Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

…Et mourir à Santiago sous le drapeau de la RDA.

Nous sommes dans les temps obscurs de la manipulation historique dans notre pays, alors que déjà ailleurs le rideau se lève sur la nature des contrerévolutions qui ont déchiré le continent européen. Histoireetsociete a pour vocation dans le flux des événements de l’actualité de nous faire souvenir de la véritable histoire du socialisme et des militants, dirigeants qui n’ont jamais trahi : Erich Honecker qui a refusé toutes les aventures et s’est non pas incliné mais a agi avec sa conscience de communiste dans le pouvoir comme dans l’exil fait partie de ceux qui ont ancré l’expérience de la RDA dans la mémoire des peuples… (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

https://gazeta-pravda.ru/issue/56-31549-31-maya-3-iyunya-2024-goda/i-umeret-v-santyago-pod-flagom-gdr/

La Pravda 31 mai – 3 juin 2024

Auteur : Vladimir RIACHINE.

J’en avais assez de la “maison paneuropéenne” dont Gorbatchev nous rebattait les oreilles” : ces lignes sont extraites du journal d’Erich Honecker “Dernières notes. Pour Margot”. Il a commencé à le tenir à l’hôpital de la prison Moabit de Berlin, où l’ex-dirigeant de la RDA a été conduit par le personnel du BND – le service de renseignement allemand – depuis l’aéroport, où ils ont accueilli un vol spécial en provenance de Moscou avec l’ancien secrétaire général du comité central du parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), le récent président du conseil d’État de la RDA, qui avait été expulsé de Russie.

Vous n’échapperez pas à la prison, Monsieur le Secrétaire général !

“Je peux à nouveau voir le complexe pénitentiaire de l’intérieur”, se souviendra plus tard Honecker. – En 1935, la Gestapo m’a amené ici depuis son bâtiment principal de la Prinz-Albrechtstrasse”.

La Gestapo en savait beaucoup sur le jeune Honecker. Elle savait qu’il était né en 1912 dans une famille de mineurs d’une petite ville de la Sarre, que dans son enfance, il avait joué dans une fanfare avec son père communiste et son frère aîné. Et sur son adhésion au parti communiste à l’âge de 17 ans, sur ses études au début des années 30 à Moscou à l’école Lénine du Comintern, et même sur son travail en tant que membre de l’interbrigade de la jeunesse dans la construction de Magnitogorsk.

Les bourreaux nazis étaient bien plus désireux d’apprendre avec qui ce membre du comité central de l’Union de la jeunesse communiste, arrivé dans la capitale du “Troisième Reich” avec un faux passeport, avait créé une imprimerie clandestine.

L’enquête sur l’affaire Honecker a duré un an et demi. Puis le procès et le verdict : dix ans de travaux forcés. Erich a purgé sa peine dans la prison de Brandenburg-Goerden, considérée comme la casemate la plus imprenable d’Allemagne. Après la guerre, des publications paraissent, dont les auteurs affirment qu’Erich, passé par le tapis roulant de la torture à Moabit, a fini par craquer, a trahi ses camarades et les a ainsi condamnés à l’exécution. Les auteurs ne se sont pas privés de la fin hypnotique obligatoire dans de tels cas : les documents relatifs à la trahison d’Honecker sont conservés dans le coffre-fort du chef de la “Stasi” – le ministère de la sécurité de l’État de la RDA.

En fait la vérité était cachée entre les lignes du journal, “Dernières notes. Pour Margot”. Voyons cela : “Malgré tout ce qui m’entoure, je continue à recevoir des lettres et des télégrammes de Berlin et de toute l’Allemagne. Le courrier vient de France, de Grèce, de Norvège, de Suède, du Danemark, des Pays-Bas, d’Angleterre, d’Espagne et même des Etats-Unis… Les exemples de solidarité sont nombreux. Mais la lettre d’Israël qui m’a fait le plus plaisir est celle du Dr Wolff. Elle était écrite par Sara Fodorova, que j’aurais, selon le “Stern”, livrée à la Gestapo en 1935. Wolff a reçu la lettre d’un certain Berlinois qui visitait Israël. Il y a rencontré Sarah Fodorova, qui vit aujourd’hui à Tel Aviv sous le nom de Wiener. Elle a appris par les journaux mon sort et les accusations selon lesquelles je l’avais mise dans les griffes de la Gestapo. Je doute que les journaux qui me traitent de “traître” osent publier cette lettre. C’est compréhensible – ne rien dire de bon sur ce criminel !”.

Le champ miné du chancelier

Et maintenant, un autre sujet. Deux phrases du journal de Moabit de Honecker suffisent pour comprendre à quel point la politique de Gorbatchev était détestable pour l’ex-dirigeant de la RDA.

Lisez donc : “Il est maintenant clair pour tout le monde que le PCUS, sous la direction de Gorbatchev, a livré l’Union soviétique et tous les pays du Pacte de Varsovie aux impérialistes”. Et encore quelques lignes : “La radio a annoncé que Gorbatchev arriverait à Berlin pour recevoir le titre de citoyen d’honneur de la ville. Quelle double morale !”

À la fin des années 1980, Gorbatchev et Honekker se sont affrontés sur le même terrain, à l’intérieur des frontières de la RFA. Qui est sorti vainqueur de ce drôle de championnat politique ? En nous projetant dans l’avenir, citons l’homme d’État qui a remporté le premier prix : Helmut Kohl, chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Et ses rivaux, Gorbatchev et Honecker, ont connu un sort peu enviable : tous deux ont été victimes de pièges tendus par Kohl. La façon dont cela s’est produit a été décrite en détail par Boris Petelin, docteur en sciences historiques, professeur à l’université d’État de Cherepovets, et Grigory Stepanov, étudiant de troisième cycle à la même université, dans l’article “Erich Honecker” publié dans la revue “Voprosy Historii” (n° 9, 2013) : “Comme l’écrit Brandt dans ses “Mémoires”, lorsque Honecker effectue une visite en RFA en 1987, il “remporte une petite victoire sur ces Russes qui n’ont cessé d’entraver son voyage sur les rives du Rhin”… Il est vrai que la réunion du président du Conseil d’État de la RDA, le 7 septembre 1987 à Bonn, s’est déroulée en violation du protocole. Les procédures ont été raccourcies, les hymnes nationaux n’ont pas été chantés, mais juste des hymnes, la compagnie d’honneur était réduite. D’autres “petites choses” étaient également observées… Mais Erich Honecker pouvait être satisfait de son voyage. À Bonn, il a rencontré le chancelier Kohl, le président allemand Richard von Weizsäcker et d’éminents hommes politiques ouest-allemands. En Sarre, la ville natale d’Honecker, des milliers de citoyens de la RFA ont accueilli avec enthousiasme leur compatriote.

En RDA, après la visite, de nombreux prisonniers politiques ont été amnistiés et le régime des frontières a été revu dans le sens d’un assouplissement. Honecker espérait “la poursuite du dialogue sur les questions fondamentales de notre temps”, comme il l’avait écrit dans une lettre à Kohl. Mais il n’y a pas eu de suite. A Bonn, on s’est rendu compte que “les clés” de la solution de la question allemande se trouvaient au Kremlin.

Dans l'”ordre sur la question allemande” du 2 février 1987, Gorbatchev demande au ministère des Affaires étrangères : “Ne donnez pas la RFA à Honecker…”. Il est temps d’aller plus activement vers la RFA…” La première rencontre officielle entre Gorbatchev et Kohl a lieu le 24 octobre 1988 au Kremlin, lors de la visite du chancelier fédéral en URSS. Kohl a réussi à “faire parler” le Secrétaire général sur le problème allemand. La déclaration de Gorbatchev selon laquelle “l’histoire décidera de tout” a été accueillie avec espoir par le chancelier. Plus tard, il dira que “l’incertitude de l’évolution future, c’est-à-dire de l’avenir”, a créé les conditions préalables à une percée vers une compréhension mutuelle de la question allemande, ce qui, de l’avis du chancelier, s’est produit lors de la visite de retour de Gorbatchev en RFA en juin 1989…..

Selon les mémoires des participants à cette réunion, “Kohl a commencé à parler de Honecker à plusieurs reprises, se plaignant que la situation en RDA devenait dangereuse parce que les réformes n’y étaient pas menées à bien. “Les manières de Honecker, a-t-il dit, sont devenues récemment difficiles à expliquer, et sa femme Margot a récemment déclaré dans un discours public que “les jeunes de la RDA sont prêts à défendre le socialisme les armes à la main contre les ennemis extérieurs”. Gorbatchev est resté évasif, mais comme l’a noté Kohl, il a senti que Moscou “prenait ses distances avec les dirigeants de Berlin-Est”.

À cette époque, le SED est confronté à un autre problème extrêmement difficile : la fuite des citoyens. Au cours du premier semestre 1989, près de 40 000 citoyens sont “passés à l’Ouest”, dont 60 % âgés de 17 à 40 ans. Les auteurs de l’article paru dans “Voprosy Historii” soulignent que “les dirigeants de la RDA n’ont pas réussi à prendre le contrôle de la situation et se sont trouvés dans une situation confuse : la polarisation s’est accrue entre le gouvernement, qui perdait pied, et la société, dont la partie oppositionnelle était devenue plus active”. L’historien Paul Johnson écrit que Honecker, alarmé, a demandé à Gorbatchev d’utiliser des troupes pour rétablir l’ordre, mais Gorbatchev a refusé. Pour Gorbatchev, Honecker n’existe plus en tant que véritable homme politique. Néanmoins, le dirigeant soviétique arrive le 7 octobre 1989 pour célébrer le 40e anniversaire de la RDA. Lors d’une réunion privée avec les dirigeants du SED, il lance un avertissement : “Celui qui est à la traîne en politique est perdant”. Le 17 octobre, lors d’une réunion du Politburo, le sort de Honecker est scellé.

L’historien et publiciste Vladimir Tikhomirov donne des détails sur cette réunion : “Günter Schabowski, ancien membre du Politburo du SED, se souvient :

– Au moment où Honecker devait passer à l’ordre du jour, Willy Stof, président du Conseil des ministres de la RDA, déclara inexplicablement : “Je propose que le camarade Honecker démissionne de son poste de secrétaire général du parti”. La décision en faveur de la démission est unanime. Pour Honecker, c’est un grand choc…”

Mais les associés d’hier du secrétaire général évincé étaient apparemment d’accord pour dire qu’un knockdown devait être suivi d’un knock-out. “Et, comme il est d’usage, les camarades de parti du leader démissionnaire ont commencé à le dénoncer pour corruption”, écrit Tikhomirov. – Les journaux berlinois publient des articles sensationnels sur les perquisitions effectuées au domicile de Honecker, où aurait été trouvée la “réserve d’or du parti”. Or, il s’est avéré plus tard que Honecker ne possédait qu’une collection de fusils de chasse – le dirigeant du SED était un chasseur passionné… De la prison et d’un procès honteux, Honecker a été sauvé par la nécessité d’une hospitalisation urgente. En janvier 1990, dans le célèbre hôpital Charité de Berlin, Erich Honecker subit l’ablation d’une tumeur.

Finalement, les Honecker, qui se cachaient de la Themis allemande brandissant une épée, ont trouvé un refuge temporaire dans l’hôpital du Groupe de forces occidentales soviétiques. Les archives de l’INOSMI contiennent un rapport sur les événements de mars 1991 paru dans le journal Welt :

“Un cortège militaire soviétique … a secrètement sorti Erich et Margot Honecker de l’hôpital militaire soviétique de la ville de Belitz et les a transportés jusqu’à l’aérodrome militaire de Sperenberg. Juste avant le décolage de l’ancien secrétaire général du SED et premier personnage de la RDA, pour lequel un mandat d’arrêt avait déjà été délivré, l’ambassadeur soviétique à Bonn, Vladislav Terekhov, a informé le gouvernement fédéral de cette opération…”.

Ils n’ont emporté avec eux que des souvenirs

Les fugitifs ont été suivis par la presse allemande, dont les “plumes d’or” ont commencé à éplucher fébrilement les archives de l’ex-secrétaire général du SED. Or, dans sa biographie, il y a beaucoup d’histoires qui peuvent choquer le public exalté.

Ainsi, au printemps 1945, à Berlin. Une brigade formée de prisonniers de la casemate de Brandebourg est envoyée pour réparer les maisons endommagées par les bombardements. Honecker, qui a appris le métier de couvreur à l’adolescence, fait partie de cette brigade. Lors d’un raid aérien, il échappe aux gardes. Et où pensez-vous qu’il se soit caché après son évasion ? Dans l’appartement de Charlotte Schanuel, la directrice de la prison pour femmes de Berlin, dans la Barminstrasse. La fin du Troisième Reich est proche. Charlotte insiste tout de même pour qu’Erich retourne à la Barminstrasse, où dans l’un des bâtiments, sur ordre des autorités, ont été enfermés des prisonniers qui travaillaient dans l’équipe de réparation d’urgence. Il suit son conseil. Charlotte ne s’est pas trompée : aucun membre de la Gestapo n’interroge le prisonnier évadé.

Après la guerre, Erich et Charlotte se marient. Mais leur bonheur conjugal est de courte durée. En 1947, la femme de Honecker tombe gravement malade. Le diagnostic des médecins sonne comme une condamnation à mort. Un an après les funérailles de Charlotte, Honecker, alors à la tête du Conseil central de l’Union de la jeunesse allemande libre, se remarie. L’élue de son cœur est Edith Baumann, qui fait partie des fonctionnaires influents de l’équivalent est-allemand du Komsomol. Le couple a bientôt une fille, Erika. Mais les lumières du foyer familial ne brillent pas longtemps. L’amour va et vient, même quand on est membre du comité central du SED. Que pouvait faire Edith ? Se plaindre de l’infidélité de son mari auprès du chef du parti, Walter Ulbricht ? Mais ce dernier a d’autres projets pour Erich et va envoyer son candidat à Moscou, à l’école supérieure du comité central du PCUS.

Edith connaissait bien la nouvelle compagne de Honecker, avec laquelle il a échangé des alliances. Margot Feist dirigeait le conseil central de l’organisation républicaine des pionniers Ernst Telman. Pour leurs admirateurs romantiques, le mariage d’Erich et de Margot n’est rien d’autre qu’un amour jusqu’à la tombe. Pour les cyniques, il s’agit d’un mariage de convenance entre deux carriéristes : le couple Honecker a gravi avec succès les échelons du parti et de l’État. Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires, Erich est élu membre du Politburo du comité central du SED. En 1971, il dirige le parti et, en 1976, le Conseil d’État de la RDA. Margot a été ministre de l’éducation de la RDA pendant plusieurs années.

Leurs moindres faits et gestes sont observés à la loupe par les prescripteurs de l’opinion publique. Mais même eux ont été déconcertés lorsqu’ils ont entendu le secrétaire général déclarer : “La RDA est un pays où l’on aime la jeunesse, et c’est pourquoi on aime tout autant la musique rock”. Ce n’était pas des paroles en l’air : en 1982, le festival Rock for Peace s’est tenu à Berlin-Est. L’année suivante, dans la capitale de la RDA, on décide d’organiser un grand concert avec la participation d’Udo Lindenberg, une star du rock venue d’Allemagne de l’Ouest. Parmi les correspondants venus au festival de musique pour la jeunesse, il y avait des diplômés de l’école de journalisme créée par Axel Springer, le propriétaire de la maison d’édition. Dans l’établissement d’enseignement du roi de la presse ouest-allemande, les futurs “requins de la plume” ont appris, entre autres, l’art du sophisme professionnel, qui permet à l’auteur de suggérer au lecteur, de manière répétée et agaçante, que le grand est inséparable de l’insignifiant, le tragique – du comique, etc.

Il est symbolique que le gratte-ciel de l’entreprise Springer soit érigé à proximité du mur de Berlin. Surplombant ce dernier, il semble faire signe aux habitants de la RDA vers l’Ouest. Certes, au cours des 40 années d’existence de la RDA, plus de 5 % de ses habitants sont partis dans l’État allemand voisin et dans d’autres pays. Mais ce n’est pas parce que Springer et ses hommes les y ont attirés. Les raisons étaient tout autres : liens familiaux, intérêts professionnels et financiers, rejet de la politique du SED. Mais le flux inverse est également très impressionnant : au cours de la même période de quarante ans, des centaines de milliers d’émigrants et de personnes déplacées ont trouvé en RDA un abri, une table et des amis.

Dans les années soixante-dix, un grand nombre de Latino-Américains ayant fui les pays où la CIA menait son opération d’extermination de la gauche “Condor” ont obtenu l’asile politique en RDA. Le rôle principal de cette diaspora hispanique est joué par les communistes et socialistes chiliens qui ont miraculeusement survécu au putsch sanglant du général Augusto Pinochet.

Les émigrés politiques, qui venaient de regarder la mort en face, ont reçu un accueil chaleureux en RDA. Leurs problèmes sont rapidement résolus au sein du comité central du SED et dans les ministères et départements républicains. À cette époque, les relations entre la direction de la RDA et les dirigeants des partis de gauche au Chili allaient au-delà du protocole officiel, qui pouvait se résumer à quelques lignes d’un article de presse : “Le secrétaire général du SED a reçu un camarade aujourd’hui…”. Un seul fait : les biographes ne manqueront pas de rappeler que Honecker et Clodomiro Almeida, ministre des affaires étrangères du gouvernement putschiste chilien, étaient “amis personnels”. Et après la chute de la junte, leurs routes se croiseront à nouveau à Moscou.

Entre-temps, une autre nouvelle brûlante attendait les journalistes : Sonia, la fille d’Erich et Margot Honecker, avait épousé un homme de Santiago. Mais l’événement principal, qui ferait se pâmer les reporters people, était à venir. L’auteur de la sensation, qui s’est avérée être plus qu’une sensation, était le célèbre chanteur, acteur et réalisateur américain Dean Reed, dont la renommée était véritablement planétaire. Bien sûr, il est amusant d’entendre ses fans – et ils sont encore nombreux – dire qu’il était “le premier communiste d’Amérique”, mais les idées de gauche ne lui étaient certainement pas étrangères.

Dean Reed a rencontré Salvador Allende et a réalisé un film sur le chanteur chilien Victor Jara, exécuté par les bourreaux de Pinochet. Il a chanté au siège libanais du président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, et lui a rendu visite à la résidence tunisienne de l’OLP. Après avoir parcouru la moitié du monde, Dean Reed s’installe en RDA. Il réalise ses films les plus célèbres au studio de la DEFA. Cependant, comme tout artiste itinérant, il ne peut mener une vie sédentaire. Dean se rend notamment souvent en URSS.

Et pourtant, il est temps de revenir sur la sensation, qui est plus qu’une sensation. La famille du leader de la RDA y a sa part. Dean Reed, qui s’était séparé de sa femme américaine, a épousé la traductrice Wiebke Dornbach, une parente de Honecker. Mais les artistes, partout et toujours sont des gens, c’est le moins qu’on puisse dire, plutôt volages. Un an plus tard, l’union de Wiebke et Dean est rompue. L’élue suivante, Reed, est l’actrice Renata Blume, devenue célèbre avec le film soviétique de Lev Kulidzhanov “Karl Marx. Jeunes années”. Pour son rôle de Jenny von Westphalen, elle a reçu le prix Lénine de l’URSS. Mais le fait d’appartenir à un même atelier de création n’a pas garanti que Reed et Blume vivent heureux et meurent le même jour.

13 juin 1986 Dean se dispute avec Renata. Il a pris son passeport, des vêtements chauds, est monté dans sa voiture et est parti. Où ? pourquoi ? Trois jours plus tard, on l’a retrouvé mort dans la voiture, précipitée à grande vitesse dans le lac, d’où la maison de l’artiste se trouve à une courte distance à pied. Comme il est d’usage dans de tels cas, la presse occidentale en a fait ses choux gras. Tout est conforme aux préceptes d’Axel Springer : accusation de la “Stasi” dans la mort de Dean, recherche sur le sable côtier de traces laissées par les officiers soviétiques du KGB. Mais aucun des 150 médias du groupe Springer n’a osé faire la moindre allusion à la haine de la CIA à l’égard de Dean Reed. Et l’agence de renseignement israélienne “Mossad” n’avait pas non plus perdu de vue l’orphée américain après ses visites à Arafat.

Des gestes de mauvaise volonté

Gorbatchev est devenu célèbre en Occident en tant que maître des gestes de bonne volonté. “Il a déposé des cadeaux à nos pieds – concession après concession”, a déclaré George Shultz, secrétaire d’État américain de l’administration Ronald Reagan. Cependant, l’annonce du couple Honecker comme invité de Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev ne peut en aucun cas être classée dans la même catégorie. Qu’est-ce qui a poussé le secrétaire général du comité central du PCUS à faire venir en URSS l’ex-dirigeant de la RDA, vaincu par son propre scénario ? Ne nous aventurons pas dans le labyrinthe psychologique, où nous pourrions rencontrer par inadvertance le fantôme de Sigmund Freud. Les faits historiques doivent être considérés comme acquis : ce qui a été, a été.

Le 19 août 1991, la nouvelle de la prise en main du pays par le Comité d’État pour l’état d’urgence (GKChP) est accueillie avec espoir : si ce n’est pas aujourd’hui, demain le pays commencera à se libérer des chaînes de la “perestroïka” et de la “nouvelle pensée”. Mais 72 heures après l’instauration de l’état d’urgence, les événements à Moscou ont pris une telle tournure qu’il était tout à fait possible de déclarer cet espoir mort. Bien sûr, les avocats du GKChP auront de nombreux arguments pour défendre Guennadi Yanayev, vice-président de l’URSS, et d’autres membres du GKChP arrêtés le 21 août 1991. Mais rien ne peut justifier l’impuissance politique des hommes d’Etat qui, en annonçant l’auto-dissolution du GKChP, ont ainsi délié les mains des organisateurs du contre-putsch du Président de la Fédération de Russie. Un contre-putsch qui s’est soldé par la destruction définitive de l’URSS….

Eltsine, poussé par le chancelier de la RFA, a entamé la “solution finale” au problème de l’ex-dirigeant de l’ex-RDA. Le 16 novembre 1991, Interfax diffuse la nouvelle brûlante : “Le gouvernement russe a décidé d’expulser l’ancien dirigeant de l’ex-RDA, Erich Honecker, de la Fédération de Russie”. Le ministre de la justice de la RSFSR, Nikolai Fedorov, a déclaré cela lors d’une interview avec le correspondant d’Interfax, Vyacheslav Terekhov. Interrogé sur le fait de savoir si cette décision n’était pas une trahison de l’ancien allié de l’URSS, M. Fedorov a répondu qu’elle était dictée par les lois de la RSFSR et de l’URSS, et que toute considération liée à l’opportunisme politique était une séquelle du système antérieur.

Mais Honecker déjoua Eltsine. Avant que les limiers du président russe ne puissent retrouver l’ex-dirigeant de la RDA, l’épouse de l’ambassadeur du Chili à Moscou, Clodomiro Almeida, réussit à amener Erich et Margot dans une voiture portant des plaques d’immatriculation diplomatiques jusqu’à l’enceinte de l’ambassade. Honecker a eu encore de la chance : plus d’une demi-année passée à l’extérieur de la clôture de la mission diplomatique sans incident majeur. L’heure H a sonné pour lui le 29 juillet 1992, lorsque l’ambassade du Chili a reçu des invités d’un département plus sévère que le ministère des affaires étrangères. Clodomiro Almeida n’était pas là : il avait été rappelé à Santiago et les affaires de l’ambassade étaient désormais gérées par un chargé d’affaires temporaire. Après que l’ex-dirigeant de la RDA a refusé de quitter l’ambassade, malgré la demande du diplomate, des hommes au “cœur froid et aux muscles gonflés” sont venus dans la chambre d’Honecker. Ce qui s’y est passé ne peut être décrit avec précision, mais le résultat est connu. Prenons connaissance du témoignage publié dans l’hebdomadaire “Kommersant-Vlast” (n° 131 du 03.08.1992) : “L’avocat de Honecker, Friedrich Wolf, qui a déjà défendu des dissidents en RDA, qualifie les agents des services secrets russes d’exécutants directs de la procédure. Ils ont incité Honecker à partir sous la menace de violences”.

Quelques heures plus tard, le citoyen de l’État socialiste allemand liquidé un an avant embarquait à bord d’un avion russe pour un vol spécial à destination de Berlin, où une cellule de la prison de Moabit lui était préparée. Les fonctionnaires de Themis l’attendaient également.

Le procès, prévu pour le mois d’août, ne s’est ouvert que le 12 décembre. Il est immédiatement suspendu. Après Honecker, âgé de 80 ans, dont la maladie entraîne des reports répétés des séances, un autre accusé, Willy Stof, tombe malade. On aurait pu croire qu’en dehors des interruptions de séance, rien d’autre ne puisse passionner le public qui suit le “tribunal de la vengeance” à l’est et à l’ouest de l’Allemagne unifiée. Pourtant, le “procès contre les anciens membres du Politburo du comité central du SED” ne manque pas de faire sensation. Après les recours de Honecker devant la Cour constitutionnelle et d’autres tribunaux de la République fédérale d’Allemagne, la hache punitive a soudainement été mise de côté. Le tribunal de l’État fédéral, qui comprend le Grand Berlin, décide de classer les poursuites contre l’ex-dirigeant de la RDA “pour des raisons humanitaires” : une maladie incurable l’avait condamné à un déclin rapide.

Le 13 janvier 1993, il se rend à l’aéroport. Peu lui importe d’avoir un billet aller simple : son destin est de mourir à Santiago. Honecker déborde de joie : dans 24 heures, il embrassera Margot, qui a quitté Moscou pour le Chili presque six mois plus tôt, sa fille Sofia et son petit-fils… Leur amour réchauffera Erich jusqu’à sa mort, le 29 mai 1994.

Avant les funérailles civiles, des amis envelopperont le cercueil du corps de Honecker dans le drapeau de la RDA.

Condamné à la réhabilitation

Le destin posthume d’Honecker est unique. Jetons un coup d’œil aux catalogues des bibliothèques allemandes. Parmi les nouveautés de 2001, on trouve un livre du célèbre historien allemand Thomas Kunze, “Le chef d’État à la retraite”, qui raconte la vie de l’ancien secrétaire général du comité central du SED après son départ du pouvoir. Le film “La dernière odyssée de Honecker” a été réalisé sur la base du scénario de ce biographe allemand de l’ex-dirigeant de la RDA. Il ne faudrait pas exagérer les mérites de Kunze : il n’a fait que rejeter la diabolisation d’Honecker cultivée à l’Ouest.

La révision des évaluations imposées par les propagandistes de Springer, réduites à la formule primitive “les Allemands de RDA sont pires que les Allemands de RFA à tous égards”, a commencé dans la première décennie du nouveau XXIe siècle. Une analyse complète de ce processus sociopolitique complexe est largement présentée dans le livre d’Igor Maksimychev intitulé “La chute du mur de Berlin. D’après les notes du ministre-conseiller de l’ambassade soviétique à Berlin” (Moscou, “Veche”. 2011). Réfléchissant à la soif de mythes et de fabrication de mythes des fabricants d’opinion publique, il écrit : “Le 9 novembre 2009, l’Allemagne a célébré bruyamment et solennellement le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Bien avant ce jour mémorable, tous les médias ont commencé à publier des documents de toutes sortes consacrés à cet événement… Mais voilà le problème : … il y a 20 ans, la chute du mur en tant que tel le 9 novembre n’a pas eu lieu du tout – il est resté en place pendant assez longtemps”.

Du 6 au 8 novembre 2009, à l’invitation de l’Académie de formation politique de Tutzing, j’ai assisté à une conférence scientifique sur le thème “L’Allemagne – une patrie unie ? Le ton général de la discussion était déterminé par le point d’interrogation inclus dans le titre de la conférence. Les documents de la conférence ainsi que les discussions ont confirmé le fait que la manière d’établir l’unité allemande ne tenait pas compte de l’opinion d’une grande partie de la population de la RDA…. Il a été souligné que lors du rassemblement le plus massif de l’histoire de la RDA, le 4 novembre 1989 sur l’Alexanderplatz à Berlin (près d’un million de participants), il n’y avait pas un seul slogan ou une seule banderole en faveur de l’unification avec la RFA. Max Kaase, professeur à l’université de Brême, a suggéré que si le rapport entre les populations des États allemands avait été plus équilibré, au lieu de 60 millions d’habitants pour 17 millions, il n’y aurait pas eu d’unification, du moins pas sous les formes qu’elle a prises.

Selon Maksimychev, la question de la politique de l’Union soviétique dans le domaine des affaires allemandes pendant la profonde crise politique en RDA n’a pas été abordée à Tutzing.

Or, la RDA était l’allié le plus important de l’URSS en Europe et la base de tout le système qui existait à l’époque pour assurer sa sécurité dans la direction européenne. La couverture soviétique de la RDA semblait aussi naturelle que le “toit” américain de la RFA. Cependant, le 10 février 1990, les dirigeants de l’URSS ont déclaré qu’ils adoptaient une position “neutre” dans les différends entre Bonn et Berlin, laissant “les Allemands résoudre leurs propres problèmes”.

Lors de la Journée de la Grande Destruction, célébrée en fanfare le 9 novembre 2009, les conférenciers ont surtout craint de briser le tabou : pas un mot sur l’URSS et la RDA, rayées de la carte politique du monde. Pourtant, malgré tous les interdits, la réhabilitation populaire extrajudiciaire de l’URSS et de la RDA, qui a commencé spontanément, se poursuit. Et personne n’est prêt à répéter : “L’Union soviétique ne pouvait enorgueillir que des galoches de l’usine Krasny Bogatyr”. Soudain, on trouve les mots pour louer les pionniers soviétiques de l’espace, les créateurs de centres de fusées et de centrales nucléaires, les concepteurs d’avions inégalés, les capitaines de l’industrie sociale devant lesquels les dirigeants des grandes firmes étrangères enlevaient leurs chapeaux….

De peur d’être accusés de faire un éloge déplacé de nos réalisations, arrêtons là et changeons de sujet. Avez-vous remarqué que dans l’espace post-soviétique, les conversations sur la vitrine du socialisme qu’était la RDA ne sont plus accompagnées de remarques sarcastiques ? En octobre 2019, la chaîne de télévision Mir de la CEI a diffusé une émission d’une heure consacrée au 70e anniversaire de la RDA. Voici une seule déclaration de cette soirée : “En termes d’industrialisation, d’industries lourdes, légères et alimentaires, la RDA était une vitrine du socialisme”, a déclaré Vladislav Belov, directeur adjoint de l’Institut de l’Europe à l’Académie des sciences de Russie.

En effet, en Union soviétique, la RDA était perçue comme un paradis socialiste. Les rayons des magasins ne désemplissaient pas et l’abondance des produits qui y étaient alignés donnait des larmes aux yeux. Ceux qui avaient la chance de visiter la RDA revenaient en URSS avec des airs de négociants. Dans de lourds sacs – vêtements, chaussures, services de porcelaine soigneusement emballés. Dans des conteneurs, des appareils ménagers, des meubles. Mais il est temps, comme on le disait dans les réunions du parti, d’atténuer l’enthousiasme bourgeois trop ardent et de passer à la discussion des problèmes de la révolution. Non, non, pas une révolution lointaine, mais une révolution moderne, qui s’est produite à la fin des années 80 du XXe siècle. Au moment où Gorbatchev vendait la RDA à Kohl, comme l’a fait remarquer sarcastiquement le chancelier de la RFA, “au prix d’un sandwich”, la révolution des technologies de l’information dans la république socialiste d’Allemagne de l’Est approchait de son apogée. La RDA possédait sa propre “Silicon Valley”, qui rassemblait des scientifiques, des ingénieurs, des programmeurs et d’autres spécialistes travaillant dans des secteurs d’avant-garde.

Tôt ou tard, le temps remet chaque chose à sa place : “La taupe de l’histoire creuse lentement, mais elle creuse bien”. Il n’y a rien à ajouter à ces paroles de Hegel. Les grandes vérités n’ont pas besoin de commentaires.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 292

Suite de l'article

1 Commentaire

  • Etoilerouge
    Etoilerouge

    Merci Danielle pour le socialisme et la RDA. Et pour la vérité
    PCF Berre étale la photo de Blum pas de Thorez et duclos , Blum. La trahison du front populaire.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.