Nous avons vu déjà à propos du Michigan le poids qui pèse ce qui se passe à Gaza sur les chances de voir élire Joe Biden. on peut considérer que la société des Etats-Unis est clivée par le vote religieux mais j’avais insisté sur le fait que partout le vote dit de gauche est en train de subir les effets d’un basculement géopolitique. Le danger immédiat est de voir l’extrême-droite se renforcer mais en fait une gauche qui refuse de voir qu’un autre monde est en train de naitre que celui-ci exige la paix, que la proposition chinoise de chercher la dite paix dans des négociations régionales, le refus de l’ordre impérialiste est déjà dans l’actualité. Comme je le soulignais à propos du débat de la 5, se positionner en 2024, face à des archaïsmes qui engendrent les guerres est la seule perspective. Si nos camarades de WSWS ont le mérite de comprendre la nécessité d’une articulation entre l’antiimpérialisme et les luttes des classes dans les pays impérialistes, il faut également que chaque nation construise cette articulation. Effectivement construire cette nouvelle politique au sein d’un carcan que serait la NUPES est totalement impossible comme la tentative de la circonscrire au sein des démocrates ou des travaillistes risque non seulement de l’étouffer mais d’en faire un affrontement plus ou moins marqué par le racisme. Il y a eu en revanche pour la France dans le débat de la 5 avec les propos de Deffontaines une piste ouverte mais qui pour le moment reste à faire grandir. Les chances de voir s’ouvrir une telle voie sont minimes mais elles existent et c’est ce vers quoi tend la réflexion de ce blog. S’opposer à la guerre, au crime de ce qui se passe à Gaza mais sans céder à l’antisémitisme, à l’opportunisme du consensus atlantiste, rester sur ce qui ne peut demeurer en état, sur les solidarités réelles, les solutions concrètes partout, bref ce qu’a esquissé Léon Deffontaines : il existe un monde qui a besoin de paix et de développement, il faut le faire intervenir dans une nouvelle forme d’arbitrage des conflits avec la pression et le renforcement de la classe ouvrière, du monde du travail, de tous ceux qui ont besoin de la paix. (note et traduction de Danielle Bleitrach histoireetsociete)
Thomas Scripps3 mars 2024
George Galloway, candidat pour son Workers’ Party of Britain [Parti des Travailleurs de Grande-Bretagne] a remporté l’élection partielle de Rochdale jeudi par une écrasante majorité, remportant 40% des voix. La deuxième place, avec 21%, est revenue à un candidat indépendant, l’homme d’affaires David Tully.
Le vote du Labour (Parti travailliste) a chuté de 44 points de pourcentage par rapport à ses performances de 2019 et le Parti conservateur de 19 points. Le taux de participation était d’environ 40%, ce qui correspond aux chiffres des élections les plus récentes.
L’élection partielle était essentiellement un référendum sur le génocide de Gaza et la complicité de l’impérialisme britannique.
Le candidat travailliste, Azhar Ali, a été désavoué par le parti après des commentaires fuités fait lors d’une réunion privée, selon lesquels Israël avait permis l’attaque du Hamas le 7 octobre. Sa destitution est intervenue trop tard pour changer son statut lors du scrutin, ce qui signifie qu’Ali s’est présenté en tant que travailliste mais qu’il aurait siégé au Parlement en tant qu’indépendant s’il avait gagné. Il s’est rapidement déshonoré en allant ramper devant le chef travailliste Sir Kier Starmer et sa chasse aux sorcières visant l’opposition au gouvernement israélien.
La direction du Labour avait interdit toute campagne en faveur d’Ali à Rochdale et des informations suggèrent qu’il s’est mis au vert.
Dans ces conditions, Galloway est intervenu explicitement sur la question de Gaza, s’opposant surtout au Labour pour son soutien à la guerre d’Israël. La question était déjà particulièrement importante dans une circonscription comptant près de 30% de musulmans.
Dans son discours de victoire, Galloway a déclaré: «Keir Starmer, ceci est pour Gaza. Et vous paierez un prix élevé en permettant, en encourageant et en couvrant la catastrophe qui se déroule actuellement en Palestine occupée, dans la bande de Gaza. »
Il a poursuivi: « Je veux avant tout dire à M. Starmer que les plaque-tectoniques ont bougé ce soir. Cela va déclencher un mouvement, un raz-de-marée, un déplacement des plaques tectoniques dans des dizaines de circonscriptions parlementaires […] Les travaillistes sont avertis qu’ils ont perdu la confiance de millions de leurs électeurs qui ont loyalement et traditionnellement voté pour eux, génération après génération… ».
« Keir Starmer et Rishi Sunak sont deux fesses du même derrière et on leur a donné une grosse fessée ce soir! »
Tout cela est vrai. Un porte-parole travailliste a répondu que « George Galloway n’a gagné que parce que le Labour ne s’est pas présenté ». Mais la raison pour laquelle les travaillistes, en fait, ne se sont pas présentés est qu’ils n’ont pas réussi à mettre en place un candidat farouchement pro-sioniste. Les travaillistes ont saboté leur propre campagne plutôt que d’appuyer même un blairiste loyal qui avait reconnu en privé qu’Israël avait réellement eu connaissance préalable du 7 octobre pour sauver sa propre réputation auprès de ses électeurs de base indignés par les actes d’Israël.
Si les travaillistes avaient pu mener la campagne de soutien total au gouvernement israélien qu’ils souhaitaient, le vote de protestation sur Gaza contre le parti aurait largement prévalu.
De plus, c’est l’ensemble de l’establishment politique qui a été rejeté dans cette élection partielle, les conservateurs n’ayant obtenu que 12%, contre moins de 8% pour les travaillistes. Cela était lié à des années de négligence et d’austérité – Rochdale fait partie des 30 circonscriptions les plus défavorisées du Royaume-Uni, avec 28% d’enfants vivant dans la pauvreté – mais cette manifestation de colère a été stimulée avant tout par le soutien de ces deux partis au gouvernement génocidaire israélien.
Les commentateurs politiques se sont déjà empressés de souligner l’ensemble des circonstances «uniques» du scrutin de Rochdale – pointant le fiasco de la candidature du Labour, l’importante population musulmane de Rochdale, l’expérience et la grande visibilité de Galloway – pour insister sur le fait qu’aucune leçon ne pouvait être tirée concernant les élections législatives plus tard cette année.
Il n’est pas nécessaire de faire des prédictions à partir des résultats de jeudi sur une répartition des sièges lors d’élections parlementaires nationales. Ce qui compte, et ce qui est indéniable, c’est que la politique britannique est bouleversée par le génocide à Gaza soutenu par l’impérialisme et par la radicalisation de millions de personnes, en particulier de jeunes travailleurs et étudiants. Une opposition anti-impérialiste et anti-guerre aux partis travailliste et conservateur se développe et cherche une solution politique.
C’est ainsi que cela est compris dans les cercles dirigeants.
Dans une déclaration télévisée extraordinaire devant la résidence du Premier ministre vendredi soir, Rishi Sunak a prononcé une diatribe contre les « extrémistes islamiques », qui était une attaque non dissimulée contre la gauche, cherchant à criminaliser les manifestants contre le génocide de Gaza. « Ces dernières semaines et mois, nous avons assisté à une augmentation choquante des perturbations et de la criminalité extrémistes », a-t-il déclaré. « Ce qui a été au début des manifestations dans nos rues s’est transformé en intimidations, menaces et actes de violence planifiés. »
Attaquant l’élection de Galloway, il a déclaré: « Et il est plus qu’alarmant qu’hier soir, l’élection partielle de Rochdale ait élu un candidat qui rejette l’horreur de ce qui s’est passé le 7 octobre, qui glorifie le Hezbollah et est soutenu par Nick Griffin, l’ancien chef raciste du [British National Party]. »
Les conséquences d’une telle attaque ouvertement anti-démocratique traitant l’élection partielle de manifestation d’extrémisme, tout en prétendant respecter « l’état de droit », ont été telles que la transcription du discours a été expurgé de ces références. A la place on pouvait lire en caractères gras, « Veuillez noter ici que le contenu politique a été édité ».
Un processus de radicalisation politique est en cours à l’échelle internationale. Lors de la primaire du Parti démocrate du Michigan organisée en début de semaine, plus de 100 000 votes de protestation, soit plus de 13%, ont été exprimés contre « Génocide-Joe » Biden pour son soutien à Israël.
Mais tout comme la campagne « non-engagée » aux États-Unis n’offre aucune issue aux travailleurs et aux jeunes opposés au génocide de Gaza – en maintenant leur opposition confinée au sein d’un Parti démocrate dégoulinant de sang – Galloway ne propose aucun moyen de monter une lutte victorieuse contre l’impérialisme britannique.
L’ancien député travailliste (1987-2003) a réussi à battre les candidats travaillistes à trois reprises : à Bethnal Green et à Bow (Est de Londres) en 2005 et à Bradford West en 2012, tous deux pour le compte du parti Respect, et maintenant à Rochdale. À chaque fois, il a puisé dans une opposition latente à la politique de droite du Labour, et surtout à son bilan de guerre. Il fut expulsé du Parti travailliste pour son opposition à l’invasion de l’Irak et remporta les élections de 2005 à Bethnal Green en grande partie grâce à cette position.
À aucun moment cependant, Galloway n’a utilisé sa tribune pour construire une opposition de masse anti-guerre contre le Labour. Respect fut créé, à l’initiative du Socialist Workers Party, comme une alliance opportuniste de forces opposées, pour diverses raisons, à la guerre en Irak et aux politiques «néolibérales». Mais le parti rejetait explicitement tout principe socialiste, dénoncé comme «sectaire»; il lançait un appel particulier à «la communauté musulmane», traitée comme une identité homogène dépourvue de différences de classe; et était fortement orienté vers le Labour. Galloway déclara après sa victoire de 2012: « J’appelle le Labour à redevenir un parti travailliste » et puis l’année suivante, il appela à voter pour Ed Miliband le chef travailliste.
Ces fondations pourries ont conduit à la scission du parti en 2012, à son déclin et finalement à sa dissolution en 2016.
Depuis, Galloway avance une politique populiste nationaliste qui l’a vu dénoncer l’immigration et s’associer à des personnalités comme Nigel Farage et partager une plate-forme avec l’ex-conseiller fasciste de Trump, Steve Bannon. Apparaissant sur une tribune avec Farage en faveur du Brexit, il a explicité son orientation, ironisant « Gauche, droite, gauche, droite, en avant marche ». Par la suite il a tenté de représenter le Brexit Party de Farage.
L’opposition de Galloway à la guerre impérialiste, toujours basée sur le soutien à des sections de la classe dirigeante au Moyen-Orient, s’est de plus en plus concentrée sur le soutien aux oligarchies capitalistes de Russie et de Chine, auxquelles on a attribué un rôle clé dans une politique «multipolaire» en opposition à l’impérialisme américain. Ni Moscou ni Pékin n’ont mis en place une défense de principe des Palestiniens, et ni l’un ni l’autre n’est capable de freiner pacifiquement l’explosion de militarisme d’une OTAN dirigée par les États-Unis qui vise leur destruction.
La seule voie pour vaincre l’impérialisme américain et mondial, ainsi que le meurtre de masse et le nettoyage ethnique des Palestiniens par le client israélien de Washington, passe par la construction d’un mouvement de masse anti-guerre qui mobilise la classe ouvrière internationale contre la classe capitaliste, son appareil d’État et tous ses partis, dans une lutte pour le socialisme.
Mardi, le Socialist Equality Party des Etats-Unis (Parti de l’égalité socialiste) a lancé sa campagne pour les élections présidentielles américaines afin de lutter pour ce programme contre les partis démocrate et républicain. Cette campagne est le fer de lance d’une campagne internationale menée par le Comité international de la Quatrième Internationale contre le génocide, le fascisme, la dictature, la guerre et les inégalités sociales.
Le Socialist Equality Party (Grande-Bretagne) poursuivra cette campagne jusqu’aux élections législatives britanniques, en présentant des candidats contre le parti commun conservateurs- travaillistes, parti du génocide, de l’austérité et de la guerre.
(Article paru en anglais le 1er mars 2024)
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Catherine
Bonne analyse de l’election de Galloway. L’analyse déraille vers la fin, dans le commentaire: ‘L’opposition de Galloway à la guerre impérialiste, […] s’est de plus en plus concentrée sur le soutien aux oligarchies capitalistes de Russie et de Chine, auxquelles on a attribué un rôle clé dans une politique «multipolaire» en opposition à l’impérialisme américain.’
La Russie et la Chine ne sont pas des oligarchies capitalistes. Elles jouent certainement un role mondial important pour contrer la puissance américaine.
En ce qui concerne un nouveau parti alternatif en Angleterre. WSWS ne supporte pas le Workers Party qui est pro Russe dans son analyse de la guerre en Ukraine, qui n’est pas 100% en faveur d’une immigration incontrôlée, et qui ne milite pas pour le socialisme aujourd’hui en Angleterre, tout en étant socialiste d’orientation. Il milite pour une défense des services publics, la nationalisation de l’énergie, l’eau, les transports etc. C’est deja férocement révolutionnaire par les temps qui courent.
C’est un jeune parti, avec un debut d’appareil administratif ; nous avec notre magazine Labour Affairs (https://labouraffairs.com) nous les soutenons.
L’Angleterre est un pays à deux partis, depuis le 18eme siècle. Le parti travailliste a remplacé le parti Liberal après la premiere guerre mondiale, après avoir été ‘preparé’ ou ‘tourné’ pour en faire un parti impérialiste.
Mais les Conservateurs sont toujours le parti des riches (propriétaires terriens en particulier ) tandis que les Travaillistes ne le sont pas. Les deux partis ont les mêmes politiques, mais une couleur sociale différente. Les Anglais s’en sont contentés et continuent dans cette voie. Cela dit, il est urgent que d’autres voix soient entendues, et peut-être qu’un debut de reflexion se produira grâce au Workers Party. Le fait que Sunak proclame l’election de Galloway ‘plus qu’alarmante’ est bon signe que les impérialistes ont peur.