Ne croyez pas que nous ayons nous Français le monopole du brouillage des cartes en matière électorale… On peut dire que tout l’espace de l’UE est affligé des mêmes mouvements… La trahison de la gauche pro-UE, pro bizness avec des gouvernements minoritaires à vocation technocratique, se heurte à un fort sentiment populaire pro-russe, un mélange comme partout de regret de l’URSS, mais aussi de nationalisme vers le grand frère slave des couches populaires… La Bulgarie était le pays de l’ex-pacte de Varsovie qui, avec la Moldavie, manifestait un amour sans borne pour l’URSS, on connait le rôle de Dimitrov dans l’affrontement avec les nazis à propos de l’incendie du Reichstag mais moins souvent dans l’élaboration d’un Front antifasciste … La manière dont la Russie les avait aidés par rapport à la domination turque et face au fascisme jouait un rôle essentiel dont les racines demeurent. Ces liens qui font de l’Europe une véritable mosaïque, dont sont exaspérés les concurrences et les antagonismes voient se multiplier dissolutions et coalitions instables, il semble que l’Europe de l’ouest soit à son tour dans le même ébranlement… (note et traduction de Danielle Bleitrach)
le 24 juin 2024
Les Bulgares pourraient bien devenir champions du monde dans un sport non encore olympique : la tenue d’élections à répétition. Le 9 juin, les 6,6 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour renouveler leurs députés, et ce pour la sixième fois depuis 2021.
Sans surprise, l’abstention a battu un nouveau record : seulement 33,4% des citoyens se sont déplacés dans les bureaux de vote. La tenue des élections européennes le même jour n’a nullement contrecarré cette tendance. Du reste, la campagne électorale s’est surtout concentrée sur le futur parlement national et ses 240 députés. Sept partis et coalitions y seront représentés.
Schématiquement, le pays – en proie à d’immenses difficultés économiques et sociales, et où la pauvreté est endémique – voit s’affronter deux coalitions aussi atlantistes et économiquement libérales l’une que l’autre, mais antagonistes sur la manière de gouverner.
La première est dirigée par Boïko Borissov (photo), chef du parti GERB (droite, pro-UE) et qui fut premier ministre de 2009 à 2013, de 2014 à 2017, puis de 2017 à mai 2021. A cette date il connut une lourde défaite électorale, conséquence d’immenses scandales de corruption révélés en 2019. Avec pour conséquence un long mouvement lors de l’été 2020 où la mobilisation, notamment des classes moyennes urbaines, fut forte contre son pouvoir, accusé de clientélisme, de détournement de fonds, voire de pratiques mafieuses.
Les jeunes formations politiques issues de ce mouvement hétéroclite n’ont cependant pas conquis de majorité lors des votes d’avril, juillet puis novembre 2021. Lors de ce dernier scrutin émergea alors un mouvement, baptisé « Continuons le changement » (PP), qui, sous la direction de deux jeunes diplômés d’universités américaines, dont Kiril Petkov (formé à Harvard), arriva en tête et forma un gouvernement minoritaire qui dura jusqu’en août 2022.
Le tout jeune premier ministre promettait un euro-libéralisme tout aussi fidèle que son prédécesseur, mais s’engageait à éradiquer la corruption et l’autoritarisme de M. Borissov. Il promettait de ne jamais passer d’accord avec ce dernier, symbole de la « pourriture » politique. Son fragile gouvernement chuta finalement sur une motion de censure.
Les scrutins d’octobre 2022, et plus encore d’avril 2023 connurent une nouveauté, liée à la situation en Ukraine : la progression du parti Renaissance (Vazrazhdane), souvent qualifié de « pro-russe » ou d’« ultra-nationaliste », voire « raciste » – des qualificatifs que son leader récuse. Kostadin Kostadinov se réclame plutôt de l’intérêt de la Bulgarie à ne pas être en guerre contre la Russie. Le grand frère slave fut un allié historique du pays, tant au sein du Pacte de Varsovie, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, que pour se libérer du joug ottoman, à la fin du dix-neuvième.
Sur le plan économique et social, Renaissance réclame des nationalisations ainsi que des hausses des salaires et des retraites. Il plaide pour la sortie de l’UE et de l’OTAN, et a même tenté d’obtenir, sans succès, un référendum sur l’entrée dans la monnaie unique. Renaissance faisait partie du groupe Identité et Démocratie au sein du parlement européen sortant, et s’était opposé à ce que l’AfD (classée en Allemagne à l’extrême droite) en soit exclue.
La grande perdante est la coalition formée par le PP et ses alliés de Bulgarie Démocratique, une alliance libérale-écolo, pro-business et pro-UE
Après les élections d’avril 2023, compte tenu de la situation déplorable du pays, le PP et le GERB finirent par trouver un compromis : un gouvernement d’alliance qui devait être dirigé pendant neuf mois par le premier, puis pendant les neuf mois suivants par le second. En mars 2024, il fallut constater que la seconde phase, contrairement aux engagements pris, n’obtenait pas de majorité parlementaire. Après trois tentatives infructueuses pour désigner un premier ministre, le président de la République, convoquait finalement les électeurs pour le 9 juin.
Avec 24,7% des suffrages, le GERB reste globalement stable ( – 0,7 point). Si M. Borissov, ancien karateka et garde du corps, avait indiqué ne pas vouloir redevenir premier ministre, il a néanmoins joué sur son image d’« homme fort » capable de redresser le pays. En réalité, il ne s’est jamais départi de son style très personnel de « proximité » avec les citoyens, incluant langage ordurier, promesses de subventions, clientélisme et achats de voix…
La grande perdante du scrutin est la coalition formée par le PP et ses alliés de Bulgarie Démocratique (DB), une alliance libérale-écolo, également pro-business et pro-UE. Cette coalition ne rassemble que 14,3% des voix, soit une chute de 9,2 points par rapport à avril 2023. Manifestement, une partie de ses électeurs n’a pas apprécié le reniement de la promesse de ne jamais pactiser avec les « pourris » du GERB.
En revanche, un parti notoirement corrompu par les oligarques qui le dirigent refait surface : le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), auto-proclamé représentant la minorité turcophone, arrive en deuxième position avec 17%, soit un gain de plus de 3 points.
Le score du « pro-russe » Renaissance était guetté avec inquiétude par Bruxelles. Avec 13,8%, il progresse très légèrement (+ 0,2 point). Ce parti récent était passé de moins de 5% des suffrages en 2021 à 9% en 2022, puis à 13,6% en avril 2023. Son dirigeant a accusé un tout nouveau parti, Grandeur (Velichie) d’avoir, d’avoir, sur des thèmes proches, détourné des suffrages d’électeurs anti-occidentaux, alors qu’il proclame vouloir rester dans l’UE et dans l’OTAN. Grandeur obtient ainsi 4,7% des suffrages après une intense campagne sur les réseaux sociaux. Ce nouveau parti est « un projet américain destiné à stopper la croissance de Renaissance », a accusé le chef de ce dernier.
Enfin, avec 7% (- 1,5 point), le Parti socialiste bulgare (BSP) stabilise son score de l’année dernière. Loin, cependant, des résultats qu’il obtenait en 2017 (27,2%) et dans la période antérieure. Le BSP est aussi catalogué « favorable à Moscou » par Bruxelles. Mais il avait fait partie du gouvernement de coalition dirigé par le PP en 2022-2023.
Les questions géopolitiques vont très probablement rester clivantes dans le contexte d’un nouveau parlement
De fait, si les précédents scrutins avaient été dominés par la lutte contre la corruption, cette fois, la guerre en Ukraine a dominé la campagne, de même que le thème du pouvoir d’achat. Du reste, la hausse des prix a notamment été alimentée par celle du gaz, elle-même liée à la dégradation des relations entre le gouvernement bulgare et la Russie qui était le fournisseur quasi exclusif du pays.
Et les questions géopolitiques vont très probablement rester clivantes, dans le contexte d’un nouveau parlement dans lequel ne se dessine toujours pas de majorité claire. Le GERB et le DPS pourraient s’allier – malgré la réputation sulfureuse de ce dernier – mais cela ne suffit pas arithmétiquement. Et le PP rejette une reconduction de l’alliance qui l’a plombé.
Boïko Borissov vient de lancer un ultimatum à ses potentiels alliés, en menaçant d’un septième scrutin sous peu. Mais cette hypothèse inquiète les milieux atlantistes de Sofia, car elle pourrait inciter le président de la République, Roumen Radev, à entrer directement dans la mêlée.
Ce dernier, ancien général commandant de l’armée de l’air, s’était présenté en 2016 sans soutien d’un parti, mais il était considéré comme proche des socialistes, et comme « pro-russe ». Il l’avait emporté au second tour avec 59% des suffrages, puis s’était attiré une vraie popularité durant son premier mandat, au point d’être réélu en 2021 avec 67% des voix.
Il plaide certes pour le maintien du pays dans l’UE et dans l’OTAN. Mais il est opposé aux sanctions européennes contre la Russie, une position proche de celle de Viktor Orban, le premier ministre hongrois. Il a même tout récemment (le 11 juin) bloqué une résolution du groupe « B9 » (rassemblant les pays orientaux de l’UE) qui visait à durcir les sanctions. Comparant deux voies possibles face à la guerre en Ukraine, négociations pacifiques ou fourniture par l’OTAN d’armes à Kiev, il a déclaré, à propos de cette seconde option : « Êtes-vous d’accord pour emprunter cette voie, qui ne mène nulle part et qui comporte un risque énorme pour la sécurité mondiale ? ».
Si un nouveau scrutin devait être organisé prochainement, certains analystes rappellent que rien n’interdirait au chef de l’Etat de mettre fin prématurément à son mandat, et de se présenter comme député. Il pourrait alors être en situation de créer une dynamique et de rassembler une toute nouvelle majorité à partir du sentiment pacifiste d’une large partie des électeurs.
On n’en est pas là. Mais le cas de la Bulgarie n’a sans doute pas fini de tracasser les dirigeants de l’UE.
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