Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le film chinois qui a battu tous les records d’audience et les tentatives de transformation …

Le marché chinois joue un rôle de plus en plus important dans le succès ou l’échec de nombreuses productions hollywoodiennes. C’est une donnée que l’on aurait tort d’ignorer et que la production hollywoodienne a intégré. Si la France, sa critique, son festival et son système de financement hérité des luttes du PCF et de la CGT à la Libération influence un cinéma d’auteur dominé aujourd’hui par un politiquement correct très moralisateur qui est devenu un véritable frein à la défense d’un cinéma multinational, réellement créatif, il se passe en Asie un phénomène qui constituera de plus en plus un contrepoids. Sous le double choc de ce “marché” et de l’apparition de l’IA, il y a des tentatives hollywoodiennes dont on voit les effets au festival de Cannes. Là aussi, la question de l’émergence d’un monde multipolaire mérite d’être exploré et pas seulement en terme de recettes espérées, il ne faut jamais plus jamais sous-estimer les productions locales – comme le prouve ce film aux 913 millions de dollars de recettes qui s’avère être le plus rentable de l’histoire dans le pays…

J’ai proposé une sociologie du cinéma (1) mais qui s’inspire de mutations déjà observés dans l’art pictural par exemple. Il s’agit d’observer le champ artistique ayant sa logique propre faite à la fois des exigences portées par l’auteur lui-même dans des conditions de production données. Un exemple est bien souvent celui des Pays-Bas avec leurs trois immenses artistes que sont Rembrandt, Franz Hals et Vermeer. Chacun d’eux travaille en regard et sous l’inspiration de l’autre mais chacun à ses propres conditions de production, face à la classe bourgeoise et aristocratique qui payent et ont des goûts différents. Cette classe bourgeoise qui invente la république et la démocratie crée le colonialisme le plus atroce. Rembrandt par sa production massive a un mode d’indépendance financière qui est différent de Franz Hals qui est un ouvrier travaillant jusqu’à la fin de sa vie, Vermeer est marié avec une riche bourgeoise et a une production entièrement connue et limitée. Chaque époque va aussi apprécier une œuvre suivant ses propres exigences à la fois liées au champ esthétique et à la période historique. Manet et les impressionnistes vont redécouvrir Franz Hals. Il se passe le même genre de mutations en ce moment avec la remise en question des productions qui veulent reconquérir un public sans être seulement soumis aux jeux vidéos. On ne peut pas ignorer les conditions de cette mutation qui joue plus dans l’industrie culturelle qui est le cinéma, mais que l’on retrouve dans tout “le marché de l’art”.

Danielle Bleitrach

Le marché chinois est le plus rentable et il a sa spécificité

Sorti en 2021, Heroes – The Battle at Lake Changjin est un film de guerre basé sur des événements réels qui est devenu un phénomène de masse dans son pays d’origine – alors que la critique occidentale le dépeint comme un film de propagande produit pour célébrer le 100ème anniversaire du Parti communiste chinois. Le fait qu’un film célébrant le 100e anniversaire du Parti communiste chinois devrait pourtant faire réfléchir sur l’adhésion réelle du peuple chinois au “régime” (c’est ainsi que le terme obligatoire décrit le système politique dès qu’il ne fait pas une totale allégeance à la dictature du capital qui pourrait être la définition des “démocraties” occidentales, conçues de telle sorte que l’on ne puisse pas en changer les fondamentaux qui sont bel et bien la domination d’une classe de plus en plus coupée du peuple). Mais il y a également l’adhésion à un mode narratif. On retrouve d’ailleurs encore aujourd’hui la même adhésion aux films soviétiques en Russie, leur passage fréquent et toujours apprécié à la télévision.

913 millions de dollars : le plus gros succès chinois a mangé Dune et James Bond

913 millions de dollars : le plus gros succès chinois a largement dépassé Dune et James Bond© Fournis par Allocine

L’investissement dans le projet a été monumental : 200 millions de dollars, un budget également accordé à sa suite, qui a été tournée consécutivement. Sorti l’année suivante, le sequel n’a cependant pas égalé son prédécesseur mais a quand même été un succès commercial incontesté avec des recettes estimées à 626 millions de dollars.

Heroes – The Battle at Lake Changjin se déroule pendant l’hiver 1950, au cours la guerre de Corée, et raconte comment les soldats chinois, avec peu d’armes et dans des conditions difficiles, ont réussi à vaincre l’armée américaine menée par le général MacArthur durant la Bataille du réservoir de Chosin. “Avec pour seuls alliés leur volonté de fer et leur courage, les soldats chinois vont lutter au-delà de l’entendement et livrer une bataille qui restera à jamais gravée dans les mémoires”, peut-on lire dans le synopsis.

Évidemment, aux États-Unis, le film n’a pas convaincu et a dû se contenter de la somme dérisoire de 342 411 de dollars au box office local. En France, le film n’est sorti qu’en VOD.

Cependant, les 913 millions de recettes mondiales – dont environ 900 proviennent du marché chinois – en ont fait le deuxième film le plus rentable de 2021. Seul Spider-Man: No Way Home (1,9 milliard) a réussi à le surpasser, tandis que des titres bien connus comme No Time to Die (774 millions), Fast & Furious 9 (726 millions), Godzilla vs Kong (470 millions) ou encore Dune (402 millions) sont loin derrière .

Et en plus d’être le film chinois le plus rentable de l’Histoire dans le pays, Heroes – The Battle at Lake Changjin, signé Chen KaigeDante Lam et Tsui Hark, est également le film en langue non anglaise le plus rentable de tous les temps.

Pour les intéressés, Heroes – The Battle at Lake Changjin est donc disponible en VOD.

Le cinéma est un art mais aussi une industrie… S’il est passionnant comme pour la plupart des productions artistiques de revoir des films, des tableaux, des œuvres en suivant l’interprétation qui en faite au cours des années, il faut également réintégrer cette appréciation esthetico-historique dans les conditions de la production et de la diffusion de “l’industrie culturelle”

Ainsi le festival de cannes a longtemps été le lieu où un cinéma du “sud” d’Asie, venait projeter des œuvres dont la reconnaissance favorisait le soutien de son pays, mais aussi mettait en relation avec des sources de financement publiques et privées. Un festival qui à sa manière assurait une certaine caution à des productions prétendant échapper à l’Usine hollywoodienne, à la domination des majors.

L’avenir du festival de Cannes et le questionnement du cinéma occidental…

Aujourd’hui face au marché chinois et aux transformations envisagées par l’Intelligence artificielle, il y a la recherche d’un autre souffle au cœur du conformisme et du politiquement correct français. Nous avons parlé ici de toutes ces questions mais le mythe Cannes continue à fonctionner sous un aspect “protégé” en particulier en matière de financement mais pas seulement, cependant il est également obligé de tenir compte du basculement des “regards”. Francis Ford Coppola revient à Cannes pour nous rejouer Apocalypse Now quarante ans après (1979) avec un budget quasiment autofinancé de 120 millions de dollars sous le titre Megalopolis.


Le projet de passion autofinancé du réalisateur du paraib, mettant en vedette Adam Driver, Aubrey Plaza et Dustin Hoffman, sera présenté au festival du film en mai. Un projet qui date des 1983, date à laquelle Coppola a écrit la première version du scénario. Au cours des décennies qui ont suivi, il a été annoncé, retardé et abandonné à plusieurs reprises – avec des images tournées puis jetées à plusieurs reprises.
Mettant en vedette Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Jon Voight, Shia LaBeouf, Laurence Fishburne et Dustin Hoffman, ainsi que la sœur de Coppola, Talia Shire, et son neveu Jason Schwartzman, le film sera finalement présenté en avant-première lors d’un gala à Cannes le 17 mai, rapporte Variety.

l’intrigue semble n’être qu’un prétexte pour servir de prétexte à une épopée qui s’étend sur l’histoire ancienne et un avenir cataclysmique, une approche ésotérique dans laquelle la chute de l’empire romain est la toile de fond de la crise de notre monde, mais bien sûr à travers comme dans tout cinéma une « histoire d’ambition politique, de génie et d’amour conflictuel » où « le destin de Rome hante un monde moderne incapable de résoudre ses propres problèmes sociaux ». Avec un tournage “maudit”, le Hollywood Reporter a écrit à propos d’une source anonyme qui a déclaré que le plateau de Megalopolis était une « folie absolue » en raison d’une forte rotation du personnel, d’un budget croissant et de problèmes d’effets visuels, ce qui peut faire partie d’un marché “intellectuel” artistique. Les grands diffuseurs qui ont vu le film, les acheteurs potentiels – dont Universal, Netflix et Sony – lors d’un événement de l’industrie organisé à Universal City Walk Imax, selon le Hollywood Reporter, ont eu des réactions mitigées, allant d’un éloge poli à la sentence d’un directeur de studio: « Ce n’est tellement pas bon, et c’était tellement triste de le regarder », résultat aucun distributeur n’est prévu et le festival de cannes est aussi ce salon de vente et d’achat des “armes” et “marchandises” dans laquelle on peut jouir d’un certain rattrapage mais qui n’ouvre pas sur le marché chinois mais toute tentative de réforme d’Hollywood devra tenir compte du marché chinois et de son influence sur le tiers monde en matière de diffusion et de productions. (2)

(1) Danielle Bleitrach (avec la collaboration de Richard Gehrke) Bertolt Brecht et Fritz Lang, le nazisme n’a jamais été éradiqué. Lettmotif. 2015

(2) Nous publions aujourd’hui une information sur le festival du film internationaliste à Pekin, présidé par Emil Kusturica et qui s’intéresse au cinéma français mais son programme et ses choix méritent que l’on mesure bien à quel point vont de plus en plus se créer les conditions d’un autre marché, d’autres sélections, d’autres rencontres…

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