Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Deux ou trois choses qui me paraissent incontournables par Danielle Bleitrach

“Nous sommes exactement entre le pouvoir de la télévision et celui du réfrigérateur”. Nos masses en sont là et nous sommes incapables de les convaincre que la liberté, voire la simple survie, n’est pas dans la soumission, ni dans l’illusion qu’il faut s’adapter à ce qui est exigé de vous par ceux qui sont à l’origine des problèmes.

Alors que la situation d’une grande partie des populations d’Europe comme de celles du reste de la planète est marqué du sceau de l’urgence il faudrait avoir la force comme le font les Chinois de penser sur le long terme, cinquante ans ou plus. Parce que nous sommes dans une situation de basculement historique irréversible mais où les résistances au changement nécessaire peuvent engendrer des drames et même un conflit nucléaire. C’est en ce sens que la référence au nazisme est pertinente et pas seulement dans la prolifération de sectes et groupes qui jouent au nazisme, le parodient. Le phénomène ne se limite pas à ce à quoi on prétend le circonscrire : des extrême-droites plus ou moins infréquentables.

C’est tout le système capitaliste qui résiste au changement nécessaire et qui devient de plus en plus mortifère. Pour le mesurer il faut percevoir que le processus dans lequel nous sommes a débuté avec la première guerre mondiale (un incompréhensible prétexte balkanique) et sa conséquence la révolte des peuples devant la dite guerre et ceux qui l’ont imposée avec son mot d’ordre révolutionnaire, s’en prendre à ses propres dirigeants, les renverser, leur retirer tous les moyens d’action. C’est une vague qui n’a cessé de grossir et a également connu des reflux auxquels il était difficile de résister.

Si tout cela mérite analyse, débat et si désormais s’accumulent les réflexions sur les événements historiques, leur conséquences, il faut souligner qu’au niveau phénoménal toujours cette crise apparait comme un drame pour ceux qui sont entraînés dans ce naufrage, un chaos… des gens qui se débattent proches d’étouffer. On ne peut également qu’être frappé par le fait que c’est là où se développe la misère que l’on voit souvent surgir les signes d’une richesse de plus en plus ostentatoire, les inégalités sont la marque de ce déséquilibre au plan social mais aussi dans l’usage de la nature.

C’est pourquoi cette situation d’urgence ne peut que trouver une fausse issue dans la contrainte du système politique dominant à savoir celui de “la démocratie” occidentale qui est fait pour empêcher tout changement remettant en question ce pouvoir, cette démocratie se limite aux jeux et passions électorales, de plus en plus coupées des préoccupations populaires, de plus en plus orientées vers des coalitions de sommet, de plus en plus dictatoriales : le mépris d’un Macron, le choix d’une ligne qu’aucune protestation populaire ne peut contredire met à jour la nature réelle des institutions. De la rive, ils contemplent ceux qui se noient c’est le propre de la pensée despotique disait Marx qui accusait Napoléon de l’avoir exercée face à la Berezina de la grande armée.

Le capitalisme dans ce processus de fascisation et de bellicisme trouve dans le “fatalisme” de la “gauche” un puissant allié, l’idée d’une sorte de darwinisme social à savoir “qui ne s’adapte pas meurt” qui détruit toute alternative de gauche. Cette “modernité” c’est l’expérience de la social démocratie et de ses versions radicalisées de l’eurocommunisme dont Syrisa représente une des formes les plus achevées.

Outre son inscription géographique dans des zones sismiques historiques des Balkans à la fin de l’empire Ottoman, le KKE, le parti communiste de Grèce “bénéficie” d’une triple expérience historique: 1) celle du nazisme et de la manière dont il faut l’affronter, sous une forme démocratique par laquelle on peut résister à la famine, la mort. Le nazisme a été pour les Grecs une expérience dans laquelle le pillage extérieur se combinait avec les luttes internes des politiciens, leur incapacité bureaucratique, le tout aboutissant à un paroxysme génocidaire. C’était une œuvre de mort face à laquelle le peuple s’il veut survivre doit résister à la base, produire de nouveaux dirigeants. 2) Dans la foulée, le KKE a vécu comme un pays du tiers monde la manière dont les gouvernements “démocratiques” la Grande-Bretagne et les USA ont préféré les collaborateurs nazis à ce soulèvement populaire, il sait qu’Hiroshima ne fut pas un hasard mais bien un acte délibéré pour voler au peuple sa victoire. 3) Enfin, il a connu l’ultime expérience avec la reddition de Syriza. Les métamorphoses du nazisme à travers le diktat des marchés financiers et de leurs monopoles, il les a avalées jusqu’à la lie, les conséquences d’une telle gauche et de l’alternance des mêmes. Cela fait beaucoup d’expériences en une centaine d’années.

Le KKE dit et redit à quel point l’histoire récente de la manière dont le pseudo progressisme des “coalitions” , celle de Tsipras se traduit par un gouvernement pire que les précédents et chaque élection ne devient plus que la manière de tenter de se débarrasser du précédent pour tomber dans pire. En effet, mais les mêmes protagonistes rejouent la même comédie sous la contrainte de l’UE et des marchés financiers. Ceux-ci réclament toujours leur part de sang et de misère. Ce n’est pas seulement le retour de Tsipras ou du gouvernement conservateur, l’incapacité de ces gens-là à résister et cela ne concerne pas que la Grèce, mais c’est toute l’Europe qui vit la logique du nazisme, celle où en Europe même, est appliqué aux peuples européens la logique que l’on a infligé aux “barbares”, ou aux colonisés supposés tels. Il n’y a pas dans cette voie de solution progressiste et le cas du Portugal est là pour le démontrer.

Le parti communiste portugais est indéniablement celui qui a tenté de maîtriser le processus et son organisation, son idéologie, la manière dont il avait résisté à l’eurocommunisme lui donnait des atouts comme aucun autre parti européen: la version sociale-démocrate de “qui ne s’adapte pas meurt qui a conduit à l’expérience grecque “SYRIZA et à divers front de gauche de “gouvernance progressiste” a trouvé ici un adversaire aguerri, le capital ne s’y est pas plus trompé que face à Mitterrand, il est prêt à soutenir toute gauche qui lui assure l’affaiblissement ou la disparition des communistes et il met son appareil de propagande au service de cette cause. En fait, le Parti communiste portugais en appui critique du Parti socialiste de 2015 à 2021 a abouti au double fiasco habituel : la solution du Front populaire n’en est plus une surtout quand il n’y a aucun parti communiste prêt à résister. Le Bloc de gauche, au nom du « front anti-droite » même au Portugal connait les mêmes problèmes. Lors des élections qui ont suivi, le Parti socialiste a profité des pertes électorales du PC portugais et du Bloc et a formé un gouvernement autonome, qui a également été accueilli avec ferveur par la direction d’alors du PCF et son secteur international, qui a classé – avec l’Espagne, l’Allemagne et Syriza et tous les partis qui suivaient cette voie – dans le bloc des “gouvernements progressistes” de l’UE. Mais quelle a été la réalité de ce “progressisme” ? Les relations de travail flexibles dans le pays se sont étendues, au nom de la « réduction du chômage », tandis que l’arsenal juridique de base de l’emploi pour réduire les salaires est non seulement resté intact, mais aussi renforcé. Révéler c’est aussi la preuve qu’en 2019, le Portugal était le champion d’Europe en pourcentage de soi-disant “accidents” des travailleurs basés sur Eurostat

Le KKE vient à Paris soutenir le mouvement des retraites, le peuple grec est passé à 67 ans, la destruction des services publics, des droits du travailleurs a pris dans l’alternance démocratique entre gauche et droite une tonalité encore plus exterminatrice.

Comment peut-on prétendre aujourd’hui donner aux mouvements sociaux qui en France comme partout en Europe et dans lequel les communistes jouent un rôle positif par leurs propositions prétendre appuyer ces expériences, celles de la débâcle de SYRIZA ou même celle de nos camarades portugais ?

Nous ne sommes pas en Amérique latine où le progressisme a eu ses avancées mais qui connait des limites. On ne peut se contenter du bolivarisme, d’un mouvement, et les gouvernements réellement progressistes cherchent au moins à s’ancrer sur de nouveaux rapports sud-sud et comme Lula veulent désespérément échapper à la dictature des marchés financiers. Ils sont obligés, parce que le fascisme est allé jusqu’au bout, de revoir leur interprétation fasciste de “la démocratie” limité à des jeux “constitutionnels et des coalitions qui assurent le pouvoir sans limite de ces marchés. Pas plus que l’Afrique et les autres pays colonisés ils ne peuvent se faire d’illusion sur la bienveillance des Etats-Unis.

Dire que ce pouvoir occidental est sans limite ne signifie pas qu’il soit totalement efficace, les faits sont têtus et l’exploitation insupportable. Marianne m’a donné une excellente expression des Russes:

“Nous sommes exactement entre le pouvoir de la télévision et celui du réfrigérateur”. Nos masses en sont là.

Donc le KKE de Grèce nous dit des choses essentielles sur la nécessité de fermer la télévision et de reprendre pied dans la nécessité pour penser la démocratie mais il lui manque pour aller jusqu’au bout de son courage politique de percevoir la nature du basculement historique dans laquelle les peuples sont contraints de vivre leur résistance. Pour le moment, ce sont plus des gouvernements de pays soumis à l’impérialisme américain, contraints par lui à participer à des coalitions suicidaires y compris pour leur propres capitalistes qui paraissent avoir pris conscience de la nécessité de “la neutralité”.

En écoutant les fiers camarades grecs, j’ai littéralement été hantée par ce constat de Petros Roussos, l’un des dirigeants du KKE de la résistance et de la guerre civile: “A partir de l’été 1944, il devenait de plus en plus évident que nos efforts, nos sacrifices, nos peines, nos évolutions, nos sacrifices, ne donnaient pas le résultat souhaité. C’était comme si nous nous étions trouvés dans un champ magnétique de haute intensité où notre boussole était soumise à d’intenses perturbations “

Ce champ était celui de la contrerévolution de la guerre froide qui débute par l’horreur d’Hiroshima pour témoigner jusqu’où est prêt à aller la “démocratie” occidentale avec l’accélération face à sa propre crise du tournant des années soixante et dix. La caricature qui veut que ce soit à partir de l’horreur chilienne, de l’échec de l’unité populaire même avec un parti socialiste dirigé par un Allende qu’est mené l’assaut contre le “totalitarisme” de l’URSS, l’identification du stalinisme et du fascisme. A la tête des “démocraties” occidentales, les USA repartent dans une nouvelle forme de colonialisme, un pillage destructeur dans lequel l’ennemi désigné va l’être comme attentant aux droits démocratiques, la justification de toutes les expéditions.

Il n’y a pas seulement de l’incapacité à penser le nouveau “champ magnétique”, il y a la nécessité de répondre à l’urgence, les prudences de la Chine à l’inverse du sacrifice soviétique (qui avait déjà ses propres limites nationales) font que le parti communiste grec ne peut pas se contenter de suivre ce chemin-là, il lui faut résister sur ses propres bases, celles des souffrances actuelles du peuple grec et de sa classe ouvrière.

Voilà ce à quoi nous sommes y compris en France et qui m’ont fait prendre mes distances avec le Congrès de Marseille. Non qu’il se trouve aujourd’hui une quelconque alternative crédible politique à ce que je considère comme une voie erronée du PCF mais le danger est que ce Congrès débouche sur une nouvelle censure, un nouvel isolement dans l’illusion parlementariste et son accompagnement le syndicalisme révolutionnaire. A l’inverse de celui de la CGT, ce Congrès est resté centré sur les illusions de coalitions démocratiques, le tout à gauche contre le tout à droite qui est sans issue, une ignorance dramatique du contexte géopolitique.

Une théorie politique permet d’articuler le temps long du “champ magnétique” géopolitique et celui de l’urgence c’est le marxisme et ses développements ultérieurs dans leurs relations théorico-pratiques..

Si le congrès du PCF a représenté un tel choc c’est parce qu’il représentait non seulement le niveau zéro de la reconquête théorique, l’alignement sur le discours dominant en matière géopolitique mais il y avait plus grave nous étions à nouveau sur le fond dans le problème des coalitions et de l’adaptation de fait au système, ce n’était pas un hasard si son ouverture avait fait appel uniquement aux forces type SYRIZA, il y avait une logique et un certain nombre d’entre nous savent par expérience que cette logique consiste à la fin à bloquer tout débat, à ne donner droit de cité qu’à ce que tolère le consensus “démocratique” européen, il y a ce qui peut se dire et ce qui relève d’un véritable sacrilège. Ce qui de fait favorise une vision complotiste et d’extrême-droite.

Après avoir subi pendant trente ans ce système, il m’est totalement impossible de continuer et je demande le droit au retrait. C’est tout. Ce blog continuera à avoir des intervenants qui poursuivront le débat dans le PCF, dans la constellation communiste en ce qui me concerne je refuse de me sentir étouffée dans un politiquement correct qui ressemble à un plateau de télévision de LCI au moins en ce qui concerne ce que je définis comme le “champ magnétique” qui oriente de fait nos efforts militants. Il existe dans ce blog une belle équipe, la preuve est faite qu’ils peuvent se passer de moi et de l’usage parfois pernicieux de mes “chapôs” puisqu’ils évitent à certains de faire l’effort de lire l’article en entier.

J’espère à ce titre que vous m’autoriserez des divagations sur l’origine du monde… C’est mon mode d’accès à la sérénité et cela n’est pas étranger à l’engagement communiste et à la liberté, celle de Démocrite et Épicure auxquels Marx consacra ses derniers travaux universitaires avant de devenir journaliste puis militant.

Danielle Bleitrach

Illustration : ce navire échoué sur cette immense plage déserte s’appelait Dimitri, il était celui de trafiquants, semi-pirates… La mer était douce et chaude le sable avait des tons de brun et de gris… L’air était encore gelé malgré le soleil, à cause de la montagne noire et ce fut un délice de marcher pendant des kilomètres sur cette plage, celle-là et tant d’autres… Demain je vous parlerai de Ritsos et d’une autre rencontre et de ce qu’elle m’a appris… ce jour-là était celui de mes 85 ans… Dans le fond je ne cherche qu’à vous expliquer que la liberté n’est pas ce que l’on croit.. et que nous convaincre de la nécessité de demeurer aliénés est la pire ruse de nos ennemis.

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