Le besoin d’aller de l’avant se fait pressant. La guere enfle et s’élargit chaque semaine. La pression des forces fascistes s’intensife. Simultanément, la base sociale du régime impérialiste s’érode constamment et oblige à des acrobaties politiques perpétuelles pour sauver les apparences. La jeunesse qui grandit dans des conditions de vie radicalement différentes de celles des générations précédentes exprime chaque jour un besoin d’idées et de théories révolutionnaires pour s’armer face à la situation. Cela s’est d’ailleurs notamment manifesté, lors du 39ème congrès par un texte retentissant de nombreux responsables de la JC; texte dont malheureusement le parti ne s’est pas saisi pour ouvrir un dialogue approfondi.
Nous avons devant nous beaucoup de travail, cela, nous le savons depuis longtemps. Je crains désormais que nous n’ayons plus beaucoup de temps.
Donc, beaucoup de travail reste devant nous.