Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Deng Xiaoping : Construire un socialisme à caractère spécifiquement chinois

Au titre des incapacités profondes de l’inculture occidentale et du petit monde politico-médiatique qui en fait étalage pour justifier sa courte vue et sa lâcheté opportuniste, il y a incontestablement non seulement l’incapacité à concevoir un espace géopolitique indépendant de ses propres prétentions à la domination mais la manière dont ces gens-là opèrent un viol historique sur des millénaires, et dans l’immédiat. Ainsi, selon eux, après une période de totalitarisme gauchiste de Mao, la Chine serait retournée au capitalisme avec Deng Xiaoping et Xi Jinping romprait avec cette “sagesse” ce qui entraînerait sa “chute”. Tout cela est du pur fantasme et quelquefois il est bon de retourner à la source. Voici donc un texte de 1984 (date fatidique dans la sous-littérature occidentale du “totalitarisme”) dans lequel Deng Xiaoping précise le socialisme à la chinoise et sa manière d’avancer en tâtant les pierres pour passer à gué. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)


Publié: 30 juin 1984
Traduit en anglais par : Inconnu
Source : Deng Xiaoping Œuvres
Transcription pour MIA : Joonas Laine


Depuis la défaite de la Bande des Quatre et la convocation de la troisième session plénière du XIe Comité central du Parti, nous avons formulé des lignes idéologiques, politiques et organisationnelles correctes et une série de principes et de politiques. Quelle est la ligne idéologique ? Adhérer au marxisme et l’intégrer aux réalités chinoises, c’est-à-dire chercher la vérité dans les faits, comme le préconise le camarade Mao Zedong, et défendre ses idées fondamentales. Il est crucial pour nous d’adhérer au marxisme et au socialisme. Pendant plus d’un siècle après la guerre de l’opium, la Chine a été soumise à l’agression et à l’humiliation. C’est parce que le peuple chinois a embrassé le marxisme et est resté sur la route menant de la nouvelle démocratie au socialisme que sa révolution a été victorieuse.

Vous vous demandez peut-être : et si le peuple chinois avait pris la voie capitaliste à la place ? Auraient-ils pu se libérer, et auraient-ils pu enfin se lever ? Passons en revue l’histoire. Le Kuomintang a suivi la voie capitaliste pendant plus de 20 ans, mais la Chine était encore une société semi-coloniale, semi-féodale, ce qui prouvait que cette route ne menait nulle part. En revanche, les communistes, adhérant au marxisme et à la pensée de Mao Zedong, qui intègre le marxisme aux conditions réelles en Chine, ont pris leur propre chemin et ont réussi la révolution en encerclant les villes depuis la campagne. Inversement, si nous n’avions pas eu foi dans le marxisme, ou si nous n’avions pas intégré le marxisme aux conditions chinoises et suivi notre propre voie, la révolution aurait été un échec, et la Chine serait restée fragmentée et dépendante. La foi dans le marxisme a donc été la force motrice qui nous a permis de remporter la victoire dans la révolution.

Lors de la fondation de la République populaire, nous avons hérité de la vieille Chine une économie ruinée avec pratiquement aucune industrie. Il y avait une pénurie de céréales, l’inflation était aiguë et l’économie était dans le chaos. Mais nous avons résolu les problèmes de l’alimentation et de l’emploi de la population, stabilisé les prix des produits de base et unifié le travail financier et économique, et l’économie s’est rapidement redressée. Sur cette base, nous avons commencé une reconstruction à grande échelle. Sur quoi nous appuyions-nous ? Nous nous sommes appuyés sur le marxisme et le socialisme. Certaines personnes demandent pourquoi nous avons choisi le socialisme. Nous répondons que nous devions le faire, car le capitalisme ne mènerait la Chine nulle part. Si nous avions pris la voie capitaliste, nous n’aurions pas pu mettre fin au chaos dans le pays ou en finir avec la pauvreté et l’arriération. C’est pourquoi nous avons déclaré à plusieurs reprises que nous adhérerions au marxisme et que nous resterions dans la voie socialiste. Mais par marxisme, nous entendons le marxisme qui est intégré aux conditions chinoises, et par socialisme, nous entendons un socialisme qui est adapté aux conditions chinoises et qui a un caractère spécifiquement chinois.

Qu’est-ce que le socialisme et qu’est-ce que le marxisme ? Nous n’étions pas tout à fait clairs à ce sujet dans le passé. Le marxisme attache la plus grande importance au développement des forces productives. Nous avons dit que le socialisme est le stade premier du communisme et qu’au stade avancé sera appliqué le principe de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins. Cela nécessite des forces productives hautement développées et une abondance écrasante de richesses matérielles. Par conséquent, la tâche fondamentale de l’étape socialiste est de développer les forces productives. La supériorité du système socialiste est démontrée, en dernière analyse, par un développement plus rapide et plus important de ces forces que sous le système capitaliste. Au fur et à mesure de leur développement, la vie matérielle et culturelle du peuple s’améliorera constamment. L’un de nos défauts après la fondation de la République populaire était que nous n’avons pas accordé suffisamment d’attention au développement des forces productives. Le socialisme signifie l’élimination de la pauvreté. Le paupérisme n’est pas le socialisme, encore moins le communisme.

La Chine étant toujours en retard, quelle voie pouvons-nous emprunter pour développer les forces productives et élever le niveau de vie de la population ? Cela nous ramène à la question de savoir s’il faut continuer sur la voie socialiste ou s’arrêter et tourner sur la voie capitaliste. Le capitalisme ne peut enrichir que moins de 10 % de la population chinoise ; il ne pourra jamais enrichir les autres plus de 90 pour cent. Mais si nous adhérons au socialisme et appliquons à chacun le principe de la distribution selon son travail, il n’y aura pas de disparités excessives dans la richesse. Par conséquent, aucune polarisation ne se produira au fur et à mesure que nos forces productives se développeront au cours des 20 à 30 prochaines années.

Notre ligne politique est de mettre l’accent sur le programme de modernisation et sur le développement continu des forces productives. Rien de moins qu’une guerre mondiale ne pourrait nous arracher à cette ligne. Et même si une guerre mondiale éclatait, nous nous engagerions dans la reconstruction après la guerre. L’objectif minimum de notre programme de modernisation est d’atteindre un niveau de vie relativement confortable d’ici la fin du siècle. J’en ai parlé pour la première fois à l’ancien Premier ministre Masayoshi Ohira lors de sa visite ici en décembre 1979. Par norme relativement confortable, nous entendons un PNB par habitant de 800 dollars. C’est un faible niveau pour vous, mais c’est vraiment un objectif ambitieux pour nous. La Chine a une population de 1 milliard d’habitants maintenant, et d’ici là, elle aura atteint 1,2 milliard. Si, lorsque le PNB atteindrait 1 000 milliards de dollars, nous appliquions le principe capitaliste de distribution, la plupart des gens resteraient embourbés dans la pauvreté et l’arriération. Mais le principe socialiste de la distribution peut permettre à tous les gens de mener une vie relativement confortable. C’est pourquoi nous voulons défendre le socialisme. Sans socialisme, la Chine ne pourra jamais atteindre cet objectif.

Le monde actuel est ouvert. L’une des principales raisons du retard de la Chine après la révolution industrielle dans les pays occidentaux était sa politique de porte fermée. Après la fondation de la République populaire, nous avons été bloqués par d’autres, de sorte que le pays est resté pratiquement fermé, ce qui nous a créé des difficultés. L’expérience des trente dernières années a démontré qu’une politique de la porte fermée entraverait la construction et inhiberait le développement. Il peut y avoir deux types d’exclusion : l’un est dirigé contre d’autres pays ; l’autre serait dirigée contre la Chine elle-même, une région ou un département fermant ses portes aux autres. Les deux types d’exclusion seraient nuisibles. Nous suggérons que nous devrions nous développer rapidement, mais pas trop rapidement, car ce serait irréaliste. Pour ce faire, nous devons dynamiser l’économie nationale et nous ouvrir au monde extérieur.

En partant des réalités de la Chine, nous devons tout d’abord résoudre le problème de la campagne. Quatre-vingts pour cent de la population vit dans des zones rurales, et la stabilité de la Chine dépend de la stabilité de ces zones. Quel que soit le succès de notre travail dans les villes, cela ne signifiera pas grand-chose sans une base stable à la campagne. Nous avons donc commencé par dynamiser l’économie et y adopter une politique d’ouverture, afin de mettre pleinement en œuvre l’initiative de 80 % de la population. Nous avons adopté cette politique à la fin de 1978 et, après quelques années, elle a produit les résultats escomptés. La deuxième session de la sixième Assemblée populaire nationale a décidé de déplacer l’accent de la réforme de la campagne vers les villes. La réforme urbaine inclura non seulement l’industrie et le commerce, mais aussi la science et la technologie, l’éducation et tous les autres domaines d’activité. En bref, nous poursuivrons la réforme chez nous et nous ouvrirons encore plus largement au monde extérieur.

Nous avons ouvert 14 grandes et moyennes villes côtières. Nous accueillons les investissements étrangers et les techniques avancées. Le management est aussi une technique. Vont-ils saper notre socialisme ? Peu probable, car le secteur socialiste est le pilier de notre économie. Notre base économique socialiste est si énorme qu’elle peut absorber des dizaines et des centaines de milliards de dollars de fonds étrangers sans être ébranlée. Les investissements étrangers serviront sans aucun doute de complément majeur à la construction du socialisme dans notre pays. Et dans l’état actuel des choses, ce supplément est indispensable. Naturellement, certains problèmes surviendront à la suite des investissements étrangers. Mais son impact négatif sera bien moins important que l’utilisation positive que nous pouvons en faire pour accélérer notre développement. Cela peut comporter un léger risque, mais pas beaucoup.

Eh bien, ce sont nos plans. Nous accumulerons de nouvelles expériences et essaierons de nouvelles solutions à mesure que de nouveaux problèmes surviendront. En général, nous pensons que la voie que nous avons choisie, que nous appelons construire le socialisme à la chinoise, est la bonne. Nous avons suivi cette voie pendant cinq ans et demi et avons obtenu des résultats satisfaisants ; En effet, le rythme de développement a jusqu’à présent dépassé nos prévisions. Si nous continuons dans cette voie, nous serons en mesure d’atteindre l’objectif de quadrupler le PNB de la Chine d’ici la fin du siècle. Et donc je peux dire à nos amis que nous sommes encore plus confiants maintenant.

(Extrait d’un entretien avec la délégation japonaise à la deuxième session du Conseil des personnes non gouvernementales sino-japonaises.)

Vues : 314

Suite de l'article

2 Commentaires

  • Luc Laforets

    Bonjour.
    Sans doute l’exemple le plus notable de la mise en place de la 3e Voie ++, proche de la 4e Voie.
    Cordialement.
    Luc Laforets

    Répondre
  • Franck Marsal
    Franck Marsal

    Clair comme du cristal, comme disent les anglais.

    Le coeur du raisonnement de Deng contient deux choses :
    1. Nous avons une base socialiste inébranlable,
    2. Donc, nous pouvons nous ouvrir aux investissements étrangers, ils viendront soutenir notre développement, mais ne pourrons pas changer la route.

    Je me faisais une réflexion similaire par rapport au Front Populaire (1er du nom). L’historiographie vulgaire décrit le tournant opéré par Thorez (et par Staline) en 1935 comme une rupture avec la ligne précédente, classe contre classe, comme la reconnaissance de l’échec de celle-ci au profit d’une ligne d’alliance de classe, qui elle, serait un succès et donc, la ligne à suivre.

    Mais, en réalité, on pourrait constater plutôt que :
    1. Le PCF a en 35 noué un lien inébranlable et profond avec la classe ouvrière.
    2. Il peut donc s’ouvrir à d’autres forces et alliances qui n’infléchisserons pas son cours.

    Si on souscrit à cette deuxième vision, il est évident que le PCF ne dispose plus de ce lien inébranlable avec la classe ouvrière (la plupart des bastions ayant été simplement supprimés par la désindustrialisation et les délocalisations. Il ne peut donc se fondre dans des alliances avec d’autres classes (disons classes moyennes) sans en être substantiellement détourné de son cours social légitime. Il nous faut donc impérativement revenir au point n°1, quelles qu’en soient les difficultés aujourd’hui.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.