Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le jour où António Guterres est devenu pertinent

27 OCTOBRE 2023

La thèse que je défends est que nous sommes déjà dans un autre monde, que celui de l’hégémonie nord américaine est terminé. Pourtant “les maitres du monde”, ceux qui se croient tout permis parce que le “parrain” USA leur tolère tout comme il se permet lui-même à peu près tout, le dollar militarisé, les expéditions punitives, les blocus, une propagande digne de l’inquisition avec la satanisation de l’adversaire, ne veulent pas voir cette réalité qui est celle d’un monde multipolaire. Ce monde multipolaire est traversé d’influences hétérogènes, celles de nations dont les ressources sont pillées, de luttes de pouvoir, mais sous la pression de luttes des classes. L’effondrement de l’empire étasunien se fait dans un contexte où son pouvoir de nuisance demeurant fort, les coalisés derrière les USA l’identifient encore au “droit”. Le personnel des institutions internationales doit leur obéir et selon la méthode habituelle déshistoriciser les faits, mais l’ONU n’a pas exactement répondu au diktat. L’indignation ressemble à celle des mafieux, qui n’auraient plus le tribunal convenu à leurs ordres, cela dit le décalage entre cette prétention et la réalité. Si les peuples ne sont plus d’accord il faut changer le peuple, comme un vulgaire secrétaire général de l’ONU. Y compris de la part d’institutions et de personnels prévus pour l’ordre antérieur. (note et traduction de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

PAR BINOY KAMPMARK

Le jour où António Guterres est devenu pertinent

La pertinence accordée à un secrétaire général de l’ONU est souvent jugée par le degré de controverse provoqué. Dans l’histoire, les plus pertinents sont généralement ciblés. Dag Hammarskjöld, refusant de rester une simple babiole de fonction internationale, a presque certainement été assassiné pour son intervention dans la guerre civile du Congo en 1961. Les moins pertinents (qui était ce gentil petit gars, Ban Ki-Moon ?) ont à peine enregistré une note de dissidence. Les grandes puissances aiment savoir qu’elles peuvent rendre de tels marionnette impuissantes, voire insignifiantes.

C’est pourquoi il était rafraîchissant de voir l’occupant actuel de ce poste faire la remarque peu surprenante que les attaques atroces du 7 octobre organisées par le Hamas et le Jihad islamique sur le sol israélien ne pouvaient pas être considérées comme des actes isolés d’indignation individuelle et non provoquée. António Guterres a également pris soin de noter qu’il n’y avait « rien » qui puisse « justifier le meurtre, la blessure et l’enlèvement délibérés de civils, ou le lancement de roquettes contre des cibles civiles ».

António Guterres a également noté qu’il était « important de reconnaître que les attaques du Hamas n’ont pas eu lieu dans le vide ». Les Palestiniens ont « été soumis à 56 ans d’occupation étouffante. Ils ont vu leurs terres constamment dévorées par les colonies et en proie à la violence ; leur économie étouffée ; leurs habitants déplacés et leurs maisons démolies ».

Si les attaques du Hamas ne pouvaient pas être justifiées pour répondre à de tels griefs, elles ne pouvaient pas non plus être utilisées comme prétexte pour « justifier la punition collective du peuple palestinien ». Même la guerre, expliqua-t-il à ses collègues, avait des règles.

Le Secrétaire général a également réitéré le principe de la protection des civils pendant les conflits armés. Cela interdit de les utiliser comme boucliers humains et d’ordonner « à plus d’un million de personnes d’évacuer le sud, où il n’y a pas d’abri, pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments et pas de carburant, puis de continuer à bombarder le sud lui-même ».

De tels commentaires n’ont pas été bien accueillis par le ministre israélien des Affaires étrangères. Les intimidateurs des relations internationales sont toujours facilement méprisés. Et c’est ainsi qu’Eli Cohen s’étonnait et se demandait dans quel monde vivait le secrétaire général. « Décidément, ce n’est pas notre monde. »

Le ministre des Affaires étrangères israélien a dit assez clairement de quel genre de monde il s’agissait. « Je ne rencontrerai pas le secrétaire général de l’ONU. Après le massacre du 7 octobre, il n’y a pas de place pour une approche équilibrée. Le Hamas doit être rayé de la surface de la planète.

Gilad Erdan, l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, s’est exprimé indigné, allant jusqu’à exiger la démission d’António Guterres. « Un Secrétaire général qui ne comprend pas que le meurtre d’innocents ne peut jamais être admis par quelque ‘contexte’ que ce soit ne peut pas être Secrétaire général. » D’un ton désinvolte, il a suggéré que le chef de l’ONU avait « exprimé sa compréhension pour le terrorisme et le meurtre ».

Sur la radio de l’armée, Erdan a également annoncé qu’Israël refuserait « de délivrer des visas aux représentants de l’ONU. Nous avons déjà refusé un visa au sous-secrétaire général aux affaires humanitaires, Martin Griffiths. Le temps est venu de leur donner une leçon ».

Comme toujours, le raisonnement d’Erdan a confondu explication et justification, mais dans ce monde, l’explication nuancée souffle et s’essouffle dans une résignation fatiguée, laissant la justification meurtrière prendre la première place.

Les commentaires d’António Guterres interviennent également à la lumière de l’état opérationnel périlleux de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). L’agence humanitaire a été privée de ressources et sera contrainte de cesser de fournir des soins hospitaliers, en grande partie à cause du blocus israélien sur le carburant. « Les stocks actuels sont presque complètement épuisés », indique l’agence dans son rapport de situation du 26 octobre, « ce qui oblige les services vitaux à s’arrêter. Cela comprend l’approvisionnement en eau courante ainsi que du carburant pour le secteur de la santé, les boulangeries et les générateurs. Le personnel a également subi une terrible catastrophe : 39 personnes ont été tuées depuis le 7 octobre ».

En ce qui concerne les attaques contre sa propre intégrité, António Guterres s’est montré combatif. « Je suis choqué par les fausses interprétations de certaines de mes déclarations (…) comme si je justifiais les actes de terreur du Hamas. C’est faux. C’était le contraire ».

La séance de remue-méninges lors des réunions Netanyahou-Tsahal a dû être simple : déshistoriciser le conflit, d’abord et avant tout ; assimiler le Hamas à une organisation monstrueuse équivalente, en l’occurrence l’EI ; puis, pour s’en assurer, utiliser le nazisme et l’Holocauste comme motifs recyclables.

En cours de route, les pertes massives palestiniennes, dont beaucoup d’enfants (2 360 morts en trois semaines), peuvent être excusées en pointant du doigt le Hamas, parce que ce ne sont pas des avions et des armes israéliens qui tuent, mais la politique d’une organisation terroriste. Et d’ailleurs, Israël le fait, comme Cohen l’affirme, pour « le monde civilisé ».

La stratégie israélienne ici est d’excuser l’inexcusable : la déchirure collective et massive d’un peuple. En cela, ils ne font que perpétuer les crimes tragiques qui ont été infligés, non seulement aux Juifs, mais à toute ethnie ou groupe dans l’histoire. L’homme d’État whig Edmund Burke a dit qu’il ne connaissait pas « la méthode de dresser un acte d’accusation contre tout un peuple ». Malheureusement, dans ce conflit, cet acte d’accusation a été rédigé il y a quelque temps et est poursuivi avec une cruauté implacable.

Binoy Kampmark était boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l’Université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com

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4 Commentaires

  • Jean-Robert Hérard
    Jean-Robert Hérard

    Les actes de terrorisme posés par le Hamas et le Jihad islamique le samedi 7 octobre au sud d’Israël ne sont guère excusables. Tout comme les bombardements de la population civile de la bande de Gaza ne peuvent en aucune façon être justifiés.
    Le “cessez-le-feu humanitaire” reste la seule réponse à cette tragédie humaine qui se déroule actuellement au Moyen-Orient.

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    • Etoilerouge
      Etoilerouge

      Si ce n’est qu’un cessez le feu humanitaire cela s’appelle une trêve entre 2 guerres. Ce n’est pas la paix mais un marché pied humanitaire vers d’autres guerres. Il faut un cessez le feu durable ds le cadre des votes internationaux à l’ONU donc 2 états. Toute autre attitude favorise le plus puissant et donc finalement le pire puisque celui ci,Israël flanqué de son inconscience les usa, veulent la guerre et donc empêche la création du deuxième état et donc une marche vers la paix.

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  • Bosteph
    Bosteph

    Bien entendu qu’ ils sont inexcusables . Mais que se passe t’ il en Cisjordanie depuis 75 ans, et plus particulièrement ces 17 dernières années qui représentent “l’ ère Netanyahou” . Ceci explique cela, et il est impossible de condamner les horreurs du 7 octobre sans condamner celles antérieures.

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    • Etoile rouge
      Etoile rouge

      C’est la même chanson états unienne,israélienne que sur l’Ukraine. Silence sur l’histoire, nos civils st sacrés, il n’y avait pas de raisons. Si il y a une histoire qui explique le massacre. Nié l’histoire c’est rendre incompréhensible le monde et donc le jeter à terme ds un chaos pire.

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