Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Nouvelles preuves du sabotage de l’accord de paix entre la Russie et l’Ukraine par les Etats-Unis, et nouvelle invention pour justifier la sortie des Ukrainiens.

Des sources internes et des documents fuités montrent que la Russie et l’Ukraine étaient très proches d’un accord de paix en avril 2022, avant que des dirigeants états-uniens s’en inquiètent. Jusqu’ici quand Poutine accusait les dirigeants occidentaux d’avoir volontairement saboté les accords de paix d’Istanbul, personne ne répondait en laissant entendre que cela relevait de l’intox habituelle russe. Mais dans le contexte des débâcles électorales qui se succèdent dans “l’occident” des révélations se font, des preuves apparaissent : oui ce que dit Poutine est vrai. Jean-Luc Picker nous propose cette traduction de cet important article. Notons que si l’on fait grand bruit sur le soutien sioniste à la propagande de la CIA, on peut constater qu’il y a désormais au moins aux USA tout autant de juifs qui dénoncent les opérations en faveur de la guerre menée par les USA comme ils dénoncent la politique de Netanyahou et le rôle joué par cette extrême-droite dans la montée de l’antisémitisme. Laisser à l’extrême-droite et au gauchisme, leurs dérives, leur capacité à diviser, au lieu de rassembler, le soin de représenter la paix est la stratégie de cette propagande totalement aux mains de l’oligarchie capitaliste mais avec de temps en temps dans la confusion politique un travail de journaliste qui fuite. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Jean-Luc Picker)

Un article publié par Aaron Maté sur son substack et repris dans Antiwar

L’administration Biden et l’establishment états-unien ont gardé un silence révélateur sur les pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie en avril/mai 2022 et sur leur échec final.

Alors que le président russe, Vladimir Poutine, a accusé ouvertement les Etats-Unis et le Royaume uni d’avoir saboté les négociations en cours à Istanbul, le président Biden et son entourage ne se sont jamais risqués à offrir des dénégations, une attitude suivie par la plupart des grands médias états-uniens. La seule exception à cette règle a été celle d’un haut fonctionnaire anonyme qui aurait déclaré à un journaliste du Wall Street Journal que les remontrances des Russes étaient « de la pure fiction ». Ce fonctionnaire ajoute : « je sais de source sûre que les Etats-Unis n’ont pas enterré le processus. Nous le suivions avec grand intérêt ».

Mais le New York Times a décidé de rompre le silence qu’il s’était imposé. Dans un article publié le 15 juin 2024, il revient en détail sur les négociations d’Istanbul, sur la base de sources internes au nombre desquelles 3 négociateurs ukrainiens, et sur la base de copies des projets de traité qu’ils ont obtenues et qui sont rendues publiques pour la première fois.

L’article du Times souligne que les négociateurs russes et ukrainiens avaient fait de réels progrès. Il offre aussi de nouvelles preuves que l’administration Biden s’est mise en travers du chemin -infirmant ainsi la dénégation isolée citée plus haut. Pourtant, au lieu d’en conclure que l’Occident avait bloqué la conclusion de l’accord, il tente d’offrir un nouveau narratif pour justifier la sortie des Ukrainiens du processus.

Selon le ‘Communiqué d’Istanbul‘, un document publié par les Ukrainiens, l’accord d’Istanbul prévoyait la neutralité permanente de l’Ukraine, interdisait son entrée dans l’OTAN, lui interdisait d’héberger des bases militaires étrangères, limitait la taille de son armée et lui garantissait souveraineté et sécurité. Les statuts de la Crimée et du Donbass étaient laissés à des négociations ultérieures.

Pourtant, le NYT réfute qu’une solution négociée ait été à portée de main. Il préfère minimiser les progrès accomplis à Istanbul et continuer à soutenir la version NATO-ukrainienne d’une Russie cherchant à imposer à Kiev de capituler.

Comme de règle dans les médias occidentaux depuis le début de l’invasion russe, le NYT fait peu de cas des inquiétudes russes sur l’influence des néo-nazis et la suppression de la culture russe en Ukraine. Selon l’article, la proposition russe « ciblait l’identité nationale ukrainienne, y compris en cherchant à bannir l’utilisation de noms de combattants de l’indépendance ukrainienne dans la toponymie urbaine». Mais le texte du projet de traité établit que la Russie demandait à l’Ukraine de bannir « la glorification et toute forme de propagande du nazisme et du néo-nazisme, le mouvement nazi et les organisations qui s’en réclament », y compris l’utilisation de noms de collaborateurs nazis pour les rues ou les monuments. La demande de la Russie peut difficilement être considérée comme un affront à « l’identité nationale ukrainienne », sauf si le NYT admet maintenant la validité du point de vue russe caractérisant l’état ukrainien comme étant un état nazi. Si l’on prend en considération l’alliance des pays de l’OTAN avec le mouvement ultranationaliste en Ukraine (minoritaire mais très influent politiquement), y compris le bataillon Azov (que l’administration Biden a récemment réautorisé à utiliser des armes états-unienne, mettant fin à un embargo de plusieurs années), on peut penser qu’il serait plus juste de qualifier la proposition russe d’affront à un allié occidental d’importance.

Le NYT confirme que les USA voyaient d’un mauvais œil ce qui se passait à Istanbul – et l’ont fait savoir. Selon eux, « les représentants états-uniens étaient inquiets des termes » de la proposition d’accord et en ont fait part aux Ukrainiens. Un ancien haut fonctionnaires états-unien se souvient que, lors de rencontres avec leurs homologues ukrainiens, les Etats-Unis décrivaient l’accord comme un acte de reddition : « nous leur disions à voix basse : ‘vous comprenez bien que cela signifie un désarmement unilatéral, n’est-ce pas ?’ »

En réalité, tout comme sa demande de mettre fin à la glorification du nazisme, la Russie était justifiée dans sa demande que l’Ukraine adopte un statut de neutralité. Il s’agissait seulement d’un retour à la Déclaration de Souveraineté de l’Etat promulguée par l’Ukraine en juillet 1990. Celle-ci affirmait que l’intention de l’Ukraine d’« adopter un statut de neutralité permanente et de ne participer à aucun bloc militaire ». C’était d’ailleurs la position défendue par le président Yanukovitch avant qu’il ne soit renversé par le coup d’état du Maidan en février 2014, un coup soutenu par les Etats-Unis. C’était aussi la position d’une grande partie -voire la majorité – de l’opinion en Ukraine pendant des années. Comme l’écrivait en 2011 F. Stephen Larrabee, un ancien spécialiste de l’Union Soviétique au sein du Conseil National de Sécurité états-unien, « l’obstacle principal » à l’accession de l’Ukraine dans l’OTAN « n’est pas l’opposition de la Russie… mais le faible niveau de soutien pour cette proposition en Ukraine même ».

En cherchant à contourner la constitution fondamentale de l’Ukraine et son opinion publique, l’administration Biden montre qu’elle n’était pas « inquiète » que la neutralité de l’Ukraine signifie « un désarmement unilatéral », mais plutôt qu’elle cherchait à préserver la militarisation de l’Ukraine. Une militarisation que les Etats-Unis encourageaient afin de créer à la frontière de la Russie un état pouvant agir pour le compte de l’OTAN. Le projet a finalement conduit à la destruction unilatérale de l’Ukraine.

Le même fonctionnaire des Etats-Unis révèle que les responsables de la Maison Blanche doutaient des « intentions » de Poutine et mettaient en question son désir d’aboutir à la paix. « Nous ne savions pas si Poutine était vraiment sérieux. Et nous ne pouvions pas dire si ces gens, des deux côtés de la barrière, avaient vraiment le pouvoir de négocier ». Pourtant, il dit plus tard que les fonctionnaires états-uniens pensaient que Poutine « bavait » devant l’espoir d’obtenir un accord de paix. Le NYT souligne également que le président russe donnait l’impression de « microgérer » les pourparlers depuis Moscou – ce qui semblerait entériner sa sincérité.

Deux négociateurs ukrainiens déclarent aussi au NYT qu’ils considéraient les Russes comme sérieux, l’un deux rappelant que Poutine avait progressivement « revu ses exigences à la baisse ». Par exemple, alors qu’il insistait au départ pour que l’Ukraine reconnaisse la Crimée comme « partie intégrale de la Fédération de Russie », Moscou avait fini par abandonner cette demande.

En fin de compte, comme Oleksandre Chalyi – un des négociateurs ukrainiens – devait le reconnaître plus tard, les deux parties « étaient arrivés à trouver un vrai compromis » et « étaient très proches à la mi-avril 2022 de mettre un terme à la guerre sur la base d’un accord de paix ». Poutine, ajoute-t-il, « essayait de faire son possible pour conclure cet accord avec l’Ukraine ».

Les deux côtés avaient fait de tels progrès que le Communiqué d’Istanbul concluait à la possibilité d’une rencontre « entre les présidents de l’Ukraine et de la Russie pour signer un accord et/ou prendre les décisions politique permettant de finaliser les points encore en suspens ». Deux semaines plus tard, le projet de traité de 16 pages (y compris les 6 pages d’annexes), daté du 15 avril, arrivait sur le bureau de Poutine. Et là, le NYT nous présente un nouveau narratif selon lequel les Russes ont sabordé l’accord avec une manœuvre de dernière minute.

Dans le projet d’accord, la sécurité de l’Ukraine était garantie par plusieurs états, y compris les Etats-Unis et la Russie. Il n’y avait pas de désaccord sur ce point (article 2). Mais, selon le NYT, Moscou a tenté d’introduire une clause dans l’article 5 au sujet de la réponse des états garants en cas d’attaque militaire contre l’Ukraine. Moscou proposait que, si l’Ukraine devait être attaquée, les états garants devaient décider à l’unanimité de leur réponse militaire. Selon l’interprétation qu’en donne le NYT, cela signifiait que « Moscou pouvait envahir l’Ukraine de nouveau et ensuite opposer son véto à toute intervention en faveur de l’Ukraine. Cela semblait une absurdité que Kiev a rapidement identifiée comme rendant impossible la possibilité d’un accord ». Et de citer les paroles d’un fonctionnaire ukrainien non identifié selon lequel la clause proposée signifiait que « nous n’avions plus aucun intérêt à continuer les pourparlers ».

Il était bien sûr inacceptable que Moscou insiste pour détenir un droit de véto contre une invasion future de l’Ukraine par la Russie. Mais il n’y a en fait aucune raison de penser que ce qui « semblait une absurdité » correspondait vraiment à sa demande (italiques ajoutés par l’auteur).

L’article 2 du projet de traité oblige les états garants ou parties au traité – y compris la Russie – « à n’utiliser ni la menace ni la force contre l’Ukraine, sa souveraineté et son indépendance, et de s’abstenir de toute action à son égard contraire aux buts des Nations Unies ». En conséquence, si la Russie devait violer les termes du traité en envahissant l’Ukraine, elle ne pourrait aucunement prétendre à l’application de ce traité pour empêcher les autres parties de répondre à son attaque. Si une partie viole un traité, et surtout lorsqu’il s’agit de sa clause essentielle, il ne peut pas attendre des autres parties qu’elles continuent à y adhérer. Il est donc clair que, si la Russie devait attaquer l’Ukraine, elle n’aurait pas été fondée à arrêter qui que ce soit de répondre à son attaque.

L’affirmation du NYT (ou de l’Ukraine ?) selon laquelle la demande russe équivalait à une rupture de l’accord n’est pas seulement douteuse en elle-même, mais elle est contredite par la suite des événements. En dépit de l’affirmation par ce fonctionnaire anonyme que l’Ukraine n’avait « plus aucun intérêt à continuer les pourparlers » à cause de l’amendement proposé, ces pourparlers ont bien continué au-delà du 15 avril pendant le mois suivant.

C’est par ailleurs la première fois, plus de deux après leur sortie des pourparlers, que les Ukrainiens avancent cette explication d’une clause empoisonnée introduite par la Russie. L’explication initiale faisait état de leur méfiance à l’égard de la sincérité de Moscou, particulièrement après l’épisode des massacres de Bucha attribués aux Russes, alors que les pourparlers d’Istanbul étaient encore en progrès.

Et même après la révélation de ces ‘crimes de guerre’, les pourparlers entre la Russie et l’Ukraine ont continué. Zelensky déclarait même avec force à l’époque que seule la diplomatie pouvait empêcher la répétition de telles atrocités. Lorsqu’on lui a demandé, au cours de sa visite à Bucha le 4 avril, si les pourparlers allaient continuer, le dirigeant ukrainien a répondu : « Oui, parce que l’Ukraine doit obtenir la paix ». Zelensky a d’ailleurs répété son message le lendemain : « chaque tragédie comme celle-ci, chaque Bucha, affectera les négociations. Mais nous devons trouver le moyen d’avancer ». En revisitant les actes diplomatiques de cette période, Samuel Charap et Sergey Radchenko mettent en évidence que le travail commun sur le projet de traité a « continué et s’est même intensifié dans les jours et les semaines qui ont suivi » les accusations de massacre à Bucha, allant même jusqu’à suggérer que « c’était un facteur de second ordre dans le processus décisionnel de Kiev ».

Le principal facteur dans ce processus décisionnel semble donc bien avoir été ce message révélé par le camp de Zelensky en mai 2022 : le mois précédent, alors que les négociations avançaient à  Istanbul, le premier ministre du Royaume Uni, Boris Johnson, rendait visite informellement à Zelensky pour l’informer que l’Occident n’était pas en faveur d’un accord de paix avec la Russie et que les Ukrainiens devaient plutôt « continuer à se battre ».

Le NYT, bien sûr, ne mentionne pas la visite de Johnson, ni le refus public de l’Occident d’offrir les garanties de sécurité demandées par Kiev pour étayer le traité avec la Russie. De même que les guerriers par procuration de l’OTAN n’ont pas voulu accepter une Ukraine neutre en échange de la paix, l’establishment médiatique aux Etats-Unis n’est pas encore prêt à reconnaître le rôle décisif qu’ils ont joué dans le sabotage d’une occasion de mettre un terme à la guerre à ce stade précoce.

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