https://vz.ru/opinions/2023/3/29/1204837.html
Il suffit de lire les première lignes du texte que nous publions aujourd’hui pour voir qu’il ne s’agit pas d’une production de l’internationale communiste si celle-ci existe. Mais dans le silence de nos médias, il ne reste plus que les communistes pour défendre la liberté religieuse. Parce que la dimension nazie, celle qui cherche à détruire dans une population tout ce qui est considéré comme sous-homme, ici la référence russe, ne s’arrête jamais dans sa traque absurde. Dans la chute de l’empire étasunien et de leurs alliés occidentaux et le monde multipolaire en train de naître, allons nous assister au double paradoxe: celui de capitaux courant chercher protection sous dictature du prolétariat comme des religieux persécutés ailleurs, à condition de laisser l’orientation, la planification, le politique au socialisme ? Les Russes eux mettent dans la défense de l’orthodoxie menacée une pointe d’ironie vu que les dits moines avaient manifesté une allégeance sans faille au régime ukrainien. Partout le caractère grotesque d’un pouvoir aux abois démontre sa perte d’hégémonie au sens où l’entendait Gramsci et comment il ne reste plus que la violence, celle de la répression et de la guerre. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société)
Sergei Khoudiev, publiciste, théologien
29 mars 2023
On ne peut pas dire que l’attention du monde entier soit rivée sur la persécution de l’Église orthodoxe ukrainienne par les autorités. Bien que, semble-t-il, la situation soit tout simplement flagrante – dans un État européen considéré comme démocratique, on assiste à une persécution sans précédent depuis l’époque des bolcheviks de la plus grande communauté religieuse du pays.
Les autorités attaquent notamment deux des plus grands monastères ukrainiens : la laure de Kiev-Pechersk (dans la capitale du pays) et la laure de Potchaev (dans la ville de Potchaev, dans l’ouest de l’Ukraine). Les deux monastères appartiennent à l’Église orthodoxe ukrainienne ; les autorités veulent les transférer à l’EOU – “l’Église orthodoxe d’Ukraine”, une structure créée par l’État sous le règne du président Porochenko avec l’aide du patriarche Bartholomée de Constantinople.
Les deux monastères sont les centres spirituels les plus importants du pays. Et ce ne sont pas seulement des lieux de prière et d’actes monastiques – ils sont très importants dans la vie spirituelle d’un grand nombre d’Ukrainiens croyants. Ce sont les lieux où ils trouvent prières et sacrements, conseils et réconfort dans les douleurs. Ces monastères sont toujours pleins de paroissiens réguliers et de pèlerins de tout le pays – et d’ailleurs. Par conséquent, les donner à l’EOU ne signifie pas simplement transférer des biens immobiliers d’un propriétaire à un autre. Cela signifie ruiner les foyers spirituels qui occupent une place énorme dans la vie du pays dans son ensemble et de nombreuses personnes spécifiques.
Ce serait une ruine même si l’EOU avait assez de moines pour soutenir la vie dans les monastères transférés. Un monastère n’est pas une usine, et ici vous n’avez pas seulement besoin d’un certain nombre d’ouvriers qualifiés. Ici, nous avons besoin de ces relations de confiance et de proximité spirituelle qui se sont construites au fil des années et des décennies, nous avons besoin, en termes laïques, d’une réputation. Mais l’EOU n’a pas un grand nombre de moines ; et pas trop de paroissiens non plus. Les bâtiments religieux remis à l’EOU sont souvent à moitié vides ou sous cadenas.
L’option sur laquelle les autorités insistent – les moines peuvent rester et continuer leur service s’ils passent de l’Eglise orthodoxe ukrainienne à l’EOU – est rejetée pour des raisons canoniques. Les canons sont les lois internes de la vie de l’Église, et dans le cas de l’EOU, ils ont été violés. Le fait est que dans la théologie orthodoxe, le concept de succession apostolique est d’une grande importance. Les apôtres ont transféré le pouvoir de guider l’Église et d’administrer les sacrements à leurs successeurs, les évêques, par le sacrement de l’ordination [mot-à-mot : imposition des mains, NdT]. Les successeurs immédiats des apôtres à la génération suivante de pasteurs et ainsi de suite. Une chaîne d’ordination ininterrompue relie chaque évêque et chaque prêtre orthodoxe aux apôtres.
De plus, il ne s’agit pas seulement et pas tant de pouvoir administratif. Par l’imposition des mains, les dons spéciaux de l’Esprit Saint nécessaires au service pastoral sont transmis. Le problème est que l’EOU a été organisée sur la base du soi-disant patriarcat de Kiev, une structure créée au début des années 1990 par Philarète Denisenko, qui a décidé, après avoir perdu la lutte pour le trône du patriarche de Moscou, de créer son propre patriarcat, se déclarant, avec le soutien des autorités laïques, « patriarche de Kiev ».
Non seulement cela n’a été reconnu par personne dans le monde orthodoxe – Denisenko a été anathématisé, excommunié de l’Église, qui à l’époque était reconnue par tout le monde, y compris le patriarche Bartholomée de Constantinople. Certains des « évêques » de l’EOU, dont son chef Sergei Dumenko, sont à la fois « tonsurés monastiques » et « ordonnés » par Philarète, alors qu’il était déjà sous anathème et ne pouvait accomplir aucun sacrement. Autrement dit, l’EOU est une structure dans laquelle la succession apostolique a été perdue. Bien sûr, pour les politiciens laïcs, tout cela est incompréhensible et sans intérêt. Qu’est-ce que la succession apostolique ? La nation a besoin d’une Église nationale servant les intérêts nationaux de la manière demandée par les dirigeants nationaux. Il y a une telle Église – c’est l’EOU. Si vous avez vraiment besoin d’aller à l’église le dimanche, allez-y. Vous ne voulez pas? Eh bien, vous êtes des agents de Moscou.
En politique, les parties en conflit jouent sur le même terrain, selon des règles compréhensibles de part et d’autre. Il y a des intérêts poursuivis par les deux parties. Il y a des ressources à sa disposition : argent, armes, pouvoir de propagande, alliés qui, à leur tour, poursuivent leurs propres intérêts. Il existe une motivation tout à fait compréhensible – l’engagement envers l’un ou l’autre centre de pouvoir, en comptant sur leur patronage. Il y a des passions tribales de la foule, que ses dirigeants partagent à peine – mais utilisent habilement. Tout cela affecte-t-il le comportement des gens de l’Église ? Oui, eux aussi peuvent plier sous les vents de ce monde et succomber à ses tentations.
Mais avec tout cela, il y a une motivation complètement différente dans l’Église, que les politiciens de ce monde ne voient pas – les gens croient vraiment en Dieu, ils veulent Lui plaire et obtenir le salut éternel. L’église existe précisément à cause des gens qui prennent Dieu au sérieux – plus au sérieux qu’une nation, des centres de pouvoir mondiaux et n’importe quoi d’autre. Par conséquent, les efforts pour faire entrer tous les orthodoxes d’Ukraine dans l’EOU sont au point mort – les croyants ne veulent pas que leur foi et leur vie d’église soient déterminées par des politiciens qui sont méprisants et indifférents à ce qui est le plus grand sanctuaire pour eux et qui détermine le sens de leur vie.
Il ne s’agit pas d’un conflit entre les partisans de l’Ukraine et de la Fédération de Russie. Il s’agit d’un conflit entre l’État, dont les fonctionnaires ne croient généralement pas à l’existence d’une telle chose qu’une conscience religieuse, et les croyants, pour qui l’Église est la maison de Dieu, et non un instrument de divers centres de pouvoir, qu’ils soient situés à Kiev, Moscou ou Washington. Mais pour les centres de pouvoir, acteurs éminents du champ politique, ce qui se passe avec l’Église ukrainienne est véritablement une épreuve, un « test ». Une situation dans laquelle il devient clair comment les gens adhèrent réellement aux principes dont ils se déclarent les gardiens.
Le métropolite Onuphre de Kiev (et après lui le patriarche Cyrille de Moscou) a lancé un appel à diverses organisations internationales pour qu’elles prêtent attention au fait que les droits des croyants ukrainiens sont violés. On ne peut pas dire qu’il n’ait pas porté de fruit. Pour défendre ses lauriers, quoique avec retenue, le Pape de Rome, président du Conseil œcuménique des Églises, plusieurs communautés chrétiennes ont pris la parole. Mais la réaction à la persécution de la plus grande communauté religieuse dans l’un des pays européens s’est avérée beaucoup plus modérée qu’on aurait pu s’y attendre.
Le Département d’État, qui joue le même rôle dans la religion des droits de l’homme que le pape joue dans le catholicisme – ou du moins prétend le faire – garde un silence majestueux. Cependant, cela peut difficilement être qualifié de surprise – l’EOU a été créée avec la participation active de la diplomatie américaine, sinon à son initiative. L’archevêque de Cantorbéry se tait également, mais on peut le comprendre. Il est trop occupé à faire avancer l’agenda de sa communauté et à vaincre la résistance de ceux qui croient encore en la Bible. Mais le patriarche de Constantinople soutient directement l’expulsion de l’EOU de la laure de Kiev-Pechersk – bien que certains hiérarques grecs s’y opposent.
La réaction (ou plutôt la faiblesse de cette réaction) pointe vers la destruction de ce qu’on appelle le « capital symbolique », tant chez ses porteurs laïcs que religieux. Permettez-moi d’expliquer ce que je veux dire. Nous vivons dans un monde concurrentiel où les individus, les entreprises, les États et leurs syndicats poursuivent leurs propres intérêts. Cependant, cela ne peut pas être appelé la “loi de la jungle” dans sa forme la plus pure – en plus de la force brute, la force douce est également d’une grande importance. La confiance des gens dans le fait que vous avez des principes et que vous vous y tiendrez.
La réputation d’une personne honnête et de principe n’est en aucun cas une décoration inutile. C’est une ressource importante. Pour les politiciens (et en particulier les organisations internationales), la réputation des personnes qui sont sérieusement attachées aux principes du droit et de la morale, par exemple le principe de la liberté religieuse, est importante. Et ici, il y a une tension inévitable entre l’engagement d’un certain côté du conflit (quel qu’il soit, « c’est notre fils de pute, nous avons intérêt à le soutenir ») et la volonté de préserver la réputation des gens de principe. L’esprit de principe se manifeste juste au moment où les gens sont prêts à mettre de côté leurs intérêts au nom des principes.
Mais hélas, le plus souvent, on assiste à l’oubli des principes au profit des intérêts. C’est compréhensible, mais cela détruit le capital symbolique, et le détruit rapidement. La question est de savoir sur quoi reposent les prétentions du patriarche Bartholomée ou du département d’État américain à guider les nations. La question se pose inévitablement ici. Et il n’y a pas de réponse convaincante.
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