Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Afrique, preuve éclatante de la faillite du monde unipolaire dirigé par les États-Unis

https://vz.ru/opinions/2023/4/18/1207948.html

Par Igor Karaulov, poète, essayiste, 18 avril 2023


Ces derniers jours, une note africaine a fait irruption de manière inattendue dans notre flux habituel de nouvelles (Russie-Ukraine-NATO-Chine-Moyen-Orient). Un conflit armé a éclaté au Soudan, dont certains pensent qu’il risque de dégénérer en une longue guerre civile. Pour nous, la principale caractéristique de ce conflit est qu’il est très difficile d’en comprendre le sens. D’un côté, il y a l’armée régulière, de l’autre, une sorte de Force de réaction rapide (FRR), qui s’avère être une milice tribale précédemment utilisée par le gouvernement pour lutter contre les rebelles opérant dans diverses régions du Soudan, principalement dans la région occidentale du Darfour. La FRR est assez importante (100 000 hommes), très mobile mais plus légèrement armée. Et c’est là que la clarté s’arrête.
Qui se bat pour quoi ? Quelles sont les forces extérieures qui se cachent derrière ces deux groupes ? Avec qui devrions-nous sympathiser dans ce conflit du point de vue des intérêts russes dans la région ? Jusqu’à présent, aucun expert qui s’est exprimé sur le sujet n’a fourni de réponse claire. L’Afrique semble trop éloignée de nous pour que nous puissions comprendre immédiatement ses problèmes. C’est probablement de la même manière que, quelque part sur l’île de Bali, on ne comprend pas pourquoi les Russes et les Ukrainiens se disputent. L’Afrique est en effet très éloignée, mais nous sommes tous des citoyens d’une humanité commune, et nous devons donc essayer d’imaginer ce que signifie la flambée de violence au Soudan dans le contexte panafricain et dans le contexte mondial.
Les affrontements humains, en particulier dans les régions sous-développées où les hommes sont plus dépendants des forces de la nature, sont souvent le reflet de conflits naturels. Dans le cas de la région à laquelle appartient le Soudan, il s’agit du conflit entre le désert inhabitable et la savane plus fertile. Les principaux événements se déroulent dans la bande de terre intermédiaire qui s’étend d’ouest en est et qui s’appelle le Sahel. On estime qu’il abrite 300 millions de personnes. Le Sahel est une zone qui subit réellement, et non pas dans l’imagination des militants verts, les effets du changement climatique, changements qui ont commencé à être enregistrés avant que le discours sur le réchauffement de la planète ne devienne à la mode. Le constat est simple : le désert avance.
Les conditions agricoles changent, des famines apparaissent ici et là, et les populations ont tendance à migrer des zones les moins favorables vers les zones les plus favorables. Les phénomènes naturels déclenchent des inimitiés entre les peuples et les groupes sociaux. Dans le cas du Soudan, du Tchad et du Mali, il s’agit des contradictions entre les nomades sémites du nord (Arabes et Berbères, y compris les Touaregs) et la population noire sédentaire du sud. Les nordistes professent l’islam, les sudistes sont aussi bien musulmans que chrétiens. Cet antagonisme a déjà coûté au Soudan une grande partie de son territoire : il y a 12 ans, sous la pression occidentale, le Sud-Soudan a été séparé de ce pays et a obtenu son indépendance ; Dieu merci, il n’y a pas eu de bombardements humanitaires à Khartoum, mais lorsqu’on se souvient du précédent du Kosovo, où le principe de l’intégrité territoriale d’un pays a été violé, il ne faut pas oublier le précédent soudanais.
Dans le même temps, la séparation du Sud riche en pétrole et du Nord riche en or n’a apporté la prospérité à aucun des deux pays (tous deux stagnent au bas de l’échelle du PIB par habitant) et n’a pas empêché le séparatisme armé au sein de la République du Soudan, aujourd’hui amputée. Il en résulte une population pauvre, un gouvernement aux abois avec des coups d’État militaires occasionnels, des groupes armés qui contestent ici et là le pouvoir du centre, et un commerce criminel florissant tel que la contrebande d’armes. Ce dernier point rapproche les continents d’une certaine manière ; par exemple, un avion ukrainien a été endommagé au cours des combats sur un aérodrome soudanais et il ne devait pas transporter du lard et des “galuchki”.

Le Soudan n’est pas le seul à vivre dans ces conditions. Il en va de même au Tchad, où le conflit entre le Nord et le Sud a déjà conduit à une intervention libyenne, et au Mali, où, contrairement à la situation soudanaise, les séparatistes sont des Touaregs nomades qui ont créé un État islamique*, l’Azawad, que personne n’a encore reconnu. Il y a suffisamment d’agitation en dehors du Sahel. Tout le monde s’est depuis longtemps habitué au fait que la Somalie en tant qu’État unique n’existe pas. La Libye a été détruite par l’OTAN et son intégrité n’a pas encore été rétablie. La guerre dans la région du Tigré, en Éthiopie, dans laquelle l’Érythrée était également impliquée, a récemment pris fin. Les affrontements entre chrétiens et musulmans se poursuivent au Nigeria et en République centrafricaine.
En d’autres termes, l’Afrique est aujourd’hui non seulement un continent de près de 1,5 milliard d’habitants qui continue à croître rapidement, mais aussi la principale zone de guerre de notre planète. Ainsi, s’il venait à l’esprit de quiconque aujourd’hui, comme au bon vieux temps, de se battre pour la “paix dans le monde”, ce serait aux deux tiers pour la paix en Afrique. Et lorsque nous parlons de la faillite du monde unipolaire dirigé par les États-Unis, c’est en Afrique que nous trouvons la preuve la plus évidente de cette faillite. La Pax Americana n’a pu vaincre ni la guerre, ni la famine, ni la maladie en Afrique. Aujourd’hui encore, lorsque la Russie, à son propre désavantage, prolonge sans cesse l'”accord sur les céréales” pour que les céréales ukrainiennes soient acheminées vers l’Afrique, c’est l’Europe bien nourrie qui prend les céréales pour elle. Et lorsque la Russie accepte de faire don de ses engrais à l’Afrique, les pays de l’OTAN cherchent à l’en empêcher.
Nous attendons beaucoup du nouveau modèle mondial multipolaire. Nous aimerions avant tout résoudre nos propres problèmes, achever avec succès la SVO et nous protéger de l’Occident. Avec la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le Moyen-Orient sera probablement plus calme, et la guerre au Yémen, par exemple, prendra fin. Il serait bon que les tensions inutiles entre l’Inde, le Pakistan et la Chine soient résolues. Mais le test le plus important du nouveau système d’ordre mondial sera sa capacité à mettre de l’ordre en Afrique et à la mettre sur la voie du développement civilisé. Ce n’est pas pour rien que les sanctions anti-russes ne sont pas soutenues sur ce continent. De nombreux pays africains ont depuis longtemps ouvert leurs portes aux entreprises chinoises et, dans les régions particulièrement troublées, les services de la société privée russe Wagner sont très demandés. Enfin, les BRICS, auxquels pourraient se joindre, outre l’Afrique du Sud, des pays comme l’Égypte et le Nigeria, pourraient également jouer un rôle positif.
Mais les objectifs des États-Unis aujourd’hui sont très probablement à l’opposé. L’hégémon sortant serait mieux servi si des événements comme ceux du Soudan devenaient la norme dans d’autres parties du monde. Washington rêve sans doute de voir l’ensemble du territoire de l’ex-Union soviétique transformé en un véritable chaos sanglant et douloureux, avec diverses structures de pouvoir et simplement des gangs se disputant sans cesse les uns les autres, de Kaliningrad à Vladivostok et de Norilsk à Kouchka. L’alternative à un monde multipolaire et à notre victoire dans la SVO pourrait bien être l’africanisation de notre pays. Il convient d’y réfléchir alors que nous assistons à la bataille entre deux forces tout aussi incompréhensibles l’une que l’autre dans le lointain Soudan.

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