Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Retour sur le Ciné-débat : Les Bourreaux meurent aussi, 7 novembre 2023

Un excellent compte-rendu d’une soirée et d’une journée passionnante, une simple erreur ; Bertolt Brecht n’est pas juif, il ne cesse d’ailleurs d’expliquer aux juifs qui l’entourent qu’ils ne sont pas juifs, ils sont allemands, c’est leur langue, leur approche de la réalité… mais il est l’époux d’Hélène Weigel, juive et immense actrice. Lang a été élevé dans le milieu austro-hongrois de Vienne avec un père catholique architecte, il est l’époux d’une nazie plus ou moins convaincue, et il est le cinéaste officiel de la UFA. Ce qui est passionnant justement c’est leur réflexion sur la fiction, mais aussi leur conviction commune que les USA n’ont pas besoin du nazisme, il est déjà là y compris à Hollywood… il faut comprendre dans quels temps ils agissent mais aussi qu’ils sont avant tout des immenses artistes que l’on ne peut aborder que par leurs exigences de créateur, ils ont une “écriture”, une force dans le dire, qu’il faut mettre en évidence, ce qu’ignorent les idéologues dénués de toute sensibilité. C’est la seule méthode d’approche des faits culturels et de civilisation, resituer dans le champ politique de l’époque et être attentif à “l’écriture”, ce que fait une caméra, Lang c’est un cadrage, des abstractions, etc. Un tableau, une écriture, mais il y a des gens qui ne voient pas, je le sais parce que je n’entends pas, je pourrais faire illusion avec ma culture musicale, mais je sais que ce que j’entends ne m’aide pas à percevoir, il y a des gens qui ne voient pas, et malheureusement ces “idéologues” sont ceux qui ont en charge la formation, la culture de ce parti qui fut celui de Louis Aragon, lui qui percevait tout avec une telle intensité. Nous sommes dans une société de propagande qui domestique les artistes, un clientélisme, au niveau local c’est pire parfois. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Retour sur le Ciné-débat : Les Bourreaux meurent aussi

C’est en un temps record que notre commission culture a pu mettre sur pied une rencontre le 7 novembre dernier dans notre local de la rue Compans à Toulouse. L’occasion était trop belle de profiter de la venue à Toulouse de Danielle Bleitrach pour proposer une projection de la version longue d’un des chefs d’œuvres du cinéma signé Fritz Lang sur un scénario de Bertolt Brecht  : Les bourreaux meurent aussi. Un choix dicté par le fait que Danielle est co-autrice avec Richard Gehrke de l’ouvrage Bertolt Brecht et Fritz Lang : le nazisme n’a jamais été éradiqué. Ainsi tout était réuni pour proposer une émotionnante soirée de cinéma non sans faire le lien entre sa thématique et notre époque où le fascisme manifeste une résurgence un peu partout en Europe et dans le monde.

Danielle nous a d’abord présenté le film et en premier lieu par l’évocation de son contexte historique. Réalisé en 1943 dans les studios hollywoodiens juste un an après l’assassinat à Prague du chef nazi Reinhard Heydrich (1904-1942). Fritz Lang, génial auteur entre autres de Métropolis et illustre représentant de l’expressionnisme allemand, y est exilé après avoir refusé la proposition de Goebbels de devenir le cinéaste officiel du Reich au sein de la Internationale Filmkammer, IFK (Bureau international du cinéma). Objectant à Goebbels qu’il ne le pouvait, étant juif par sa mère, le chef de la propagande nazi lui rétorqua alors « cela n’a aucune importance : c’est nous qui décidons qui est juif ou pas ! ».

Fritz Lang avait en outre participé à l’exfiltration de Bertolt Brecht dès que la Norvège où celui-ci s’était exilé fut occupée par l’Allemagne nazie. Les deux avaient en commun d’être juifs, communistes et bien sûr allemands et en cela avaient un goût très prononcé, voire intransigeant, du perfectionnisme dans leur travail : deux caractères bien trempés qui ont pu toutefois s’associer dans ce qui sera leur unique collaboration. La musique du film fut composée par Hanns Eisler, ancien élève de Schönberg lui aussi juif et communiste exilé, il fut plus tard, entre autres, auteur de l’hymne de la RDA.

Inspiré de faits réels leur parti pris est celui d’une fiction valorisant la résistance tchèque à l’occupant face à l’enquête de la Gestapo et la répression féroce contre la population pragoise. Contrairement à l’œuvre de Douglas Sirk Hitler’s Madman, sorti la même année, il s’écarte de la réalité historique. Ainsi il n’y a aucune mention directe de la solution finale alors en œuvre partout en Europe, ni du communisme. Ce dernier n’est que très brièvement évoqué par une réunion du Comité Central clandestin. Ce parti pris était de fait dicté par leur situation aux USA, un pays foncièrement anti-communiste et doté aussi de secteurs économico-politique autant racistes qu’antisémites : le père de Kennedy, l’industriel Ford n’étant pas des moindres. Au point que les droits des citoyens juifs n’étaient alors pas très éloignés de ceux des noirs d’où des rapprochements et solidarités nombreuses alors entre ces deux communautés.

L’objectif était donc d’éviter tout clivage et visait donc une efficacité dans la diffusion du film en mettant en évidence la force d’un collectif de résistants se libérant par eux-mêmes. Le scénario de Bertolt Brecht a ainsi la trame d’un thriller avec suspens, rebondissements et pseudo happy end, tout en évoquant l’horreur de la répression sans pour autant avoir recours à des effets démonstratifs (dans la réalité historique un village fut entièrement rasé par les Allemands pour l’assassinat de Heydrich).

Quant à la réalisation, elle traite bien différemment l’illustration de la mort dans chaque camp : la solitude glacée autour du cadavre du nazi, la mort héroïque et utile à la cause des otages exécutés et des combattants. Et des plans emblématiques qui ne renient en rien les autres chefs d’œuvres expressionnistes de Lang, n’ont rien à envier, par exemple, aux travellings et contre-plongées de caméra sur grue utilisés par une Leni Riefenstahl, la cinéaste nazie, dans Les dieux du stade (1938). L’impact est tout autre pour Lang : la beauté glacée de l’apparition puis de la mort d’Heydrich inspirant plus l’horreur froide de la terreur nazie que le culte du surhomme.

Après la projection de la version longue du film un débat passionnant s’en suivit. Sans prétendre le résumer on a pu y percevoir la nécessité d’une vision en temps long de l’évolution historique entre notre époque et cette guerre où, en France, le parti des fusillés avait pour adversaire l’occupant nazi et ceux qui préféraient Hitler au Front populaire.
Il aurait pu se poursuivre jusque bien plus tard tant la personnalité et l’énergie de Danielle sont communicatives. Son apport culturel, historique, sociologique, et ses analyses, que chacun est libre de partager ou non, constituent pour qui veut bien les entendre un enrichissement original et précieux à toute réflexion et pratique politiques.
Espérons que les occasions de partager d’autres tels moments se reproduiront : la liste des films susceptibles d’être présentés a été déjà esquissée et elle est très loin d’être close.
A bientôt donc pour d’autres initiatives aussi heureuses !

Emmanuel C., pour la Commission culture

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