Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Guantanamo, la tache indélébile

La “gauche” atlantiste s’en est accommodée comme elle s’est accommodé du martyre d’Assange, elle a feint d’ignorer le massacre de civil dans le Donbass. Ces tâches sont indélébiles, la gauche, le monde de la culture (sic) a accepté indignation sur commande et subventions et elle a ignoré le fait que les salaires étaient de plus en plus sacrifiés aux promoteurs d’une telle idéologie. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

PAR ROY EIDELSONFacebook (en anglais seulementSur RedditMessagerie électronique

Source de la photographie : thisisbossi – CC BY-SA 2.0

Guantanamo : une tache durable

Le tristement célèbre centre de détention américain de Guantanamo Bay fête ses 22 ans ce mois-ci. Sa vilaine histoire s’étend maintenant sur toute une génération. Pour ceux qui ne s’en souviennent peut-être pas, le 11 janvier 2002, le général Richard Myers a décrit les premiers arrivants de Guantanamo comme « des gens qui rongeraient les conduites hydrauliques à l’arrière d’un C-17 pour le faire tomber » et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld est intervenu : « Être dans une cellule de huit par huit dans la belle et ensoleillée baie de Guantanamo, à Cuba, n’est pas inhumain. »

Depuis lors, 780 hommes et garçons musulmans y ont été détenus. 30 d’entre eux sont toujours emprisonnés aujourd’hui. Et malgré les affirmations répétées de l’administration Bush selon lesquelles seuls les « pires des pires » sont devenus des détenus de Guantanamo, nous savons maintenant qu’un pourcentage très élevé d’entre eux n’avaient aucun lien avec le terrorisme. Ils ont simplement été rassemblés par les forces locales en Afghanistan et au Pakistan, puis remis aux forces américaines en échange de primes importantes. En fait, pratiquement aucune des personnes amenées dans le camp de prisonniers de l’île – et soumises à des années de mauvais traitements et de détention – n’a jamais été inculpée ou jugée.

Au moment de l’ouverture de Guantanamo, quatre mois après les horribles attentats terroristes du 11 septembre 2001, il y avait déjà des signes clairs que la nouvelle « guerre contre le terrorisme » de notre gouvernement serait propulsée par une vengeance sans gants, avec peu de respect pour les droits de l’homme et un mépris ouvert pour le droit international. Il n’est donc pas surprenant que les détenus de Guantanamo aient rapidement été soumis à un isolement sévère, à la privation de sommeil, à la nudité forcée, à l’humiliation sexuelle et culturelle, à la cagoule, à des interrogatoires de 20 heures et à d’autres formes de mauvais traitements dégradants.

La décision fatidique et malavisée des dirigeants de l’American Psychological Association (APA) – la plus grande organisation de psychologues au monde – d’embrasser rapidement la soi-disant guerre contre le terrorisme n’était pas si facilement anticipée. Ils y ont apparemment vu une occasion de rehausser le profil de la profession et de rapprocher les psychologues du centre des opérations de sécurité nationale des États-Unis. Et peu de temps après, les psychologues étaient en première ligne à Guantanamo et ailleurs, contribuant à un plan systématique d’abus et de torture des détenus – tandis que pendant des années, la direction de l’APA a insisté, contrairement aux preuves, sur le fait que les psychologues aidaient à maintenir ces opérations « sûres, légales, éthiques et efficaces ».

Il a fallu une décennie de plaidoyer dévoué de la part de psychologues soi-disant « dissidents » (je me compte parmi eux), auxquels les dirigeants de l’APA se sont opposés à chaque tournant, pour finalement apporter des réformes éthiques significatives à l’organisation. Après un examen minutieux et indépendant de plusieurs mois, de nouvelles politiques ont été approuvées en 2015 qui interdisent désormais la participation des psychologues aux interrogatoires de sécurité nationale et imposent également des limites aux psychologues de Guantanamo – et dans des sites similaires qui violent le droit international relatif aux droits humains – afin qu’ils ne puissent travailler directement qu’au nom des détenus ou en tant que prestataires de soins de santé pour le personnel militaire.

Je raconte cette histoire troublante dans mon récent livre Doing Harm : How the World’s Largest Psychological Association Lost Its Way in the War on Terror (McGill-Queen’s University Press). Comme je le souligne ici, des ramifications troublantes persistent, tant pour l’APA que pour Guantanamo. Pour l’APA, la direction de l’organisation n’a pas pris de mesures qui démontreraient un engagement inébranlable envers l’éthique de ne pas nuire et une opposition ferme à la militarisation éthique de la profession. Prenons deux exemples.

Premièrement, l’APA a refusé de présenter des excuses officielles aux centaines de prisonniers qui ont subi de graves préjudices à Guantanamo (et ailleurs), tandis que les dirigeants de l’APA ont choisi de mettre en doute des rapports crédibles impliquant des psychologues dans leurs abus. Ces excuses auraient dû être présentées depuis longtemps. Tout aussi important, l’APA a apparemment également rejeté les recommandations visant à verser des contributions financières régulières à des organisations à but non lucratif axées sur la fourniture d’un soutien indispensable aux survivants de la torture et à leurs familles.

Deuxièmement, des psychologues militaires opérationnels influents – avec le soutien du ministère de la Défense, des sous-traitants de la défense et de certains dirigeants de l’APA – continuent de nier ou de déformer le bilan des abus à Guantanamo et les réponses profondément erronées de l’APA à ces abus. Néanmoins, l’APA a récemment approuvé un ensemble de lignes directrices de pratique professionnelle mal définies qui sont susceptibles d’élargir les rôles disponibles pour ces psychologues dans l’arène de la sécurité nationale – même si ces activités sont conçues pour se passer du consentement éclairé, pour infliger des préjudices et pour éviter la surveillance par des comités d’éthique externes.

Quant à Guantanamo, le camp de prisonniers reste ouvert. Il persiste comme une tache d’aujourd’hui, qui représente l’abîme moral dans lequel ce pays est tombé. En effet, après s’être rendu à Guantanamo l’année dernière, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme a déclaré que les conditions actuelles dans ce pays s’apparentent à « des traitements cruels, inhumains et dégradants continus » et pourraient également « atteindre le seuil légal de torture ». Pendant ce temps, les procès des comploteurs présumés des attentats du 11 septembre 2001 et la justice pour les familles des victimes du 11 septembre restent suspendus indéfiniment, contaminés par des preuves obtenues sous la torture.

Et nous voici maintenant, 22 ans plus tard. Malheureusement, il y a encore tant de choses à apprendre.

Remarque. Pour les lecteurs intéressés à enquêter plus en profondeur sur l’histoire tragique de Guantanamo et sur la « guerre contre le terrorisme » au sens large, j’offre humblement deux recommandations.

La première est la chronologie interactive « Torture, psychologie et guerre contre le terrorisme » que j’ai créée avec des collègues de la Coalition pour une psychologie éthique. Elle comprend de nombreux événements clés, avec des liens hypertextes, du 11 septembre 2001 à nos jours.

La deuxième recommandation est la liste suivante de livres et de films exceptionnels. Lorsque j’écrivais Doing Harm, j’ai trouvé que toutes les ressources ci-dessous (et bien d’autres aussi) étaient extrêmement précieuses.

Livres

*Spencer Ackerman, Règne de la terreur : comment l’ère du 11 septembre a déstabilisé l’Amérique et produit Trump (New York : Viking, 2021)

*Mansoor Adayfi, Don’t Forget Us Here : Lost and Found at Guantanamo (New York : Hachette Books, 2021)

* Moazzam Begg, Enemy Combatant : My Emprisonnement at Guantánamo, Bagram, and Kandahar (New York : New Press, 2007)

* Mark Fallon, Unjustifiable Means : The Inside Story of How the CIA, Pentagon, and US Government Conspired to Torture (New York : Regan Arts, 2017)

* Karen Greenberg, The Least Worst Place : Guantanamo’s First 100 Days (New York : Oxford University Press, 2009)

* Lisa Hajjar, La guerre devant les tribunaux : à l’intérieur de la longue lutte contre la torture (Oakland, Californie : University of California Press)

* David Hicks, Guantanamo : My Journey (North Sydney : Random House Australia, 2010)

Jane Mayer, The Dark Side : The Inside Story of How the War on Terror Turned into a War on American Ideals (New York : Doubleday, 2008)

* Steven H. Miles, Oath Betrayed : Torture, Medical Complicity, and the War on Terror (New York : Random House, 2006)

* Joshua E.S. Phillips, Aucun d’entre nous n’était comme ça avant : les soldats américains et la torture (New York : Verso, 2010)

* Philippe Sands, Torture Team : Rumsfeld’s Memo and the Betrayal of American Values (New York : Palgrave Macmillan, 2008)

*Cathy Scott-Clark et Adrian Levy, The Forever Prisoner (New York : Atlantic Monthly Press, 2022)

Larry Siems, The Torture Report : What the Documents Say About America’s Post-9/11 Torture Program (Le rapport sur la torture : ce que disent les documents sur le programme de torture de l’Amérique après le 11 septembre) (New York : OR Books, 2011)

* Mohamedou Ould Slahi, Guantanamo Diary (édition restaurée). (New York : Back Bay Books, 2017)

* Clive Stafford Smith, Eight O’Clock Ferry to the Windward Side (New York : Nation Books, 2007)

* Andy Worthington, The Guantanamo Files : The Stories of 774 Detainees in America’s Illegal Prison (Londres : Pluto Press, 2007)

Films et vidéos

* The Torture Question (2005), réalisé par Michael Kirk

* Taxi to the Dark Side (2007), réalisé par Alex Gibney

*Les Fantômes d’Abou Ghraib (2007), réalisé par Rory Kennedy

*Torturing Democracy (2008), produit par Washington Media Associates

*Doctors of the Dark Side (2013), réalisé par Martha Davis

*Témoin expert : Professionnels de la santé en première ligne contre la torture (2016), réalisé par Martha Davis

*The Report (2019), réalisé par Scott Z. Burns

*Eminent Monsters (2020), réalisé par Stephen Bennett

*The Mauritanian (2021), réalisé par Kevin Macdonald

*The Forever Prisoner (2021), réalisé par Alex Gibney

Roy Eidelson, Ph. D., est un ancien président de Psychologists for Social Responsibility, membre de la Coalition for an Ethical Psychology et l’auteur de Doing Harm : How the World’s Largest Psychological Association Lost Its Way in the War on Terror (à paraître en septembre 2023 aux Presses de l’Université McGill-Queen’s). Le site Web de Roy est http://www.royeidelson.com/ et il est sur Twitter à @royeidelson.

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2 Commentaires

  • Vincent
    Vincent

    Et les “prisons secrètes” de la CIA : Soyons fiers d’avoir les E.U comme modèle et suzerain !
    On peut se rappeler au bon souvenir de Gina Haspel qui gérait un site secret de la CIA en Thaïlande où la torture était pratiquée sans risques et certainement avec assiduité, pressentie par Trump pour prendre la tête de l’agence ;
    on peut aussi, au passage, se souvenir (ou non) que la CIA disposait de certaines de ces “prisons secrètes” pour pratiquer la torture en dehors du territoire -donc de la juridiction- US (l’acier des barreaux ne devait donc pas être “Made in USA”…) dans des pays tels que la Pologne ou l’Ukraine. Tiens donc!

    Je recommande également la lecture de cet article, qui a au moins le mérite de balancer quelques noms (avec une petite pensée émue pour le Prix Nobel de la Paix Obama…) :
    (John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et un ancien enquêteur principal de la commission sénatoriale des Affaires étrangères. John est devenu le sixième lanceur d’alerte inculpé par l’administration Obama en vertu de la loi sur l’espionnage (Espionage Act), qui vise à punir les espions. Il a purgé 23 mois de prison pour avoir tenté de s’opposer au programme de torture de l’administration Bush.)
    https://www.les-crises.fr/programme-de-torture-de-la-cia-john-kiriakou-fonctionnaire-americain-emprisonne-pour-l-avoir-denonce/

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  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Les activistes ont longtemps œuvré pour que rien ne change dans l’ordre ancien et mourant dont le premier coup sérieux qu’il allait recevoir provenait de la Révolution de 1917 génératrice d’une succession de luttes de libérations aussi bien nationales que sociales.

    Les fascismes des années 20 tentaient déjà de concurrencer le mouvement communiste dans l’âme des peuples, ils étaient obligés de se dire socialiste, syndicalistes de feindre d’être encore plus proche des travailleurs et du Peuple que les communistes accusant ses derniers de vouloir ruiner les nations par le désordre que la lutte des classe amènerait, en France ils sont “socialistes fascistes” avant de devenri le PPF, ils ne se présentaient pas comme le dernier rempart du capitalisme contesté à son stade impérialiste après le premier massacre mondial de millions de travailleurs mais comme les Sauveurs des Nations et des Peuples.

    Ces activistes ils ont tendance à oublier les camps Britanniques, ceux des plages chaudes d’Argelès, jusqu’à ceux très récents d’Abu Graïb et Guantanamo où sont appliquées les leçons du projet MK Ultra dont les cobayes étaient des citoyens américains qu’ils soient sains ou en souffrance psychiatrique. La science appliquée au contrôle des opposants, des indésirables par des médecins au service de la Liberté.

    Par contre ils retrouvent mémoire et même imagination quand il s’agit de critiquer le système pénitentiaire des ennemis, dans les Unes le Goulag occulte le Bagne.

    Dans les systèmes éducatifs sous contrôle de la gauche modérée et des fascistes adoucis cela donne en Espagne une jeunesse, déjà décrite pas notre regretté camarade Jean Ortiz, une jeunesse non pas amnésique mais ignorante dans un pays ou trop souvent les adultes qui savent se taisent tant la terreur a marqué les familles et les fonctionnaires d’État sous prétexte de réconciliation entretiennent l’oubli y compris quand il prétendent entretenir la mémoire non des faits historique mais seulement celle des morts, des héros, sans âme et surtout sans histoire, sans classe, sans ennemis de classe.

    Ici ce jeune Caminante Rojo dont les vidéos assez innocentes révèlent cependant partiellement ce qu’à été l’URSS mais aussi la Perestroïka et les résultats du coup d’État.

    Dans cet épisode il est question de Norilsk, une ville minière symbole témoin à la fois des exploits du socialisme, des capacités de l’Humain et des événements politiques ceux qui se disent comme ceux qui se taisent.

    Une part est consacrée à au Norillag, le goulag des premiers jours de la ville, ou plus exactement à son mémorial financé selon les informations de ce jeune par la Pologne, les Pays Baltes et Norilsk Nickel l’entreprise qui va naître de la privatisation du Kombinat Soviétique.

    Ce goulag est dépeint comme quelque chose de pénible, tragique et le défunt Staline est chargée de toute la culpabilité, sans jamais connaître les motifs invoqués de l’enfermement de ces prisonniers sauf dans un petit détail où une stèle est dédiée à des prisonniers japonnais qui ont péri dans ce cruel goulag. La stèle ne précise pas si ces japonnais étaient des touristes pacifistes tout comme les autres dont rien ne filtre sur leur vie d’avant le goulag.

    Au delà de ces faits particuliers c’est la tentative de négation purement idéologique de la lutte des classes dont presque aucun domaine de la pensée n’échappe mais surtout pas l’Histoire.

    Depuis l’horreur de la seconde guerre mondiale, les capitalistes n’ont cessé de travestir leur nature par de nombreuses théories et l’exploitation des recherches universitaires pour justifier le marché et le capitalisme, mais aussi en tentant de les dissocier.

    De mémoire, Fernand Braudel est un de ceux qui ont voulu séparer capitalisme et marché dans une période de guerre froide où il fallait convaincre de la possibilité d’une troisième voie: celle d’une cohabitation entre bourgeois et prolétaires, celle des cohabitations possible qui ont abouti à l’élection d’un serviteur de Vichy; cohabitation dans lesquelles nous persistons englués.

    Comment alors s’étonner que les “représentants de la gauche” soient si facilement au service de l’OTAN ? Les preuves à charge ne font que s’accumuler il serait peut être temps de corriger les erreurs du passé.

    Je reste persuadé que dans le mouvement communiste européen il y a plus d’erreurs que de trahison et que la faiblesse de la critique et de l’autocritique font partie des causes qui empêchent une stratégie claire.

    https://youtu.be/OP22LFihhI8?si=sfI1GZtl7lJ9qdSI

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