Les militaires ukrainiens sont aussi des victimes du régime de Kiev

Ce texte peut paraître naïf, un tantinet mystique, et pourtant il dit quelque chose de profondément vrai et qu’a très bien perçu Brecht quand il décrit l’aspect double de certains de ses personnages, parce que la morale dans une société aussi corrompue et destructrice que peut l’être le capitalisme est un leurre pour la plupart des gens, la vraie question est qu’est-ce qui pousse Schweick à résister à sa manière. Il y a également dans cette approche quelque chose que l’on retrouve y compris chez Staline, et chez la plupart des grands dirigeants et penseurs communistes, l’idée qu’au delà des aléas de l’histoire immédiate, il y a l’humanité qui va vers quelque chose qu’elle ignore elle-même, le communisme tel qu’on le trouve dans ce texte magnifique d’Engels : l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, et qui cherche à tracer un temps long de l’évolution depuis les différentes formes de sociétés dites primitives jusqu’au communisme dont nul ne sait ni l’aboutissement, ni les chemins. Chez les Russes on pense à cette manière de frapper, frapper, celui qui a mis à mal votre patience, jusqu’à ce que le mépris et la pitié retienne votre bras. Cela s’accompagne pour les communistes d’un certain nombre de choix prioritaires, de certitudes qui ne sacrifient pas ou tentent de ne pas sacrifier les nécessités de la lutte actuelle à cette vision d’une humanité réconciliée. J’ajouterais que l’âge et l’expérience en ce qui me concerne ont tendance à insister sur ces deux moments, la lutte des classes, l’anti-impérialisme, la nécessité de l’organisation et dans le même temps la conviction qu’il ne faut ni sous-estimer, ni exagérer l’importance de ce que nous faisons parce que la vague est d’une force inouïe. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/1/29/1250644.html

Texte : Igor Karaoulov, poète, publiciste

Lorsque Zakhar Prilepin a souhaité le “Royaume des cieux” à tous ceux qui sont morts dans l’avion Il-76 abattu au-dessus de la région de Belgorod, y compris les prisonniers de guerre ukrainiens, tués de façon ignoble par les leurs, cela a suscité des réactions mitigées de la part des lecteurs. Certains se sont indignés : comment peut-on parler ainsi, puisque nous disons “Royaume des cieux” lorsque nous souhaitons que l’âme d’une personne aille au ciel, mais comment pouvons-nous le souhaiter à nos ennemis, d’autant plus que parmi les Ukrainiens à bord se trouvaient d’anciens d’Azov, c’est-à-dire des nationalistes forcenés ?

À mon avis, la répartition des âmes dans les différents segments de l’autre monde est gérée par de toutes autres forces – et nous ne pouvons guère influencer leurs ordres. Les disputes à ce sujet ne sont pas de mise. Cependant, un mort appartient à l’éternité, et toucher l’éternité nous donne une raison de nous élever au-dessus des considérations immédiates. Le mort ne se soucie pas de savoir qui nous pensons qu’il est. Quant à nous, nous nous dévoilons pleinement, avec toutes nos faiblesses, nos idées fausses et nos préjugés.

Dans ces moments-là, il semble que certains de nos patriotes aient repris quelque chose de la doctrine protestante de la prédestination en ce qui concerne leur propre position civique et celle des autres. Selon eux, il n’y a pas de hasard dans le choix d’un camp. Nous sommes intelligents, bons, justes, donc nous sommes pour les nôtres. Et si quelqu’un s’est retrouvé du côté de nos ennemis, c’est qu’il y avait en lui un vice originel qui l’a forcé à choisir en faveur du mal.

Est-ce vraiment le cas ? “Oui, absolument ! – diront les Ukrainiens – du Donbass, d’Odessa ou de Kharkov – qui, malgré tout, ont choisi le camp du monde russe et participent aujourd’hui activement à la lutte pour les intérêts de la Russie. Honneur et louanges à eux, mais tout le monde n’est pas doté de ce degré de conviction. En fait, la plupart des gens ne réfléchissent pas à leurs croyances, et essaient encore moins d’analyser s’ils sont parvenus à ces opinions eux-mêmes ou s’ils les ont empruntées à des sources extérieures. La plupart des gens se contentent de vivre, de survivre et d’agir en fonction des circonstances. Et les circonstances jouent avec les gens.

Prenons l’exemple de Daria Trepova, récemment condamnée pour le meurtre de Vladlen Tatarsky. En fait, c’est une terroriste, une criminelle, mais peut-on la qualifier de personne convaincue ? Il me semble qu’alors qu’elle voulait intérieurement être une activiste, faire quelque chose d’important, elle s’est laissée distraire par le courant, qui pouvait l’emmener n’importe où. Le féminisme ou les droits des animaux, par exemple. Et avec un certain coup du sort, elle aurait pu se rendre dans le Donbass avec de l’aide humanitaire. C’est ce que fait la poétesse et philosophe Yevgenia Bilchenko, une ancienne habitante de Kiev qui a autrefois soutenu le Maïdan de tout son cœur et aidé le Secteur droit*. On la qualifie de girouette, on la soupçonne de manquer de sincérité, mais en fait, elle est peut-être une envoyée du futur, car à l’avenir, après notre victoire, il y aura beaucoup de girouettes de ce genre.

En même temps, Daria Trepova est née et a grandi en Russie, elle a marché dans les mêmes rues que nous, a acheté des livres dans les mêmes magasins, a bu du café dans les mêmes cafétérias. Et pourtant, elle s’est retrouvée du côté de l’ennemi, du côté du mal absolu. Comme un certain nombre d’autres personnes, apparemment plus intelligentes et plus talentueuses qu’elle. Qu’en est-il des gens ordinaires qui ont grandi en Ukraine ?

Nous partons du fait qu’il existe un seul peuple vivant des deux côtés de la frontière russo-ukrainienne. En effet, la liste des prisonniers ukrainiens à bord de l’IL-76 comportait tellement de noms de famille russes qu’il aurait pu s’agir d’une liste de citoyens russes. Ces personnes auraient pu être nées en Russie, car en URSS, de nombreuses familles se déplaçaient d’une république à l’autre. Mais il se trouve qu’ils se sont retrouvés sur le territoire ukrainien.

Les Ukrainiens les plus âgés se souviennent de l’époque où nous vivions dans le même pays qu’eux. Mais plus de la moitié des citoyens ukrainiens sont nés pendant les années de l'”indépendance”. L’école et les médias les ont élevés comme des patriotes ukrainiens. Peut-on leur reprocher d’être devenus tels ?

Dans le patriotisme ukrainien lui-même, comme dans tout autre patriotisme, il est difficile de trouver quoi que ce soit de répréhensible. Il est tout à fait naturel que les gens se battent pour le pays dans lequel ils vivent. Cela fait d’eux des cibles légitimes au front. Mais cela n’en fait pas pour autant des méchants, des criminels. Toute la charge du crime incombe à l’État ukrainien, pour lequel ils se battent. Il les trompe. Il leur insuffle de la haine envers leurs frères. Il vend leur vie pour l’argent de l’Occident. Aujourd’hui, la Russie ne se bat pas contre ces personnes, mais pour changer l’essence maligne de cet État.

Bien entendu, le pouvoir nazi à Kiev n’aurait pas pu émerger s’il n’y avait pas eu de nazis convaincus. Et il y en a – prenez ne serait-ce que le régiment Azov*. Et dans chaque cas, on pourrait retracer l’enchaînement des circonstances qui ont conduit une personne du côté du mal. Des circonstances qui expliquent ce choix, même si elles n’en annulent pas la responsabilité. Et qui montrent que si la vie avait tourné autrement, il n’y aurait pas eu un nazi, mais un simple ouvrier ukrainien, ami de la Russie.

Et si une personne est simplement arrêtée dans la rue et envoyée de force à Avdeevka, de quel choix pouvons-nous parler ? Et ce sont des centaines de milliers de personnes mobilisées qui n’avaient pas du tout l’intention de se battre, mais qui ne pouvaient pas s’enfuir à l’étranger ou payer. Et où pouvez-vous aller ? Vous avez peur de déserter. Vous avez peur de vous rendre. Il faut survivre au front, c’est-à-dire se battre contre ses frères. Y avait-il de tels hommes à bord de l’IL-76 ? Sans aucun doute. Et ils méritent notre pitié. Car ils auraient pu être avec nous si la vie avait été différente.

Il me semble que les personnes qui ont soutenu la Russie à ce tournant historique ne doivent pas faire les fières, et ici l’autocritique et la maîtrise de soi sont indispensables. Parfois, quelqu’un semble être de notre côté de toute son âme, mais est si enflammé qu’il semble avoir lui-même attrapé le virus de l’ukrainisme – il est sur le point de scotcher tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui aux arbres. Nous ne devrions pas nous vanter d’avoir été du bon côté. Nous devons remercier les circonstances de notre vie pour cela. Les bons livres que nous avons découverts à temps. Les bonnes personnes que nous avons rencontrées en chemin. Et ne pas penser que nous ne sommes pas comme ce type qui a été forcé de se battre pour les forces armées ukrainiennes ou qui répète sans réfléchir les mantras de la propagande ukrainienne.

Mais je suis convaincu que l’âge de l’inimitié ne sera pas long. Ceux qui disent que nous sommes ennemis pour cent ou mille ans se trompent. Tôt ou tard, la paix s’installera et les gens des deux côtés commenceront à se tendre la main, d’abord avec hésitation, puis avec de plus en plus d’assurance.

* Organisation(s) liquidée(s) ou activités interdites dans la Fédération de Russie