Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les éducateurs sud-coréens veulent donner une leçon aux parents

Les enseignant·e·s coréen·ne·s descendent dans la rue au milieu d’une vague de suicides d’éducateur·trice·s en raison de conflits avec les élèves et leurs parents. Il ne s’agit pas seulement de la Corée du Sud, même si les aspects concurrentiels et “l’opportunisme” des divers gouvernements semblent ici encore plus exaspérés qu’ailleurs c’est un mal beaucoup plus général des sociétés individualistes, capitalistes et dont la “démocratie” se limite à des propagandes électoralistes entre factions sans autres projets et différences que des affrontements sur les “moeurs”. Chaque societe est confronté à la destruction d’un système traditionnel basé sur les rites de respect et une promotion limitée mais réelle des “meilleurs” par l’école à la bête sauvage du renforcement des inégalités, la mise en coupe réglée du service public, un blocage de la promotion, bref un capitalisme de plus en plus fermé, oligarchique, avec une absence de perspective de développement scientifique et technique. L’éducation doit être pensée dans un temps long avec un projet collectif dans lequel la prise en considération des capacités de l’élève et la pédagogie conçue comme un échange prend tout son sens. A ce titre là je sais par expérience que c’est une des professions les plus gratifiantes. Là aussi partout on n’évitera pas la question du socialisme. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

18 NOVEMBRE 2023

Des enseignant·e·s organisent des manifestations de masse en Corée, le 4 septembre 2023. Image : Reuters via EAF

En 2011, l’ancien président des États-Unis, Barack Obama, a fait l’éloge du système éducatif sud-coréen, où les enseignants sont considérés comme des « bâtisseurs de la nation ». Inspirés par l’engagement louable et la qualité des éducateurs en Corée du Sud, ces éloges ont captivé de nombreuses personnes dans le pays.

Mais une décennie plus tard, le paysage est très différent. Des milliers d’enseignant·e·s se sont rassemblé·e·s contre le gouvernement sud-coréen à la suite de la mort tragique d’une jeune enseignant·e en juillet 2023.

Récemment nommée dans une école primaire d’un quartier aisé de Séoul, la défunte enseignante s’est retrouvée prise au piège d’une situation pénible impliquant un parent l’accusant de maltraitance d’enfant. Plusieurs enseignants à travers le pays se sont enlevé la vie en raison de conflits avec les élèves et leurs parents.

À la suite de ces incidents, les enseignant·e·s de tout le pays se sont unis. Contrairement aux manifestations passées, qui étaient souvent orchestrées par des associations d’enseignants ou des syndicats, ces manifestations ont vu de nombreux enseignants participer volontairement, partager des informations et se réunir régulièrement. Leurs revendications portaient sur une protection accrue sur leurs lieux de travail.

Ils ont réclamé des modifications à la Loi sur la protection de l’enfance et la possibilité de discipliner les élèves sans craindre d’être accusés de maltraitance d’enfants. Environ un mois après la mort de l’enseignante, le ministère de l’Éducation a publié une série de propositions d’amendements législatifs pour aider à apaiser les inquiétudes des enseignants.

La législature promulgue également rapidement des réformes juridiques afin d’établir une meilleure base pour que les enseignants puissent éduquer leurs élèves avec la certitude qu’ils seront protégés en cas de litige.

En septembre 2023, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité des amendements législatifs qui comprenaient des dispositions qui restreignent le licenciement d’enseignant·e·s sans motif justifiable en cas d’allégations d’abus. Il prévoyait également des mesures permettant aux parents qui interfèrent avec les activités éducatives de recevoir une formation spéciale, avec des amendes imposées s’ils ne s’y conforment pas.

Pourtant, les enseignant·e·s continuent d’exiger des mesures de protection plus concrètes, telles que la possibilité de porter plainte contre les parents si leur signalement de maltraitance d’enfant aboutit à un acquittement.

Mais ce qui importe le plus, c’est d’examiner les causes sous-jacentes qui ont poussé les « bâtisseurs de la nation » de la Corée du Sud à s’engager dans ce mouvement. Cette crise résulte de l’affrontement de longue date entre les droits des enseignant·e·s à éduquer et à discipliner, les droits des étudiant·e·s et les droits des parents à protéger leurs enfants. Face à ce dilemme, les enseignant·e·s sont sortis moins bien lotis.

Au cours des 15 dernières années, la confiance du public dans le système éducatif du pays a diminué et l’enseignement privé est devenu de plus en plus populaire.

Alors que les parents cherchent à donner à leurs enfants un avantage dans une culture éducative déjà compétitive, l’éducation a été transformée en un service banalisé. Les enseignants sont devenus des prestataires de services et sont même soumis à des évaluations de la part des élèves et des parents.

Les parents qui n’élèvent généralement qu’un ou deux enfants et qui, par conséquent, ont tendance à surprotéger leurs enfants, devenant extrêmement inquiets s’ils estiment que leur enfant a été traité injustement par les enseignants.

La mauvaise qualité de l’enseignement et les pratiques contraires à l’éthique, en particulier dans les écoles publiques, expliquent en partie la baisse de confiance du public.

L’augmentation rapide du nombre d’enseignants pendant le boom de l’éducation qui a suivi la guerre de Corée a entraîné un afflux d’instructeurs non qualifiés, dont certains se sont livrés à des pratiques abusives. Les élèves qui en ont fait l’expérience sont maintenant devenus parents.

C’est peut-être à cause de ces souvenirs que le respect dû aux enseignants sur la base des idées confucéennes a perdu son terrain.

L’objectif final de l’éducation est généralement l’admission dans des universités prestigieuses. Dans un système éducatif de plus en plus stratifié et une hiérarchie de l’enseignement supérieur axée sur le prestige, les élèves et les parents sont tentés de minimiser l’importance d’une expérience d’apprentissage holistique aux niveaux primaire et secondaire.

Dans ce contexte, les enseignant·e·s sont de plus en plus perçu·e·s non pas comme des éducateurs, mais comme des correcteurs, instrumentalisé·e·s au sein d’un système éducatif public orienté vers l’admission à l’université.

Mais parce que le gouvernement s’est empressé de répondre aux préoccupations des enseignant·e·s mécontent·e·s, peu de ses propositions abordent ces questions fondamentales ou réfléchissent à la manière de rétablir la confiance du public dans le système éducatif.

Pour rétablir la confiance sociale, le gouvernement devrait formuler et mettre en œuvre un processus et un cadre complets de recherche de consensus. Contrairement à d’autres secteurs axés sur les services, l’éducation exige une perspective longitudinale, où la culture des connaissances et des valeurs est un processus graduel.

Mais la Corée du Sud s’est montrée encline à modifier fréquemment sa politique éducative, qui reflète souvent les tendances politiques dominantes, ce qui a contribué à affaiblir la confiance du public.

Une approche plus durable nécessitera une réévaluation de la culture omniprésente de concurrence intense dans le système éducatif et un effort concerté pour raviver la confiance entre les éducateurs, les parents et les élèves.

Il est essentiel de reconnaître que l’éducation, en particulier en Asie de l’Est, transcende les limites des accords contractuels formels formulés dans des cadres juridiques ou réglementaires.

L’objectif premier de l’enseignement scolaire ne devrait pas être uniquement de faciliter l’entrée dans des universités prestigieuses, mais cette perspective justifie un changement significatif dans la conscience collective de la société sud-coréenne.

Kyuseok Kim (Mick) et Eunyoung Shin sont doctorants au département d’éducation de l’Université de Corée.

Cet article a été publié à l’origine par East Asia Forum et est republié sous une licence Creative Commons.

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1 Commentaire

  • Thierry
    Thierry

    Bonjour,
    Je suis toujours surpris que des personnes comme vous, honnêtes, intègres et disposant d’un vif sens critique puissent adopter aussi facilement la langue “inclusive” si caractéristique du néolibéralisme.

    Répondre

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