Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Starmer change la base électorale du Parti travailliste

La politique en Angleterre, ou comment le Parti Travailliste renonce à ses ambitions sociales de renforcement du secteur public. Le programme de Corbyn contenait des nationalisations, et Starmer l’avait adopté pour se faire élire chef en 2020, et l’abandonner une fois élu. Pour couronner le tout, il interdit maintenant à Corbyn de se présenter comme candidat du parti. Catherine Winch nous propose cette analyse de la crise politique qui secoue une Grande-Bretagne en proie à des grèves inusitées avec un gouvernement conservateur sans assise sociale et un parti travailliste qui s’arcboute dans le même positionnement que les démocrates aux Etats-Unis, la gauche française à savoir l’incapacité à représenter politiquement ce mouvement, alors qu’en France le PCF pourrait permettre une nouvelle expression, le choix de l’atlantisme et de l’Ukraine par le PCF l’empêchera de représenter l’alternative, c’est dommage parce que la France aurait eu une autre possibilité que cette courte vue qui ici va jusqu’à interdire de parti Corbyn et s’enfonce dans une gauche qui a renoncé totalement au socialisme, un parti travailliste qui rompt avec les fondamentaux de classe. (note de Danielle Bleitrach et Catherine Winch, traduction de Catherine Winch pour histoireetsocieté)

https://labouraffairs.com/2023/04/02/starmer-changes-labours-voting-base/

Le 28 mars, le Comité exécutif national (NEC) a adopté une motion interdisant à Jeremy Corbyn, l’ancien dirigeant du Parti travailliste, de se porter candidat dans la circonscription où il a été député pendant les 40 dernières années.

C’est une motion remarquable parce qu’elle est fondamentalement fausse. L’article 5 de la motion de Starmer note “que, lors de l’élection générale de 2019, dirigée par le parlementaire Jeremy Corbyn, le Parti travailliste a élu 202 députés au Parlement, soit le nombre le plus faible de députés travaillistes élus depuis l’élection générale de 1935”.

Il s’agit d’un fait avéré. Cependant, sa signification est certainement ouverte à l’interprétation. Pourquoi le parti travailliste a-t-il perdu un grand nombre de sièges en 2019 ? L’implication que nous sommes encouragés à tirer de la motion est que la responsabilité de la perte de sièges incombe à Corbyn. Ce n’est pas vrai. La responsabilité première de la perte de sièges incombe à Keir Starmer. Il a piraté la conférence du parti en 2018 pour engager le parti à organiser un second référendum sur le Brexit s’il remportait les prochaines élections générales en 2019. Boris Johnson s’est présenté aux élections générales de 2019 avec le slogan “Get Brexit Done” [Finaliser le Brexit]. Le parti travailliste s’est battu avec la politique de Brexit de Keir Starmer, que le “mur rouge” (1) a compris comme ” Stoppons le Brexit “. La stratégie de Starmer s’est traduite par la perte de quelque 55 sièges du “mur rouge” qui avaient voté pour le parti travailliste depuis des temps immémoriaux, mais dont les électeurs se sont sentis trahis par la politique de Starmer concernant le deuxième référendum et se sont abstenus en masse. Il est intéressant de noter que, malgré ces abstentions, les travaillistes ont obtenu plus de voix sous Corbyn en 2019 qu’Ed. Miliband en 2015 ou Gordon Brown en 2010.

La clause 7 de la motion du NEC de Starmer affirme ensuite “que la position du Parti travailliste auprès de l’électorat dans le pays, et ses perspectives électorales dans les sièges qu’il doit remporter pour obtenir une majorité parlementaire et/ou gagner la prochaine élection générale, sont toutes deux considérablement diminuées si M. Corbyn est soutenu par le Parti travailliste comme l’un de ses candidats à la prochaine élection générale.”

Cette affirmation est très curieuse. Le nombre de membres du parti travailliste est passé de quelque 200 000 à plus de 500 000 après l’arrivée de Corbyn à la tête du parti. Lors de la première élection générale organisée sous la direction de Corbyn, le parti travailliste a mis fin à la majorité globale des conservateurs. Le parti travailliste, sous la direction de Corbyn, était manifestement très populaire. Quels anciens électeurs travaillistes ne voteraient pas aujourd’hui pour le parti travailliste si Corbyn était autorisé à se présenter ? Quelques fervents partisans de la guerre menée par Israël pour conquérir et coloniser les territoires palestiniens pourraient choisir de ne pas voter travailliste. Mais ils seront infiniment moins nombreux que les partisans du Labour qui voteront “vert” en signe de protestation en raison du traitement déshonorant de Corbyn par Starmer. La politique de blocage de Corbyn entraînera une baisse du vote travailliste parmi les anciens partisans du parti. Starmer le sait et on peut donc supposer qu’il cible les électeurs qui n’ont jamais voté pour le parti travailliste.

La motion de Starmer fait référence aux “perspectives électorales du Labour dans les sièges qu’il doit remporter pour obtenir une majorité parlementaire”. C’est la clé de la motion de Starmer. Starmer vise des sièges qui ont rarement voté pour les travaillistes. Il tente de rendre le parti travailliste attrayant pour des électeurs qui n’auraient jamais envisagé de voter pour lui.

Pour y parvenir, il devra abandonner presque toutes les politiques radicales sur lesquelles il s’est présenté au moment de son élection à la tête du Parti travailliste. Pour gagner ces sièges, M. Starmer est prêt à engager le parti travailliste dans un programme national favorable au marché, aux entreprises et aux syndicats. Il dépensera de l’argent pour le NHS et la lutte contre le changement climatique. Mais ces dépenses seront limitées par les règles fiscales et la volonté de réduire les impôts.

L’establishment britannique avait été choqué par les résultats des élections générales de 2017. Jeremy Corbyn, socialiste dans ses politiques économiques et sociales, mais aussi fervent opposant à la détermination d’Israël à conquérir et à coloniser les territoires palestiniens, a failli être élu Premier ministre de Grande-Bretagne. L’establishment a entrepris de détruire Corbyn. En empêchant Corbyn d’être candidat travailliste lors d’une future élection générale, Starmer envoie un message clair à l’establishment. Ils n’ont rien à craindre d’un futur gouvernement travailliste. Un tel gouvernement dépensera plus pour le NHS, les écoles et le changement climatique. Mais c’est à peu près tout. Sur le plan international, il sera un soutien fiable des États-Unis et de l’OTAN et hostile à la Russie et à la Chine.

Le problème avec cette stratégie, c’est qu’un gouvernement Starmer sera sévèrement limité dans ce qu’il peut accomplir. La Grande-Bretagne a besoin d’un État beaucoup plus fort qui prendra en charge les nombreux domaines dans lesquels l’entreprise privée a échoué : le logement, les transports, l’énergie, l’éducation, la santé, l’eau, le changement climatique. Sans un État plus fort, rien ne changera.

Starmer peut remporter une majorité globale en apaisant les craintes de certains électeurs de la classe moyenne, mais il prendra le pouvoir sans avoir reçu le mandat de procéder aux changements radicaux dont la société britannique a besoin.

(1) l’ensemble de circonscriptions qui traditionnellement votent Travailliste sans faute à chaque élection, situées dans le nord de l’Angleterre.

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