Il y a incontestablement un enthousiasme quasi général à tout ce qui permet de se débarrasser de la domination du dollar. Résultat, selon cet expert, si tout le monde a les yeux fixés sur une nouvelle monnaie commune qui pourrait surgir des BRICS, on ne prête pas assez attention à tout ce qui se réalise déjà en matière de contournement de la nécessité d’utilisation du dollar, et c’est peut-être là que réside la véritable nouveauté. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
La Chine aide des pays comme l’Arabie saoudite à concrétiser leur vision de la puissance mondiale Par JOSEPH DANA 26 JUILLET 2023
Il y a un enthousiasme indéniable pour les défis à la position du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale.
Alors que les économistes ont averti pendant des années que la domination du dollar ne devrait pas être acquise d’avance, peu ont prêté une attention particulière aux avertissements, en particulier dans les couloirs de la puissance américaine.
Après que la Russie ait envahi l’Ukraine et que les sanctions américaines n’ont pas porté un coup décisif à l’économie russe, de nouvelles questions ont émergé sur la façon dont l’économie mondiale s’est développée au-delà de l’emprise américaine.
Ces discussions ont atteint leur paroxysme dans les débats sur la création d’une monnaie des BRICS. Les BRICS – un regroupement des économies du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud – représentent une alternative aux organisations internationales contrôlées par l’Occident telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Ensemble, ces économies représentent une vaste pan de l’économie mondiale, et leur influence s’étend à des zones au-delà de la compétence américaine dans les pays du Sud. La création d’une monnaie commune dans ces économies bouleverserait le commerce international et représenterait un défi évident pour le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale.
Mais cet article ne concerne pas une monnaie BRICS, car nous sommes loin de sa création. Au lieu de cela, nous devons reconnaître que la discussion sur une monnaie BRICS éclipse des développements plus significatifs qui réduisent discrètement la domination actuelle du dollar.
Ce mois-ci, l’Inde et les Émirats arabes unis ont convenu d’utiliser leurs monnaies locales pour les transactions transfrontalières. À première vue, cela pourrait ne pas sembler particulièrement important. Les pays négocient dans leur monnaie locale tout le temps. Cependant, ce petit développement jette les bases de changements spectaculaires dans un avenir proche.
Le commerce entre l’Inde et les Émirats arabes unis est en plein essor. D’avril 2022 à mars 2023, le commerce bilatéral s’est chiffré à 84,5 milliards de dollars américains. Le pétrole est le moteur de cette situation, car l’Inde est l’un des plus grands importateurs et consommateurs de pétrole au monde.
Les Émirats arabes unis sont également la deuxième source d’envois de fonds pour l’Inde. Les envois de fonds – l’argent envoyé chez eux par les Indiens travaillant à l’extérieur du pays – sont vitaux pour l’économie indienne. Au cours de l’exercice 2021-22, l’Inde a reçu près de 90 milliards de dollars en envois de fonds, le montant le plus élevé jamais enregistré pour le pays.
Affaiblir le pétrodollar
Les envois de fonds et les ventes de pétrole sont effectués en dollars américains depuis des décennies, mais avec le nouvel accent mis sur le commerce en devises locales, il y a un net recul du dollar. Un responsable a déclaré à Reuters que l’Inde préparait son premier paiement en roupies pour le pétrole émirati à l’Abu Dhabi National Oil Co dans les mois à venir.
Une partie de la puissance du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale réside dans la façon dont il est utilisé pour les transactions entre des pays comme les Émirats arabes unis et l’Inde. Cela est particulièrement évident dans le commerce du pétrole, étant donné que le pétrole est presque universellement échangé en dollars.
Si les États-Unis veulent punir les décisions géopolitiques d’autres pays comme la Russie, ils peuvent exercer leur contrôle sur le dollar dans le commerce du pétrole. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Chine investit activement en Arabie saoudite.
Dans le cadre de ses efforts de plusieurs années pour briser la dépendance du commerce du pétrole aux dollars et le déplacer vers le yuan, la Chine a lancé une offensive de charme en Arabie saoudite. La Chine a même lancé l’idée d’un accord de libre-échange entre les deux pays, tenté d’acheter une participation minoritaire dans Saudi Aramco et salué les investissements de plusieurs milliards de dollars du royaume en Chine.
L’étroitesse de la relation a inquiété les États-Unis, mais l’administration du président Joe Biden s’est montrée incapable ou peu disposée à empêcher la Chine et l’Arabie saoudite de se rapprocher.
L’Arabie saoudite a également tiré parti de sa position de principal fournisseur de pétrole brut à l’Inde pour ses ambitions géopolitiques de se tailler une politique étrangère véritablement indépendante.
Ces développements peuvent sembler minimes pris par eux-mêmes, mais pris ensemble, il est clair qu’un changement profond est en train de se produire dans l’économie mondiale. Sans la création d’une monnaie BRICS, les grandes économies du Sud forgent des partenariats qui leur permettront de sortir leurs économies du dollar américain.
Dans une autre partie du monde, le Brésil et l’Argentine discutent de la création d’une monnaie commune. Bien que ces plans puissent sembler une tarte dans le ciel en ce moment, une fondation est en train d’être jetée qui remettra sérieusement en question la domination du dollar.
Les États-Unis ont besoin d’une nouvelle stratégie pour faire face à ces défis à venir, et jusqu’à présent, il est difficile d’en détecter une à Washington.
Il est essentiel de voir la forêt au-delà des arbres. Le dollar ne va pas être tué par une monnaie concurrente comme une monnaie BRICS. Il perdra son pouvoir et sa domination grâce aux petits pas pris par les pays qui préfèrent déterminer leurs affaires sans l’influence d’un pays de réserve mondiale.
En tant que deuxième économie mondiale, la Chine aide d’autres pays comme l’Arabie saoudite à concrétiser leur vision de la puissance mondiale. Tout se passe en temps réel. Il suffit de regarder les détails.https://30544c1e4b547d4940e6d187fecac395.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-40/html/container.html
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JOSEPH DANA
Joseph Dana est un écrivain basé en Afrique du Sud et au Moyen-Orient. Il a fait des reportages à Jérusalem, Ramallah, Le Caire, Istanbul et Abu Dhabi. Il était auparavant rédacteur en chef d’emerge85, un projet médiatique basé à Abu Dhabi qui explore les changements dans les marchés émergents. Suivez-le sur Twitter @ibnezra. Autres applications de « Joseph Dana
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Michel BEYER
https://www.les-crises.fr/la-monnaie-des-brics-est-encore-une-theorie-mais-elle-est-prometteuse-traduction-de-jacques-sapir/
Selon Jacques SAPIR, la monnaie des Brics n’est encore qu’une théorie.
admin5319
c’est exactement ce que dit l’article mais son intérêt est justement de montrer qu’en fait d’une autre manière le processus est déjà enclenché…
Claude Haim
Les Brics annoncent la création d’une monnaie commune adossée sur l’or, cette monnaie servira aux paiements des échanges commerciaux en remplacement du dollar américain. C’est une demi-bonne nouvelle, demi, car si elle permet d’éviter le passage par Washington, c’est essentiel, elle ne laisse pas encore entrevoir un projet d’ensemble, un nouveau modèle d’échange global animé par une autre éthique politique. Quel est le projet qui permettra de ne pas tomber dans les mêmes tares : distorsion des marchés, surendettement des pays pauvres, appropriation sous différentes formes…
À ce propos, il serait intéressant de revenir vers le premier projet que Keynes et de quelques autres avaient imaginé vers la fin de la guerre. Projet débattu, mais torpillé par les États-Unis qui mirent en place une organisation qui leur permit de mettre le monde en coupe réglée au travers de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce), du FMI, de la Banque Mondiale et de l’usage exclusif du dollar comme monnaie d’échange international.
Le projet global prévoyait la mise en place de deux organisations : l’OIC (L’Organisation Internationale du Commerce) et l’UCI (Union de Compensation Internationale) créées dans le cadre de l’ONU.
Le premier accord, qui prit la forme de la Charte de La Havane, visait à organiser le commerce international et reconnaissait, entre autres, comme base de fonctionnement du commerce la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
L’application de la Charte devait permettre d’atteindre les objectifs fixés par la Charte des Nations Unies et précisément de relever le niveau de vie de l’ensemble de la population mondiale et d’atteindre le plein emploi. Bien que d’inspiration libérale, la Charte énonce un nombre de règles contraignantes qui limitent la liberté du marché.
La lecture complète du traité https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/havana_f.pdf est nécessaire, mais en voici de façon schématique quelques points éclairants :
La charte prévoit que :
Le partage entre États des compétences et des technologies.
Les investissements étrangers ne peuvent « servir de base à une ingérence dans les affaires intérieures ».
les pays pauvres sont autorisés à recourir à l’interventionnisme et au « protectionnisme » pour assurer leur développement
Les petits producteurs font l’objet d’une protection particulière. Des fonds gouvernementaux peuvent stabiliser le prix des produits de base d’une année sur l’autre.
L’OIC recommande la « préservation des ressources naturelles épuisables ».
Les États peuvent soutenir leur industrie nationale, par voie de subventions ou de commandes publiques.
La production cinématographique et culturelle d’origine nationale peut se voir garantir une part du marché national.
Les pays signataires peuvent protéger leur agriculture et leur pêche.
L’OIC interdit spécifiquement de subventionner des produits sur des marchés étrangers « à un prix inférieur à celui demandé à un acheteur national ».
Signé en 1948 à La Havane par 50 pays (soit la quasi-totalité des pays indépendants. L’URSS ne participa pas aux négociations, sur cette absence, il n’y a pas d’explication claire, si ce ne sont des références au « Rideau de fer » qui venait de « s’abattre sur l’Europe ». Ce ne fut pas cette absence qui coula l’OIC, mais le refus du capitalisme états-unien d’accorder quelques protections que ce soit contre leur fièvre conquérante.
La seconde partie du projet de Keynes vise à assainir les relations financières entre états. Il s’agissait de mettre en place un système monétaire international basé sur une devise internationale rattachée à aucun état : le Bancor. Le projet fut, là encore, sabordé par les États-Unis qui préférèrent instituer le dollar comme monnaie des échanges internationaux, s’attribuant ainsi un privilège exorbitant qui lui a permis d’asseoir sa domination sur le monde.
Voici schématiquement son principe de fonctionnement :
Une banque centrale indépendante des États est créée, elle est basée sur les principes de fonctionnement de l’ONU. La banque émet une monnaie appelée Bancor. Toutes les transactions liées au commerce international sont payées en Bancors, les importations font sortir des Bancors, les importations en font entrer. L’objectif est qu’en fin d’exercice les comptes de chaque pays ne soient ni excédentaires, ni déficitaires, mais proches de zéro.
Un État déficitaire devait s’acquitter d’un intérêt, ce qui est la norme actuelle, mais l’originalité du système imaginé par Keynes est que les États excédentaires devaient eux aussi payer un intérêt. Plus l’un et l’autre s’élevaient, plus le taux d’intérêt serait monté.
Qui plus est, les pays déficitaires se seraient vus contraints de dévaluer leur monnaie pour abaisser le prix de leurs exportations et les rendre plus attractives. Les pays excédentaires auraient fait l’inverse, réévaluant leur monnaie pour que leurs exportations soient plus chères et dissuasives.
Les États excédentaires auraient dès lors intérêt à acheter à des pays déficitaires pour rétablir leur balance des paiements.
Ce concept définit par Keynes, fit un bref retour au début des années 60, Robert Triffin mit en évidence que le système imposé
par les États-Unis à Bretton Woods et consacrant le dollar comme monnaie de référence, créait des déséquilibres insurmontables et dangereux, sans que sa mise en garde ne débouche sur un nouveau système.
Plus près de nous et sans doute plus convaincante, la proposition du Bancor ressurgit après la crise économique mondiale des années 2008. Zhou Xiaochuan, économiste chinois et gouverneur de la Banque populaire de Chine, défendit alors la position de Keynes dans un discours de mars 2009.
Il est urgent et nécessaire que les Brics définissent leur projet afin que d’autres pays puissent les rejoindre sur des bases claires.
Philippe
Ce n’est pas réduire mais anéantir le dollar impérialiste qui va arriver et c’est très bien grâce à la Chine communiste!
Xuan
Je crois que la Chine ne veut détruire ni le dollar ni l’économie US, mais leur hégémonie.
Le problème est que la fin de ce monopole monétaire entraine inévitablement l’éclosion de toutes les contradictions internes des USA, et d’abord de leur dette pharamineuse.