Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Dune, le film, deuxième partie, impression très mitigée…

Que dire de ce film dont les tambours publicitaires qui accompagnent le lancement des marchandises dans lesquelles Hollywood a investi, nous proclament que son réalisateur Denis Villeneuve fait partie de ces grands comme William Friedkin (l’auteur de l’exorciste et autres chefs d’œuvre véritables) et qu’il ne fallait avoir aucun préjugé en ce qui concerne le genre (science-fiction) ni sur le rapport financier qu’il était susceptible d’engranger, c’était un bon film. Comme effectivement je crois que le cinéma est un art de masse, que j’avais apprécié le livre d’Herbert mais n’ayant pas vu Dune 1 j’ai décidé de vaincre mes préjugés contre les productions hollywoodiennes (à peu près équivalent à mon refus d’aller passer un weekend à Disney Land).

Commençons par le livre : Dune est un roman de science fiction (le plus vendu dans le monde) publié aux Etats-Unis en 1965 par l’écrivain Franck Herbert. L’histoire se déroule dans un empire interstellaire donc dans un futur où l’humanité aura envahi la galaxie mais cet empire est “féodal”, un empereur avec ses vassaux “les maisons” qui ne cessent de s’affronter autour du contrôle de la planète Arrakis (Dune pour ses autochtones). C’est un désert aride inhospitalier mais qui est le seul lieu où l’on trouve une épice de vie nécessaire aux voyages interstellaires autant qu’à la survie au-delà de l’âge normal et qui favorise les visions prophétiques. L’Histoire se présente comme un mélange de mythes et de maitrise technologiques, ce qui favorise son interprétation sous différents prismes. Dans la science fiction marquée par le fantastique on retrouve souvent et pas de la meilleure façon cette volonté de faire jouer à l’avenir des antagonismes barbares (comme dans Conan le Barbare), la technologie s’est accompagné d’un retour aux archaïsmes, à la magie, voire au sadisme, et ce totalitarisme new âge n’a plus pour adversaire qu’une poignée d’irréductibles en général écolo-techniciens, voire contrebandiers. Ces scénarios ne sont pas les mêmes que ceux de la science fiction soviétique (ni chinoise) ni même chez le progressiste Asimov, à cause de cette fascination pour le mysticisme, l’ésotérisme.

Mais ce qui fait l’intérêt d’Herbert c’est que non seulement il est un écrivain à part entière mais il initie une préoccupation écologique, tout en refusant jusqu’au bout de jouer les prophètes et d’aller au-delà des questions qu’il pose.

La première question est comment passe-t-on de l’écriture d’un roman de ce type au film dont la mission est d’attirer le plus de public possible ? L’écriture d’Herbert sans atteindre les effets chocs psychédéliques de Philippe K.Dick, présente des enchevêtrements dépaysants de noms et de concepts qui nous téléportent dans un autre univers en mobilisant notre imaginaire, le conscient et ‘inconscient. Certes, le jeune héros du film, Paul un adolescent à peine pubère dans le roman, un jeune homme d’une vingtaine d’années dans le film joué par Timothée Chalamet, hérite d’un nombre de patronymes impressionnant Mahdi, Muad’Dib, Usul, Lisan al-Gaib, Kwisatz Haderach qui tous correspondent à des états de plus en plus poussés d’acuité mentale. Il en est de même de sa mère (Rebecca Ferguson qui est plus “baroudeuse que grande prêtresse) dont on saisit vaguement qu’elle appartient à une confrérie de femmes dont on ne sait pas très bien la mission dans le millénaire suivant (Charlotte Rampling, dans le rôle d’une révérende mère Bene Gesserit ne laisse pas beaucoup d’espace à la rêverie), on n’en saura pas beaucoup plus, comme on ignorera l’importance du fait que la grande prêtresse mère de Paul soit enceinte d’un fœtus particulièrement conscient et intervenant, ce qui est peut-être un clin d’œil de cinéphile à Stanley Kubrick Odyssée 2001.

Bref tous ces gens-là, les rôles principaux ou secondaires sont invités à une certaine sobriété devant des décors grandioses mais à l’esthétique minimaliste, dominée par des effets monocolors qu’il s’agisse des sables, du beige au roux sur la planète, au noir, gris, blanc dans l’univers fascisant de l’empire galactique.

Sur la durée du film on ne s’en plaint pas, mais j’ai eu du mal à rentrer dans le film à la fois parce que j’ai du mal à me faire aux codes du genre et parce que le film reste guindé. On stationne longtemps dans ce qui me gène dans ce type de film : d’être entre l’art total d’un opéra wagnérien et les recettes des parcs de Walt Disney et dans ce cas-là une revendication manifeste malgré tout à l’art de la mise en scène. Il est vrai que l’histoire récente, y compris la destruction des tours new-yorkaises a réellement consacré la victoire des films de série B hollywoodiens en matière de propagande politicienne, mais les derniers oscars ont prouvé que l’industrie du cinéma s’interrogeait sur ses scénarios et ses mises-en-scène… Un effet de la grève des scénaristes, acteurs face l’intelligence artificielle, ou les échos de l’histoire réelle ?

La diffusion du film a parait-il été retardée d’un an par les récentes grèves hollywoodiennes, cela lui permet d’entrer de plein pied dans l’actualité. Nous sommes dans ce monde féodal de l’année 10191, un monde dont les “maîtres” à l’idéologie fascisante engendrent des catastrophe environnementale, la planète désertique Dune en est victime mais elle est aussi le lieu de la rédemption et pas seulement parce qu’elle recèle une substance qui est la vie, une population de rebelles un tantinet exaltés s’y est réfugiée…

C’est minimaliste mais d’une brutalité agressive stylisée…

Le héros, sa mère font partie du système Paul Atréides fils du duc Leto Atréides, tragiquement assassiné, il s’est réfugié chez des habitants du désert aux yeux bleus, ressemblant à des Bédouins, connus sous le nom de Fremen. Qui ne penserait pas à l’actualité même s’il manque quelques types du Moyen Orient à la troupe rebelle ? le héros de l’histoire victorieux consacrera-t-il l’ancien monde celui des rivalités féodalo-fascistes ou choisira-t-il le monde des rebelles celui d’un retour au “paradis”, un monde qui reverdira mais aussi celui d’un certain fondamentalisme? Chani (Zendaya), la guerrière qui l’aime, ne lui fait pas confiance pour autant, il est vrai que le choix de Paul pour prendre la tête de l’empire suppose un mariage de raison, et la fin de leur propre histoire d’amour dans ce désert plus protecteur qu’hostile. Cet abandon aide à la lucidité mais la jeune femme de toute façon n’est pas de la race des crédules c’est même celle dont on se dit que Dune 3 grâce à elle va peut-être sortir des sentiers balisés. Son peuple et sa planète seront-ils libérés ou sont-ils de simples masses de manœuvre dans des vengeances personnelles ? ce devrait être le sujet de Dune 3.

Que sait Paul ? le film est un roman initiatique du passage à l’âge d’homme, que découvre-t-il de lui-même ? que fera-t-il de cette peur de l’apocalypse qui le hante et qui vu la fin du film devrait déboucher sur une Dune 3 est à peine effleuré… même par rapport au roman… C’est quand Paul se livre à cet étrange sport qui consiste à surfer sur des vers géants que l’on est pris par la musique, par le vent des sables, par autre chose que par l’histoire édifiante d’un aristocrate blanc compatissant se mettant à la tête de barbares considérés comme aussi incapables qu’une milice Hotou d’être de véritables acteurs de l’histoire.. D’ailleurs les échappées dans les autres mondes ceux où il est dit que le monde des maitres est plus vivable fait froid dans le dos. L’empereur (Christopher Walken) qui n’est que fourberie et trahison, culte de la force (manger ou être mangé comme dirait Blinken), le far west réalisé dans une oasis de verdure fait songer à la cour de Turandot vue par Brecht, avec la princesse Irulan (Florence Pugh) qui est simplement une transaction vers le pouvoir, Paul doit l’épouser sans l’aimer pour devenir l’empereur. Mais là où se dévoile vraiment l’idéologie impérialiste c’est dans l’univers des harkonnens, planète Giedi Primela “maison” de Paul (on comprend la méfiance de la jeune rebelle face aux gènes de son amoureux et le scepticisme face à ce messie… Tous plus méchants, plus monstrueux les uns que les autres. Le méchant et obèse baron Vladimir Harkonnen (Stellan Skarsgård) trempe dans une baignoire de chaudrée huileuse pour soulager son adipeuse personne et de là il fomente l’assassinat y compris de ses proches, en particulier son atroce neveu, une sorte d’Heydrich totale ment imberbe ce qui le change de son rôle dans Elvis et manifeste la diversité de ses talents.

Par rapport à l’actualité ça reste prudent, pourtant est-ce un hasard si ce qui s’appelle le cinéma et qui a réussi à vaincre mes torpeurs et inattentions initiales a lieu dans le désert. C’est dans cet espace immense sur lequel miroite le soleil, un espace vibrant enfin dans lequel la technologie soulage, où la vie, la mort, l’histoire d’amour reprend ses droits fragiles et qui rompt avec l’effet décor d’autres parties du film, des incursions sur d’autres planètes qui ne vous donnent que le désir d’aller sur la planète désert, peut-être comme le jeune héros tout à fait christique refuser de quitter le nord, les jeux dans le sable pour aller s’assembler pour l’assaut final dans le sud là où selon une vision digne des évangélistes a lieu le combat ultime. Austin Butler qui après Elvis joue le monstrueux Feyd-Rautha, dès qu’il apparait on ne peut pas se tromper, il est le méchant, le mal, il est prédestiné au duel final, celui entre deux jeunes héros, des cousins. Mais cette bataille fratricide comme il se doit depuis la plus haute antiquité, prend ici une connotation qui fait irrésistiblement songer à cette vision messianique à laquelle adhèrent un nombre impressionnant de gens et qui leur fait soutenir les pires exactions israéliennes. La maison mère est aux Etats-Unis mais elle a essaimé partout. On parle beaucoup d’islamisation mais ce qui se passe en France à partir des populations africaines mériterait qu’on s’y intéresse… Pour cette bande d’exaltés, il faut préserver le lieu où se réalisera “la prophétie”, celle du jugement dernier. En s’appuyant sur l’Apocalypse est désigné un lieu Armageddon, à savoir le lieu central où l’Antéchrist rassemblera ses armées pour s’opposer au retour de Jésus-Christ. les évangélistes le situent dans la région de Méguiddo en Israël. C’est sensé être un endroit stratégique où passent les routes reliant l’Égypte à la Syrie ou à Babylone. Ainsi, Armageddon symbolise le lieu du grand combat final entre les forces du mal et le retour triomphal de Jésus-Christ.

Dune 2 se clôt sur le refus des troupes des “maisons” rassemblées autour de la planète d’accepter que Paul soit le nouvel empereur, même si l’ancien l’a reconnu et fait allégeance, sa fille promise et l’abominable Feyd-Rautha a été occis dans un duel à rebondissement où l’on s’empale à tour de rôle… Donc la bataille aura lieu et la manière dont les rebelles fondamentalistes, plus les abominables féodaux vont s’étriper pour savoir qui est l’antéchrist laisse néanmoins ouverte la question : est-ce l’apocalypse? La jeune Chani va-t-elle offrir à tout ce beau monde une autre perspective que l’Armageddon ou un Gaza bis ?

Bref, pour des raisons diverses qui tiennent à la fois au plaisir que m’offre le cinéma et toutes les suspicions éprouvées devant l’industrie hollywoodienne du dit cinéma, vous comprendrez que j’hésite à vous inviter à aller voir ce film qui d’ailleurs n’a pas besoin de nous pour gonfler ses recettes.

J’ajouterai que dans l’état d’esprit qui est le mien en ce moment, je me dis que le jour où sous le coup conjugué de tout ce qui prétend œuvrer en politique en France, il ne me restera plus d’espace de survie, je pourrai toujours me reconvertir dans la critique de cinéma, et y défendre au moins un regard.

Danielle Bleitrach

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