Au moment où le sens de l’histoire est impulsé par le parti communiste chinois, ce site sympathisant un peu gauchisant du communisme, de la mémoire soviétique et très admiratif de la Chine, sans être celui du KPRF, dit non sans naïveté cette référence omniprésente à la révolution bolchevique. Nous l’avions constaté avec Marianne bien au-delà des rangs de l’électorat communiste en interrogeant des inconnus sur les monuments consacrés à Lénine. La proposition de faire de la Russie une sorte de Mecque du communisme correspond déjà à des réalités touristiques, des musées spontanément créés y compris à Kazan et des circuits très prisés des touristes chinois en particulier et tout une production artisanale qui est en vente dans les aéroports et les boutiques moscovites. On retrouve sous la forme d’un culte domestique à côté des icônes parfois les mêmes références. Je vous conseille de revoir le film de Kontchalovsky, les Nuits blanches du facteur pour mesurer l’empreinte laissée… On croit souvent que Poutine l’entretient, son parti est tout aussi anticommuniste que la droite chez nous, mais il doit compter avec cet attachement des Russes, avec ce qui ne peut pas se dire en Russie sur le bilan réel pour le peuple de l’URSS, au point que le principal reproche adressé aux communistes est d’avoir eu des dirigeants comme Gorbatchev et Eltsine capables de détruire l’URSS. Ou encore d’accuser Lénine d’avoir en créant l’URSS, inventé des pays artificiels comme l’Ukraine. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
https://svpressa.ru/society/article/398099/
La récente et rapide dérive à droite en Russie est en train d’abandonner son héritage de gauche – la partie la plus importante et la plus connue de son histoire. Le Mausolée, drapé les jours fériés, est un symbole de cette honteuse auto-émasculation. Les gens sont perplexes, certains vitupèrent même, mais la position du centre fédéral reste une ligne de conduite pour les grands et petits patrons des régions. Depuis que l’anticommunisme règne à Moscou, ils continuent à s’attaquer avec délectation aux symboles et aux artefacts de l’idée de gauche. Celui qui le peut s’attaque immédiatement à Ilyich.
Le musée-réserve historique et culturel d’État Lénine-Kokouchkino, créé dans le village du même nom près de Kazan sur le site de la propriété du grand-père de Vladimir Lénine, Alexandre Blank, a été exclu de la liste des musées-réserves. Cette modification de la “Stratégie de préservation du patrimoine culturel de la République du Tatarstan pour 2017-2030” a été apportée par le gouvernement régional. C’est dans cette demeure seigneuriale que Lénine a, en quelque sorte, passé un an en exil après avoir été exclu de l’université de Kazan. Le début du chemin.
Cette histoire digne d’un révolutionnaire était autrefois l’un des piliers du patriotisme local. Tout au long du XXe siècle, les habitants de la Volga étaient fiers de leur compatriote. Ilyich, 17 ans, étudiant en première année, participe à un rassemblement d’étudiants. “Trois jours durant, Oulianov a été placé en détention préventive – dans la casemate de transit sous la forteresse, et le premier jour – même dans l’uniforme de prison. Il a ensuite été expulsé, non seulement de l’université, mais aussi de la ville ; le lieu d’exil a été assigné à Kokushkino”, est-il écrit dans le livre de la série ZhZL [Vie des Hommes Remarquables, NdT].
Sur la photo : c’est dans cette pièce qu’a vécu Vladimir Lénine, musée-réserve “Lénine-Kokouchkino”.
Aujourd’hui, de tels récits de la “vie d’un homme remarquable” ne suscitent apparemment que de l’irritation de la part des autorités. Elles ont donc décidé de mettre le musée de Kokushkino à l’index. L’abaissement du statut est un moyen direct de perdre l’exposition sous une forme ou une autre. Pas maintenant, mais plus tard. De plus, le site est fermé depuis plusieurs années – il est en cours de réparation après un incendie. Et il aurait pu brûler complètement. Ou bien cela suffit-il qu’il soit fermé ? Auparavant, le musée Lénine était une subdivision structurelle du musée national du Tatarstan. A-t-il été mal surveillé ? Pourquoi ?
Selon Olesya Baltusova, assistante du chef de la république, avant cet étrange incendie, les dirigeants du KPRF au Tatarstan étaient ses défenseurs les plus énergiques parmi les forces publiques de la région au sujet du musée. Ils ont rédigé des enquêtes et des rapports, ont participé à des réunions de travail des autorités, étaient fiers que la restauration du musée Lénine de Kazan, rue Oulianov, ait été entièrement réalisée et ont exigé que Rustam Minnikhanov continue à s’occuper de l’héritage du leader. Satanés communistes…
Mais ils défendent ainsi les intérêts mondiaux de la Russie. Outre le soutien de leurs “hauts lieux”, naturel dans le milieu progressiste, ils se soucient également de faire progresser leur idéologie – le musée-réserve Lénine-Kokouchkino faisait partie de la fameuse “route rouge” destinée aux touristes chinois. Des foules de citoyens du pays voisin facilement reconnaissables sous le drapeau rouge d’un guide touristique peuvent être trouvées ici et là sur les étendues de la Fédération de Russie. Ils se sont également promenés à Kokushkino, tant qu’il y avait un endroit où aller.
En Chine, comme vous le savez, c’est le parti communiste qui gouverne. Il a non seulement empêché les “Gorbatchev” chinois de briser le pays dans les années 1980, mais il l’a également amené au statut de superpuissance en l’espace d’une génération. La doctrine que Pékin a empruntée à l’URSS a incontestablement cimenté le pays pendant la marche triomphale du capitalisme vers la “fin de l’histoire”, pour devenir sensuite un stimulant, une source de développement. La Russie est le détenteur de la participation majoritaire de ce précieux “actif”. Il est insensé de la rejeter nous-mêmes. Lénine est le plus célèbre des Russes.
Notre pays pourrait facilement devenir une sorte de Mecque du communisme et intéresser ainsi le monde entier. Les touristes de l’Est et de l’Ouest viendraient de partout pour voir de leurs propres yeux les sanctuaires du premier État d’ouvriers et de paysans sur terre. La preuve en est l’incroyable popularité de la maison-musée de Staline à Gori. Demandez aux Géorgiens qui vivent là-bas… Le musée Lénine à Kokushkino, le complexe de Simbirsk-Ulyanovsk, Shushenskoye [en Sibérie, NdT], Gorki près de Moscou [où Lénine a passé ses derniers jours, à ne pas confondre avec la ville de Gorki, qui ne s’écrit pas pareil en russe, NdT], le Smolny, le croiseur Aurore – c’est une vraie mine d’or !
Les admirateurs de nos héros nationaux russes et soviétiques du XXe siècle, qui viennent de toutes parts pour communier dans les sanctuaires communistes, formeront un flux touristique permanent et incessant (comme les pèlerins du Hajj, mais tout au long de l’année), ce qui apportera une stabilité supplémentaire au budget russe. De plus, au fil du temps, cette mine d’or ne fera que se développer, s’étendre, s’améliorer, comme un vieux vin. Après tout, l’histoire est un bien qui n’a pas de durée de conservation.
Les succès économiques et technologiques de la Chine deviendront une publicité vivante pour ce type de tourisme. En achetant un smartphone ou une voiture fabriqués en Chine quelque part en Europe, en Afrique, en Asie ou en Amérique, les gens ne feront pas seulement l’éloge du bon fabricant des rives du Yangtze ou du Huanghe, mais se souviendront aussi du pays qui les a aidés, leur a donné un coup de main et les a littéralement fait entrer dans le courant dominant. Ainsi, le partenariat russo-chinois deviendra un facteur indirect mais puissant de notre réussite économique.
Mais il ne s’agit là que de l’aspect appliqué de la question. Plus importante encore est la perspective politique, voire géopolitique, que le développement de l’héritage révolutionnaire russe ouvre à la Russie. En partant dans leur pays d’origine, les pèlerins rouges deviendront les porteurs d’une image positive de notre pays, ils travailleront à sa réputation et à son image. Une armée forte dans la zone de SVO, c’est bien, mais cela ne ferait pas de mal de compléter l’effet époustouflant par des commentaires favorables de la part de personnes qui ont personnellement visité la Fédération de Russie. Se faire des amis est un travail long et laborieux, mais il porte ses fruits.
Aujourd’hui, alors qu’une coalition occidentale soudée de près de 50 pays agit contre la Russie, il est facile de voir qui est notre ami et qui est notre ennemi. Les anciens “frères” européens ont changé de couleur en un rien de temps, car ils n’ont jamais été réellement pro-soviétiques. Mais dans le reste du monde, Moscou est soutenu principalement par des pays de gauche : Nicaragua, Corée du Nord, Venezuela, Éthiopie, Cuba, etc. Nous les avons “largués” en dissolvant le bloc soviétique, mais ils sont toujours avec nous. D’ailleurs on ne sait pas très bien pourquoi. Pour ne pas devenir ce que les Russes sont aujourd’hui ?
L’autre jour, un tribunal de la République des Komis a libéré de prison un célèbre publiciste et politologue de gauche. Il l’a condamné à une amende au lieu des cinq ans demandés par le procureur. On prétend que tout cela est dû à Poutine, à qui, dit-on, les puissants amis du politologue, qui jouissent d’une grande réputation internationale, ont pu s’adresser. Peut-être. Mais la circonstance clé ici n’est pas le président, mais la réputation de l’accusé dans les cercles internationaux de gauche. La Russie est connue et aimée dans le monde entier comme un pays de gauche, et elle ne pourra pas devenir autre.
C’est pourquoi Dayan Jayatilleka, diplomate sri-lankais, s’est adressé à Vladimir Poutine lors du dernier forum de Valdai, notant à juste titre que le Kremlin tente aujourd’hui de surfer sur le thème de la lutte contre l’impérialisme, alors qu’en réalité ce sont les communistes de Lénine qui ont combattu le plus durement cette manifestation du capitalisme. Et cessez de vilipender la Grande Révolution d’Octobre. N’est-il pas temps de la réhabiliter ? Jayatilleka rappelle qu’en France, aux Etats-Unis ou en Chine, les révolutions ont un statut historique élevé.
Cependant, il est peu probable que cela change sérieusement l’attitude réelle du chef d’État en exercice à l’égard du dirigeant de la révolution d’octobre. Lénine n’est pas un homme d’État, mais un révolutionnaire, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Le message est clair. Dans sa hiérarchie personnelle, un homme d’État est une personne honorée. Un révolutionnaire, en revanche, est une subversion des fondements, presque un criminel. Le fait que Lénine soit le créateur (!) de l’URSS, et non un banal gestionnaire d’un système créé par quelqu’un d’autre, est une chose à laquelle les fonctionnaires d’État d’un ordre inférieur ne peuvent même pas penser.
Avec une telle attitude, le maximum que l’on puisse attendre est l’annulation de la rhétorique négative sur le passé rouge du pays, mais pas un changement de politique. La classe dirigeante russe n’en a pas besoin. Ce n’est pas pour cela qu’ils ont privatisé des éléments de la propriété nationale, qu’ils les ont défendus dans des querelles sanglantes, qu’ils ont changé les lois à leur convenance dans l’espoir de transférer en toute sécurité les actifs par héritage. Difficile d’imaginer que, volontairement, ayant fait amende honorable, ils renonceraient à tout cela. Le pouvoir, la propriété et la vie en Russie sont désormais indivisibles. Hélas !
Vues : 188