Je suis assez partagée face à cet article de l’agence de presse cubaine qui à juste raison témoigne des liens entre le racisme anti-indigène, anti-noir qui unit une bourgeoisie parfois métisse à la CIA et à ses coups d’Etat, c’est vrai en Bolivie, en Equateur, au Mexique et dans la quasi totalité du continent et ça s’accompagne de recours à des méthodes de tortionnaires nazis pour détruire et humilier. Mais l’article ne dit rien de l’expérience fondatrice de Jacobo Árbenz Guzmán (14 septembre 1913 – 27 janvier 1971) qui fut président du Guatemala de 1951 à 1954, lorsqu’il fut renversé par un coup d’État organisé par la CIA, et fut remplacé par une junte militaire, dirigée par le colonel Carlos Castillo Armas, plongeant le pays dans une longue période de violente instabilité politique qui culminera avec la guerre civile de 1960 à 1996. Selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, la chute d’Árbenz « marqua au fer rouge l’histoire postérieure du pays. » La CIA a su utiliser la difficile unification du pays où les communautés indigènes sont séparées y compris sur le plan linguistique en isolats et dont les chefs sont y compris sollicités pour ne pas intervenir en faveur des progressistes et permettre l’élection du candidat de la CIA. Ces contradictions sont de celles que Cuba a affrontées en favorisant des “pactes” sur le mode de celui de ses grands dirigeants avant même les frères Castro, sur le thème de nuestra America, mais les Etats-Unis utilisent aussi la misère pour créer des oppositions. Le fait est que le basculement historique actuel hérisse toutes les contradictions et que les Révolutionnaires ne peuvent pas les nier, ils doivent les affronter et le socialisme est le contexte qui sans les supprimer crée un possible chemin vers l’unité. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoire et société)
Articles d’opinion, commentaires et analyses de prensa latina l’agence de presse cubaine.
Vendredi, Novembre 24, 2023
Qu’est-il arrivé à la « révolution maya » au Guatemala ?
Le Guatemala est une puissance continentale en raison de sa mégadiversité culturelle. Sur son territoire de 108 000 kilomètres carrés, en quelques minutes, les visiteurs trouveront une diversité de langues, de vêtements, de sols écologiques, etc. Selon le dernier recensement national (2018), dont l’État lui-même n’a pas voulu reconnaître publiquement les résultats, environ 44 % de la population s’identifie comme autochtone.
Historiquement et constitutivement, l’État bicentenaire du Guatemala (toutes ses institutions) est raciste ou ethnophage. Dans ce pays d’Amérique centrale, pour être reconnu comme guatémaltèque, en effet, l’indigène est obligé de renoncer ou de mourir à son identité autochtone et d’assumer l’identité nationale métisse. Cela se fait par le biais du processus éducatif, religieux, culturel et économique, entre autres. Il est impossible pour un autochtone de devenir un citoyen à part entière (d’élire, d’être élu et d’exercer une fonction publique avec identité) dans la République du Guatemala, qui a connu le bicentenaire. L’aspiration ultime est d’être autochtone « autorisé », soit par la professionnalisation, soit par le soutien de la coopération internationale.
« Octobre maya » : Y a-t-il eu une révolution ?
À la suite de la grève nationale illimitée qu’a connue le pays, à l’appel d’organisations indigènes (48 cantons de Totonicapán et le bureau du maire indigène de Sololá), et bien acceptée par la population agacée par la corruption dans la gestion publique, dans le récit et dans les réseaux socio-numériques, il a été dit que « le Guatemala vivait une révolution maya ». « Un nouveau printemps révolutionnaire », a déclaré le président élu Bernardo Arévalo.
Le terme révolution signifie fondamentalement « changement profond » d’une réalité structurelle. C’est une action collective qui conduit à un changement profond de l’établi. En ce sens, il n’y a pas eu de révolution au Guatemala. Encore moins une révolution maya qui change les conditions de colonisation interne dans laquelle subsistent les aborigènes. Les deux seules « révolutions » historiques (1872 et 1944) au Guatemala ont été des processus libéraux visant à dépouiller les peuples indigènes de leurs biens et à les donner aux métis, aux criollos et aux immigrants d’Europe du Nord.
Quel était le but de « l’octobre maya » ?
L’un des maux constitutifs de l’État-nation raciste et ethnophagique bicentenaire du Guatemala est que cette république créole ne peut subsister sans déposséder, dépouiller et exploiter les aborigènes et leurs biens communs. Au Guatemala, pour être guatémaltèques, les Mayas doivent renier leur être maya. Et même ainsi, ils ne sont pas admis en tant que citoyens. Cette réalité maléfique ou perverse a-t-elle changé au Guatemala avec l’Octobre maya ? Non.
Au contraire, le racisme normalisé, au cours de ces trois semaines de grève illimitée, a été socialement applaudi lorsque les « citoyens solidaires » ont donné de la nourriture, des boissons, des manteaux aux indigènes pauvres qui bloquaient les routes pour défendre la démocratie ladinaraciste et à l’État créole, une source de main-d’œuvre pour les classes moyennes. Et d’empêcher la « disparition » complète de ces deux institutions, résultat de leur entropie constitutive telle que la corruption, une bagarre interne entre leurs factions corrompues.
L’objectif de « l’Octobre Maya » était de renforcer le mal qui a fait et continue de faire tant de mal aux peuples aborigènes : l’État-nation raciste et sa démocratie libérale corrompue qui ne permet pas aux peuples indigènes d’être le gouvernement. Peut-être s’agissait-il d’une « révolution » pour les métis et les criollos, qui continueront à subsister du colonialisme interne que l’État impose aux peuples indigènes, cette fois-ci, sous le commandement des autres patrons.
Quel est l’objectif immédiat et permanent des peuples autochtones du Guatemala ?
Mes voisins aborigènes mayas, dans la communauté où je vis, trouvent de moins en moins de terres à louer et à cultiver du maïs chaque année qui passe. Huit ou neuf enfants sur 10 souffrent de malnutrition. Les enfants ne vont pas à l’école, ils vont aux États-Unis comme. Le salaire journalier payé par le propriétaire (Q.45) n’est pas suffisant pour les trois fois de son repas (Q.75).
Face à cette réalité, dès 1989, l’Organisation internationale du travail a obtenu que les droits collectifs des peuples soient obligatoires par le biais de la Convention 169. Il établit le droit à la terre et au territoire, le droit à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination, le droit au consentement préalable (afin que le système néolibéral ne continue pas à piller les territoires). Mais, rien de tout cela n’a été mentionné pendant « l’octobre maya », ni avant. Apparemment, il y avait de la « mauvaise foi » envers le peuple de la part de ceux qui, dans les faits et dans les histoires, ont concocté ce « mouvement d’octobre maya ». Alors que les aborigènes appauvris bloquaient les routes pendant des semaines, pour s’appauvrir encore, pour défendre la démocratie patronale, le racisme, la dépossession territoriale, les procédures judiciaires contre les peuples indigènes… Ils ont continué et se poursuivront.
Les approches « disruptives », telles que la plurinationalité, l’État plurinational, l’autodétermination politique et territoriale, etc., qui ont gagné en place ces dernières années dans le récit des secteurs indigènes et dans l’agitation culturelle des acteurs progressistes de la classe moyenne, comme « l’horizon » émancipateur indigène, ont reculé ou disparu momentanément grâce à « l’Octobre maya ». Même les « intellectuels et activistes mayas » qui ont écrit des articles ou géré des financements avec l’histoire de la « plurinationalité » ont reculé (dans leur histoire) dans cette fièvre émotionnelle de « l’octobre maya ». Que nous est-il arrivé ? L’avenir nous le dira.
L’hégémonie des États-Unis et de l’USAID sur le leadership autochtone et Bernardo Arévalo
Selon l’ambassade des États-Unis, l’USAID, Bernardo Arévalo et les députés du parti Semilla, l’interdépendance entre ces acteurs au Guatemala est publique. L’USAID a financé et finance les 48 cantons et de nombreuses autres organisations ancestrales autonomes avec des projets de « développement », c’est ce qui est publié. À tel point que cette entité n’a aucun scrupule à orner ses événements officiels de logos d’ONG financées par les États-Unis.
Mais le besoin qu’ont l’USAID et les États-Unis de couleurs, de cannes, de costumes indigènes, de langues indigènes, etc., pour se légitimer et se maintenir au Guatemala, un pays où tant de dommages ont été causés et sont causés pendant le centenaire de la doctrine Monroe, est également public. Peut-être à cause de cette interdépendance mutuelle « presque existentielle », les 48 cantons sont sortis indemnes de toutes les « guerres » et de tous les conflits créés par les États-Unis, et cela n’est pas dénoncé publiquement ou démasqué dans les récits indigènes ou les manifestations au Guatemala. Quelqu’un a-t-il entendu ou lu une dénonciation ou une protestation contre la présence des États-Unis au Guatemala lors d’une grève indigène ? Apparemment, le colonisateur ne peut pas se passer des cannes du colonisé.
Pour qu’il y ait hégémonie d’un pouvoir sur un acteur subalterne, il faut qu’il y ait un consentement culturel et spirituel de la part du subalterne. Et à première vue, c’est ce qui se passe dans le pays, contrairement à la colonie espagnole. La présence des gringos n’est pas seulement requise, défendue, mais aussi nécessaire pour « arbitrer » les conflits de gouvernance. Et, quand les colonisés ont besoin du colonisateur pour exister, nous sommes confrontés à une maladie chronique, et une psychiatrie collective est urgente.
Arévalo et Semilla sont connus, à travers leurs selfies, pour leur dépendance excessive vis-à-vis des États-Unis pour se légitimer en tant qu’acteur politique qualifié au Guatemala et pour faire prévaloir leur triomphe électoral. De même que l’hégémonie nord-américaine, pour repousser la plurinationalité comme agenda politique des peuples, a légitimé et renforcé un sujet culturel et social indigène (comme les 48 cantons et les ancestraux), elle a aussi créé et se bat pour légitimer son sujet politique (pour éviter les « révoltes plurinationales » dans son arrière-cour), et ce sujet est Arévalo/Semilla.
Ce qui est inquiétant, désormais, c’est la capacité culturelle qu’auront ces acteurs à rester dans l’écume médiatique, et dans le sens commun du pays, en tant qu’acteurs légitimes, malgré leur appartenance procoloniale. Comment Semilla expliquera-t-il la falsification des cinq mille signatures (pour exister en tant que parti) qu’Arévalo lui-même a acceptées et imputées aux personnes qu’ils ont embauchées ? Comment les autorités indigènes expliqueront-elles que la grève ou la lutte qu’elles mènent, loin d’affaiblir les patrons, a pour but de renforcer le fouet des patrons qui lapide les peuples ? Comment expliqueront-ils leur interdépendance publique avec les intérêts américains ?
Il est vrai que la « stratégie culturelle » des médias américains pour le Guatemala envisageait la création ou le renforcement des médias numériques « alternatifs » qui se sont développés avec le phénomène de la révolution maya en octobre dernier. Mais, au-delà de l’aspect financier, ces médias émergents sont confrontés à l’hégémonie des grands médias en place (qui ne sont pas nécessairement obéissants à Washington). À cela s’ajoute le racisme culturel qui habite et façonne les promoteurs de ces médias numériques.
RMH/OI
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