Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Faut-il s’attendre à une guerre dans l’espace ? par Alexandre Tchaoussov

Les Etats-Unis sont coutumiers des fake-news concernant la guerre dans l’espace et nous avons ici même analysé le rôle joué par l’invention de l’arme suprême de la guerre des étoiles par Reagan comme prétexte à la conception gorbatchévienne d’une coexistence pacifique qui n’a été que le démantèlement du pacte de Varsovie et la destruction de l’URSS. Dans ce cas l’objectif parait simplement de maintenir à un haut niveau une course aux armements planétaires et le bénéfice qu’en reçoit aujourd’hui le système militaro-industriel financiarisé qui est de plus en plus la logique des Etats-Unis et des dirigeants vassaux qui veulent retrouver la logique des blocs et de la guerre froide dans un contexte totalement différent. Voici donc l’analyse qu’un spécialiste russe fait de la réalité de la dite menace “venue du froid” (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/2/26/1255210.html

Depuis le 15 février dernier, une nouvelle “menace russe”, désormais spatiale, est activement discutée dans les hautes sphères et les médias américains. Le président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, Mike Turner, a tenu une réunion à huis clos avec des représentants du Congrès, au cours de laquelle, selon des fuites, il a révélé que la Russie prévoyait de lancer un satellite équipé d’un missile nucléaire sur l’orbite terrestre. La discussion se poursuit encore aujourd’hui, et le New York Times écrit maintenant que “des responsables du renseignement américain ont dit à leurs plus proches alliés européens que si la Russie devait lancer une arme nucléaire en orbite, elle le ferait probablement cette année – mais qu’elle pourrait à la place lancer une ogive “factice” inoffensive en orbite”.

Bien entendu, le président russe Vladimir Poutine et le ministre de la défense Sergei Shoigu rejettent toutes ces insinuations et déclarent que notre pays continue de respecter le traité de 1967 sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Dans ce traité, il est écrit noir sur blanc :

“Les États parties au traité s’engagent à ne pas placer en orbite autour de la Terre des objets porteurs d’armes nucléaires ou de toute autre arme de destruction massive, à ne pas placer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes dans l’espace extra-atmosphérique de quelque autre manière que ce soit.”

Ni la Russie ni les États-Unis n’ont dénoncé cet accord ou ne s’en sont retirés. Pas plus que les 110 autres pays qui ont ratifié le traité. La question se pose donc de savoir pourquoi Washington a décidé d’accuser Moscou de plans spatiaux insidieux, comment les choses se passent en pratique dans ce domaine et pourquoi, en fin de compte, nous parlons d’une bombe nucléaire.

Il convient de commencer par l’histoire. L’espace pacifique, comme on l’a dit, est réglementé au niveau international par l’accord de 1967. Mais cela ne veut pas dire que nos “partenaires occidentaux” ne manifestent pas la volonté d’annuler ou du moins de “contourner” cet accord.

Tout a commencé le 23 mars 1983, lorsque le président américain Ronald Reagan a annoncé le lancement de l'”Initiative de défense stratégique”, alias le programme “Guerre des étoiles”. Ce programme envisageait officiellement un ensemble d’actions à long terme (scientifiques, techniques, de défense, bureaucratiques) visant à l’émergence d’un système de défense américain à part entière sur des plates-formes spatiales. L’initiative a été reprise par les dirigeants de l’OTAN de l’époque. Les Britanniques semblaient particulièrement intéressés. Et, fait caractéristique, c’est l’ancien directeur du Centre de communication du gouvernement britannique, David Omand, qui a déclaré plus tard que la “Guerre des étoiles” ne visait pas l’espace, mais le budget de l’Union soviétique, afin de forcer cette dernière à commencer à dépenser des sommes considérables dans des projets spatiaux de défense, ce qui aurait pour effet d’enterrer son économie. Cependant, les États n’ont pas abandonné l’idée de la “défense spatiale” même après l’effondrement de l’Union soviétique. Ils ont simplement commencé à travailler de manière beaucoup plus subtile.

En 1999, les États-Unis ont commencé à construire un vaisseau spatial non habité, le Boeing X-37, qui a été testé avec succès en 2006-2007. Officiellement, il s’agit d’une plateforme de laboratoire pour la recherche avancée, ainsi que d’un transporteur de fret relativement petit. Cependant, le développement et les essais de ce drone ont été transférés de la NASA à l’armée de l’air américaine. Et cette agence reste mystérieusement silencieuse quant à la pleine fonctionnalité de l’appareil et à l’usage qu’elle compte en faire.

En 2006, c’est-à-dire pendant les premiers essais réussis, un document aussi intéressant que la “Politique spatiale nationale des États-Unis” est mis à jour et complété à Washington. Les paragraphes suivants figurent dans ce document : “Les États-Unis sont attachés au principe de l’exploration et de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique par toutes les nations à des fins pacifiques et dans l’intérêt de l’humanité tout entière. Conformément à ce principe, les “fins pacifiques” comprennent la capacité des États-Unis à mener des activités de défense et de renseignement à l’appui de leurs intérêts nationaux.

Les États-Unis ne reconnaissent pas les prétentions d’un quelconque État à étendre sa souveraineté sur l’espace extra-atmosphérique, les corps célestes ou toute partie de ceux-ci, et ne reconnaissent aucune limitation au droit fondamental des États-Unis de mener des activités et de recevoir des informations dans l’espace”. En d’autres termes, il est dit en clair que les États-Unis se réservent le droit de “frapper” dans l’espace, mais qu’ils n’accordent pas ce droit à d’autres.

Nous nous souvenons à nouveau du Boeing X-37 qui, selon de nombreux scientifiques, peut être non seulement un “laboratoire scientifique”, mais aussi transporter à son bord de trois à six ogives nucléaires. Et d’une manière générale, cet appareil peut facilement être équipé d’une variété d’armes qui, par exemple, permettront de détruire des satellites indésirables pour les États-Unis. Au début des années 2000, de tels coups d’éclat de Washington ont crispé la communauté internationale. La Chine a été la première à réagir en 2007, en abattant son propre satellite avec un missile, démontrant ainsi l’efficacité des défenses terrestres contre les objets spatiaux. En 2008, les États-Unis ont fait de même. En fait, la course aux armements dans l’espace a commencé.

Il convient de s’arrêter ici et de dire quelques mots sur les raisons pour lesquelles des armes nucléaires devraient être lancées sur l’orbite terrestre. Comme l’ont montré les essais Starfish Prime de 1962, lancés bien sûr par les États-Unis, l’effet le plus important d’une explosion nucléaire dans l’espace est une impulsion électromagnétique super puissante, qui met hors service les appareils électriques, même sur Terre. Mais à l’époque, au début des années 60, un tel projet semblait à Washington trop coûteux et pas assez efficace.

Aujourd’hui, les temps ont changé et il existe de nombreux satellites en orbite terrestre, y compris des satellites de reconnaissance, dont tous les composants électroniques seront simplement grillés après une telle impulsion. N’oublions pas non plus qu’un missile peut être lancé de l’espace vers la surface de la Terre et qu’il sera beaucoup plus difficile d’abattre cette “mort tombée du ciel”.

D’aucuns pensent que Washington et le Pentagone ont tenu compte de toutes ces nuances et les ont pesées, initiant une militarisation discrète, progressive mais systématique de l’espace extra-atmosphérique. En 2018, le président américain de l’époque, Donald Trump, a publiquement annoncé qu’il serait bon de faire revivre la Guerre des étoiles de l’ère Reagan. Motivant cela par des besoins de défense et une menace extérieure grandissante.

À peu près au même moment, et ce n’est évidemment pas un hasard, le journal “à sensations” britannique Daily Mail a choqué le public en racontant que la Russie lançait toute une constellation de satellites de combat équipés de lasers. Et bien sûr, le monde occidental a un besoin urgent de renforcer ses capacités de défense dans l’espace proche de la Terre.

En 2020, toutes ces déclarations de Trump et ces articles de panique dans les tabloïds ont soudain débouché sur un document international très sérieux appelé “Accords d’Artemis”, créé aux États-Unis et auquel 30 États ont adhéré. Ce traité introduit le concept de “zones de sécurité” dans l’espace, dans lesquelles “la coordination et la défense contre les menaces extérieures seront assurées”. En d’autres termes, il était à nouveau écrit en toutes lettres que Washington utiliserait des armes dans l’espace s’il le jugeait nécessaire.

En 2021, la Russie a décidé de montrer clairement ce qu’elle pensait de cette question et a abattu son propre satellite obsolète à l’aide d’un missile. Le traité sur l’espace extra-atmosphérique n’a pas été violé par cette action, car le missile volait depuis la Terre. Il est clair qu’en fait, comme les États-Unis et la Chine auparavant, nous avons “contourné” les clauses du traité sur l’espace et nous avons “frappé” ostensiblement. Mais soyons francs : ce n’est pas la Russie qui a lancé cette course.

Après ce lancement réussi et l’abattage du satellite Tselina-D, le discours occidental sur les “menaces spatiales” à prévenir d’urgence s’est en quelque sorte calmé. Mais en 2024, elles reviennent à la charge.

Il existe plusieurs versions de ce qui se cache derrière le discours actuel sur la “menace nucléaire de l’espace”. La première est une tentative, comme en 1983, de saper l’économie russe en la forçant à dépenser pour des armes spatiales. Mais il est difficile d’y croire. Car la Maison Blanche, quelle que soit sa rhétorique, doit se rendre compte que Moscou n’entreprend jamais d’actions agressives préventives. La Russie ne fait que répondre aux menaces. Oui, parfois de manière asymétrique et presque toujours désagréable, mais elle réagit. En d’autres termes, ce sont les États-Unis qui devront d’abord assumer les coûts, afin que cette menace pour la sécurité de l’espace puisse se concrétiser.

La deuxième version est assez originale : il s’agit de notre “fuite” délibérée, afin que les États-Unis “s’inquiètent” sérieusement et dépensent pour un projet spatial mondial, parce qu’ils ne sont pas très satisfaits de leur budget actuel. La même vieille histoire pour saper l’économie, mais dans une image miroir, où la Russie est le manipulateur rusé.

La troisième option est l’intention vraiment sérieuse de Washington de se retirer du traité sur l’espace extra-atmosphérique, de lancer la “guerre des étoiles” et d’essayer de retrouver sa position dominante dans le monde en utilisant l’épée de Damoclès nucléaire sur toute la planète. La rhétorique selon laquelle “c’est la Russie qui a commencé la première, et nous ne faisons que nous défendre de manière préventive” s’inscrit parfaitement dans cette version, car elle est très caractéristique des États-Unis. On peut même rappeler non pas la Russie, mais l’invasion américaine de l’Irak par crainte qu’il n’y ait des tonnes d’armes chimiques, ce qui n’a finalement pas été le cas.

Et dans ce cas, une nouvelle ère d’exploration spatiale nous attend vraiment.

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