Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La lutte pour l’avenir de l’humanité passe par l’Afrique, par Igor Karaoulov

https://vz.ru/opinions/2023/7/26/1222680.html

L’Afrique va-t-elle s’offusquer de la rupture de l’accord sur les céréales ? La hausse inévitable du prix des céréales n’entraînera-t-elle pas la souffrance et la mort des pauvres ? Sans vouloir vous offenser, ce n’est pas le cas”, peut-on lire dans le nouvel article de Vladimir Poutine. L’article du président russe intitulé “Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens”, publié il y a deux ans, a, à bien des égards, prédéterminé les événements d’aujourd’hui. Le nouvel article de M. Poutine, intitulé “La Russie et l’Afrique : unir les efforts pour la paix, le progrès et un avenir fructueux”, est également un document programmatique, non seulement pour les relations russo-africaines, mais aussi pour l’ensemble des travaux à venir sur l’édification d’un ordre mondial multipolaire. En fait, le président russe propose que l’Afrique devienne l’un des sujets de ce nouvel ordre mondial.” C’est à travers ce type de prise de position où un président conservateur, avec un gouvernement néolibéral est de plus en plus contraint de se positionner dans un monde multipolaire qui n’est pas simplement stratégie des Etats, mais mobilisation des peuples pour leur souveraineté, que la nouveauté de la période apparait le plus clairement. Comme d’ailleurs le positionnement des communistes russes dont nous faisons état par ailleurs. Notez la “chute” de l’article, la dénonciation de la trahison de Gorbatchev qui a consisté à couper les ponts avec l’Afrique et le tiers monde en général. (traduction de Marianne Dunlop pour histoiretsociete)


Igor Karaoulov, poète, publiciste


Vladimir Poutine ne s’exprime pas souvent sous la forme d’un article. Chacun de ces textes devient une déclaration stratégique sur l’une des questions les plus importantes du monde moderne.
Ainsi, l’article du président russe intitulé “Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens”, publié il y a deux ans, a, à bien des égards, prédéterminé les événements d’aujourd’hui. Le nouvel article de M. Poutine, intitulé “La Russie et l’Afrique : unir les efforts pour la paix, le progrès et un avenir fructueux”, est également un document programmatique, non seulement pour les relations russo-africaines, mais aussi pour l’ensemble des travaux à venir sur l’édification d’un ordre mondial multipolaire. En fait, le président russe propose que l’Afrique devienne l’un des sujets de ce nouvel ordre mondial.
Jusqu’à présent, malgré l’importance croissante de certains pays comme l’Afrique du Sud (qui est à ce jour le seul membre africain des BRICS), l’Afrique dans son ensemble a été davantage un objet qu’un sujet de la politique mondiale. Un objet de préoccupation humanitaire, de “camarades aînés”, parfois très hypocrites. Un objet de manipulation politique par les pays occidentaux, y compris l’organisation de coups d’État, de révolutions de couleur et d’interventions militaires directes. Objet d’exploitation économique des ressources naturelles abondantes et de la main-d’œuvre bon marché du continent. Autant de pratiques que l’article qualifie de néocolonialisme moderne.
Qu’est-ce que l’Afrique pour nous ? Quelque chose de lointain et d’exotique, même si l’un des pays africains – l’Égypte – est depuis longtemps une station thermale russe à bas prix. “Loin, très loin, sur le lac Tchad, se promène une gracieuse girafe”. Tout le monde se souvient de ces vers de Nikolaï Goumilev, mais les Russes ont appris à connaître l’Afrique dès leur enfance, grâce aux contes de Kornei Tchoukovsky. “Nous vivons à Zanzibar, dans le Kalahari et le Sahara, sur le mont Fernando-Po, où Hippo-Po se promène le long du large Limpopo”. On peut avoir l’illusion que tous les endroits cités se trouvent quelque part à proximité les uns des autres, à un jour de galop d’antilope, que l’Afrique est quelque chose de compact et d’homogène. Pourtant, les deux grands déserts d’Afrique, le Sahara et le Kalahari, se trouvent dans des hémisphères différents et sont séparés par des milliers de kilomètres.
Si nous sous-estimons l’Afrique, c’est en partie grâce au grand cartographe Gérard Mercator. C’est lui qui a inventé cette projection canonique dans laquelle les images s’étirent plus près des pôles et rétrécissent à mesure qu’elles s’approchent de l’équateur. La Russie est immense, c’est incontestable, mais la projection de Mercator la flatte. En réalité, l’Afrique, qui paraît relativement modeste sur la carte, est presque deux fois plus grande que la Russie et plus de trois fois plus grande que la Chine ou les États-Unis.
Dans le même temps, en termes de population (environ un milliard et demi de personnes), l’Afrique fait jeu égal avec la Chine et l’Inde. Mais il y a une nuance : l’Afrique est aujourd’hui l’épicentre d’une révolution démographique. Alors qu’il y a 50 ans, la population africaine ne représentait que 10 % de la population mondiale, elle en représente déjà 20 % aujourd’hui, et l’on prévoit que d’ici 2100, deux habitants de la planète sur cinq seront des Africains. L’Afrique est l’avenir de l’humanité, et il vaut la peine de se battre pour elle dès maintenant.
Pour comprendre à quel type de partenaires nous avons affaire en Afrique, il suffit de noter que le Nigeria, un petit pays en termes de superficie, compte à lui seul une fois et demie plus d’habitants que la Russie. Apparemment, dans quelques années, la population de l’Éthiopie et de la République démocratique du Congo sera égale à celle de la Russie. Ce seul fait montre clairement que, pour la Russie, la tenue du deuxième sommet Russie-Afrique n’est pas un événement mineur, mais un grand succès, car aucun pays sur l’ensemble du continent ne souhaite nous “isoler”.
Formellement, l’article du président russe est une sorte de salut aux participants du sommet, qui se tiendra les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg. Toutefois, l’article répond, entre autres, à certaines questions urgentes qui ont été soulevées récemment.
La principale conclusion à tirer des propos du président est que la Russie ne quitte pas l’Afrique, et même l’inverse. Quelle que soit la manière dont les relations de l’État russe avec les SMP ou des structures similaires sont construites, la Russie ne quitte pas le marché africain des services de sécurité et continuera à lutter contre l’héritage du colonialisme et du néocolonialisme. Quelles que soient les sanctions que l’Occident nous impose, quels que soient les obstacles qu’il nous impose en termes de transport ou de règlements monétaires, etc. Selon notre président, les entreprises russes sont prêtes à travailler sur le continent noir dans les domaines de la prospection géologique, des carburants et de l’énergie, de l’industrie chimique, etc.
Enfin, en ce qui concerne l’accord sur les céréales, M. Poutine a attiré l’attention des lecteurs – y compris, bien sûr, des chefs d’État – sur les faits liés à cet accord. Plus de 70 % des céréales ukrainiennes acheminées dans le cadre de cet accord l’ont été vers des pays développés, dont l’UE, tandis que les pays les plus pauvres et les plus nécessiteux, tels que l’Éthiopie, le Soudan et la Somalie, représentaient moins de 3 % de la cargaison. La question de savoir si la compréhension mutuelle avec les dirigeants africains peut être maintenue après l’échec de l’accord sur les céréales a été l’une des principales questions abordées dans toutes les discussions à ce sujet. L’Afrique ne va-t-elle pas s’offusquer ? La hausse inévitable du prix des céréales n’entraînera-t-elle pas la souffrance et la mort des pauvres ?
Ce que dit Poutine à ce sujet peut être considéré comme une proposition pour un nouvel accord sur les céréales entre la Russie et l’Afrique. En effet, pourquoi devrions-nous nous lamenter sur les céréales ukrainiennes qui ne parviennent pas aux affamés et se retrouvent quelque part en Espagne, où on y engraisse les sangliers pour faire du jamón ibérico. La Russie est prête à aider les Africains. Ceux qui ont les moyens d’acheter des céréales les recevront contre de l’argent, et ceux qui ont le porte-monnaie vide seront nourris gratuitement, dans le cadre d’une mission humanitaire.
Non, bien sûr, les cris hypocrites selon lesquels la Russie étrangle l’Afrique avec la main osseuse de la faim ne cesseront pas, mais il faut se rappeler que ce sont les cris de ces messieurs qui ont mangé eux-mêmes les céréales ukrainiennes. Toutefois, la réputation de la Russie en Afrique repose sur des bases bien plus solides que l’accord sur les céréales, et M. Poutine nous le rappelle, ainsi que la longue histoire des relations russo-africaines, dans son article.
En effet, l’avantage de la Russie sur ce continent réside principalement dans le fait qu’elle n’y a jamais été colonisatrice. L’Afrique est loin, mais ce n’est pas l’essentiel. Elle n’est pas non plus proche de la plupart des pays d’Europe, mais même la petite Belgique a eu le temps de profiter des richesses de l’Afrique, et l’Allemagne, qui a participé tardivement à la partition coloniale du continent, a tout de même essayé de s’en approprier au moins quelques morceaux.
Le fait est que les Russes semblent être organiquement incapables de traiter des territoires comme des colonies. Ce n’est pas notre tradition. Par conséquent, l’Afrique peut être considérée comme une zone exempte de russophobie.
L’inverse est également vrai : la Russie est historiquement exempte de racisme. Pouchkine n’hésitait pas à parler de ses racines africaines, et les Russes ont généralement tendance à exagérer l’importance de ce détail généalogique pour notre génie national. Les Noirs n’étaient pas des esclaves dans notre pays.
À l’époque soviétique, l’Afrique a été libérée des colonisateurs occidentaux grâce à la sympathie fervente et efficace de notre pays. Comme le rappelle Poutine, plus de 330 infrastructures et installations industrielles ont été construites en Afrique au milieu des années 1980 avec la participation de la Russie. Il convient d’ajouter que beaucoup de choses ont été faites pratiquement gratuitement. Des dizaines de milliers d’Africains ont bénéficié d’un enseignement supérieur dispensé par nos soins.
Nous devons admettre qu’après l’effondrement de l’URSS, nous n’avons pas vraiment compris ce que nous devions faire en Afrique, bien qu’une certaine coopération se soit poursuivie par inertie. Lorsque nous disons que la Russie n’a pas réussi à s’intégrer à l’Occident, cela signifie, en particulier, que nous n’avons pas réussi à maîtriser la pratique du néocolonialisme – et Dieu merci. Maintenant que la Russie se lance progressivement dans un nouveau projet global – la construction d’un monde multipolaire – il est temps de se souvenir des meilleures pratiques de l’ère soviétique. Cette fois, la Russie pourra agir de manière plus pragmatique (1), sans illusions idéologiques, mais avec la même sincérité et la même bonne volonté.

(1) Ici l’auteur reprend une thèse courante mais oiseuse qui prétend que l’URSS se privait de l’essentiel pour obtenir les bonnes grâces de sa périphérie et du Tiers-Monde. Voici à ce sujet l’extrait d’un article de Viatcheslav Tetiokine, communiste et spécialiste de l’Afrique :
L’URSS n’a pas nourri l’Afrique, comme le disaient les béotiens, mais elle y a gagné de l’argent. […]
Ce processus s’est développé jusqu’au milieu des années 80, puis Gorbatchev est apparu et a déclaré que nous n’avions rien à faire là-bas. Ils ont commencé à crier que nous nourrissions l’Afrique, alors que nous étions nous-mêmes pauvres. Un point de vue absolument faux, ridicule et philistin ! Et notre coopération a commencé à s’étioler. https://svpressa.ru/politic/article/381400/

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