Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Révoltes, révolutions “inutiles”… par Daniel Arias

Une des réussites de ce blog est sans contexte la qualité des débats autour des articles publiés. Beaucoup de contributions mériteraient d’être publiées, et de temps en temps nous choisissons effectivement l’une d’entre elles parce qu’elle favorise un échange, un approfondissement. L’intervention en général suscite un certain consensus et fait le point sur ce à quoi chacun avait plus ou moins abouti. Nous avons en ce moment un débat autour de la Révolution, de la transition à la transition qu’en tant que mode de production constituerait le socialisme. Voici l’article de l’un des contributeurs les plus actifs qui nous livre ici une mise en perspective du questionnement sur qui est susceptible de constituer une force révolutionnaire et sur quelles bases. Notons que l’analyse de Daniel Arias sur la promotion de ce que Gramsci désignerait comme les intellectuels organiques du socialisme, ceux qui naissent du processus révolutionnaire lui-même qui assure leur formation et promotion renvoie aussi à ce qu’explique Régis de Castelnau (dans une vidéo publiée aujourd’hui à propos de l’affaire Usul et la manière dont deux “élues” du PCF ont payé cet anticommuniste de profession pour pouvoir dire du mal de Roussel). Régis de Castelnau expliquant pourquoi et comment tous, ouvriers, intellectuels s’y retrouvaient fait allusion au “complexe d’infériorité” des anciens dirigeants ouvriers du PCF. Parce qu’ils luttaient contre ce complexe d’infériorité en faisant du PCF un lieu de formation pour la classe ouvrière, d’initiation à la culture, au marxisme mais pas seulement. C’est ce parti-là qui attirait les intellectuels, les faisant se sublimer en renonçant à leur querelles byzantines et concurrences, je suis particulièrement touchée par la référence à Grémillon et je vous parlerai de ce “cinéaste maudit” prochainement. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

illustration : jean grémillon s’agit-il de le ciel est à vous ?

Essayons de mettre vos affirmations face à des exemples concrets.

La révolte ne serait que motivée par la faim au ventre et ne serait cause de révolution.

Il n’y a pas de révolte contre les calamités climatiques, les épidémies qui dévastent les cultures et le bétail pourtant les conséquences en sont pour certains fatales la famine tue sans discernement.

On ne se révolte pas contre la nature on travaille à la transformer pour en apprivoiser son développement et réduire les risques qui échappent à notre contrôle.

Les révoltes sont des réactions à l’injustice et un rapport entre classes exprimant une violence collective non contre quelque chose mais contre une classe dominante. Il faut qu’il y ait un rapport de propriété du pouvoir et une injustice insupportable.

Quand les paysans demandent la fin des privilèges la terre est déjà là cultivée par des générations ; les paysans ne supportent plus que le seigneur exerce son pouvoir sur le fruit de leur travail et s’en accapare injustement le profit, tant que les classes dirigeantes garantissent aux dirigés une certaine sécurité et organisation de la société ceux-ci sont tolérés voire sincèrement acceptés.

Les esclaves noirs des champs coloniaux ne fuyaient pas la faim mais les entraves à leur liberté, ils n’étaient pas non plus incités par quelque intellectuel, Rousseau ne devait pas être leur lecture du soir après les journées de labeur dans les champs de coton.

Un membre de ma famille a été un des organisateurs de la grande grève des mineurs des Asturies en 1962, délégué dans la toute première commission ouvrière, qui donnera plus tard le syndicat CCOO Comisiones obreras, il sera déporté lors de la répression policière puis contraint à l’exil.

Fils d’un artisan avec un enfance misérable il travaillera dans les chantiers meurtriers de construction de barrages hydroélectriques, une nette amélioration par rapport à son travail précédent de garçon de ferme qu’il avait commencé à l’âge de huit ans, arrivé à l’appel du service militaire il opte pour cinq années de travail dans les mines de charbon qui offre l’exemption du service militaire et un maigre salaire ; il profite de cette occasion pour apprendre les mathématiques en trois mois, de la table de multiplication aux équations de second degré, en passant par l’algèbre et la géométrie afin d’entrer à l’école des mines où il sera admis et promis à une belle carrière de cadre.

Les conditions de vie et de travail dans “la cuenca minera” sont insupportables pour les travailleurs ce n’est pas la famine, mais la disette et parfois nourrir les enfants est difficile ; dans cette Espagne où les grands propriétaires sont très riches, les paysans d’Andalousie souffrent tout autant que les mineurs Asturiens.

Les dirigeants communistes sont tous persécutés et presque tous fichés par la police politique franquiste c’est le cas de Victor Bayon un des agitateurs communistes qui a son mérite mais ne sera pas déterminant dans la révolte qui va venir. Trop marqué par la police mon parent ne se fiera pas à lui.

Comme mon parent des centaines d’ouvriers vont organiser avec l’aide des femmes la Grande Grève dans le silence le plus total, les messages sont cryptés, les militants ne connaissent parfois que deux autres contacts, les femmes parlent entre elles dans les maisons et influencent leurs maris.

Je peux vous assurer que parmi la totalité des organisateurs aucun n’était un intellectuel et tous étaient des mineurs et femmes de mineurs, certains avaient une formation marxiste mais très rares et en tout cas le travail intellectuel n’était pas leur activité principale, mais bien au contraire d’arracher le charbon ou faire fonctionner les mines pendants de longues heures. Par contre ce que tous savaient c’est que la grève était le seul moyen d’améliorer leurs conditions matérielle, familiale et professionnelle et que les revendications pouvaient être satisfaites.

Les revendications vont être satisfaites dans l’affrontement avec le ministre du travail franquiste Solis.

La première revendication sera de pouvoir parler librement et sans répression : ce que le ministre accordera et que le flic Ramos réprimera par la déportation et la torture. La première revendication est donc de pouvoir exprimer librement et dans la paix les besoins et les réformes souhaitées par les travailleurs.

Au bout de trois mois de grève dans un pays où son organisation est condamnée par la peine de mort la victoire de 300 000 travailleurs en grève permettra d’obtenir la fin de la violence au travail, des augmentations de travail importantes et des équipements de protection des travailleurs et surtout la fin de la peur des travailleurs qui ont réussi à briser un genou au franquisme. Par la suite les conditions de vie générales en Espagne ne cesseront de s’améliorer. Il en aura coûté quelques morts, estropiés et exilés.

Dans ce cas l’élément déclenchant n’est pas un intellectuel ni même les grands dirigeants du PCE, Dolores Ibárruri ou Santiago Carillo, même si elle apportera son soutien avec une mobilisation internationale pour soutenir cette grève tout comme Picasso. Le coup de grisou qui a détruit la grande compagnie charbonnière Duro Felguera est bien parti des mineurs eux-mêmes qui ont assumé seuls la totalité de l’organisation et des opérations.
Ce qui a déclenché cette Révolte sont des conditions matérielles et des rapports sociaux injustes et non une idée, une foi ou un ventre creux même s’ils étaient mal remplis.

Si nous prenons les exemples plus récents des Gilets Jaunes aux révolutions colorées manipulées par l’Impérialisme Mondialisé les conditions de vie matérielles y sont souvent bien meilleures qu’il y a 100 ans, par contre le sentiment d’injustice, de corruption devient souvent insupportable, certains émigrent d’autres se révoltent. Quel mouvement intellectuel se trouve derrière les Gilets Jaunes ou la population du premier Maïdan ou encore à Solidarnosc ? Le mouvement des Gilets Jaunes s’est justement éteint quand il est passé de la revendication économique domestique à la revendication politique.

Les coups d’État qui s’imposent à l’avis de la majorité sont les coups d’État réactionnaires : celui de Franco, le second Maïdan, la Marche sur Rome la prise de pouvoir d’Hitler et ceux fomentés par les impérialistes dans toutes leurs colonies. Mais placez-vous les coups d’État que sont la prise de pouvoir des révolutionnaires en France, dans l’Empire Russe à Cuba sur le même plan ? Lénine a offert le Pain et la Paix, Castro la Terre, les révolutionnaires français la fin des privilèges où penchait l’avis majoritaire des peuples opprimés selon vous ?

Dans nos démocraties libérales les dirigeants obtiennent péniblement 25% des voix au premier tour et pour la plupart exercent la même politique, où est le souci de l’avis “général” ?

Vous affirmez que la forme de la hiérarchie sociale change mais pas les positions.

Comment donc sont arrivés aux plus hautes fonctions Napoléon Bonaparte, Vorochilov ou encore Thorez et Croizat ?
Ce dernier à unifié la sécurité sociale des travailleurs et leur a confié le pouvoir d’élire au suffrage universel les administrateurs.
Thorez a donné un statu qui protège le fonctionnaire de l’arbitraire du pouvoir. N’est ce pas un changement qualitatif libérateur ?
Ils sont tous héritiers des deux grandes Révolutions européennes et de la volonté de démocratie réelle et de liberté pour tous.
Dans “Le Ciel est à vous” de Jean Grémillon, 1944, le travail affronte la bourgeoisie dans la course aux records aéronautiques, les uns par leur travail et sacrifice, la bourgeoise par sa fortune, les deux par le désir d’aventure et de gloire. L’Union Soviétique fera d’un fils de paysans un pilote de chasse puis le premier homme dans l’Espace et accompagnant ce symbole élèvera des millions de soviétiques vers la modernité et l’Union Soviétique au plus haut rang mondial industriel mais aussi moral et culturel. N’est ce pas là un immense changement ? Offrir aux masses les fruits des progrès des connaissances et de la production.

La Révolution ne serait que point de vue, culturelle (ce mot reste à définir) et initiée en particulier par les artistes et les scientifiques.
Le producteur, le travailleur de la terre est premier par son travail la sélection des semences et des terres à cultiver il va produire le surplus et l’intellectuel le scientifique et la superstructure, non pas que l’agriculteur primitif ne pense pas mais la division du travail va produire des classes sociales dont l’intellectuel.
Parmi les grands personnages de la Révolution aucun n’est principalement artiste ou scientifique mais au contraire philosophe, politicien, moine au Moyen Âge avec les capacités d’analyser l’état de la société de synthétiser et de résoudre les problèmes ; c’est ainsi que progressivement sont réduits les conflits et rassemblés toujours une plus grande quantité de producteurs dans des espaces pacifiés qui sont les seuls lieux où le développement économique et social sont possibles.

Non les Révolutions ne sont pas un mythe elles produisent des changement qualitatifs observables : le serf et le paysan libre du Moyen Âge ne sont plus l’esclave de l’antiquité condamné par la Chrétienté l’esclavage disparaît jusqu’au retour à l’admiration de la Grèce et de Rome et la découverte du Nouveau Monde, le salarié n’est pas plus un esclave ni un serf il gagne sa liberté formelle de déplacement il est un travailleur affranchi, il lui reste à gagner le pouvoir politique pour sa dernière phase de libération le socialisme contre la bourgeoisie. Dans les pays socialistes l’ampleur et l’intensité de l’amélioration de la qualité de vie est mesurable et contrairement aux pays qui forment l’Occident Collectif ce développement ne se fait pas au détriment de pays tiers mais sur leur propre force de travail puis par la coopération. La comparaison du développement des deux plus grands pays possesseurs de ressources naturelles l’URSS et les États-Unis permet de valider cette observation : l’un pratique le pillage, l’autre encourage les libérations nationales des victimes du colonialisme. La Révolution Française a donné cette soif de démocratie qui doit être respectée et qui pousse la bourgeoisie à faire semblant d’être démocrate ; mais l’idée est là opérante avec des moyens matériels de la rendre possible.

Nous avons tous besoin de Religion ! Oui si nous le prenons au sens étymologique du mot comme ce qui relie les individus et fonde la société, regroupés hier déjà de façon très rationnelle mais avec une part de superstition et de mythologie correspondant à l’état des connaissances de ces sociétés et à des intérêts de classe. Le communisme comme religion me convient très bien quand il unit l’Humanité par la raison et le bien commun en gommant ce qui divise. Notre succès et notre survie reposent sur le groupe social et mieux il profite à chaque fois de son extension et de son unification, les progrès de notre espérance de vie en sont le résultat.

“Faire la Révolution est un acte religieux” pourquoi pas ! Mais certainement pas pour survivre, c’est pour vivre que nous nous battons. Les Français, les Soviétiques, les Cubains ne survivent pas ils vivent et certainement très intensément avec le développement de chacune de leurs capacités, de chacun et de tous, en tout cas c’est le sens imprimé par les Révolutions initiées et effectuées par les travailleurs et guidées par les intellectuels et les artistes dans un contexte transformé par la politique et les sciences et techniques.

Refouler la Révolution est un acte réactionnaire tout comme promouvoir l’idée d’une domination naturelle chez l’Homme qui contredit l’Histoire même et notre développement qui repose exclusivement sur la coopération et l’entraide, le partage perfectible des fruits du travail et des connaissances, la compassion et l’altruisme qui garantissent la paix. L’immense majorité des travailleurs aide son camarade, les gens sont généreux avec ceux dans le besoin, tristes et choqués face aux horreurs de la misère et de la guerre. L’immensité de la population n’est pas dans le calcul froid de l’intérêt égoïste, ces sentiments sont ceux d’une minorité sans morale et immonde. Non les Révolutionnaires ne voulaient pas dominer leurs pareils, chez les mineurs des Asturies en 62 aucun ne s’est enrichi, aucun n’a trouvé une bonne place, nombreux ont souffert et certains ont tout perdu pour la justice et la liberté.

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