Si Frida a eu une aventure sentimentale avec Trotsky, cela n’a jamais fait d’elle une trotskiste, pas plus que son séjour parisien, ses contacts avec Breton ne l’ont empêché de haïr les mondanités autour de Breton. En 1954, elle écrit le texte que vous lirez en fin de cet article et elle peint ce tableau. Staline vient de mourir et il laisse une Union soviétique capable de lui survivre, un mouvement communiste unifié même s’il n’y a plus le komintern. Sa mort est saluée partout y compris par les dirigeants capitalistes. Des queues immenses viennent témoigner de leur chagrin et de leur attachement devant les ambassades de l’URSS.
Comment dire ce que fut ce moment enfoui sous des couches de pollution de la contrerévolution ? Pas pour affirmer une allégeance non simplement pour essayer de dire ce qu’il en était et ce que nous éprouvions.
Personnellement, j’ai 15 ans, j’organise une minute de silence dans mon lycée pour celui qui a vaincu le nazisme et je parle de Stalingrad de toute mon âme. Tout le réfectoire se lève et des enseignants pleurent devant mon initiative, celle d’une gamine. Il est difficile de reconstituer aujourd’hui l’immense prestige dont jouissaient l’URSS, le communisme, le marxisme, tout cela plus ou moins hypostasié autour du stalinisme. Et si je dis cette minute de silence, cela sera l’occasion simplement d’une plaisanterie “elle était déjà stalinienne” et le constat d’un ridicule, maintenant que l’on sait. Que savez-vous ? De moi autant que de cette histoire-là ? Êtes vous sûrs de vos convictions ? De ce dont parle réellement Frida Kahlo ?
En 1956, c’est le rapport Khrouchtchev, ce fut un choc. Pourtant, là encore il faut bien mesurer qu’en 1956, malgré la Hongrie, les foules prenant d’assaut les sièges des partis communistes, jamais on n’aurait osé dire dans le contexte du dit rapport, ce qui est avancé aujourd’hui sur Staline et sur l’URSS. Étrange paradoxe, alors les foules expriment leur refus de l’intervention russe en Hongrie, alors que les manifestations en soutien de l’Ukraine ne regroupent qu’une poignée, pourtant l’effort des médias n’est pas moindre mais il y a ce sentiment général d’une histoire qui n’est pas la nôtre.
Quant au rapport, publié par le Monde parce que l’Humanité s’y refuse, il est d’une grande médiocrité d’ailleurs et il fut peu étudié. Il resta méconnu, une simple impression de tyrannie, qui organisa le silence plus que des analyses. Pouvoir personnel, goulag, enfin pas encore, il favorisa de ce fait un pragmatisme politique et les prémisses de l’inculture politique. Maurice Thorez on le sait en voit tout de suite le caractère destructeur et il compris tout de suite qu’il instituait le scepticisme sur le collectif, sur son pouvoir, sa lucidité. Ce n’est pas un hasard, c’est parce que Thorez s’était attaché à faire du parti communiste français l’héritier de classe de toute la civilisation française, de son histoire et de son caractère universel. Le peuple français avait toujours raison comme le disait dans Ce soir, le journaliste Aragon. Il comprit tout de suite en quoi une telle condamnation ne laissait intact ni Staline, ni ceux qui osaient en renverser la figure du collectif sur de telles bases, il pensa même se rapprocher de la Chine et alla voir Togliatti pour en organiser la dénonciation. Il y eut des tentatives d’analyse pour dépasser ces ragots autour du personnage, celles d’Althusser mais cet “antihumanisme” était le signal aussi de la décomposition. Le premier qui s’y colla avec un peu plus de sérieux ce fut Lukacs qui en fit un dogmatisme mais toujours affirma que c’était l’ère de Staline qui par deux fois sauva le monde, en terrassant le nazisme et en ayant la bombe atomique contre le ventre fécond de l’impérialisme qui n’osa plus jusqu’à ce jour l’utiliser.
Non jamais, jamais, jusqu’à la fin des années quatre vingt dix, dans la débâcle de la contrerévolution en particulier en Europe on n’osa ce qui se dit actuellement, y compris chez les communistes aujourd’hui, à savoir tracer le moindre signe d’égalité entre communisme et nazisme. Ce n’était même pas envisageable.
Ce fut l’œuvre de la plus immonde des propagandes qui a été le produit à partir de 1971, née de la “contrerévolution néoconservatrice partie de l’horreur chilienne” et qui a déferlé sur le monde communiste qui se disait “eurocommuniste”. Cette “révolution conservatrice” qui en fait a détruit toutes les formes de résistance collective en se déclarant libéral-libertaire, a largement contribué à accompagner la vague d’un capitalisme destructeur de toutes les solidarités et des services publics qui n’a plus eu de frein avec la chute de l’URSS. Ce mouvement a pris toute son ampleur en France, avec le mitterrandisme, il s’agissait de diminuer le plus possible l’influence des communistes là où il y avait des risques de prise de pouvoir par la gauche.
Ce fut un raz de marée idéologique et culturel, et l’un des buts fut de mettre à mal la “dictature du prolétariat” ou la démocratie poussée jusqu’au bout, puisqu’elle arrachait le pouvoir d’Etat à la bourgeoisie et faisait du prolétariat celui qui à travers le parti créait un nouveau pouvoir, un appareil de répression mais aussi une hégémonie, un consensus, une civilisation.
Le mitterrandisme c’était une manière d’arracher au prolétariat ce rôle puisque le stalinisme avait prouvé qu’il était incapable d’être classe dominante, il fallait bien le donner au parti socialiste dont on effaçait toutes les turpitudes, le vote des guerres, les expéditions coloniales, et même comme Jules Moch l’art de tirer sur les grévistes, puisqu’il était désormais convenu que le peuple français épris de liberté ne pouvait plus avoir pour dirigeant communiste autrement que dans les annexes. Sera-t-il possible de remonter un tel courant? je l’ignore. Le choix du XXe Congrès et de l’abandon de la dictature du prolétariat n’apaisa personne au contraire, il confirma ce rôle de roue de secours, plus encore la mutation de Robert HUE, l’abandon de toute résistance, la politique du chien crevé au fil de l’eau. Avec le mitterrandisme, il était en quelque sorte affirmé que le leadership appartenait à la petite bourgeoisie, aux diplômés, aux bobos étalant leur vanité, jack lang paillette et strass était là pour jouer l’événement et la courtisanerie. Mais ce n’était qu’un masque pour qu’avance sans entrave le pouvoir de la finance et de ses monopoles, l’impérialisme, ce que l’on imposait dans le sang au Chili et dans toute l’Amérique latine fut en France l’oeuvre du premier président de gauche flanqué des communistes, de plus en plus sans pouvoir.
Cela passa par la mise à mal du projet thorézien, la transformation de l’alliance entre classe ouvrière et intellectuels artistes, garants de la souveraineté nationale en courtisans individualistes, égocentriques, nombrilistes et marchandisés. Là encore Mitterrand a joué un grand rôle et avec la célébration du bi-centenaire ce fut toute la geste révolutionnaire que l’on changea pour en dénoncer le dévoiement de l’intervention des masses. Aujourd’hui nous avons hérité de l’apologie de Marie Antoinette et de celle d’Olympe de Gouges, une contrerévolutionnaire qui dédia à la reine ses droits de la femme.
Ce que ni Frida Kahlo, ni moi ne pouvons tolérer, même notre liberté de femme fut dévoyé en gadget par des incultes attachés à nous enlever la Révolution.
La dénonciation du stalinisme du rapport Khrouchtchev n’était ni faite ni à faire, elle relevait d’un simple règlement de comptes et parce qu’elle était à ce niveau là elle a eu des conséquences destructrices inimaginables. Encore aujourd’hui, nous n’en sommes pas sortis et souvent les réhabilitations de Staline pèchent par la même absence de rigueur que la stupidité du rapport Khrouchtchev. Loin d’aider à des réformes nécessaires, l’ère Khrouchtchev a créé illusions gauchistes et stagnation. C’est semble-t-il l’analyse chinoise. Qui sait encore qu’ailleurs il y a des textes, des études et qu’en prendre connaissance ne serait pas du temps perdu.
Ce qui a déferlé avec la contrerévolution, amorcée dans les années soixante et dix et qui a pris toute son ampleur à la fin des années 1980, a transformé la référence à Staline en pure bigoterie, il y a les dévots et ceux qui au contraire se signent à ce seul nom comme s’il s’agissait du diable. Personnellement je fuis les uns et les autres, ils oscillent entre la secte ou la trahison par abjuration, sans compter tous les malades, antisémites violents se la jouant antisionistes, obscurantistes antivaccins, l’enfer, ceux qui n’ont jamais lu une ligne de Marx et se contentent du Nouvel Observateur, tous ayant leur foi au négatif au positif, prets à écrire une lettre anonyme pour vous dénoncer, je n’aurais survécu ni à ces staliniens, ni aux antistaliniens, s’ils avaient le pouvoir de m’exécuter en tous les cas de me réduire au silence ils l’exerceront, ils l’ont exercé après m’avoir infligé leur catéchisme et m’avoir gourmandé pour mon mauvais caractère ou pire. C’est de cette religiosité dont il faudrait pouvoir se débarrasser si l’on veut comprendre de quoi il est question dans le propos de Frida Khalo et dont le stalinisme est le nom alors.
Ce qu’a permis la déstalinisation imbécile, le ragot khrouchtchévien c’est la rupture de l’alliance entre classe ouvrière et intellectuel, ce à quoi quelqu’un comme Aragon voua sa vie et qui s’épanouit malgré Jdanov dans le période de la direction de Staline et de l’équipe qui l’accompagna, celle en URSS, mais aussi celle de l’internationale. C’est pour cela qu’encore aujourd’hui je m’insurge contre la manière dont on a tenté de faire d’Aragon une icône gay antisoviétique, une manière de mode pour récupérer un consensus avec le monde de l’art et de la culture, dans lequel le sociétal forme coterie, illusion du même, tandis que montent les conservatismes qui contraignent aux caricatures de ghetto. Tandis que l’on renonce à la lecture, on croit savoir et cela suffit…
C’est le contraire qu’il faudrait reconstruire pour comprendre ce à quoi Aragon a consacré sa vie, et la dénonciation de Staline par Aragon, le comité central d’Argenteuil, fait partie d’une tentative pour ne pas jeter l’enfant avec l’eau du bain pour continuer à unir avant-garde politique et avant-garde intellectuelle dans un projet humaniste de la civilisation communiste.
C’est cette profonde corruption de la rupture d’une telle alliance que repousse Frida Kahlo dans ce texte… Staline n’est que le nom de cette revendication pour l’artiste de la nécessité de plonger ses racines dans la terre natale, dans le peuple pour être réellement internationaliste. Également pour fuir l’académisme, le conformisme des petites élites et des marchés de l’art, parce que le véritable créateur trouve le nouveau là et pas dans les salons… C’est peut-être la pire des trahisons telle que je la vis aujourd’hui que de nous avoir privés de cette source…
Ce que j’ai découvert et continue à découvrir c’est combien ceux qui passent leur vie à se prémunir du stalinisme peuvent être corrompus, sans idéal, sans compétence, ne voyant dans la culture que le contraire de ce que nous y cherchions à savoir une amélioration des êtres humains. Ils ne connaissent plus que la mondanité, les diners en ville, ils singent tous les académismes, pour se faire bien voir, ils ne croient plus en rien et ressemblent à des caricatures de Daumier. Pas une mode, pas une cause frelatée qui justifie leur hystérie inefficace, c’est du niveau de l’eurovision. Ceux qui ont quelque pouvoir local en jouissent comme les bourgeois de la possibilité d’aliéner par leurs subventions ceux qui sont refermés sur leur création, le chantage perpétuel, les syndicats d’artistes créés à grand peine devenus relais clientélistes… La rumeur face à celui ou celle qui ne joue pas le courtisan, l’incapacité d’aimer et respecter les créateurs, les artistes pour ce qu’ils peuvent réellement apporter, et pas des cautions électorale, la médiocrité qui en résulte. Par parenthèse ce n’était pas très malin de la part de ces électoralistes éperdus de sacrifier aussi massivement leur base historique, de maltraiter ceux qui leur paraissaient avoir fait leur temps, non seulement parce que les personnes âgées sont restés en France le socle d’une participation qui allait se raréfiant mais parce que la loi du marketing à laquelle ils tentaient d’adhérer consiste à ne jamais sacrifier une clientèle sans en avoir conquise une autre, fidélisée massivement, cette opération là seule l’extrême-droite l’a accomplie… Le PCF lui comme l’ensemble de la gauche s’est rétréci comme peau de chagrin.
Cela fait trente ans que je me bats contre cela. On ne comprend sans doute rien à cette longue supplique que je ne cesse d’adresser à ce qu’il reste de ce parti pour que renaisse la magie d’un temps où notre vie n’était pas inutile. Est-ce un hasard si mes efforts ont été stigmatisés et si les stupides mannequins épris de notabilité qui sont devenus les copropriétaires de l’héritage m’ont alors accusée de “stalinisme”. Rien ne fut plus stalinien au sens où ils le caricaturaient que leur manière d’être, rien de plus arbitraire, de plus basé sur la rumeur, sur la courtisanerie, le plus dénué du point de vue de classe que leur gestion de ce parti communiste. Il y a une telle distance entre la pierre philosophale que des gens comme moi s’obstinaient à vouloir retrouver et la manière dont a battu monnaie tout ce petit carriérisme, notre déception permanente… mais de temps en temps il nous semblait retrouver les échos et ailleurs c’était encore pire. Nous sommes comme dans le château de Kafka resté devant une porte qui ne s’est jamais réouverte et aujourd’hui pas plus que hier, mais si je m’obstine ce n’est pas dans l’espoir de recréer ce qui a disparu mais dans celui de transmettre l’écho assourdi d’un temps de total désintéressement où nous avons su lutter ensemble, un luxe inouï et un épanouissement qui peut balayer au moins pour un temps ce qui vous détruit, vous aliène. Est-ce ma faute à moi si cela se passa dans l’ère que vous qualifiâtes de “stalinienne”, je l’ai retrouvé ailleurs à Cuba, comme par hasard avec Rober Menard vous avez accepté de contribuer à la campagne contre Fidel et le peuple cubain qui conservait sa dignité…
Voilà me semble-t-il ce contre quoi tentait de lutter Frida et de quoi Staline était pour elle le nom…
“Aujourd’hui comme jamais auparavant je ne suis pas seule. Cela fait 25 ans que je suis communiste. Je connais les origines fondamentales. Je connais les racines anciennes. J’ai lu l’histoire de mon pays et celle de presque tous les villages qui s’y trouvent. Je connais ses luttes d’économie et de classe. Je comprends bien la dialectique matérialiste de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong. Je les aime comme les piliers du nouveau monde communiste. J’ai réalisé l’erreur de Trotsky depuis son arrivée au Mexique. Je n’ai jamais été une trotskiste. Mais à cette époque là, en 1940 – je n’étais qu’une alliée de Diego. (personnellement) (erreur politique)- Mais il faut tenir compte du fait que je suis malade depuis que j’ai six ans et vraiment très peu de temps durant ma vie j’ai pu me sentir en bonne santé et j’ai été inutile au Parti. Maintenant en 1953 après 22 opérations, je me sens mieux et je peux de temps en temps aider mon parti communiste. Puisque je ne suis pas travailleuse, je suis néanmoins un artisan – et alliée inconditionnellement au mouvement révolutionnaire communiste. “–
Danielle Bleitrach
Frida Kahlo en 1953 ; Frida Khalo : « Autoportrait avec Staline » (1954)
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AEV
Par un anticommuniste de choc, ennemi de la Révolution française :
Le stalinisme n’a existé ni en théorie ni en pratique : on ne peut parler ni de phénomène stalinien, ni d’époque stalinienne, ces concepts ont été fabriqués après 1956 par la pensée occidentale de gauche pour garder les idéaux communistes.
Le communisme ne saurait être enrayé par aucun artifice de la détente ni par aucune négociation, mais uniquement par la force extérieure ou par une désintégration interne.
Alexandre Soljenitsyne ( “L’erreur de l’Occident” – édition 1980)
Xuan
Ce texte de Frida Khalo, quand on songe à tout ce qu’elle a enduré – et représenté dans ses toiles – est émouvant.
La « question de Staline » n’est-elle pas en définitive la question de la dictature du prolétariat ?
En prenant le pouvoir, le parti communiste doit-il commencer par soumettre à un vote les questions monétaires et les principes déontologiques des grands médias, ou bien bloquer immédiatement la fuite des milliards vers les paradis fiscaux et s’emparer des principaux organes de propagande bourgeois ? « Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production [1]»
Naturellement ceci ne dispense pas les communistes de la critique et de l’autocritique des expériences réelles du socialisme, de leurs succès comme de leurs erreurs. Au contraire c’est cette critique qui leur permet de franchir de nouveaux obstacles.
Il me semble que le point de vue le plus pertinent sur la ligne développée en URSS par le PCUS et Staline c’est d’abord celui des communistes russes eux-mêmes. L’œuvre de Staline a eu une portée mondiale et a concerné tous les partis communistes, mais c’est prioritairement aux communistes russes qu’il revient d’établir ce bilan.
D’abord parce qu’on ne peut pas séparer Staline du PCUS ; contrairement à la conception bourgeoise de l’histoire, il s’agissait d’une direction collective et non d’une décision individuelle détachée de toute collégialité.
Ensuite parce que la fonction pratique de ce bilan et ses leçons positives et négatives concernent et servent en priorité la révolution prolétarienne en Russie.
Mao Zedong – et le PCC – avaient estimé que dans l’œuvre de Staline le positif l’emportait très largement – à 70 % – sur le négatif. Notons qu’il s’agissait d’un jugement du point de vue du PCC, c’est-à-dire qu’il prenait certainement en compte les rapports entre les deux partis. Ce n’est pas un jugement universel, absolu, mais relatif. Cela dit, il signifie que les mérites l’emportent très largement.
L’ironie de l’histoire fit que Mao lui-même hérita d’une appréciation comparable. Mao commit des erreurs lors du « grand bond en avant » et de la « révolution culturelle », mais ses mérites l’emportent très largement sur ses erreurs[2].
Ce point de vue sur Staline fut défendu par Mao Zedong contre les thèses du XXe congrès, en 1956, et ce fut une des causes de la scission du mouvement communiste international :
« Je voudrais dire quelques mots à propos du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. A mon avis, il y a deux “épées”: l’une est Lénine et l’autre, Staline. L’épée qu’est Staline, les Russes l’ont maintenant rejetée. Gomulka et certains Hongrois l’ont ramassée pour frapper l’Union soviétique, pour combattre ce qu’on appelle stalinisme. Dans beaucoup de pays d’Europe, les partis communistes critiquent aussi l’Union soviétique; leur leader, c’est Togliatti. Les impérialistes se servent aussi de cette épée pour tuer les gens ; Dulles par exemple l’a brandie un moment. Cette arme n’a pas été prêtée, elle a été jetée. Nous autres Chinois, nous ne l’avons pas rejetée. Premièrement, nous défendons Staline et deuxièmement, nous critiquons aussi ses erreurs; et pour cela, nous avons écrit l’article “A propos de l’expérience historique de la dictature du prolétariat”[3]. Ainsi, au lieu de le diffamer et de l’anéantir comme font certains, nous agissons en partant de la réalité.
Quant à l’épée qu’est Lénine, n’a-t-elle pas été aussi rejetée quelque peu par des dirigeants soviétiques? A mon avis, elle l’a été dans une assez large mesure. La Révolution d’Octobre est-elle toujours valable? Peut-elle encore servir d’exemple aux différents pays ? Le rapport de Khrouchtchev au XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique dit qu’il est possible de parvenir au pouvoir par la voie parlementaire; cela signifie que les autres pays n’auraient plus besoin de suivre l’exemple de la Révolution d’Octobre. Une fois cette porte grande ouverte, le léninisme est pratiquement rejeté….[4]
La référence à la contre-révolution en Hongrie n’est pas là pour la forme, parce qu’elle eut aussi des partisans en Chine auprès de la petite-bourgeoisie, de l’intelligentsia chinoise. Les éléments les plus actifs furent réprimés suivant une méthode systématisée ensuite dans « De la juste solution des contradictions au sein du peuple »[5].
Ce texte majeur de la pensée-maozedong indiquait la nécessité de différencier les contradictions « au sein du peuple » des contradictions avec l’ennemi, dans le cadre de la société socialiste. Je cite des extraits significatifs de ce qui constitue une application de la dictature du prolétariat, en rappelant qu’il s’agit du socialisme en Chine où, à cause des agressions impérialistes, la « bourgeoisie nationale » fait partie du peuple.
L’unification de notre pays, l’unité de notre peuple et l’union de toutes nos nationalités, telles sont les garanties fondamentales de la victoire certaine de notre cause. Mais cela ne signifie nullement qu’il n’existe plus aucune contradiction dans notre société. Il serait naïf de le croire ; ce serait se détourner de la réalité objective. Nous sommes en présence de deux types de contradictions sociales : les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple. Ils sont de caractère tout à fait différent.
… Les contradictions entre nous et nos ennemis sont des contradictions antagonistes. Au sein du peuple, les contradictions entre travailleurs ne sont pas antagonistes et les contradictions entre classe exploitée et classe exploiteuse présentent, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste.
…Notre Etat a pour régime la dictature démocratique populaire dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l’alliance des ouvriers et des paysans. Quelles sont les fonctions de cette dictature ? Sa première fonction est d’exercer la répression, à l’intérieur du pays, sur les classes et les éléments réactionnaires ainsi que sur les exploiteurs qui s’opposent à la révolution socialiste, sur ceux qui sapent l’édification socialiste, c’est-à-dire de résoudre les contradictions entre nous et nos ennemis à l’intérieur du pays.
« … L’exercice de la dictature démocratique populaire implique deux méthodes : A l’égard des ennemis, celle de la dictature ; autrement dit, aussi longtemps qu’il sera nécessaire, nous ne leur permettrons pas de participer à l’activité politique, nous les obligerons à se soumettre aux lois du gouvernement populaire, nous les forcerons à travailler de leurs mains pour qu’ils se transforment en hommes nouveaux.
Par contre, à l’égard du peuple, ce n’est pas la contrainte, mais la méthode démocratique qui s’impose; autrement dit, le peuple a le droit de participer à l’activité politique; il faut employer à son égard les méthodes démocratiques, d’éducation et de persuasion, au lieu de l’obliger à faire ceci ou cela. Cette éducation, c’est l’auto-éducation au sein du peuple ; la critique et l’autocritique en constituent la méthode fondamentale »…
Le 3 décembre 1997, JM Cavada consacrait son magazine la Marche du Siècle à la sortie du « Livre Noir du Communisme ».
Dans cette vidéo, le faussaire Stéphane Courtois contesta « l’engagement anti stalinien jusqu’au bout des ongles » de Robert Hue en s’indignant que le livre de Ludo Mertens « Un autre regard sur Staline » fût mis en vente à la fête de l’Humanité.
En exigeant de fait la censure de tout ce qui contredisait ses mensonges, il anticipait en quelque sorte les autodafés et la destruction par les banderistes ukrainiens des monuments aux héros soviétique de la lutte antinazie.
Courtois illustrait alors cette avertissement de Staline « La situation est telle que nous vivons selon la formule de Lénine: «Qui l’emportera?» Ou bien nous ferons toucher les épaules à terre aux capitalistes et leur livrerons, comme disait Lénine, le dernier combat décisif, ou bien ce sont eux qui nous feront toucher les épaules à terre. En second lieu, cela tient à ce que les éléments capitalistes ne veulent pas quitter la scène de bon gré: ils résistent et continueront de résister au socialisme, car ils voient arriver leurs derniers jours…» [J. Staline – les questions du léninisme – de la déviation de droite dans le PC(b) de l’URSS]
La figure de Staline symbolise la première expérimentation de la dictature du prolétariat après la Commune de Paris, en vraie grandeur et dans des difficultés extrêmes. Et c’est à ce titre qu’il est toujours dépeint sous les traits les plus noirs par la bourgeoisie.
Mais plus encore, la guerre actuelle du pilier mondial de l’impérialisme contre la Russie de Poutine remet la figure de Staline sur le devant de la scène. A tel point que le nationaliste Petr Akopov se voit obligé de le réhabiliter hier dans Ria Novosti (extraits) :
« Plus qu’un sujet historique : Staline est devenu une arme dans la bataille entre la Russie et l’Occident » :
« …il s’avère que deux Staline se battent entre eux : de notre côté, c’est le vainqueur, le bâtisseur d’un pouvoir puissant et juste et d’un nouvel ordre mondial, et du côté occidental, le tyran de son propre peuple et l’oppresseur des peuples d’Europe. Et non seulement le sort de la Russie, mais aussi l’avenir de l’Europe et du reste du monde dépend de la victoire de Staline. Pourquoi est-il si important ? Et pourquoi la Russie ne peut-elle pas abandonner Staline, du moins dans cette bataille de mythes ?… … Toutes ces questions auraient du sens si notre pays n’avait pas déjà renoncé deux fois à Staline, avec des conséquences dévastatrices.
Il est désavoué pour la première fois trois ans après sa mort, lorsque Khrouchtchev entame une lutte publique contre le culte de la personnalité et ses conséquences. …
… dans la perestroïka, le Staline soudainement autorisé s’est transformé en un bélier contre le PCUS et l’URSS – la révélation de ses atrocités réelles et fictives a non seulement éclipsé tous ses mérites, mais a également fait de lui un “second Hitler”. La contribution de la campagne anti-stalinienne à l’effondrement de l’Union est difficile à estimer.
Mais il y avait aussi l’aspect géopolitique de la démystification irréfléchie de Staline : c’est de lui que la querelle entre notre pays et son principal allié, la Chine maoïste, a commencé. Pékin ne comprenait pas pourquoi le « frère aîné » piétinait avec tant de défi le véritable créateur à la fois de son État et de l’ensemble du système communiste mondial. Les disputes idéologiques ont finalement conduit à des ruptures et à des conflits aux conséquences géopolitiques énormes.
Si l’URSS dans les années 1950 avait trouvé une formule par rapport à Staline, appliquée plus tard par les Chinois à Mao – il avait à 70 % raison, à 30 % tort – l’histoire (et pas seulement les relations soviétiques et sino-soviétiques, mais aussi l’histoire mondiale) aurait pu tourner d’une manière complètement différente.
Mais à la fin, les querelles sur Staline étaient destinées à devenir un outil pour détruire d’abord le lien entre Moscou et Pékin, puis l’URSS elle-même. Après cela, nos milieux ultra-libéraux ont également voulu procéder à la “déstalinisation finale”, c’est-à-dire diaboliser complètement et faire de Staline un tabou.
Mais dans les années 1990 et 2000, cela n’a plus été possible : un processus complètement inverse a commencé, le processus de réhabilitation de Staline par le bas.
Désormais, Staline est devenu non seulement le vainqueur de la grande guerre, mais aussi l’ennemi des ennemis de l’intérieur, un fléau pour les fonctionnaires corrompus et les traîtres, l’épée de punition des élites pourries et le bâtisseur d’un ordre juste. C’est cette image de Staline qui s’est finalement ancrée dans l’esprit populaire, et c’est pourquoi presque tous les sondages le placent désormais à la première place de la popularité parmi toutes les figures historiques de notre histoire »…
Ainsi advient ce paradoxe qu’en sous-traitant à des bandes néo nazies la destruction de la Russie, l’hégémonisme US et l’impérialisme mondial réhabilitent eux-mêmes l’image populaire de Staline et de la dictature du prolétariat.
[1] K. Marx & F. Engels – Le Manifeste du Parti Communiste.
[2] «… La responsabilité principale de cette grave erreur gauchiste que fut la «révolution culturelle» — une erreur aux dimensions nationales et de longue durée — doit être assumée par le camarade Mao Zedong. Toutefois, cette erreur a été commise par un grand révolutionnaire prolétarien. Le camarade Mao Zedong avait accordé une attention constante à la nécessité de surmonter les insuffisances dans la vie du Parti et de l’Etat, mais il n’a pas pu, au soir de sa vie, faire une analyse correcte de nombreuses questions et, au cours de la «révolution culturelle», il a confondu ce qui est juste et ce qui est erroné, le peuple et l’ennemi… »
[6 juillet 1981 – Résolution sur quelques questions de l’histoire de notre parti depuis la fondation de la République Populaire]
[3] « A propos de l’expérience historique de la dictature du prolétariat » – paru dans le Renmin Ribao le 5 avril 1956. On remarquera le changement de ton dans le texte «les deux épées ».
[4] [Mao Tsé-toung – discours à la deuxième session plénière du Comité Central issu du VIIIe Congrès du Parti Communiste Chinois – 15 novembre 1956 – Œuvres choisies tome V – p 369]
[5] De la juste solution des contradictions au sein du peuple (27 lévrier 1957) – Œuvres choisies tome V –
Smiley
Le Parti Communiste Chinois a raison sur toute la ligne…sur le plan théorique.
Après avoir écrit tant de choses intelligentes son anti-révisionnisme justifié d origine est devenu progressivement de l anti soviétisme primaire et au final de l anticommunisme allant jusqu à traiter de (sociaux)fascistes et de nouveaux tsars les dirigeants de l URSS et ceux qui lui restaient fidèles.
Son spectaculaire rapprochement avec les usa a aligné sa politique extérieure sur celle de Washington : bangla desh contre Inde, Biafra contre Nigeria, félicitations à Pinochet , khmers rouge sang, création de groupes pro chinois ds le monde entier dont la fureur anti PC dépassait les trotskystes
Le tout sous la bannière de Staline qui n en demandait pas tant.
admin5319
françois, je crois qu’une fois de plus tu racontes n’importe quoi faute de connaitre réellement ce dont tu parles, mais cet étalage de stéréotypes a l’immense mérite de traduire les non-dits qui demeurent dans l’espérit des communistes français. Nous sommes dans un situation paradoxale où à cause du vieillissement de ce parti sans doute autant que sa social démocratisation et son alignement de fait sur les positions atlantistes, nous avons dans le même temps sous couvert d’un anti-stalinisme primaire une condamnation de l’URSS, que traduit la base commune, on n’explique même plus, c’est comme ça. mais dans le même temps on conserve une solide rancune à la Chine et là on retrouve vaguement le temps de l’alignement sur l’URSS et l’antichine de cette époque là, toujours aussi peu argumenté. Il est vrai que les gauchistes, ceux qui sont passé du col Mao au rotary club ont joué un rôle désastreux en la matière. Personnellement la fréquentation de Jurquet et celle des Cubains m’a aidé à m’extraire de ce ressentiment. Il y a pire que nous dans un tout autre genre c’esgt le KKE. Cette rancune envers la Chine se retrouve jusque dans l’appréciation des articles de notre blog. Les articles sur la Chine sont les moins lus et les moins diffusés, alors qu’au contraire ceux qui invitent à une appréciation renouvelée de l’URSS sont les plus lus. Mais ce qui bat tous les records c’est l’actualité de la guerre… Notons et cela te ravira parce que cela relève de tes compétences réelles un intérêt pour les articles “culturels” et ce qui fait le succés de ces articles y compris pour les plus jeunes est un point de vue communiste, celui qui caractérisait jadis la presse communiste. mais nous ne suivons pas nécessairement l’opinion de nos lecteurs et le taux de popularité des articles, et comme aujourd’hui nous pensons indispensable une approche renouvelée des positionnements chinois. Peut-être que nous devrions consacrer plus de soin à reprendre l’historique de ce que tu cites. A réfléchir, qu’en pense le “collectif?”
Xuan
C’est notre histoire, une histoire commune.
Une époque des grands espoirs et des grandes tensions, où le pontonnier faisait un bras d’honneur au chef d’atelier du haut de sa cabine, où le tuyauteur avait saisi le chef de service par le col pour l’asseoir sur son marbre devant tout l’atelier, où le portait de Mao cerné de noir était resté affiché toute la semaine à mon poste de travail et au vu de tous.
Mais un moment où on se traite de social-fasciste à peine qu’on se traite, où le traceur me faisait le salut nazi quand je passais sur mon Fenwick, où les polémiques s’enflaient en plein atelier jusqu’à ce que les contremaîtres arrivent.
Jusqu’au jour où le « gauchiste » et le « révisionniste » ont reçu leur deuxième avertissement avec mise à pied pour « manifestation bruyante à votre poste de travail, par martelage violent et rythmé, non nécessité par les opérations en cours, contribuant une nouvelle fois à créer, sur les lieux de travail, un désordre grave, absolument contraire aux règles générales de la discipline »…
De sorte que la différence entre les contradictions en sein du peuple et celles avec nos ennemis nous sont apparues avec plus de clarté.