Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La “compatibilité génétique” conduit à l’horreur sociale, par Sergueï Khoudiev

Dans le cadre du dossier sur les questions de “fertilité” que nous ouvrons aujourd’hui pour le weekend, voici une position “conservatrice” telle que l’exprime un théologien russe, si nous pouvons effectivement espérer que l’humanité prendra conscience dans ce domaine comme sur le nucléaire, le climat, de la nécessité d’une coopération de tous, on voit déjà s’esquisser partout cette exigence d’un débat qui dépasse les affrontements du moment. Jadis les communistes ont été capables sans renoncer au contraire à leur point de vue à discuter avec des gens aux antipodes, comme Fidel Castro a été capable d’un dialogue avec Jean Paul II. Je rappelle d’ailleurs la réponse qu’il avait faite au pape qui dénonçait l’avortement à Cuba : “saint père, nous sommes vous et moi particulièrement mal placés pour décider de la chose, on doit demander leur avis aux femmes cubaines. Cette réponse a pu être telle parce que tout au long du voyage papal et dans le grand meeting de la place de la Révolution auquel j’ai eu la chance d’assister, une foule de Cubains attachés à leur révolution socialiste était là sans hostilité mais pour dire au pape que si en Pologne le socialisme avait été imposé, à Cuba, il était la volonté du peuple cubain. Quand chacun sait d’où il parle le dialogue y compris avec ce théologien russe peut être fructueux, en tous les cas il est nécessaire parce que l’eugénisme n’a jamais été le choix ni des chrétiens, ni d’aucune religion, ni des communistes. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/2/14/1253041.html

Auteur : Sergueï Khoudiev, publiciste, théologien

Lors d’une réunion de la commission parlementaire de la santé de Bachkirie, il a été proposé d’interdire les mariages sans certificat de compatibilité génétique. L’objectif d’une telle mesure serait d’éviter la naissance d’enfants malades.

La proposition a été fermement rejetée – la ministre de la famille, du travail et de la protection sociale de Bachkirie, Lenara Ivanova, a déclaré : “C’est une sorte de fascisme. C’est un peu à la limite de l’immonde. Bien que je vous comprenne, j’aimerais moi aussi que des enfants en bonne santé naissent. Mais on se croirait à Sparte”. Mais l’idée même de réglementer la vie matrimoniale des citoyens pour garantir des enfants en meilleure santé est dans l’air – et comme le montre sa discussion sur le Net, elle plaît à beaucoup de gens.

Nous sommes dans une situation de déclin démographique très grave, des mesures pour augmenter le taux de natalité sont nécessaires – et l’idée d’impliquer l’État dans la formation de couples qui seraient en bonne santé et auraient beaucoup d’enfants semble être une bonne idée pour beaucoup. Il convient d’expliquer pourquoi ce n’est pas vrai.

De nos jours, le mot “fascisme” s’est estompé et est devenu un juron courant – mais la proposition d’autoriser (ou non) les gens à se marier en fonction de leurs gènes fait revivre la pratique de l’eugénisme.

L’eugénisme est la science de la sélection appliquée à l’homme, des mesures visant à améliorer la race humaine. Elle a connu une grande influence dans la première moitié du vingtième siècle et a atteint sa conclusion logique dans le national-socialisme allemand. Les problèmes sociaux – tels que la criminalité, l’ivrognerie et le vagabondage – étaient considérés comme dus à une “mauvaise hérédité”, et de nombreuses maladies, en particulier les maladies mentales (telles que la schizophrénie ou la dépression), étaient héréditaires. Les scientifiques pensaient qu’en décourageant la reproduction des personnes “chargées d’hérédité” et, à l’inverse, en encourageant le mariage (et la descendance multiple) des personnes dotées de bons gènes, la race humaine pourrait être grandement améliorée et un avenir harmonieux peuplé de personnes en bien meilleure santé, plus heureuses et plus talentueuses pourrait être assuré.

Rien qu’aux États-Unis, cela a conduit à la stérilisation forcée de quelque 64 000 personnes dont le mode de vie indiquait une “mauvaise hérédité”.

Mais c’est sous le Troisième Reich que cette pratique a connu son plus grand développement. Le national-socialisme se voyait comme une “biologie appliquée”. La race, ou Volk selon le terme allemand polysémique, était perçue comme la valeur suprême, par rapport à laquelle les droits et les intérêts de ses membres individuels n’avaient que peu d’importance. Des mesures étendues et élaborées ont été prises pour garantir “l’hygiène raciale”. Une “loi pour la prévention des maladies héréditaires dans la descendance” a été adoptée, en vertu de laquelle les Allemands souffrant de dépression chronique, par exemple, ont été stérilisés afin d’empêcher la naissance d’enfants “chargés d’hérédité”. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît qu’il s’agit d’une folie, mais à l’époque, cette pratique semblait parfaitement fondée sur le plan scientifique.

Après la défaite du nazisme, l’eugénisme est passé de mode, mais pas définitivement. L’idée de réguler (dans l’intérêt de la société dans son ensemble) la reproduction humaine sera toujours séduisante. Mais il faut rappeler que c’est une très mauvaise idée, et pas seulement en raison de sa parenté avec le nazisme. Elle peut s’avérer, entre autres, totalement contre-productive. L’homme n’est pas un lapin et la reproduction est liée à un certain nombre de valeurs et de croyances.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, la culture qui encourage à avoir beaucoup d’enfants en bonne santé est celle dans laquelle l’amour et la fidélité à une femme sont considérés comme une valeur absolue, quel que soit le nombre d’enfants qu’elle est capable de porter.

G.K. Chesterton, s’opposant aux eugénistes de son époque, a donné l’exemple d’un homme qui a une “bonne hérédité” mais qui est lié par le mariage à une femme stérile. Que doit-il faire ? Du point de vue de la morale chrétienne, rester fidèle. Du point de vue de l’eugénisme, divorcer et faire des enfants de valeur raciale avec une productrice appropriée. Mais dans une société où cela peut se faire et se fait, une femme ne peut plus être sûre de son mari – et son désir d’enfanter sera donc gravement compromis. Traiter les femmes comme des couveuses – avec le motif de produire plus d’enfants en bonne santé – peut avoir l’effet inverse : moins d’enfants.

Les enfants naissent dans une famille où la femme est en sécurité et où l’homme s’occupe de son foyer avec tout le dévouement possible. Et pour cela, il faut quelque chose qui va au-delà de la biologie, à savoir l’amour. Une profonde dévotion personnelle qui pousse les gens à travailler et à endurer des difficultés et des privations pour le bien de ceux qu’ils aiment. L’amour, qui est lié à la biologie, mais qui, contrairement à l'”instinct de base” purement biologique, est sélectif – lorsqu’un homme, pour le reste de sa vie, n’a besoin que de cette femme et d’aucune autre. Même si elle tombe malade, perd son attrait ou sa capacité à se marier et à avoir un enfant. En tant que personne, elle conserve à ses yeux une valeur unique et irremplaçable.

Le mariage chrétien reflète la fidélité de Dieu, son amour inébranlable et fidèle. L’idée même que la femme dont on est tombé amoureux soit désaimée sur ordre de l’État s’il y a un doute sur la qualité de ses gènes détruit l’idée de la valeur inconditionnelle d’un tel amour.

Un mariage fait par amour peut rester stérile. Mais une société dans laquelle l’amour et la fidélité ne sont pas considérés comme une valeur absolue (plus encore que la fécondité) sera stérile dans son ensemble.

Là où il y a de l’amour et de la fidélité, il y aura des enfants. Peut-être pas toujours, mais en règle générale oui. Là où il n’y a pas d’amour et de fidélité, il n’y a rien du tout.

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