Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le “petit père” Loukachenko a doublé les impôts sur les riches, tout en rappelant les événements de la Grande Révolution d’Octobre

Un des thèmes favoris de la propagande occidentale serait le renforcement de l’unité de l’OTAN et de plus en plus identifié à cette alliance militaire dominée par les USA, une pseudo unité de l’UE. Mais outre le caractère fragile du consensus européen autour de l’UE, la montée des extrêmes droites et les divisions internes que cela produit partout, la crise de la démocratie, il faut voir que le mouvement vers l’unité s’accentue du côté russe. Non seulement dans un monde multipolaire dont la Russie apparait comme un facteur d’unité mais dans l’ex-URSS où ceux qui n’ont pas cédé aux révolutions de couleur, et même en voient les limites mesurent le caractère fallacieux des promesses non tenues et des guerres entretenues. Dans tous les cas le facteur essentiel de ce rapprochement demeure le passé soviétique et ce qui en a été conservé ce qui est le cas de la Biélorussie dont les performances économiques et culturelles sont saluées. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://svpressa.ru/economy/article/396542/

Par Sergueï Aksionov

La Russie et le Belarus se préparent à approuver un nouveau plan d’intégration pour les trois prochaines années. Ce plan a été discuté lors de la réunion du Conseil des ministres de l’État de l’Union, qui s’est tenue le 29 novembre à Moscou. Le document, préparé par le ministère du développement économique de la Fédération de Russie et le ministère de l’économie du Belarus, prévoit la mise en œuvre de pas moins de 120 tâches regroupées en 11 sections jusqu’en 2026.

Il s’agit d’une intégration purement économique, ce qui est tout à fait compréhensible. La proximité politique entre Moscou et Minsk est aujourd’hui presque absolue. Nous sommes dans la même tranchée. La SVO en Ukraine a rapproché nos pays plus que la Ligue nocturne de Hockey, où Poutine et Loukachenko, encadrés par des équipes d’officiels, se mesurent à coups de crosses et de palets.

Lorsqu’il n’y a pas de conflit politique, les affaires se font. Le plan d’intégration des trois dernières années a été presque entièrement réalisé. Jusqu’à 90 % des activités des 28 programmes d’union ont été mises en œuvre, s’est vanté Mikhail Mishustin. Il y a de quoi être fier. Pendant deux décennies, l’État de l’Union a été chancelant et instable, et maintenant l’ennemi commun, les sanctions, nous a forcés à bouger.

Le rapprochement se fera dans plusieurs directions à la fois. Il est prévu de lancer un système unifié de transport et d’énergie, de développer la coopération industrielle, la coopération en matière d’investissement, les systèmes de paiement nationaux, d’élaborer des règles communes en matière de concurrence, de garanties pour les entreprises et de protection des consommateurs.

Comme tout processus de convergence, l’interpénétration des deux parties de l’État de l’Union suivra inévitablement les lois de la physique politique. La Russie, plus massive, influencera le Belarus et commencera à le transformer en son image. Mais le Belarus (petit mais puissant) commencera également à changer le caractère de son “grand frère”. Là où Moscou a la quantité, Minsk a la qualité.

Ce petit État de six régions s’est fait connaître par son “atelier d’assemblage” pour toute l’URSS lorsqu’il était une république soviétique. La culture du travail, traditionnellement élevée, a fait du Belarus une plateforme appropriée pour le développement de l’industrie de haute technologie. L’idée et l’exécution étaient locales, les ventes se faisaient dans toute l’Union soviétique.

Aujourd’hui, rien n’a fondamentalement changé. Le caractère national est éternel. Le Belarus peut toujours être un atelier d’assemblage russe en cas de besoin. Mais Minsk a quelque chose de plus précieux pour Moscou : un exemple de la manière de traiter le potentiel et les ressources du pays, de les répartir et de les développer.

Alors que le caractère social de l’État n’a été que déclaré dans la constitution russe, Loukachenko a réussi à construire le pays, en fait, dans l’intérêt de la majorité. Les usines et les fermes d’État fonctionnent. Les salaires sont payés. Le fossé entre les différentes couches de la société est minime. Les routes sont belles. Les villes propres. Aucune migration. La criminalité est faible.

Oui, c’est un peu ennuyeux pour les citoyens politiquement actifs de vivre dans un tel pays. Ils attendent avec impatience le week-end pour se rendre à un rassemblement et crier “Lukashenko, dehors !”. Mais ils constituent l’écrasante minorité de toute société. Si on veut les satisfaire, c’est en deuxième lieu. D’abord du pain pour tous, puis des brioches pour quelques-uns.

La patrie comprend cela et agit en fonction du bon sens. D’où, d’ailleurs, ses problèmes politiques. L’intelligentsia libérale hurlante, habituée des cafés de Minsk, des barber shops et des hostels de Vilnius le week-end, veut avoir le pouvoir de voler les Bélarussiens avec leurs oligarques – comme c’était et c’est toujours le cas en Russie.

Et maintenant, les deux modèles vont commencer à s’interpénétrer. Il serait utile que Moscou tire parti de la situation et inculque les meilleures approches (et, surtout, éprouvées par la pratique et le temps) d’Alexandre Grigorievitch sur le sol russe. D’autant plus que notre propre politique économique libérale est complètement en faillite.

Avant le début de la SVO, on pouvait contester cette thèse. Mais les hostilités ont révélé la monstrueuse faiblesse de notre propre base industrielle. Il s’est avéré que le pays importait de l’étranger la quasi-totalité des biens de consommation et des composants nécessaires à la production, des clous à la microélectronique. Dans cette situation, il est ridicule de prétendre être une superpuissance.

Ce n’est pas le cas de “Batka” Lukashenko. Ayant instinctivement compris qu’il n’y avait pas d’autre issue pour la Biélorussie, qui n’est pas riche en ressources naturelles, il n’a pas autorisé la vente de la production soviétique à des particuliers, comme cela s’est fait en Russie (souvent pour la détruire afin d'”assainir” le marché). Les ouvriers en bleu de travail continuent d’aller au boulot. Et ils ramènent leur salaire à la maison.

MAZ, BelAZ, l’usine de tracteurs de Minsk, l’usine métallurgique du Belarus, Belshina [pneus], Gomselmash [machines agricoles], Belaruskali [engrais], les raffineries de pétrole de Novopolotsk et de Mozyr, l’usine de remorques de Minsk (châssis pour Iskanders !), Belkommunmash, ATLANT, Gefest, BelWest, Lidskoye, etc. Toutes ces productions fonctionnent, elles sont bien connues des Russes.

Le résultat de l’intégration devrait être l’émergence en Russie d’un ensemble similaire d’installations de production, dont la simple énumération démontrera de manière convaincante que le pays produit tout par lui-même et ne dépend de personne.

Le résultat final ne sera peut-être pas aussi brillant que les meilleurs échantillons mondiaux, mais il fonctionnera, sera peu coûteux et, surtout, il sera à nous.

Les pratiques industrielles prudentes du Belarus devraient être prises comme modèle. La renaissance et le développement des anciennes installations de production et la construction à partir de zéro de nouvelles installations du même type (bien que sans la société mère à Londres) finiront par faire de la Russie un pôle technologique indépendant. C’est ce à quoi nous aspirons, n’est-ce pas ? Sinon, nous serons écrasés…

Mais aucune révolution industrielle n’est possible sans une solution équitable à la question de la propriété. Il ne suffit pas de déployer la production, il faut la protéger de manière fiable contre les propriétaires peu scrupuleux.

L’État et les collectifs de travail doivent devenir les propriétaires de l’industrie nationale. Et ne pas accepter des escrocs qui vivent leur vie en Europe.

Et pour que ce soit clair pour tout le monde, il serait bon de commencer la reprivatisation (sic). Non seulement comme un pas vers le rétablissement de la justice, en jetant des bases solides pour la prospérité future du pays, mais surtout comme un acte politique.

Un geste qui montrerait de manière convaincante aux gros bonnets et au peuple où le pays a évolué.

Rappelons que c’est sur la base de la politique, et non de la vulgaire économie, que Tchoubais a justifié sa privatisation à l’époque.

Les réformateurs, a-t-il avoué, voulaient retirer le pouvoir aux directeurs rouges en les privant de la possibilité de disposer des biens. Tchoubaïs s’est sauvé, et il est maintenant temps de tout remettre en place. Resserrons les liens avec le Belarus.

Loukachenko n’a pas besoin de reprivatiser quoi que ce soit, car il n’a jamais rien dénationalisé. Et dans les années qui ont suivi, lorsqu’on lui a proposé une telle chose, il est resté fermement sur sa position de ne rien céder des biens du peuple.

C’est le désir des oligarques russes d’acheter les meilleurs actifs du Belarus qui a été à l’origine du retard et de l’atermoiement de Minsk en matière d’intégration.

Après avoir ponctionné les oligarques, il serait bon de faire un geste en faveur des gens ordinaires – en révisant le mécanisme de paiement des impôts au Trésor.

Oui, il s’agit du fameux barème progressif d’imposition des personnes physiques, pour lequel la gauche plaident depuis vingt ans. Poutine a fait un effort une fois, il a relevé la barre des millionnaires de 2 %, mais c’est tout.

Ce n’est pas le cas de Loukachenko. Hier encore, le parlement biélorusse a adopté en dernière lecture la loi sur les changements fiscaux pour l’année prochaine.

Le taux d’imposition des citoyens dont les revenus sont supérieurs à 200 000 Br (5,7 millions de roubles russes) va presque doubler, passant de 13 à 25 %. Un vrai radical, contrairement à d’autres.

Ce ne serait pas dommage pour la Russie, qui s’intègre à la Biélorussie, de suivre la voie tracée par le Batka. Plus encore, elle devrait “mettre les bouchées doubles”. Non seulement pour forcer ses citoyens riches à partager avec la société à un taux plus élevé, mais aussi pour exempter les pauvres (et nous en avons encore 20 millions) de paiements. Que ce soit Loukachenko qui rattrape Poutine, et non l’inverse.

Il est vrai qu’à cette fin, le président russe devra intégrer ses opinions politiques à la position de Batka. Devenir un peu socialiste.

“Plus de cent ans se sont écoulés depuis les événements de la Grande Révolution d’Octobre, et ses idéaux sont toujours d’actualité et significatifs”, a déclaré le dirigeant biélorusse en félicitant ses compatriotes le 7 novembre. Je me demande ce qu’en pense le Kremlin ?

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2 Commentaires

  • sun tzu
    sun tzu

    Bonjour
    Trés intéressant mais le terme de REPRIVATISATION est malheureux
    c’est un contre sens

    Répondre
  • Marianne
    Marianne

    Oui, j’aurais pu traduire “deprivatisation” mais dans l’original c’est bien le mot “reprivatisation” qui est employé et ce n’est pas une coquille.
    J’imagine que le sens doit être “réappropriation”.
    Il est possible aussi que les auteurs se méfient du terme “nationalistion” dont le contenu n’est pas toujours clair.

    Répondre

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