Voici la 3ème partie du travail de Jean – Claude Delaunay sur l’impérialisme contemporain.
Jean-Claude a d’abord établi (1ère partie) un cadre de compréhension de la structure productive de l’impérialisme contemporain, un impérialisme coupé de sa base nationale. Dans ce cadre, la bourgeoisie dominante contrôle des centres de profits répartis sur un grand nombre de pays. L’état n’est plus qu’une protection organisée de ces possessions à longue distances, dont les profits naviguent viia des centres “of-shore”.
Cela, nous dit Jean-Claude, a deux conséquences majeures :
- “Les économies des pays impérialistes sont des économies en voie de désarticulation faisant suite à la recherche, par les grandes bourgeoisies qui les dirigent, de formes mondialisées de rentabilité. Il s’en suit, dans leurs territoires respectifs, un affaiblissement croissant du pouvoir de ces bourgeoisies.
- En contrepartie, la mondialisation du capital monopoliste a surtout pour effet contraire de reserrer la cohérence sous tous ses aspects entre les pays qu’elle envahit ou cherche à piller, au moment même où ces derniers cherchent à se développer industriellement, et les pays du socialisme, la Chine étant au centre de ces pays.“
Il s’en suit que la forme et les contradictions rencontrées par l’impérialisme ont considérablement changé. Cela entraîne la contradiction de l’impérialisme vers la triple question du développement, du socialisme et de la paix.
L”objet de la seconde partie fut de développer le conditions de cette nouvelle modalité de l’impérialisme, en premier lieu, le remplacement de l’or par le dollar-papier (puis électronique) comme monnaie mondiale de référence.
La mise en place du dollar états-unien comme monnaie de référence, de pair avec le développement des marchés financiers généralisés, développant la libre circulation complète (en tous cas dans une certaine sphère) des capitaux produftifs, a profondemment transformé l’ensemble des bourgeoisies mondiales, devenues “compradores” et en quelques sortes rentières de capitaux financiers. Cela a également profondemment changé les conditions sociologiques et politiques. Enfin, cela a considérablement changé les rapports internationaux, les bourgeoisies de l’ensemble des pays “occidentaux”, dont la bourgeoisie française cessant d’opérer selon une stratégie propre, pour s’intégrer de plus en plus fidèlement à la stratégie US.
Les circonstances internationales ont semblé confirmer ce projet avec la dissolution de l’URSS, puis la destruction de la Yougoslavie. Peu à peu, les contradictions se sont néamoins révélées.
L’objectif de la 3ème partie, ci-après, est de revenir sur la notion marxiste de monnaie, afin d’éclairer la spécificité de cette monnaie mondiale de papier à cours flottant qu’est devenue le dollar US. Dans un premier temps, il s’agit de revenir à Marx, de reprende pied sur la question de la monnaie. Ensuite, Jean-Claude nous amène à examiner la spécificité du dollar mondial actuel.
3ème partie : Eclairage théorique marxiste du «soft-impérialisme» monétaire
La théorie marxiste ne suffit pas à tout, mais sans elle, on n’avance pas, à la condition toutefois d’éviter au moins deux contresens.
Le premier est celui qui consisterait à croire que, quand on est marxiste, on fait de la théorie «en soi», pour le plaisir ou pour montrer ses muscles. Une conception de ce genre est réductrice et elle est généralement le fait de personnes hostiles à cette théorie. Les théoriciens savent que la théorie doit avoir une justification pratique. On ne fait pas de la théorie de manière gratuite.
Le deuxième est celui qui consisterait à croire que les marxistes font la théorie des sociétés pour «dire la vérité». Une telle approche de la théorie est métaphysique. On fait de la théorie, quand on est marxiste, pour essayer de clarifier l’analyse des phénomènes et des situations en sorte que les décisions puissent être prises dans les meilleures conditions, mais on ne fait pas de la théorie pour dire la vérité. Le marxisme dans les sciences sociales ne dicte pas les décisions. Il cherche à les éclairer «sous toutes réserves». C’est une action d’essence fondamentalement modeste.
Quelle est donc la justification de la recherche théorique que je mène dans cette troisième partie et quelles sont les limites volontairement données à mon exposé?
En ce qui concerne la justification de la recherche, je dirai que faire de la théorie revient à considérer que rien ne va de soi. Dans le cas de l’impérialisme contemporain, la question qu’il m’a semblé devoir soulever était celle de savoir pourquoi, à un moment donné, ce système avait conçu que la monnaie américaine, détachée de l’or, pouvait et même devait devenir l’un de ses instruments réguliers principaux? Or la réponse ne pouvait être trouvée, m’a-t-il semblé, qu’en mettant la question en rapport avec les caractéristiques de la monnaie.
En ce qui concerne les limites de mon exposé, elles tiennent à ce que la théorie de Marx relative à la marchandise et à la monnaie, telle qu’elle ressort de ses écrits, est incomplète et toujours débattue. Les lignes qui suivent sont réputées marxistes, car cette théorie est selon moi fondamentalement correcte et demeure puissante. Mais elles ne sont que le résultat de mon interprétation. Il faut bien faire preuve d’invention si l’on veut traiter de phénomènes que lui et Engels n’ont pas connus. Mais ll faut agir ainsi en toute modestie, de manière collective et prudente.
Cette partie contient trois sous-parties. Dans la première, je vais m’efforcer de répondre, en simplifiant à l’extrême, à la question : qu’est-ce que la monnaie dans le contexte de la théorie de Marx? Dans la deuxième, je dirai comment cette compréhension marxiste de la monnaie permet d’appréhender le rôle du dollar US comme instrument d’un «soft impérialisme». Dans la troisième sous-partie, j’indiquerai les contradictions de ce rapport social monétaire de l’impérialisme.
A/ Qu’est ce que la monnaie?
1) Une définition fonctionnelle courante de la monnaie
Définir la monnaie par ses fonctions n’est pas faux, tout en étant très insuffisant. Certes on peut, comme l’enfant racontant aux Vieux de Daudet l’histoire de Daniel dans la fosse aux lions, ânonner que la monnaie sert à compter la richesse marchande, à l’échanger et à la mettre en réserve. Mais pourquoi faut-il compter? Pourquoi faut-il échanger? Pourquoi faut-il disposer d’un réservoir de valeur?
2) La monnaie est un rapport social
Dire que la monnaie est un rapport social, plutôt que la définir par ses fonctions, est une approche de la monnaie plus conforme à la théorie de Marx. Le problème est que cette expression («la monnaie est un rapport social») ne veut pas dire grand chose si l’on en reste là et même si on ajoute, ce qui est pourtant correct, que c’est «un rapport social contradictoire».
L’expression «la monnaie est un rapport social» a quand même un sens, plusieurs sens même, et malgré son caractère frustre, elle apporte des informations.
Elle signifie d’abord que la monnaie n’est pas «une chose», mais que c’est une relation, un rapport. Elle contribue, en tant que rapport entre ceci et cela, à faire bouger la société. C’est donc un facteur actif du fonctionnement et du développement de la société. Il n’y a pas que les keynésiens pour lesquels la monnaie a de l’importance (money matters). C’est aussi vrai pour les marxistes.
Ce facteur peut être appréhendé sous deux angles.
a) Le premier correspond à la dimension micro-économique de la monnaie. La monnaie est un rapport entre des individus, ou des entreprises, ou, plus généralement, des acheteurs et des vendeurs, ou des Etats, ou des Etats et des individus, etc… C’est un rapport visant à la création ou à l’extinction d’une dette.
Le deuxième correspond à la dimension macro-économique de la monnaie. La monnaie, c’est un rapport entre la production globale d’une société et sa consommation globale. C’est ce rapport dans le temps et dans l’espace. C’est un rapport entre la production d’aujourd’hui et la production de demain, entre la consommation d’aujourd’hui et celle de demain, entre la production et l’investissement, etc….Quand on évoque cette dimension macro-économique, on fait alors allusion à la quantité de valeur qu’est censée représenter la monnaie.
Au plan microéconomique, la monnaie éteint et créée des dettes. Au plan macroéconomique, la monnaie est une quantité de valeur en rapport avec la valeur globale produite et consommée.
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b) L’expression selon laquelle «la monnaie est un rapport social» signifie ensuite, dans le cadre de la théorie de Marx, que ce rapport n’est pas de nature subjective. C’est un rapport qui prend place dans un ensemble objectif d’autres rapports, lesquels sont structurés, organisés, hiérarchisés par des rapports fondamentaux (des fondements sociaux). Ces rapports «de base» sont des rapports techniques, des rapports d’échange et des rapports de propriété. Cette base forme ce que l’on appelle la structure sociale.
Au total, je crois pouvoir déduire de l’expression «la monnaie est un rapport social» que le rapport social monétaire est un élément objectif et majeur du fonctionnement et du développement d’une structure sociale donnée. Il a trait aux dettes entre agents et à leur valeur économique. Quelle est donc cette structure sociale?
3) La structure sociale dont la monnaie est un rapport social majeur
Les stuctures sociales sont d’un seul bloc. Mais la connaissance historique et l’analyse théorique permettent d’en repérer séparément les élements constitutifs.
Dans la base sociale de la société capitaliste industrielle, la société de rareté dans laquelle nous vivons, on peut distinguer trois catégories de rapports : les rapports de marché, les rapports techniques (les forces productives avec lesquelles la production des marchandises est effectuée) et les rapports de classe et de propriété. Cette approche ne vaut pas seukement pour le capitalisme industriel. Elle est générale. Elle vaut aussi pour les modes de production esclavagiste, féodal, capitaliste commercial. Elle vaut aussi pour le mode de production socialiste.
La monnaie est le rapport social reflétant ces différents rapports constitutifs et agissant sur eux. Elle est, d’une part, la conséquence et le résultat de cette base sociale. Elle en est d’autre part la cause motrice, celle qui est à l’origine du fonctionnement conjoint de ces trois rapports. Que disait Marx à ce propos?
4) Les écrits de Marx
On retrouve, dans Le Capital ou dans la Critique de l’Economie Politique, de Marx, ces différents aspects. Ils sont dispersés dans la mesure où Marx n’a pas présenté une théorie structurée et unifiée de la monnaie mais une théorie du Capital dans laquelle la monnaie prend place à des moments divers. En voici une brève indication.
a) Monnaie et détermination marchande
Dans la première section du Livre 1 du Capital, Marx décrit la place de la monnaie comme aboutissement du fonctionnement du rapport marchand propre au capitalisme. Comme toutes les sociétés de rareté, ce système produit des marchandises, beaucoup de marchandises «biens et services». Le concept que Marx étudie, dans ce chapitre, est celui de « forme valeur des marchandises». La monnaie, explique-t-il, est, postérieure à la valeur. Au sein de la forme évoluée de la valeur des marchandises, elle est la forme générale de la forme équivalent.
Dans les sociétés de rareté déjà techniquement développées (même si elles nous apparaissent aujourd’hui comme étant peu développées), regroupant une population nombreuse vivant sur un territoire étendu, la monnaie résume les échanges et les socialise par l’intermédiaire de la forme prix, aboutissement de la forme générale de la forme équivalent.
b) Monnaie et détermination capitaliste
Dans la deuxième section du Livre 1 du Capital, Marx traite de la transformation du numéraire, ou de la monnaie, en capital. Ce sont les fameuses séquences de la comparaison des cycles M-A-M et A-M-A. Il observe que A devient A’ et s’interroge sur les raisons et les moyens de cet accroissement. Après que la monnaie bancaire a été émise, les entreprises visent à transformer cette quantité de monnaie en quantité de valeur. Lorsqu’elles ont réussi individuellement leur pari, elles peuvent rembourser les banques et conserver, sous forme de monnaie, la part (A’ – A) correspondant au profit qu’elles ont réalisé.
c) La monnaie moyen de paiement, forme générale de la monnaie dans le MPC
Dans le Livre III, chapitre XXVII, relatif au crédit, Marx décrit le rôle des banques dans la création monétaire La monnaie change de statut. Dans les modes de ptaitroduction antérieurs, la monnaie était moyen d’achat. Elle permet d’acheter des biens et des services existants ou immédiatement disponibles. Avec le capitalisme industriel, la monnaie devient un projet de création des marchandises. Elle est émise par les banques sous forme de prêts aux entreprises. La monnaie devient moyen de paiement.
d) La monnaie affectée par les crises économiques. La monnaie, facteur de crises économiques
Dans la section 1 du Capital, la monnaie apparaît comme étant de nature surtout micro-économique, un rapport entre acheteurs et vendeurs. Mais dans la réalité, c’est aussi un rapport social macro-économique. Car c’est la forme la plus épurée de la valeur économique. La monnaie, engendrée par la forme valeur, devient, dans le procès de production du Capital, la représentation concrète et agissante de cette forme. On va dire, de manière condensée, que la monnaie, c’est la valeur, non seulement pour les agents de l’échange mais pour toute la société. Le concept de thésaurisation, qu’utilise Marx, est un concept à la fois microéconomique et macroéconomique. Un recueil de textes de Marx et Engels, en grande partie inédits, a été réalisée par Roger Dangeville et publiée en 1978 sous le titre «Les Crises» par l’Union Générale d’Edition. Ce recueil contient d’importants développements sur le fonctionnement macroéconomique de la monnaie.
e) La matérialisation métallique n’est pas, selon Marx, une condition nécessaire d’existence du rapport monétaire
Ce que Marx montre également est que cette forme épurée s’est logée historiquement dans un corps métallique. Mais cela ne signifie absolument pas que, pour lui, il n’y ait de monnaie que matérialisée dans un corps métallique. Il est parfaitement compréhensible, avec cette théorie, que le dollar ait été définitivement séparé de l’or tout en contiuant à fonctionner comme monnaie.
L’une des raisons en est, me semble-t-il, que quand la monnaie est rattachée à un métal, par exemple à l’or, il existe deux sortes de prix dans l’économie considérée : 1) des prix en monnaie courante, 2) des prix-or. Dans ce cas, la relation entre prix et valeur est médiatisée par deux formes prix. Cette médiation complique les échanges et l’accumulation du capital, car la relation prix-valeur fonctionne par le biais d’une double relation entre les formes du prix elles-mêmes (par exemple la production d’une entreprise ou d’un pays exprimée en monnaie nominale et cette même production exprimée en métal, en prix-or).
Le mouvement d’ensemble de cette production peut être difficile à contrôler si ces deux formes prix sont contradictoires Le fait de détacher le dollar de l’or, a correspondu à une simplication de la vie économique pour les capitalistes, celle-ci étant d’autant plus nécessaire qu’augmentait le volume des échanges et les quantités de capital sollicitées.
f) Monnaie et surdétermination étatique multiple
Marx a finalement décrit et analysé le rapport social monétaire pendant la phase de libre concurrence et d’expansion du Capital. Mais au fur et à mesure que les systèmes bancaires prennent place dans les économies, de nouvelles évolutions se font jour dans le fonctionnement de ce rapport, en particulier la mise en place, dans chaque pays développé, de Banques centrales ainsi que l’adoption d’une législation de relatif contrôle des activités bancaires. On observe donc que le rapport marchand qui structure les sociétés est non seulement déterminé par les rapports sociaux fondamentaux propres à chacune de ces sociétés, mais qu’il est en quelque sorte surdéterminé par des rapports étatiques.
Dans le MPC, il est surdéterminé par l’Etat à deux niveaux. Le premier est celui de la circulation de la monnaie au sein du périmètre territorial dont l’Etat, tout en étant l’instrument des classes dirigeantes, est la représentation comme totalité. En France, par exemple, à un moment donné de l’histoire du Capital sur le territoire de ce pays, le franc a acquis le statut de monnaie sans que cette monnaie soit rattachée intérieurement à l’or ou à l’argent. L’Etat français a décidé ce qu’on appelle le cours forcé du franc. Ce dernier a été décrété par l’Etat «vraie monnaie», c’est-à-dire monnaie éteignant les dettes, ou rapport social représentant de la richesse matérielle, et cela indépendamment de toute équivalence concrète avec les métaux.
Le deuxième niveau est celui de la valorisation du Capital. A partir du XXe siècle, les dirigeants politiques des sociétés capitalistes ont de plus en plus cherché à maîtriser les crises engendrées par le caractère anarchique de la production ou par la tendance spontanée de ce système à la suraccumulation de Capital. Les actions monétaires de l’Etat capitaliste, pour débloquer les crises de valorisation du Capital, ont été de plus en plus fréquentes.
5) Vers une définition dynamique de la monnaie
Cette sous-partie aura été l’occasion de partir d’une définition fonctionnelle sommaire de la monnaie, puis de comprendre cette dernière comme un rapport social et de l’enrichir à l’aide d’une approche, fut-elle très rapide, des écrits de Marx. Je me propose ci-après, d’abord de résumer cette approche par un schéma, ensuite de la reprendre et de la dynamiser.
a) Un résumé
Le schéma ci-dessous vise à résumer ce que je crois pouvoir déduire des écrits de Marx et d’Engels. J’y ajoute l’influence des rapports techniques, car les formes de la monnaie, ses caractéristiques quantitatives, son mode de fonctionnment ne sont pas indépendantes des forces productives. Aujourd’hui, par exemple, l’ampleur du marché monétaire ne se comprend qu’en raison des moyens techniques existant pour manipuler les quantités qui le traversent.
Le schéma ci-dessous vise à montrer que, dans le système capitaliste, on passe en permanence de la Monnaie à l’Argent puis de l’Argent à la Monnaie, et que l’Etat intervient et de plus en plus pour tenter de réguler tout ça.
Mais l’ intérêt de ce schéma est limité. C’est un emboîtement statique de formes. Il convient donc d’en expliciter la direction dans le temps. Il convient de le dynamiser.
b) Une définition dynamique de la monnaie
C’est pourquoi, après avoir rappelé cette définition statique de la monnaie, je souhaite la compléter à l’aide d’une interprétation que j’estime de nature dynamique, faisant état du mouvement qui la traverse. Ce mouvement est celui engendré par la contradiction entre la socialisation de la richesse, que la monnaie contribue à développer, et la privatisation de la richesse, qui justifie son existence.
Je crois que cette définition peut être appliquée à la forme monnaie de tous les modes de production évolués fondés sur la rareté des biens, tout en devant être adaptée à chacun de ces modes. La monnaie est la forme que prend concrètement la solution de cette contradiction, entre la tendance à la socialisation des forces productives inhérente à tout mode de production, bien qu’avec des vitesses plus ou moins grandes, et la privatisation de leurs résultats.
D’une part, au sein de tous les modes de production observés jusqu’à ce jour et ayant atteint un certain niveau de développement technique, existe une structure marchande explicative des formes les plus générales de la monnaie. C’est ce que je propose d’appeler «la détermination marchande» de la monnaie. Elle a pour effet de socialiser les marchandises et les agents des rapports marchands. Les forces productives augmentent plus ou moins la vitesse de ce mouvement. Mais d’autre part, ces modes de production ont pour finalité de privatiser la richesse au service des classes dominantes et cela, de manière spécifique, car les modes de production sont particuliers dans leurs rapports de classes. C’est ce que j’appelle «la détermination sociale» de la monnaie. On n’oublie pas que derrière tout rapport de classes existent des rapports techniques spécifiques.
Le mode de production antique diffère du mode de production féodal, qui diffère du mode de production capitaliste, qu’il soit commercial ou industriel, et du mode de production asiatique. La détermination marchande de la monnaie dans un système donné de forces productives, ce qui exprime la façon dont la richesse est socialisée, est également déterminée par les rapports sociaux dont elle est le véhicule, lesquels expriment la façon dont elle est privatisée.
C’est finalement par la médiation de l’Etat que s’opère l’amalgame de ces deux déterminations contradictoires, de socialisation et de privatisation. L’Etat fait co-exister ces deux déterminations. C’est ce que j’appelle «la surdétermination étatique» de la monnaie. L’Etat surdétermine la monnaie, comme élément simultané du rapport d’échange et du rapport de privatisation de la richesse, au sein du mode de production dont il est l’Etat.
Comment cette définition s’applique-t-elle à la monnaie américaine d’aujourd’hui? En quoi les caractéristiques qui en découlent ont-elles permis que le dollar US soit l’un des trois piliers de l’impérialisme contemporain?
B) Le dollar US aujourd’hui
Dans ces paragraphes, je vais m’efforcer d’éclairer la relation entre dollar US et socialisation, d’une part, entre dollar US et privatisation, d’autre part.
La socialisation contemporaine du dollar n’est qu’un aspect du processus global de socialisation de la monnaie qu’a apporté le capitalisme industriel. En effet, avant ce mode de production et même en son tout début, les capitalistes devaient amasser un pécule avant de lancer leur propre procès de production. C’est l’un des mérites des physiocrates que d’avoir mis ce phénomène en lumière.
L’invention de la monnaie bancaire fut une sorte de révolution monétaire. Les banques ont centralisé l’or que possédaient antérieurement les particuliers et sur cette base ont consenti des crédits fonctionnant comme monnaie. Les crédits qui sont de la monnaie sont en réalité l’amorce d’un processus d’exploitation au terme duquel, si tout se passe bien, ce qui était «promesse de monnaie réelle» devient «monnaie réelle » et permet le remboursement à la banque.
La monnaie bancaire relève du processus de socialisation dont je parle. Avec la monnaie bancaire, il s’est produit une vaste expansion nationale de l’activité économique. La socialisation actuelle du dollar US correspond à une nouvelle étape dans le processus global de socialisation des activités économiques au sein du capitalisme industriel. C’est l’étape de la mondialisation du Capital.
1) Dollar US, mondialisation et socialisation.
La relation contemporaine entre dollar et socialisation doit être examinée dans les deux sens. Elle signifie que, d’un côté, le dollar US est socialisé, mais que, d’un autre côté, c’est un instrument de socialisation. Qu’est-ce que cela veut dire? Avons-nous déjà rencontré ces aspects du fonctionnement du dollar dans les pages précédentes?
a) La socialisation du dollar US
La relation contemporaine de socialisation du dollar vue dans le sens passif signifie que cette monnaie fonctionne dans un périmètre d’économie marchande de plus en plus étendu. Les dirigeants des Etats-Unis ont craint un moment que la construction européenne ne débouchât sur une monnaie rivale de la leur. Mais ils ont vite compris qu’avec l’euro, les bourgeosies européennes poursuivaient seulement un objectif de rationalisation interne à l’Europe développée et non un objectif de concurrence monétaire externe avec les Etats-Unis.
L’accord conclu en 1971 avec l’Arabie Séoudite pour facturer le pétrole séoudien en dollars, en échange d’une protection politique extrêmement forte, a contribué à ce mouvement de socialisation.
Socialiser le dollar aujourd’hui a eu pour signification que le dollar devenait la monnaie que l’on trouverait partout dans le monde, dans les emprunts, dans les échanges, dans les facturations des matières premières, à commencer par la plus importante d’entre elles, le pétrole, que tous les pays ayant une économie en état de marche doivent se procurer si leur territoire en est dépourvu.
C’est la monnaie que l’on pourrait emprunter partout pour se développer, car avec des dollars, on peut, même si l’économie US stricto sensu est de plus en plus désindustrialisée, tout acheter et cela partout. C’est même la monnaie que certains pays adoptent comme étant leur propre monnaie.
Cette monnaie, réputée mondiale sans qu’aucun pays n’ait été consulté, est émise par la Banque fédérale des Etats-Unis. Cette banque fonctionne désormais comme Banque centrale des Etats-Unis et comme Banque centrale du Monde. Comme toutes les banques centrales, elle émet de la monnaie qui figure à son passif. Ainsi en était-il du franc et de la Banque de France. La Banque centrale du monde émet une dette, la dette américaine, qui ne sera jamais remboursée, pas plus que la Banque de France n’avait à rembourser les francs en circulation.
La Banque fédérale des Etats-Unis (ou quasi-Banque centrale du monde) déclare implicitement que sa monnaie ne fera jamais défaut, que c’est de la vraie monnaie et qu’elle a, en quelque sorte, un cours forcé mondial. Les pays ayant une certaine vie économique doivent l’avoir en réserve dans leur propre banque centrale, que ce soit pour en alimenter leurs agents nationaux ou pour faire face à des crises et financières imprévues.
Il était normal, selon le point de vue des pays impérialistes, que, dans la phase de mondialisation du capital monopoliste, le dollar fut conçu comme devant être la monnaie du monde. En effet, le volume des affaires ayant considérablement augmenté depuis le début du XXe siècle, il fallait qu’une telle monnaie fut adossée à une économie ayant une assiette suffisante. L’économie des Etats-Unis présentait cette caractéristique que l’économie britannique n’avait plus. Par ailleurs, aucune économie de pays développé autre que les Etats-Unis, et appartenant à la famille impérialiste, ne disposait de la taille critique indispensable.
C’est la première fois, en 1971, que l’or disparaît des relations économiques internationales du capitalisme industriel. Mais si ce lien n’avait pas été coupé, il aurait fallu trop d’or pour que le processus de socialisation impérialiste puisse être étendu jusqu’à son terme mondial. La rupture du dollar (et par suite de toutes les monnaies de réserve) par rapport à l’or a donc permis de socialiser l’impérialisme dans la mondialisation beaucoup plus facilement que si cette rupture n’avait pas eu lieu.
b) La socialisation du dollar a facilité la socialisation du capital monopoliste
Au début des années 1970, la suraccumulation du Capital frappe toutes les économies développées. Le capital monopoliste se doit de trouver hors des frontières nationales les nouveaux champs de sa valorisation.
La socialisation du dollar a donc permis au capital monopoliste, d’abord celui implanté aux USA, de se répandre plus aisément dans le monde. Quant aux grandes bourgeoisies des autres pays, notamment européennes, elles étaient plus faibles que leur homologue américaine et se trouvaient donc, par rapport à elle, en situation d’obéissance et non de commandement.
Mais par ailleurs, elles appréciaient que le marché américain leur fut ouvert. Enfin, elles cherchaient à améliorer leur maitrise des nouvelles technologies. Elles acceptèrent donc cette socialisation du dollar. Certes, le capital monopoliste américain arriva en Europe et, plus puissant, y conquit de nouvelles positions. Mais cette arrivée et les dollars qu’elle procurait, ainsi que l’ouverture du marché nord-américain, permirent aux bourgeosies européennes d’accéder à ce marché et ne les empêcha pas d’aller elles aussi partout dans le monde.
Ces observations concernant la socialisation mondiale du dollar US autour des années 1970, fournissent la clé des raisons pour lesquelles le pilier monétaire a été ajouté aux piliers existants de l’impérialisme. A cette époque, il ne s’est plus agi seulement de faire la guerre pour coloniser des peuples et s’approprier des ressources. Il a fallu, au delà de ces tâches traditionnelles, permettre aux capitaux monopolistes d’investir le monde, de manière fine, totalement libre, selon leur propre initiative.
La monnaie américaine fut ce moyen. Les dirigeants américains n’ont, cela va de soi, demandé leur avis à personne, mais ils furent suivis. Avant les années 1970, la diffusion de la monnaie américaine visait surtout à vendre des armes produites aux Etats-Unis. Après 1970, cette monnaie devint un moyen supplémentaire et global d’action de l’impérialisme, un moyen puissant et souple donné au Grand Capital nord-américain et à tous les agents de la GRANDE CAUSE IMPERIALISTE pour se déployer dans le monde et y valoriser leurs capitaux. Les nouvelles technologies ont donné à ce processus une ampleur sans précédent.
2) Dollar US et privatisation de la richesse
Le paradoxe de la richesse marchande, en tant que quantité de «valeur épurée», est de n’avoir aucune existence matérielle concrète. La richesse marchande, c’est-à-dire la valeur des marchandises d’une part, et l’existence de cette valeur marchande sous forme de valeur pure, de monnaie, d’autre part, sont des illusions engendrées par les rapports sociaux.
Ce sont des illusions, mais ce sont des illusions nécessaires pour le fonctionnement des sociétés de classes. C’est pourquoi les sociétés de classes ont toujours, jusqu’à une date récente, donné à ce rapport social une forme tangible, le métal. Les groupes dominants de ces sociétés ont pour finalité de s’approprier une partie du résultat du travail social. La monnaie en est le moyen. Elle est le fluide qui permet et qui finalise l’exploitation capitaliste. Elle a, dans les esprits, les caractéristiques d’une chose. En réalité, elle n’est qu’un droit de tirage sur la production actuelle et à venir, une illusion juridique. Plus la monnaie est détachée de l’or et perd son attache économique, plus l’illusion de la richesse apparaît pour ce qu’elle est, c’est-à-dire «un droit à part» de nature politique. Elle perd de son immanence naturelle et devient l’objet d’un questionnement politique : «Un droit à part? Peut-être, mais pour quelles raisons?».
Telle est la contradiction intrinsèque de la monnaie. D’une part, c’est un rapport social dont les effets sont visibles et tangibles, et qui contribue, de façon différenciée selon les modes de production, à étendre la production. D’autre part, c’est ce même rapport social, mais contribuant cette fois à privatiser une partie de ce qui a été produit. La question soulevée est celle de savoir comment la socialisation contemporaine du dollar a été prolongée par la privatisation de l’usage et de la possession de cette monnaie.
La privatisation du dollar US a été le fait de deux sortes d’agents. Les premiers sont les agents publics américains, essentiellement la Banque fédérale. Les seconds sont les agents privés, les capitaux monopolistes.
a) Privatisation du dollar et agents publics américains.
La privatisation d’une monnaie signifie que sa création, son usage et sa possession appartiennent à un groupe restreint de la population. Par différence, une société de type socialiste est une société qui procède à un usage social de la monnaie. C’est à la collectivité de créer, d’utiliser et de possèder la monnaie nationale jusqu’à ce que celle-ci devienne inutile en raison de l’abondance des biens et des services.
Dans l’état actuel des choses, la monnaie mondiale est «la chose» de la Banque fédérale américaine. Certes, cette banque prétend qu’elle est la Banque centrale du monde, mais en réalité, elle est d’abord et avant tout, la Banque centrale des Etats-Unis et des intérêts monopolistes qui prévalent dans ce pays.
Il est clair que la politique monétaire que cette Banque centrale met en œuvre dépend étroitement des besoins du grand capital américain et de considérations relatives à l’économie et à la société américaine. Par deux fois, avec les présidents Obama et Biden, les institutions financières des Etats-Unis, quasiment toutes en faillite ont été massivement renflouées par la Banque fédérale. Plus récemment, la pandémie du covid19 a été l’occasion d’une émission massive de dollars. Aujourd’hui, la guerre contre la Russie menée par les Etats-Unis est l’objet d’un financement massif.
Par contraste, les pays en développement ayant emprunté des dollars et qui ne peuvent spontanément honorer leurs dettes, sont enjoints, avec la plus grande sévérité, de prendre immédiatement les mesures restrictives et brutales qui leur permettront de le faire. Quant à combattre la pandémie, il n’est pas question de les aider parce qu’ «ils n’ont pas de quoi payer». Enfin, les décisions de la Banque fédérale relatives aux taux d’intérêt américains, prises pour des raisons internes, peuvent heurter de front les politiques économiques des pays en développement.
On observe donc d’un côté un laxisme monétaire récurrent à l’égard du grand capital américain, justifié par l’adage «too big to fail», ou bien expliqué par des raisons de politique internationale (par exemple, les pays impérialistes doivent faire la guerre à la Russie, jusqu’à son écrasement final). On observe, d’un autre côté, la surdité de ce gouvernement à l’égard des pauvres quand ces derniers sont dans la difficulté : «Pas question de réduire vos dettes. Vous êtes responsables. Il faut payer».
Enfin, la relative maîtrise des nouvelles technologies par les monopoles américains a eu pour effet de placer un grand nombre de circuits commerciaux et financiers sous le contrôle direct des Etats-Unis. Le gouvernement de ce pays est donc en mesure de dérober les dollars des entreprises et des pays n’obéissant pas à ses injonctions. Il donne des ordres aux grandes entreprises : «Vous n’aurez pas de relations commerciales avec l’Iran, vous ne vendrez rien aux Cubains et n’achèterez pas leurs produits, etc…». C’est aussi une façon de privatiser la richesse. Comme le disent les Chinois avec leur humour ordinaire, la législation américaine est «une législation aux bras longs».
b) Privatisation du dollar et agents privés (capitaux monopolistes)
La privatisation de la monnaie américaine n’est pas seulement le fait de l’Etat américain et de sa banque centrale. C’est aussi celui des capitaux monopolistes. D’une part ces capitaux bénéficient du processus ordinaire de privatisation de la monnaie qu’est l’exploitation capitaliste. Ces groupes s’implantent dans un endroit. Ils négocient leur implantation et en tirent des avantages divers, généralement fiscaux. D’autre part, on observe deux situations distinctes sous l’angle de la privatisation de la richesse, selon que le pays d’implantation est socialiste ou capitaliste .
La première situation est principalement celle observée en Chine. C’est, pour les capitaux monopolistes, la plus favorable à long terme. Le marché chinois est bien alimenté en revenus. La main-d’œuvre y est travailleuse et son utilisation y est relativement plus avantageuse que celle de la main-d’œuvre des pays développés. Dans ce cadre, la privatisation de la richesse s’opère de manière classique, sur le lieu de travail et par l’intermédiaire de la Banque fédérale des Etats-Unis. Les compagnies étrangères implantées en Chine vendent leurs produits sur le marché américain. Les dollars gagnés sont ensuite accumulés par la Banque centrale de Chine et placés par elle en bons du Trésor auprès de la Banque fédérale des Etats-Unis. L’inflation des prix américains grignote ensuite méthodiquement la valeur de cette grosse cagnotte.
La deuxième est celle observée dans des pays capitalistes en développement, moins expérimentés et moins stables que la Chine. Les capitaux monopolistes y réalisent une privatisation de court terme que l’on appelle le «flight to quality».
Imaginons un pays en développement dans lequel certains secteurs, par exemple le bâtiment ou le tourisme, se développent. Des capitaux monopolistes se déplacent et, flairant les bonnes affaires, vont dans ce pays et y investissent des dollars. Cela veut dire que des dollars sont déposés dans les banques et que le taux de change contre dollars de la monnaie du pays augmente. La banque centrale du pays, les banques du pays, deviennent apparemment plus riches en raison de la valorisation de leur monnaie. Comme elles sont plus riches, elles augmentent le volume des prêts qu’elles consentent.
Il se produit alors des phénomènes ordinaires dans cette situarion, en particulier l’accroissement des revendications salariales ou l’engorgement des affaires sur le marché local. Les détenteurs de capitaux monopolistes étrangers commencent à s’inquiéter. Ils sont venus pour réaliser rapidement de gros profits et voilà que les ouvriers de la place se mettent à revendiquer! Par ailleurs, les banques du pays, éblouies par l’effet de richesse engendré par la hausse du taux de change de la monnaie nationale, ont consenti plus de prêts que le marché local ne le permettait.
Au bout d’un certain temps, qui peut être bref, c’est la panique. Les détenteurs de capitaux monopolistes vendent leur actifs en monnaie nationale et rachètent des dollars. La monnaie locale qui avait éte valorisée dans un premier temps est alors fortement dévalorisée par suite de la sortie rapide des capitaux étangers. En raison de cette fuite, le gouvernement est alors obligé d’intervenir beaucoup plus brutalement que cela n’eut été nécessaire pour rétablir l’équilibre.
En résumé, les capitaux monopolistes utilisent leurs actifs de manière privée, sans autre considération que leurs propres objectifs de profit. Les objectifs généraux de développement poursuivis par les gouvernements de ces pays entrent en conflit directs avec les objectfs de rentabilité des capitaux mondialisés. Mais les objectifs de développement sont hors des préoccupations des capitalistes.
3) Récapitulation
La mondialisation de l’usage du dollar a eu pour but, avec une monnaie nationale particulière, de développer au plan mondial les affaires du capital monopoliste de toutes origines nationales. Elle n’a pas eu pour but de développer l’industrie des pays industriellement sous-développés, ou de sortir les pays les plus pauvres de la misère. Elle a eu pour but de sortir le grand capital de la crise durable dans lequel, au cours des années 1970, il était en train de s’enfoncer.
Il fut admis que les objectifs de la rentabilisation du capital monopoliste et ceux du développement économique national pouvaient coexister durablement. Ce fut le pari des promoteurs de l’impérialisme monéraire. Ce pari était extrêmement risqué, car il prenait à rebours toute l’expérience accumulée, celle notamment théorisée par Robert Triffin. Mais les concepteurs de ce projet se croyaient les maîtres du monde. Il n’y avait donc aucune raison sérieuse, selon eux, d’empêcher le dollar US de devenir le troisième pilier de l’impérialisme.
Marx a étudié le processus de dématérialisation de la forme équivalent général au sein des sociétés. L’observation historique montre que, à un moment donné, les monnaies ont circulé au plan intérieur sans n’avoir plus d’autre rapport que nominal avec les métaux précieux. Elles étaient alors l’objet d’une surdétermination étatique, affirmant que : «Cette monnaie vaut tant. Elle a le pouvoir d’être échangée contre telle quantité du revenu national ou, de manière plus précise, telle quantité de certains biens et services». Ensuite, dans la pratique, se faisait l’ajustement entre cette quantité déclarée et la quantité réelle. Lorsque la monnaie n’est pas liée à l’or, elle n’en demeure pas moins liée aux marchandises.
Le problème soulevé par le dollar est que le monde n’est pas un village américain ou une partie des Etats-Unis. Pourtant, avec la monnaie américaine, tout s’est passé comme si la Banque fédérale de réserve était soudainement devenue la Banque centrale du monde. Elle aurait eu le pouvoir de surdéterminer étatiquement le dollar au plan mondial, et d’affirmer que, DANS LE MONDE, «le dollar vaut tant» et que «c’est une vraie monnaie». Elle aurait eu ce pouvoir «sans en avoir l’autorisation», mais pour la raison que «les forces», en premier lieu celles de la technologie, auraient poussé dans le sens de la mondialisation. Et puisque monnaie et mondialisation allaient de pair, pourquoi la monnaie de la mondialisation n’aurait-elle pas été le dollar américain?
Cela supposait que les grandes bourgeoisies des pays intervenant sur le marché mondial acceptent cette situation. Ce qu’elles ont fait, parce que leurs capitaux monopolistes y trouvaient leur compte. Quant aux pays en développement, pour quelles raisons auraient-ils eu le droit de demander des comptes? Dans l’ensemble des règles implicites que l’Impérialisme promeut comme étant la loi du monde, il en une que l’on peut tirer de l’observation et formuler de la manière suivante : «Quand on est un pays en développement, on ferme sa gueule quoiqu’il advienne».
La création de l’euro, à la fin XXe siècle, ne doit pas être interprétée comme une tentative de contrer la prédominance du dollar. Ce fut un effort, bénéfique pour les grandes bourgeoisie européennes et américaines, de rationalisation et de simplification des rapports entre les monnaies de leurs pays respectifs et le dollar US en même temps qu’un forte limitation imposée aux travailleurs de ces pays et à leurs revendications. Les dirigeants américains ont d’abord été réservés à propos de l’euro. Mais ils comprirent bientôt, les capitaux monopolistes américains se rendant en Europe, que la création de l’euro était utile au capitaux monopolistes de tous les pays.
C) Conclusion de la troisième partie
L’originalité de cette troisième partie, théorique, tient, me semble-t-il, à la dualité que j’y ai fait apparaître, à savoir d’un côté, dans un contexte donné de forces productives et de rapports sociaux, la socialisation à laquelle la monnaie contribue et de l’autre la privatisation dont elle est l’objet et la justification.
Le dollar US eut pour mission, autour des années 1970, de mondialiser l’investissement monopoliste. Les institutions de l’Impérialisme, par exemple l’OECD, s’y employèrent tout en veillant à ce que les capitaux monopolistes puissent circuler librement d’un pays l’autre, et exploiter les différentes main-d’œuvres sans contraintes particulières.
Mais d’une part cette stratégie se révéla contraire aux politiques de développement. D’autre part la Banque fédérale des Etats-Unis et les institutions financières mondiales, soumises au gouvernement de ce pays, gérèrent l’émission de cette monnaie en fonction des intérêts de la grande bourgeoisie américaine, sans considération de l’économie mondiale et de l’aspiration générale au développement.
Il devint bientôt évident que l’impérialisme monétaire était antagonique du développement. Seule la Chine, en raison de son régime socialiste et de la force de ses institutions, put contrebalancer ces orientations. Mais c’en était déjà trop pour l’Impérialisme.
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pam
on n’a pas les schémas évoqués par jean-claude… ?
admin5319
oups : ce n’est pas passé et je ne m’en étais pas aperçu. Je corrige !!
Franck Marsal
C’est corrigé ! Mille excuses !