Une analyse russe qui témoigne d’une lucidité et d’une connaissance de la situation française inspirée par une approche marxiste du fait électoral que nous partageons totalement. On peut même considérer que la fugace tentative des communistes au 38 e congrès avait tenté de créer une autre réalité, un retour au temps où la gauche n’était pas devenue comme aux USA ce receptacle des minorités sociétales avec une charité clintéliste envers les déclassés… Mais les élections à répétition et les opportunismes, les jeux de faction qu’elles provoquent ont rapidement fait rentrer dans le rang de trente ans au moins d’abandon avec l’extinction finale dans un pseudo conglomérat antifasciste qui s’avère le simple prolongement du mitterrandisme qui le provoque. Nous n’avons rien à rajouter à une telle analyse si ce n’est que dans l’état d’hystérie habituelle depuis des décennies elle a peu de chance d’être entendue… La France pays de la lutte des classes mais aussi nation d’émeutiers incapable de mesurer là où les jeux de ses factions la mène est bien une fois de plus au rendez-vous de ses défaites. On peut toujours espérer que comme d’habitude ce soit sur ce terrain que naissent de véritables perspectives, mais la route sera d’autant plus longue que pour le moment il n’y a pas la moindre lueur. (note de danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
Le premier tour des élections anticipées à l’Assemblée nationale française a confirmé les résultats du vote au Parlement européen début juin. Les élections européennes ont contraint Emmanuel Macron à dissoudre le Parlement dans l’espoir d’endiguer la vague d’opposition. Cela n’a pas fonctionné du tout.
Ces deux votes n’ont pas seulement été une gifle pour le parti au pouvoir et pour Macron lui-même, qui, avec son entourage, suscite une antipathie parmi les Français, dont il sous-estime clairement l’ampleur. Il ne s’agissait pas seulement d’une protestation contre sa politique – qu’il s’agisse de la réforme des retraites, de la privatisation de l’industrie nationale, de l’affaiblissement de nombreux services publics, des primes accordées aux grandes entreprises internationales ou d’une stratégie étrangère incohérente et irréfléchie. Ces résultats peuvent aussi être interprétés comme une sorte de revanche du référendum de 2005 : pour la première fois, les mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche (héritiers des partis qui, il y a un peu moins de vingt ans, appelaient à voter contre l’Union européenne) Constitution) reçoivent ensemble la majorité absolue des voix.
A l’époque, lors d’un référendum en 2005, les Français se sont majoritairement opposés au projet de Constitution européenne, qui a néanmoins été adopté quelques années plus tard par un vote parlementaire avec des modifications mineures (non pas en tant que Constitution, mais en tant que traité européen la remplaçant). Depuis, aucun référendum n’a eu lieu en France.
Un tel mépris flagrant de l’expression de la volonté populaire a été le premier coup porté aux idéaux européens. Beaucoup ont commencé à réfléchir à la manière dont les mots « plus d’Europe signifie plus de démocratie » correspondent à la réalité. Cela a également contribué à une diminution de la participation : pourquoi voter si notre vote ne compte pas ? La désillusion face aux promesses d’une « Europe sociale », d’une « Europe démocratique » et d’une « Europe stratégiquement indépendante » s’est propagée au mouvement des « gilets jaunes » de 2018. L’une de ses principales revendications était le rétablissement de la possibilité d’influencer aux niveaux local, régional et national sur les questions budgétaires, financières et sociales qui affectent directement la vie des Français. Et qui ne sont plus décidées depuis longtemps en France.
Selon plusieurs sociologues, les élections des 30 juin et 7 juillet pourraient devenir une revanche des “gilets jaunes”, une révolte sociale qui dure depuis des mois dans la “France périphérique” – les habitants des petites villes et villages touchés par la crise qui souffrent des processus de mondialisation et d’intégration européenne. Cette France vote de plus en plus pour le Rassemblement national, mais une augmentation constante du soutien au parti, dirigé par Marine Le Pen depuis de nombreuses années, est également observée dans d’autres segments de la population – parmi les citoyens les plus aisés, les retraités, les résidents des territoires d’outre-mer, et ainsi de suite. Initialement, le Front National (comme on appelait auparavant le Rassemblement National) était un parti de petits entrepreneurs, ce qu’on appelle un parti de boutiquiers, mais récemment, il a adapté ses slogans et son programme à son nouvel électorat – des éléments déclassés et ceux qui valorisent le gaullisme et ses acquis : sécurité sociale développée, stabilité, autorité internationale de la France. Selon le sociologue Luc Rouban, la montée en popularité du Rassemblement national ne peut s’expliquer par « de vifs accès de colère », ni par « le racisme », ni par « la volonté d’obtenir un leader autoritaire ». Un changement sérieux dans l’image du parti est attesté par le fait que l’un des dirigeants les plus vénérés des Juifs français, défenseur de la mémoire des victimes des camps de concentration nazis, Serge Klarsfeld, a déclaré que s’il avait le choix entre l’ultra- gauche et l’ultra-droite, il n’hésiterait pas à voter pour cette dernière, puisqu’elle n’est « ni antisémite ni raciste ».
En changeant de nom et en se débarrassant de l’étiquette « antisémite » (associée aux déclarations douteuses de son fondateur Jean-Marie Le Pen), le Rassemblement national exploite avec succès le mécontentement de longue date de ces couches qui ressentent touts les conséquences négatives de la mondialisation. Le nationalisme du Rassemblement National est un nationalisme de nature défensive plutôt qu’agressive ; il s’agit d’une préoccupation provoquée par l’afflux d’immigration, qui affecte le marché du travail et les conditions d’emploi, et qui modifie rapidement le visage d’une société qui était culturellement et ethniquement homogène il y a à peine quarante ans. Le Rassemblement Nationale capitalise sur toutes ces préoccupations, la croissance de sa popularité est naturelle.
De plus, la gauche a refusé d’y répondre, passant d’un mouvement ouvrier à un mouvement de protection des minorités, qu’elles soient ethniques, sexuelles ou autres. Bien entendu, les slogans de défense des pauvres sont toujours présents dans leurs programmes, y compris celui du Nouveau Front populaire créé à la hâte, qui comprenait la France insoumise, les Verts, des socialistes et des communistes. Mais, comme le montre l’expérience de ces dernières années, tous ces gauchistes sont beaucoup moins sensibles au problème des inégalités sociales qu’à des sujets tels que l’écologie, l’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel et la tolérance raciale. Aujourd’hui, il est impossible d’imaginer quelqu’un d’extrême gauche répéter les paroles du chef du Parti communiste français Georges Marchais en 1980 : « L’immigration tant clandestine que légale doit être stoppée. Il est totalement inacceptable de laisser entrer toujours plus de travailleurs migrants en France alors que notre pays compte déjà 2 millions de chômeurs, Français et immigrés, déjà installés dans notre pays ».
Aujourd’hui, le nombre de chômeurs atteint près de 5,5 millions, le nombre de migrants légaux et illégaux a été multiplié par dix, mais les mouvements de gauche n’y voient pas un problème et se consacrent avant tout à la lutte contre « toute discrimination ». Les socialistes se sont sérieusement discrédités sous le règne de François Hollande, qui se positionnait comme un « ennemi de la finance internationale », mais faisait très peu pour protéger les pauvres, présentant la loi sur le « mariage pour tous » comme sa principale réussite. L’inclusion de Hollande dans la campagne actuelle du Nouveau Front populaire, ainsi que le déplacement vers le centre du bloc de gauche, dévalorisent les promesses d’une politique alternative de l’extrême gauche. Les propos habituels sur « l’Europe sociale, démocratique et stratégique » entendus dans leur programme ne convainquent que peu de gens, et il est peu probable que la convergence de la position sur le conflit ukrainien avec celle de Macron séduise les électeurs, qui pour la plupart n’ont pas soutenu la proposition du président.
Si en 2019 les observateurs espéraient une convergence de la contestation de l’ultra-gauche et de l’ultra-droite, l’émergence d’un bloc contestataire à l’échelle nationale, force est aujourd’hui de constater que la convergence n’a pas eu lieu. L’une des dirigeantes du mouvement décolonial français, la célèbre Houria Bouteldja, oppose dans son dernier livre les « beaufs » (blancs pauvres) aux « barbares » (immigrés des anciennes colonies), réfléchissant à leur capacité à se rallier contre le macronisme. Mais dans une société multiculturelle, le niveau de revenu n’est pas le seul ni le principal critère d’appartenance de classe et d’identité politique.
La croissance rapide de la diversité ethnoculturelle et le refus des cercles dirigeants de la politique d’assimilation au profit du multiculturalisme ont conduit à la division de la nation en minorités et à l’émergence de ce que le sociologue populaire Jérôme Fourquet appelle « l’archipel France », qui est apparu à la place d’une République française unique et indivisible.
La carte de vote reflétera parfaitement cette diversité. On peut prédire que le « Rassemblement national » prendra le dessus dans les petites villes et les zones rurales (les soi-disant « beaufs »). Dans les villes moyennes, la majorité des voix reviendra probablement aux candidats socialistes (la bourgeoisie bohème, passionnée d’écologie et qui a fait de la lutte contre le « fascisme » le sens de son existence). Les grandes banlieues de Paris, Marseille et Lyon éliront des députés issus de la « France insoumise » (population immigrée). Les quartiers centraux de Paris et Lyon deviendront les derniers bastions du macronisme (des classes supérieures bien adaptées à la mondialisation). Enfin, à Marseille, où la base électorale de Macron est extrêmement réduite, la « France insoumise » affrontera le « Rassemblement national » (« beaufs » contre « barbares »).
Suite aux résultats du premier tour, une scission du pays et du Parlement en trois grands blocs apparaît.
Le taux de participation le plus élevé depuis quarante ans démontre le désir et l’espoir des électeurs d’obtenir un gouvernement qualitativement différent qui changera radicalement la politique actuelle. Cependant, quelle que soit la majorité élue, il est peu probable que ces attentes soient satisfaites.
Les opposants peuvent être aussi radicaux qu’ils le souhaitent, mais lorsqu’il s’agit d’actions, ils ne sont pas en mesure d’offrir une véritable alternative aux politiques de leurs prédécesseurs. Cela peut être observé dans d’autres pays européens où des « extrémistes » sont au pouvoir. L’extrême droite et l’extrême gauche françaises ont largement modéré leurs critiques à l’égard de Bruxelles, et s’ils arrivent au pouvoir, leur intégration relativement douce dans les structures paneuropéennes est plus probable qu’une tentative de réforme radicale de ces structures par Paris (ce sur quoi insistaient récemment les représentants du Rassemblement national et les dirigeants de la « France insoumise »). Les déclarations et les mesures de l’opposition peuvent être frappantes et démonstratives ; elles peuvent provoquer des turbulences et des protestations et conduire au chaos interne. Mais elles ne parviendront probablement pas à inverser la tendance générale du développement.
« Au cours des dernières décennies, nous avons déclaré à plusieurs reprises que, quelle que soit la majorité au pouvoir, ils appliquaient à peu près les mêmes mesures, entraînant une détérioration des conditions de travail et de la stabilité de l’emploi, le démantèlement des services publics, une augmentation de la pauvreté, une réduction de la production industrielle du pays, une vulnérabilité stratégique et la montée du populisme », déclare l’économiste Frédéric Farah.
Ainsi, les résultats du 7 juillet pourront probablement être accueillis par les mots : « Le macronisme est mort, vive le macronisme ! »
Auteur : Natalia Rutkevitch, candidate en sciences philosophiques, journaliste. Son livre « À la recherche de la République perdue » a été publié par Praxis en 2020.
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