Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le poids essentiel de la Russie dans les BRICS et au-delà

Tout à fait d’accord avec cette remarque de Pepe escobar: Il n’y a pas d’impératif catégorique indiquant que les priorités chinoises et indiennes ne peuvent pas converger. Les RIC (Russie, Chine, Inde) ont également noté que l’écrasante majorité des pays du Sud mondial et de la Majorité mondiale n’ont pas soutenu – ni adhéré – au rêve humide collectif de l’Occident de supprimer stratégiquement la Russie. Même si la Russie est aujourd’hui la cinquième économie mondiale en termes de PPA (plus de 5000 milliards de dollars) – devant les vassaux européens impériaux – le Sud mondial perçoit Moscou comme «l’un des nôtres». Tout cela confère un pouvoir supplémentaire au nouveau Mouvement des non-alignés (MNA), qui doit être courtisé en permanence par les RIC.

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Pepe Escobar n’est pas en général mon auteur favori(1), mais on peut lui reconnaitre une certaine maîtrise des relations internationales en particulier en ce qui concerne l’Asie et ses enjeux dans le grand jeu de l’impérialisme des Etats-Unis confrontés au Sud. Son opinion concernant les BRICS a le mérite de l’originalité même si elle ne convainc que partiellement puisqu’il sous-estime totalement cette institution ou plutôt n’y voit qu’une couverture pour les stratégies sud-sud de la Russie, la Chine et l’Inde dans leur affrontement avec l’impérialisme occidental, essentiellement les Etats-Unis, les autres ne sont que des pions à leurs risques et périls.

Il dénonce et nous comme tout à fait d’accord : Les proverbiaux «Diviser pour mieux régner» ont fait croire que Pékin voulait que les BRICS+ soient un concurrent du G7. C’est absurde. La géopolitique chinoise est bien plus sophistiquée et n’imposerait jamais à ses partenaires un impératif de fer. Pékin veut consolider son rôle de facto de leader géoéconomique du Sud mondial en séduisant un maximum de partenaires, et non en les intimidant. Nous avons nous-même insisté là-dessus en référence au jeu de go et à sa capacité à donner des avantages à l’autre joueur pourvu que cela aide sa propre stratégie qui est d’impulser un autre ordre international de paix et de développement dont la Chine a un urgent besoin pour accomplir son propre destin. Nous avons vu qu’une telle stratégie gagnant-gagnant supposait du temps et une clarté dans le but recherché qui hiérarchisait ses partenariats.

Si donc le but qui selon Pepe escobar s’incarne non pas dans les BRICS mais dans l’initiative Ceinture et route (BRI) de l’Afrique, avec comme nous l’avons noté un premier partenariat stratégique l’Afrique du Sud, le premier pays africain à adhérer à la BRI comme à la BRIC. 25 ans également de relations diplomatiques basées sur la lutte commune contre l’apartheid, une relation de parti à parti (ANC, dont la principale composante est le Parti communiste, et PCC). Ils ont avons-nous dit la même conception de l’Afrique, développement et souveraineté et ont fait précéder les BRICS d’une réflexion et action en faveur d’un partenariat toujours plus égalitaire en matière d’industrialisation, de produits en valeur ajouté de l’Afrique.

Pepe escobar en déduit donc que la vision de la Chine pour les BRICS+ et surtout pour l’Afrique est intrinsèquement liée à la BRI, qui après tout est le concept global de politique étrangère de Pékin pour les prochaines décennies. Et nous sommes d’accord avec l’idée que la vision de la Chine est très prospective au-delà des limites des BRICS, que la situation de l’Afrique a été pensée avec le partenaire Afrique du Sud, et en fonction de la BRI comme moyen on ne comprendrait pas l’intégration de l’Éthiopie, plutôt que d’autres choix plus évidents comme l’Algérie, mais actuellement pris dans la crise ouverte (pas par hasard) au Niger, comme l’Algérie, mais ces pays sont prévus dans une autre vague d’intégration annoncée.

Mais nous sommes en désaccord sur sa sous-estimation des BRICS, alors qu’il montre lui-même que la Chine a aussi la capacité de transformer les institutions dans lesquelles elle développe la dite vision. Et nous avons par ailleurs insisté sur la dédollarisation, les pétrodollars, et la constitution d’un marché de substitution au blocus des USA.

En quoi la Chine est-elle dépendante d’autres acteurs de ce mouvement du sud ? La Russie essentiellement.

Pepe Escobar qui a dans la ligne de mire l’Inde montre qu’il existe d’autres institutions sur lesquelles les BRICS se sont construites et qui sont des facteurs d’unité en Asie centrale : le Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), dont la Chine est l’un des principaux acteurs aux côtés de la Russie et de l’Iran. Nous avons donc ici un membre important des BRICS et un membre potentiel des BRICS+ : l’Inde est très intéressée par l’adhésion de l’Iran. Tout cela va en fait dans le sens d’une intégration des BRICS, de la BRI, de l’INSTC et aussi de l’OCS (la Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran en sont tous membres). Une fois de plus de l’organisation de coopération de Shanghai dont la Russie et Poutine a été le maître d’œuvre, le facteur de rapprochement des deux antagonistes que sont la Chine et l’Inde. Des craintes partagées par pas mal de pays d’Asie centrale.

Il n’y a pas d’impératif catégorique indiquant que les priorités chinoises et indiennes ne peuvent pas converger. Les RIC (Russie, Chine, Inde) ont également noté que l’écrasante majorité des pays du Sud mondial et de la Majorité mondiale n’ont pas soutenu – ni adhéré – au rêve humide collectif de l’Occident de supprimer stratégiquement la Russie. Même si la Russie est aujourd’hui la cinquième économie mondiale en termes de PPA (plus de 5000 milliards de dollars) – devant les vassaux européens impériaux – le Sud mondial perçoit Moscou comme «l’un des nôtres». Tout cela confère un pouvoir supplémentaire au nouveau Mouvement des non-alignés (MNA), qui doit être courtisé en permanence par les RIC.

Tout à fait d’accord la Russie jouit d’une popularité dans les pays du sud dont ne bénéficient pas nécessairement la Chine et ses capitalistes jouant leur jeu propre, ni l’Inde dont les prétentions dans ce domaine sont contrecarrés par une fâcheuse tendance à ne pas exploiter son poids réel mais à négocier sur des avantages secondaires sans parler du sort réservé à sa paysannerie, et aux plus misérables de ses citoyens.

Les «initiatives» tardives du Nord telles que l’initiative américaine «Build Back Better World» et la «Global Gateway» de l’UE sont considérées au mieux comme de la rhétorique luxuriante. Même si la Chine est tenue de renforcer son rôle de premier plan dans le Sud mondial, en particulier en Afrique, après le sommet, l’Inde compte également sur un coup de pouce dans le rôle de puissance Nord-Sud qu’elle s’est donné. Cela peut être considéré comme une sorte de jeu de couverture, car l’establishment de New Delhi s’enorgueillit d’être entrelacé avec le Sud mondial lorsqu’il s’agit d’objectifs stratégiques (le Quad ? Vraiment ?) tout en restant un acteur du Sud mondial. Tôt ou tard, il faudra bien que quelque chose cède. L’Empire a conçu sa fausse terminologie et sa stratégie «Indo-Pacifique» spécifiquement pour piéger l’Inde. Personne en Asie-Pacifique n’a jamais fait référence à la région en termes d’«Indo-Pacifique». Pourtant, d’un seul coup, l’Empire se débarrasse de la Chine, de la mer de Chine méridionale et même de l’Asie du Sud-Est pour accueillir dans un slogan accrocheur ce qu’il considère au mieux comme une néo-colonie géopolitique et un bélier contre la Chine. Il semble que New Delhi développe une tendance : ne jamais être à la hauteur de son potentiel lorsqu’il s’agit d’exercer sa souveraineté pour défier l’hégémon, note Pepe Escobar à juste raison.

Ce qui lui permet de revenir à la Russie dont le “champ d’action est bien plus ambitieux. Son “territoire” c’est l’espace post-soviétique dans laquelle elle se déploie et le parti communiste de Russie qui l’a très bien perçu, surtout Ziouganov qui a une vision beaucoup plus large y compris que certains de ses lieutenants pose sans cesse le problème du socialisme, de l’Union soviétique non comme passé mais comme avenir en collaboration avec la Chine.

L’espace de la Russie n’est pas seulement politique ni même militaire, Pepe Escobar a raison de noter que cette territorialisation ‘s’étend de l’espace post-soviétique au Heartland, en passant par l’Asie-Pacifique réelle, l’Asie occidentale et, à l’instar de la Chine, l’Afrique. Tous ces acteurs dépendent de l’énergie, des denrées alimentaires, des engrais chimiques et d’une multitude de produits de base russes. Pour eux, il n’y aura pas de «découplage» ou de «réduction des risques» lorsqu’il s’agira de commercer avec la Russie.

Et il montre à quel point dans les débats des BRICS chacun est venu avec son bagage et celui de la Russie était l’un des plus considérable dans les faits.

Dans son discours par vidéoconférence aux BRICS, Poutine a évoqué le front de la connectivité, en développant sur l’INSTC et la route maritime du Nord. Il a également fait référence à la fourniture gratuite de céréales aux pays africains les plus pauvres. Il a fustigé le «soi-disant» accord sur les céréales : Moscou envisagerait d’y revenir, mais seulement si ses demandes légitimes sont satisfaites, dit Pepe Escobar et il a raison, d’ailleurs cela témoigne par parenthèse de la stupidité de la diplomatie française qui a cru bon traiter les Africains en sous-développés comme elle use avec les malheureux citoyens français et un monde politicien lui réellement sous-développé.

La thèse de Pepe Escobar néanmoins charge un peu trop la barque en ce qui concerne les difficultés du”soft power” chinois, il ne mesure pas assez le poids des réalisations chinoises, dans la manière dont le sud s’enhardit mais il est clair qu’au niveau de l’image et des mentalités, elle est loin derrière la Russie et même derrière Cuba, en terme de conquête des esprits et des cœurs.

Contrairement à l’expansion rapide du «soft power» russe, comment Pékin pourrait-il développer le sien – qui pourrait être gravement déficient dans plusieurs domaines ? La création d’instituts Confucius ne suffit pas ; idéalement, les Chinois devraient commencer à promouvoir une série de groupes de réflexion du Sud mondial, de l’Asie occidentale à l’Afrique et à l’Amérique latine, afin d’analyser les défis géopolitiques et géoéconomiques de plus en plus importants qui se posent à la route multipolaire. Pour l’instant, Pékin va donner un coup de fouet aux formes institutionnelles d’interactions Sud-Sud, telles que le Forum Belt and Road (le prochain aura lieu en octobre), le Forum sur la coopération sino-africaine et le Forum Chine-CELAC avec l’Amérique latine et les Caraïbes.

Ce que reproche Pepe Escobar aux BRICS c’est d’être trop sous la coupe de l’Inde et à travers ce pays une porte ouverte à la guerre impériale qui après ce succès des BRICS va se déchaîner, il s’agit pour eux de miner de l’intérieur autant que de l’extérieur les BRICS. Seule la Russie est en situation y compris en Asie, au Moyen Orient de contrer la guerre hybride qui commence à poindre de la part des USA et de ses malheureux alliés. Puisque selon Pepe Escobar tout ce qui a été lancé contre la Russie, sanctions, guerre de haute intensité en Ukraine a lamentablement échoué.

La démonstration de Pepe Escobar se heurte au fait que si la Russie a tenu bon c’est parce qu’elle bénéficie de sympathies dans le Sud, mais la puissance qui a aidé à transformer ces sympathies en politiques d’Etats c’est la Chine et à sa manière Cuba, son rôle en Afrique, en Amérique latine, et peut-être même en Europe.

Il ne mesure pas comme nous avons tenté de le faire à quel point la Chine a créé un terrain concret réel de la dédollarisation dans lequel des pays grands consommateurs d’énergie sont déjà intégrés. Cela dit sa mise en garde sur la guerre hybride à l’intérieur comme à l’extérieur n’est pas fausse. Ce qu’il reproche aux BRICS c’est dans le fond de privilégier un potentiel affrontement entre la Chine et l’Inde alors que la force de la Chine est dans le partenariat avec la Russie pour dans le cadre des BRI développer un monde multipolaire disons “socialiste”.

Mais encore une fois, au sein des BRICS, tout revient à la Chine et à l’Inde. L’année 2023 pourrait marquer un tournant dans leurs relations bilatérales. New Delhi a organisé le dernier sommet de l’OCS (malheureusement uniquement en ligne ; les rumeurs de dissensions internes n’ont jamais été totalement démenties). Elle présidera également le prochain sommet du G20. Et puis il y a le facteur externe toxique : la guerre hybride impériale déjà en cours contre les BRICS. Les suspects habituels ne reculeront devant rien pour opposer Pékin à New Delhi, d’autant plus que tout ce qu’ils ont lancé contre Moscou a lamentablement échoué. Cette guerre hybride à multiples facettes a été conçue pour miner les BRICS+ de l’intérieur, en particulier les nœuds plus faibles que sont le Brésil et l’Afrique du Sud, et notamment l’Iran, qui fait déjà l’objet de méga-sanctions s’il devient membre.

L’Empire ne reculera devant rien pour ne pas perdre les pivots clés de l’hégémonie latino-américaine et africaine. Dans l’ensemble, les RIC – et peut-être bientôt les RIIC – devraient concentrer leur attention sur l’Afrique. Cela ne signifie pas qu’une foule de pays africains devraient être autorisés à rejoindre les BRICS+ littéralement demain ; la question est de pouvoir les aider dans plusieurs domaines cruciaux car le processus de rupture avec le contrôle impérial/néocolonial est désormais irréversible.

L’Empire ne dort jamais – du moins ceux qui dirigent vraiment : les mannequins de crash test qui se font passer pour des présidents, c’est une autre affaire. Les rêves de faux drapeaux taïwanais s’estompant rapidement, il y a fort à parier que l’Empire pourrait organiser sa prochaine grande guerre psychologique en Afrique.

Là encore nous retournons à la manière dont la propagande a refusé de parler des BRICS et lui a substitué une des fables dont elle parait avoir le secret : Poutine faisant assassiner Prigozhin en pleine réunion des BRICS et créant des questionnements sur l’avenir en Afrique alors même que ce dernier devait retourner en Afrique pour aider à résister au Niger. Ce que décrit Loukachenko est un Prigozhin conscient d’être dans le collimateur des occidentaux et souhaitant mourir en héros. Il ne s’agit pas d’une simple diversion mais bien peut-être du déclenchement des hostilités par terrorisme autant que par le jeu des taux d’intérêt de la FED pour bloquer l’économie mondiale dont la Chine et les pays du sud ont besoin.

Danielle Bleitrach

(1)Pépé escobar est un journaliste brésilien, Il écrit pour RT (Russia Today), SputnikTomDispatchStrategic Culture FoundationCounterpunchInformation Clearing House et contribue fréquemment à des sites internet, des programmes de radios et de télévision, qui vont des États-Unis jusqu’en Asie de l’Est. Il est l’ancien correspondant de terrain d’Asia Times Online, basé à Hong Kong, où il a écrit la rubrique The Roving Eye, de 2000 à 2014. Il a également collaboré avec Al Jazeera et The Real News. Donc il est réellement très compétent mais disons pour faire sympathique qu’il est d’abord “antisioniste” et que beaucoup de choses chez lui passe par ce prisme exclusif et que de surccroit les médias pour lesquels il travaille ne sont pas a priori ceux qui appuient un anti_impérialisme tel que cela puisse dépasser le but de la BRI. Et sans doute voit-il dans la recomposition du Moyen Orient une possibilité d’intégration d’Israël… D’ailleurs son analyse bizarrement ne fait pas état de ce sur quoi la Chine insiste l’ouverture sur les non alignés, le G77 présidé par Cuba, la seule mention que j-ai cité dans le chapô aurait cependant pu rendre son article plus démonstratif encore

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1 Commentaire

  • Philippe
    Philippe

    Les médias mafieux macroniens (99% des médias en France) dénoncent le poids énorme de la Chine communiste au sein des BRICS et indique que la Russie a un PIB 10 fois inférieur à la Chine communiste.
    Personnellement je m’en réjouis car cela démontre la supériorité écrasante d’une économie centralement planifiée par l’Etat communiste et une politique industrielle puissante, et démontre à contrario la faiblesse cuisante de l’idéologie Reagano-thatchérienne mafieuse ultralibérale appliquée depuis 40 ans aux USA, en Europe et donc en Russie comme en Inde, Brésil et Afrique du Sud.

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