Voilà qui devrait donner à méditer ceux qui cherchent le moyen de traquer l’évasion fiscale : ceux-ci existent sur un modèle assez proche du capitalisme actuel depuis la plus haute antiquité quasiment les établissements humains les plus archaïques, il manque à la description celle de l’organisation des jeux et des joutes sportives, pour le reste tout y est : dès que le monde marchand, la propriété privée existe se créent ces lieux protégés de la violence concurrentielle et des Etats. C’est ce constat qui faisait dire à Fidel Castro que le socialisme était une réalité toute nouvelle alors que le capitalisme était là depuis des millénaires possédant y compris les être humains comme des choses alors même qu’il prétend inventer la démocratie comme le droit des pères de famille propriétaires fonciers à légiférer sur toute une population niée les femmes, les esclaves, les métèques, les enfants ayant un statut particulier entre l’objet du droit paternel et le futur citoyen.. Ce que Marx établit la relation entre la religion et la monnaie est déjà au centre de cette répartition du marchand et du non marchand. Intéressant de rapprocher ce texte de celui où est décrite la lutte anticorruption au Vietnam par le parti communiste et la manière dont elle est plutôt bien accueillie par les investisseurs, un autre mode de régulation qui se combine avec de nouvelles contraintes, celle d’un nouveau stade de développement des forces productives … (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
illustration : reconstitution du centre de Çatal Hüyük en Turquie
Aguiche : Les centres bancaires offshore et d’évasion fiscale ne sont pas nouveaux ; ils sont avec nous depuis des millénaires.
Par Michael Hudson
Biographie de l’auteur : Michael Hudson est un économiste américain, professeur d’économie à l’Université du Missouri-Kansas City et chercheur au Levy Economics Institute du Bard College. Il est un ancien analyste de Wall Street, consultant politique, commentateur et journaliste. Vous pouvez en savoir plus sur l’histoire économique de Hudson sur l’Observatoire.
Source: Ponts humains
Crédit : Cet article a été produit par Human Bridges.
[Corps de l’article :]
Une discussion sur les origines de l’urbanisation peut donner un aperçu de la nature des problèmes sociaux modernes en mettant en évidence la longue dynamique historique à l’œuvre. Il n’est peut-être pas déplacé ici de souligner que les anti-États sont bien connus dans le monde moderne, surtout dans ce que le Conseil de la Réserve fédérale américaine classe comme onze centres bancaires offshore. Cinq de ces enclaves se trouvent dans les Caraïbes : Panama, les Antilles néerlandaises (Curaçao), les Bermudes, les Bahamas et les Antilles britanniques (îles Caïmans). Trois enclaves – Hong Kong, Macao et Singapour – ont été fondées pour mener le commerce avec la Chine. Les trois autres sont le Liberia, le Liban et Bahreïn à l’embouchure du golfe Persique – l’île que les Sumériens de l’âge du bronze appelaient Dilmun lorsqu’ils l’utilisaient pour commercer avec la vallée de l’Indus et la côte iranienne.
Rien ne semble plus moderne que ces centres bancaires offshore et d’évasion fiscale. Ce sont les enfants d’avocats et de comptables des années 1960 qui cherchaient à tisser des échappatoires dans le tissu social – à fournir des rideaux de secret (« vie privée ») pour éviter ou échapper aux impôts, et servir de refuges pour les revenus mal acquis ainsi que pour faciliter le commerce légitime.
Alors que les États-nations modernes promulguent des lois et imposent des impôts, ces enclaves aident les individus à échapper à ces réglementations. Et alors que les États-nations ont des armées, ces centres sont ce qui est le plus éloigné d’être des puissances militaires. Ce sont des anticorps de l’identité nationale, mais on peut en apprendre plus sur les sites de rassemblement et de réunion de l’ère glaciaire, du néolithique et même de l’âge du bronze en examinant ces enclaves modernes qu’en examinant les cités-États classiques telles qu’Athènes et Rome.
Caractéristiques intemporelles des entrepôts
- Ils manquent d’autonomie politique
Au lieu d’être politiquement indépendants, les centres bancaires offshore modernes et les zones de libre-échange sont de petites anciennes colonies, par exemple les îles des Caraïbes ainsi que les entrepôts chinois. L’île de Grand Caïman était une dépendance jamaïcaine jusqu’en 1959, date à laquelle elle a choisi de revenir à son ancien statut de colonie de la couronne britannique afin de bénéficier de ce qui restait des préférences commerciales impériales. Le Libéria et le Panama sont des dépendances des États-Unis qui n’ont même pas leur propre système monétaire (les deux utilisent le dollar américain). Hong Kong n’a obtenu le titre de propriété de ses propres terres qu’à l’expiration des baux britanniques en 1997. Le Panama n’a pris le contrôle de son canal qu’en 1999.
En résumé, alors que les théoriciens politiques définissent la première caractéristique des États modernes (et implicitement de leurs capitales) comme étant leur capacité à promulguer et à appliquer des lois, les centres bancaires offshore n’ont aucune signification politique. Dans le sens où elles sont des sanctuaires des impôts nationaux et des autorités judiciaires, ces enclaves s’apparentent en quelque sorte aux villes bibliques de refuge. S’ils ne sont pas des sanctuaires pour les contrevenants en personne, ils fournissent au moins des refuges pour leurs comptes bancaires et leurs coquilles d’entreprises.
- Ils occupent des points d’interface commerciale pratiques entre les régions
En règle générale, les entrepôts se trouvent sur des îles ou des nombrils de transport clés tels que l’isthme panaméen. Ils sont séparés en tant que ports francs politiquement, sinon physiquement, de leurs entités politiques environnantes. Ce sont souvent des centres de voyage et de tourisme (« réunions d’affaires ») et de jeu. Dans l’Antiquité, ils étaient généralement des centres de festivals ou de jeux sacrés tels que ceux qui se tenaient à Delphes, Némie, l’isthme de Corinthe ou Olympie (d’où nos jeux olympiques modernes sont nés dans un contexte sacré).
- Ils bénéficient d’une protection sacrée (ou légale) contre les attaques
Bien que Delphes et l’Olympe soient enclavées (tout comme Çatal Hüyük), elles étaient situées au centre de leurs régions locales. Ils servaient de centres religieux et culturels, dont les festivals et les jeux pouvaient être facilement suivis par la population hellénique dans son ensemble. Même les visiteurs qui étaient citoyens de cités-États mutuellement belligérantes jouissaient d’un sanctuaire. Bien sûr, les enclaves d’aujourd’hui ne revendiquent plus le statut sacré, à l’exception du Vatican et de son Institut pour les œuvres religieuses qui promeuvent des fonctions de blanchiment d’argent1. Leur orientation commerciale s’est séparée du cadre religieux associé au commerce international à travers l’Europe médiévale avec ses grandes foires. Et en effet, leur attrait est particulièrement pour les personnes fortunées qui évitent les lois fiscales et les codes pénaux de leur propre pays.
- Ils sont militairement sûrs
Bien que les enclaves d’aujourd’hui aient rarement leurs propres armées, elles sont militairement sûres. Grâce à leur statut apolitique unique, et même à leur dépendance ultime vis-à-vis de grandes puissances, leurs voisins ont peu de raisons de les attaquer et ont toutes les raisons de les utiliser comme canaux commerciaux et même pour des transactions gouvernementales telles que le commerce d’armes, le blanchiment d’argent et les activités connexes qui ne sont pas considérées comme un comportement approprié chez eux. Le commerce qui en résulte prospère sans réglementation ni taxes, mené dans des environnements militairement sûrs sans avoir à soutenir des armées permanentes, et donc moins besoin de prélever des impôts à cette fin, ou de monétiser les dettes de guerre nationales.
- Ce sont des sites politiquement neutres
Créer de telles enclaves a été un objectif du capital mercantile à travers les âges. Il traite avec condescendance les régions les plus faibles du monde tant qu’elles ne font pas ce que font les vrais gouvernements : réguler leurs économies. La recherche d’un « territoire neutre » s’est déjà exprimée à l’époque chalcolithique, plusieurs millénaires avant que l’entreprise privée ne se développe telle que nous la connaissons. Le résultat de cet élan est que les villes néolithiques telles que Çatal Hüyük, les villes-temples mésopotamiennes telles que Nippur, les entrepôts insulaires tels que Dilmun, la région du delta égyptien, Ischia/Pithekoussai et les villes de refuge bibliques partagent l’important dénominateur commun suivant avec les centres bancaires offshore d’aujourd’hui : au lieu d’être des centres de pouvoir gouvernemental, juridique et militaire local, il s’agissait de sites politiquement neutres établis en dehors de la juridiction des gouvernements locaux.
- Ils créent des forums pour les rituels de cohésion sociale
Que le statut de ces sites urbains soit celui d’entrepôts commerciaux sanctifiés ou de centres amphictyoniques, ils fournissaient un forum pour les rituels de cohésion sociale afin de renforcer leur commerce. Ces rituels comprenaient l’échange de biens et de femmes (mariages mixtes) – le commerce et les rapports sexuels dans leur sens sexuel archaïque ainsi que dans le sens plus moderne d’échange de marchandises.
J’ai cité plus haut la pratique archaïque de faire du commerce via des entrepôts insulaires. L’île sacrée de Dilmun/Bahreïn dans le golfe Persique représente l’exemple le plus durable d’une telle enclave dans l’histoire. Il servait d’entrepôt reliant Sumer et Babylone (dont les archives se réfèrent principalement aux « marchands de Dilmun ») à la civilisation de l’Indus et à la côte iranienne intermédiaire. Son statut de centre sacré et commercial a peut-être été favorisé par le fait que ses eaux étaient une source de perles, prisées comme symboles sacrés de la lune (étant rondes, pâles et associées à l’eau profonde). Il semble également avoir servi de lieu de sépulture de haut rang pour les individus prospères, ou du moins pour certaines parties de leur corps. Lamberg-Karlovsky2 rapporte qu’il y a plus de doigts et d’autres membres que de squelettes complets, car les Sumériens ont participé au peu par coup à la sainteté de l’île (bien que certains commentateurs pensent que cela pourrait être simplement le résultat de vols de tombes à travers les siècles3). Quoi qu’il en soit, ces vertus sociales et commerciales ont contribué à faire de Dilmun l’un des biens immobiliers les plus chers de l’âge du bronze, un peu comme le Bahreïn moderne.
- Ils facilitent le développement commercial
Le statut sacré de ces entrepôts a facilité le développement commercial d’une manière qui n’a pas abusé des sensibilités de l’âge du bronze, tout comme le statut sacré des temples lorsqu’ils sont devenus les principaux centres économiques et de production textile. Tout en créant les conditions économiques et l’organisation des grandes entreprises dans le cadre des valeurs sociales traditionnelles et de l’ordre, les institutions de l’âge du bronze ont fourni une marge de manœuvre pour ne pas étouffer le développement commercial avec un contrôle trop centralisé. C’est peut-être en partie la raison pour laquelle le commerce se faisait en dehors des portes de la ville. La philosophie était de créer des « économies mixtes » dans lesquelles les secteurs institutionnel et privé avaient chacun leur propre rôle.
- David A. Yallop, Au nom de Dieu : une enquête sur le meurtre du pape Jean-Paul Ier, 1984, pp. 92-94.
- C.C. Lamberg-Karlovsky « Dilmun : Gateway to Immortality », Journal of Near Eastern Studies, janvier 1982, 41(1), pp. 45-50.
- P.R.S. Moorey, « Où ont-ils enterré les rois de la IIIe dynastie d’Ur ? » Irak, 46, 1984, pp. 1-18.
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