Les éditions Delga viennent de publier un livre qui donne quelques clés sur l’étrange cécité qui frappe les Français face à la guerre ukraino-otanesque contre la Russie. Ce livre traduit pour la première fois en France le colonel David Glantz, un américain qui a renouvelé l’approche de la guerre germano-russe et qui fait désormais autorité chez les historiens (1) le paradoxe étant que s’il y a un aujourd’hui chez les historiens une reconnaissance du rôle déterminent de l’URSS dans la victoire sur le nazisme, dans le grand public, à la télévision c’est le contraire. Une préface présentation du traducteur Jean-Claude Lecas qui nous commente ce paradoxe est incontournable dans le contexte politique actuel parce que, comme nous allons le voir, l’origine de la propagande, la fiction des relations entre l’armée allemande et l’armée rouge, l’idéologie est totalement à l’œuvre dans la propagande que nous subissons dans la guerre Ukraino-otanesque contre la Russie. Résultat nous sommes toujours dans le mythe de la bonne guerre dont Jacques Pauwels a démontré le rôle dans les mentalités et la manière dont elle servait les intérêts impérialistes y compris quand nous tentons de construire un mouvement de la paix sans affronter la cohérence idéologique du mythe. (2) ce qui renvoie à nos débats actuels.
Donc comprendre, comme le fait ce livre, comment on a pu substituer aux FAITS et au rôle de l’Union soviétique dans la lutte contre le nazisme une toute autre histoire qui de fait permettait de réhabiliter le nazisme est éclairant. On retrouve quasiment à l’identique tout ce qui a été créé dans le guerre froide pour réhabiliter le nazisme et minimiser le rôle de l’Armée rouge, les fondements de l’idéologie du totalitarisme dénoncée par les historiens mais devenue catégorie idéologique dominante. Pour mieux interdire de voir à quel point l’occident capitaliste a récupéré les buts et les méthodes de l’Allemagne nazie. L’analyse du positionnement des historiens se fait dans le cadre politique de ce qu’on peut désigner comme la lutte des classes et les effets qu’elle produit dans le champ de la connaissance. Ce qui nous ramène à ce qui se passe aujourd’hui à propos du rôle de l’OTAN en Ukraine. Et à la question politique du moment : comment peut-on bâtir un véritable mouvement de la paix en ignorant ce qu’est l’OTAN ? Nous avons là le poids d’une idéologie qui va poser au-delà des faits sinon une adhésion à tout le moins une incapacité à penser en dehors des cadres établis depuis une vingtaine d’années. L’idée que les interventions militaires occidentales représentaient la démocratie contre la tyrannie, voire que l’OTAN et les USA sont invincibles, que leurs sanctions et blocus n’existaient pas et n’étaient pas des crimes, alors même que les FAITS démontrent le contraire ?
I – Le travail de faussaire accompli par des généraux allemands et les angloaméricains
Ce livre, d’autres également, la maison d’édition Delga accomplissant dans ce domaine un travail de vulgarisation essentiel, peuvent nous aider à comprendre comment a pu s’imposer la fiction qui rend crédible la propagande actuelle en faveur de la guerre. David Glantz n’a jamais été traduit en français jusqu’ici, ce colonel universitaire américain a pourtant bouleversé ce qui était à la base de la présentation de l’histoire de la deuxième guerre mondiale aux Etats-Unis et par voie de conséquence dans les pays de l’OTAN. Tout part du fait que la description de la guerre germano soviétique, “le front de l’est” considéra que les sources soviétiques ont été jugées non fiables et pendant plusieurs décennies après 1945 furent traitées comme de la vulgaire propagande.
Tous les travaux consacrés à l’histoire de la guerre germano-soviétique furent à partir de cette date, le résultat d’un travail de “faussaire” réalisé par le groupe d’officiers supérieurs réuni et dirigé par le général Franz Halder, faits désormais connus des historiens grâce en particulier à David Glantz, mais totalement ignorés du grand public. Ce “travail de faussaire” s’inscrit dans le renversement des alliances et le recrutement par les angloaméricains d’un certain nombre de hauts cadres civils et militaires nazis pour leur faire reprendre du service dans le camp atlantique. On mesure à quel point il s’agit là d’une “préhistoire” du conflit ukraino-otanesque contre la Russie, le fondement même de la propagande d’aujourd’hui et de l’utilisation de mythes appartenant à ce temps-là. Halder, celui qui coordonna le travail de faussaire, était un ancien chef d’état-major de l’armée de terre allemande et l’un des concepteurs du plan Barbarossa, il fut récupéré par l’armée américaine et chargé de constituer un groupe de travail composé d’anciens officiers supérieurs de la Wehrmacht. Il avait pour tâche de synthétiser toutes les connaissances acquises sur l’armée rouge, leur ancien et futur adversaire. Au moment où les alliés occidentaux abandonnaient la plupart des poursuites pour crimes de guerre au tribunal de Nuremberg et où ils mettaient une sourdine à la dénazification, Halder et ses collègues fournirent le schéma qui devait façonner l’opinion de l’establishment militaire euro-atlantique sur l’Armée rouge.
Ils construisirent une véritable mystique de la Wehrmacht, une armée professionnelle, une des meilleures de l’histoire et qui n’avait jamais commis les crimes abominables imputables aux seuls SS. Ce panégyrique de la Wehrmacht s’accompagnait du dénigrement systématique de l’armée rouge dont les stratégies brutales, stéréotypées et sans imagination ne lui aurait jamais permis de gagner la guerre sans l’aide involontaire des nombreuses erreurs stratégiques et tactiques d’Hitler, sans les inépuisables masses humaines lancées à l’assaut des lignes allemandes et sans les flots du matériel militaire fourni par les Etats-Unis.
Il s’agit là comme le montre le livre d’une triple fiction mais nous pouvons noter à quel point celle-ci est à l’œuvre sur les plateaux de télévision et dans la bouche de TOUS les intervenants qui suivent à la fois le narratif de l’OTAN et celui du régime ukrainien et Zelenski.
Halder a été décoré et avec ses collègues ils multiplièrent les conférences aux Etats-Unis, toute l’information collectée provenant de généraux allemands qui de fait avaient partagé l’idéologie du IIIe Reich et leurs mémoires orientées étant considérées comme les seuls crédibles tandis qu’étaient considérées comme indignes d’être pris en compte les mémoires des généraux soviétiques.
Dans sa préface présentation, Jean-Claude Lecas suit les effets de ce travail de faussaire suivant l’existence ou non d’un combat pour l’histoire mené par des communistes ou des progressistes. Ainsi il montre comment dans la période où il existe non seulement la RDA, mais des universitaires allemands qui n’ont jamais à l’inverse de la Wehrmacht adhéré totalement au nazisme apparait une deuxième phase du débat avec l’idéologie officielle de la RFA, l’opposition à “tous les totalitarismes”. Vers la fin des années soixante, l’hégémonie politique étouffante de la démocratie chrétienne dans ce pays fut remise en cause par l’agitation étudiante, émerge une nouvelle gauche celle de Willy Brandt avec une radicalisation de l’extrême gauche qui crée un débat politique différent et il procède à chaque fois en resituant prise de conscience et travaux d’historiens. Ce qui est non seulement passionnant mais nous invite à considérer que nous sommes aujourd’hui après l’étouffoir de la contrerévolution dans un autre temps. C’est le parti que je considère comme le plus politiquement productif et qui m’a fait apprécier les contradictions que recèle la position de Fabien Roussel en faveur de la paix. Non pour adhérer à une analyse qui reste comme l’a montré Franck Marsal et d’autres intervenants totalement marquée par l’idéologie qui s’est constituée sur la base de la négation du rôle de l’armée rouge et de la réhabilitation du nazisme de fait, ce qui nous permet de ne pas voir la similitude existant entre l’OTAN, voire une UE qui s’identifie de plus en plus avec l’OTAN et ce qui a conduit l’Allemagne à affronter l’URSS.
Il y a eu en effet refoulement historique à travers une histoire tronquée des buts de l’Allemagne nazie : “Cette guerre avait trois buts fondamentaux, liquider le bolchevisme, détruire l’URSS en tant qu’ETAT, acquérir de vastes territoires à exploiter et où s’implanter sur des bases coloniales. Cet assaut vers l’est était le fruit du constat de ce qui avait manqué à l’Allemagne dans la guerre de 1914-18 à savoir des terres permettant d’alimenter la population allemande, et qui avait provoqué l’effondrement moral du front intérieur, un empire colonial. L’obsession idéologique était qu’il n’y avait aucune alternative au plan Barbarossa, aucune solution de rechange en cas d’échec, là aussi l’analogie est frappante. Comme l’est le projet de dépecer en plusieurs protectorats le territoire soviétique. Les planificateurs nazis (en particulier le sous-secrétaire d’Etat SS Backe) avaient calculé dans la meilleure tradition malthusienne que, pour satisfaire les besoins du Reich en céréales, il faudrait diminuer la population soviétique de vingt à trente millions de personnes. Avec de tels objectifs, la guerre d’Hitler à l’Est ne pouvait être une guerre “normale” terminée après les opérations militaires par un traité de paix consacrant les gains obtenus par les vainqueurs, cela ne peut être qu’une guerre d’anéantissement.
Là encore il y a dans l’actualité des échos et l’on peut se dire que l’on attribue à la Russie de fait ce qu’on lui inflige. De même est élucidée l’utilisation actuelle paradoxale de la Shoah. Il est stupéfiant que là où l’antisémitisme a ressurgi comme une idéologie plus ou moins officielle soit dans les protectorats des Etats-Unis et de l’OTAN, en Ukraine mais aussi au Japon, alors que les États-Unis prétendent limiter la deuxième guerre mondiale au seul massacre des juifs. Que Hitler ait été violemment antisémite n’est pas niable et qu’il ait diffusé dans l’élite de la société japonaise cet antisémitisme est évident, mais le paradoxe est que cela ressurgisse sous protectorat américain, un paradoxe du moins apparent. Jean-Claude Lecas montre que “la solution finale” va prendre toute son ampleur et devenir à partir de la conférence de Wansee une tâche étatique dans le sillage de la guerre d’anéantissement contre l’URSS. A l’antisémitisme des conservateurs allemands et des nazis il y a la vision des nazis qui fait des juifs non seulement ceux qui ont trahi l’Allemagne, mais ceux qui constituent l’élite intellectuelle des brutes slaves et qui sont à l’origine du bolchevisme.
A partir de David Glanz et d’autres historiens comme de l’accès aux sources soviétiques, l’histoire militaire de la guerre germano soviétique va être revue, mais on va assister alors à ce qui caractérise notre société aujourd’hui plus que jamais : “une saisissante divergence entre l’histoire des historiens et la vulgarisation historique télévisuelle et grand public” (p.36)
Si les historiens militaires sont aujourd’hui pleinement d’accord sur le fait que la destruction du IIIe Reich et du nazisme incombent principalement à l’Armée rouge, au gouvernement et au peuple soviétique, on en est malheureusement très loin pour ce qui concerne la vulgarisation historique racontée au grand public. Nous sommes devant une situation paradoxale depuis les années 1980. Sous l’influence d’historiens comme David Glanz, John Eriksson et leurs élèves, de jeunes historiens anglosaxons et allemands à la suite de Christian Streit, les études savantes reconnaissent les faits alors même que l’histoire vulgaire servie par les médias au grand public allait en sens inverse.
La notion d’antitotalitarisme très vague ce qui a peut être fait son succès a servi de vecteur aux diverses campagnes émanant en particulier de la “gauche anticommuniste” ce qui a abouti à une mythologie antisoviétique proche de celle des nazis par bien des aspects. Sa structure repose sur trois falsifications qui dépendent les unes des autres: 1) Un tabou concernant les atrocités nazies commis en URSS. (2) Une minoration de l’ensemble du conflit germano-soviétique dont les dimensions sont occultées en braquant les projecteurs sur les autres batailles de la deuxième guerre mondiale (le Pacifique ou le front occidental) 3) Une dévalorisation de l’effort de guerre, des armements, de l’art militaire et de l’héroïsme des Soviétiques.
Conclusion
Cet écart formidable entre l’histoire savante et la vulgarisation qui intervient à partir des années mille neuf cent quatre vingt accompagne et précède la crise du communisme et en particulier l’eurocommunisme. Elle ne se contente pas de la guerre germano-soviétique même si sa cible principale reste l’URSS et le socialisme, elle procède de la même manière contre toute idée d’intervention des masses dans l’histoire à commencer par la Révolution française avec la célébration du bicentenaire. Mais il s’agit de détruire tout ce qui de près ou de loin peut rappeler cette intervention et ce pouvoir de la classe ouvrière. Incontestablement alors que l’on ne peut pas identifier la Russie de Poutine et l’URSS, le processus de désagrégation a été freiné par rapport à ce qui s’est passé dans d’autres ex-pays socialistes, dans les États baltes et surtout en Ukraine où a été entamé selon les Russes le même processus d’attaque de la Russie que celle menée contre l’URSS par les nazis mais aussi par les Etats-Unis et leurs alliés en 1991.
Grâce à cette lecture nous mesurons mieux à quel point une “cohérence” idéologique anticommuniste nous a été imposée et comme il est malaisé aujourd’hui de la remettre en cause. Comment peut-on voir se répéter le scandale de la propagande sur le plateau de LCI si l’on ne mesure pas à quel point il y a eu dans de multiples domaines mais en particulier dans l’histoire militaire une manipulation qui se retrouve partout y compris désormais des livres d’école. Comment ces badernes militaires qui hantent les plateaux et se font chasser partout, de l’Afghanistan au Mali, ces intervenants dont les outrances ont toutes été démenties peuvent-ils avoir quelque crédit ? Alors que l’on voit les mêmes chaînes à propos de la question des retraites, des salaires, de l’inflation déployer la même mauvaise foi.
Effectivement la méfiance grandit : s’il est difficile de provoquer un mouvement en faveur de la paix, il faut noter que malgré la pression médiatique les cortèges en soutien de l’Ukraine sont encore plus faméliques. On ne croit pas à ce qui est dit mais il n’y a rien qui se substitue à la cohérence proposée par disons la classe dominante, rien si ce n’est “le tous pourris” qui ne profite qu’à l’extrême-droite. Parce que la cohérence, celle d’une classe est globale, les thèmes s’interpénètrent, s’étayent mutuellement et il faut bien mesurer que depuis plus de vingt ans elle bénéficie du soutien des communistes, ceux du parti communiste sous la direction de Robert Hue, de Marie-George Buffet et Pierre Laurent d’une adhésion sans faille, relayée par la presse dite communiste… la manipulation historique sans faille, mais il y a eu un bougé limité mais il existe.
La position adoptée par Fabien Roussel en faveur de la paix et du refus d’être cobelligérant mais attribuant de fait à Poutine et à la Russie tous les torts est disons-le celle de la majorité de notre peuple après plus de vingt ans d’endoctrinement. Sans doute ce positionnement est guidé par le fait que Fabien Roussel (c’est pareil pour André Chassaigne) qui a impulsé un renouveau du parti, l’a fait avant tout d’une manière électorale à partir de sa pratique de député plus que de secrétaire du parti. Le parti n’existe pas encore, ni dans ses buts, le socialisme, ni dans son rôle politique d’intervenant en affrontant l’idéologie dominante en proposant une autre cohérence. Donc il reflète l’opinion française, celle qui accueille l’élu dans sa circonscription, et à laquelle il ne doit pas trop s’opposer s’il veut être accepté par les médias. Son refus de la guerre, la conscience confuse que tout cela finira mal est effectivement le reflet d’un bon sens populaire, mais il est clair ce n’est pas suffisant pour mobiliser en faveur de la paix, et pour construire une autre vision du monde en train de changer, la nécessité de l’intervention populaire. Un processus est en marche et chacun doit réfléchir aux possibles mais cela exige beaucoup de travail. Ce livre y contribue comme bien des publications de Delga.
Danielle Bleitrach
(1) David Glanz la guerre germano-soviétique 1941-1945, mythes et réalités. 2022
(2) Le mythe de la bonne guerre, Jacques Pauwels (livre et vidéo)
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A ce propos :
RADIO GALÈRE : STALINGRAD Un basculement du monde
La capitulation de la plus forte armée du Reich est un tournant dans l’histoire du XX° Siècle. Certes en ce 2 février 1943 la guerre n’est pas finie mais après avoir pénétré prés de 2000 km à l’intérieur de l’URSS et avoir tout dévasté sur son passage l’armée nazie va refluer mais ne cessera jamais de résister à l’inexorable avancée de l’armée soviétique jusqu’à Berlin où celle-ci arrache seule la capitulation sans conditions du Reich nazi le 8 Mai 1945 (heure de Berlin) ou le 9 Mai (heure de Moscou). L’invasion de l’URSS, lancée le 22 Juin 1941, est mais n’est pas seulement une volonté impérialiste de s’emparer des immenses ressources naturelles de l’Union soviétique, elle est une tentative politique nazie d’éliminer le premier pays socialiste de l’histoire de l’humanité, de réduire les races inférieures, comme les slaves, au servage, d’éliminer les juifs, d’assurer la domination d’une race prétendue supérieure sur l’ensemble de l’humanité. Cet échec sera compris par tous ceux qui partout ailleurs refusent cette vision du monde : peuples colonisés qui vont s’émanciper, travailleurs exploités et militants ouvriers de tous les pays qui voient dans la victoire soviétique l’annonce de nouvelles avancées voire de victoires du socialisme. Ce nouveau rapport de classes international sera immédiatement perçu par les résistants français et le programme du Conseil National de la Résistance est le produit de la puissance de ce nouveau souffle politique. Ce souffle va permettre l’arrivée au pouvoir en France de ministres communistes comme Ambroise Croizat fondateur de la Sécurité Sociale et Marcel Paul créateur du statut des travailleurs des grandes entreprises nationales : EDF-GDF, Charbonnages de France, SNCF qui vont fonder la république sociale. Depuis près de 70 ans la classe dirigeante française n’a cessé de démolir pierre à pierre cet édifice. Elle n’y est pas totalement parvenue. L’attaque du système de retraite est là pour nous rappeler que dans le moment très perceptible de nouveau basculement du monde que nous vivons la résistance est possible et que des succès peuvent succéder aux reculs précédents.
Nous évoquerons cette situation Mercredi 8 février de 20h à 21h30 sur RADIO GALÈRE
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