Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Qassem Soleimani : pourquoi les US ont choisi l’assassinat

Sans chercher à glorifier le commandant des Quds, cet article nous rappelle comment l’empire projette sa puissance sur l’ensemble de la planète en utilisant tous les moyens, de l’assassinat de personnalités politiques ou militaires qui contrecarrent leurs projets aux coups d’état en bonne et due forme, de la guerre de l’information aux attaques cybernétiques, de l’encouragement aux émeutes et de l’armement des émeutiers et des snipers à la guerre par procuration et bientôt probablement en direct. Pour ce faire, l’empire est organisé. Très concrètement, il a divisé son empire, le monde, en 6 régions qui ont chacune leur commandement unifié militaire et opérationnel, SouthCom, Centcom etc…. Tout cela au vu et au su de tout un chacun, confiant dans sa toute-puissance et son impunité. Quelques soient les motivations et la nature du régime iranien, on saura gré à l’Iran et à Soleimani d’avoir aidé le Venezuela à contrer avec efficacité les conspirations, les manœuvres et les violences déchainées sur sa population par l’impérialisme états-unien et occidental. La construction du monde multipolaire n’a pas attendu février 2022 pour se mettre en marche. Au moment où l’épisode de la marionnette Guaido se termine dans le grand-gignolesque, on sent que l’heure des comptes va sonner pour l’hégémon qui voudrait rester hégémon à la place de l’hégémon, nous dit Jean-Luc Picker qui a traduit cet article pour histoireetsociete. J’ajouterai qu’il en est de l’Iran comme d’autres régimes conservateurs installés de fait par l’occident pour empêcher les communistes d’accéder au pouvoir, quand ils s’opposent à l’empire celui-ci découvre ou feint de découvrir leur aspect conservateur et suscite des révolutions de couleur, mais le jeu va devenir pour eux de plus en plus dangereux.

Par Hasan Illaik, publié dans The Cradle  le 3 janvier 2023

https://thecradle.co/Article/Analysis/19969

Le 3 janvier 2020, l’armée US assassinait le général major iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d’élite Quds au sein des Gardiens de la Révolution. Disparaissait aussi à ses côtés son compagnon Abu Mahdi al-Muhandis, député chef des unités de mobilisation populaire iraniennes.

3 ans plus tard, les raisons de cette décision, et le choix du moment, font toujours débat. Les motifs de cet assassinat-choc par les US ne sont peut-être pas à trouver seulement dans ses multiples responsabilités sur la scène des conflits régionaux, mais aussi dans l’élargissement de sa notoriété internationale.

Soleimani était généralement considéré comme le responsable et le leader du plan iranien d’encerclement d’Israël par un arc de missiles et de drones de précision – du Liban à la Syrie, l’Irak et Gaza, jusqu’au Yémen. Un plan considéré par Tel Aviv comme une menace existentielle pour l’état hébreu.

Les Etats-Unis ont aussi accusé Soleimani d’être à l’origine d’une grande partie de la résistance qu’ils ont rencontrée après leur invasion de l’Irak en 2003, ainsi que de nombreuses opérations contre les forces états-uniennes dans la période avant son assassinat.

Le commandant des Quds, avec al Muhandis, a aussi joué un rôle central dans les efforts de l’Iran pour défaire l’ISIS en dehors du contrôle et des plans des Etats-Unis et de leurs alliés régionaux, qui n’hésitaient pas à utiliser le groupe terroriste pour satisfaire leurs buts politiques et géopolitiques.

De plus, les Etats-Unis tenaient l’Iran et au premier chef Soleimani pour responsable de l’attaque yéménite du 14 septembre 2019 contre les installations d’Aramco, le producteur pétrolier saoudien. L’attaque avait été couronnée de succès et avait abouti à une diminution de près de 50% de la production saoudienne, une déstabilisation sans égale depuis l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990.

Au-delà de ces multiples raisons, un politicien arabe très impliqué dans les cercles de décision à Washington et Ryad explique que Soleimani était considéré comme l’élément clé de l’Axe de Résistance : « Haji Qassem » avait selon lui une rare capacité à prendre et à mettre en œuvre des décisions, « une qualité rare » chez les dirigeants. Il pouvait obtenir des résultats stratégiques importants, et rapidement, grâce à sa liberté de mouvement et sa capacité à négocier directement avec de nombreux hommes d’état, les milices et les mouvements politiques.

Les exemples à ce sujet sont légion. On citera comment le commandant des Quds a su persuader le président russe Vladimir Poutine d’intervenir militairement en Syrie en 2015. Ou comment, à travers le directeur du renseignement turc Hakan Fidan, il a su organiser la relation complexe de frères ennemis entre la Turquie et l’Iran. Soleimani a joué un rôle capital pour empêcher la prise de Bagdad (ndt : par ISIS), a créé et développé les liens avec le Hezbollah à Beirut, a dirigé la campagne régionale contre ISIS et su maintenir un équilibre délicat entre les différentes composantes politiques en Irak. Au Yémen, il a offert armes et entraînement au mouvement Ansarallah, et a pu ainsi modifier le cours de l’agression conduite par les saoudiens.

Cette longue liste constitue autant d’éléments l’ayant transformé en cible à faire abattre par les tueurs du gouvernement des Etats-Unis ou ceux des services de sécurité israéliens.

Mais il est possible que d’autres facteurs aient contribué à la décision des Etats Unis d’assassiner Soleimani ce 3 janvier 2020. Si certains analystes rappellent l’intrusion des manifestants dans l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad 3 jours avant son exécution extra-judiciaire, il est peu probable que les décideurs états-uniens aient missionné leurs assassins en réaction à cet incident somme toute relativement marginal.

Par contre, ils auront regardé comme beaucoup plus sérieux le voyage surprise de Soleimani au Venezuela, qui testait leurs limites au cœur de leur pré carré géopolitique.

Sa visite au Venezuela a été révélée publiquement 2 ans plus tard par le président du Venezuela, Nicolas Maduro, dans un interview avec le journal Al-Mayadeen de décembre 2021.

Maduro a révélé que Soleimani s’était rendu à Caracas entre mars et avril 2019, au moment même où les Etats-Unis avaient lancé une grande attaque cybernétique de sabotage contre le Venezuela qui avait conduit à des coupures d’électricité massives. Il a qualifié le général iranien de héros militaire qui « a combattu le terrorisme et les criminels terroristes barbares qui ont attaqué les populations de l’Axe de la Résistance. C’était un homme de bravoure ».

Même si Maduro n’a pas précisé exactement les dates de sa visite, on peut penser qu’elle a pris place le 8 avril et que Soleimani a voyagé à bord du premier vol direct de la compagnie aérienne iranienne Mahan Air entre Téhéran et Caracas.

Son arrivée a coïncidé avec le pic des attaques états-uniennes contre Caracas : Washington venait de reconnaitre Juan Guaido comme président du Venezuela, avait mis en place des sanctions étendues et devait organiser à la fin avril une tentative de coup d’état qui s’est soldée par la pitoyable fuite du leader de l’opposition qu’il soutenait, Leopoldo Lopez, qui a trouvé refuge dans l’ambassade d’Espagne.

La collaboration militaire entre l’Iran et le Venezuela a probablement été le sujet principal des discussions. Peu de temps avant cette visite, Maduro avait annoncé la création des unités de défense du peuple, des milices révolutionnaires chargées de maintenir l’ordre contre les tentatives de coup d’état dirigées par les Etats-Unis. Les sources iraniennes et latino-américaines confirment que Téhéran a joué un rôle clé dans l’organisation de ces milices. Mais, au delà, l’objet central de la coopération militaire entre les deux pays concerne l’industrialisation militaire.

Le Venezuela travaille sur un projet de fabrication de drones depuis le mandat de feu le président Hugo Chavez. Chavez s’en était ouvert le 13 juin 2012, précisant que « nous y travaillons avec l’aide des pays tels que la Chine, la Russie et l’Iran, ainsi que d’autre pays amis ». Quelques mois plus tôt, le général Douglas Fries, commandant du Southcom (ndt : le commandement militaire US chargé de l’Amérique centrale et du Sud) avait fait référence à ce programme en tentant d’en minimiser la portée. Selon lui, l’Iran fabriquait au Venezuela des drones « à capacités limitées » seulement pour des objectifs de sécurité interne.

En réalité, l’Iran, représenté par les forces Quds de Soleimani, développait une intense activité de collaboration militaire avec le Venezuela, particulièrement dans le développement de drones de nouvelle génération, et fournissait à Caracas des pièces détachées pour leurs avions fabriqués aux Etats-Unis. On notera que le lever du drapeau iranien est presqu’une routine lors des cérémonies militaires des forces aériennes vénézuéliennes.

Le 20 novembre 2020, le président Maduro a annoncé dans un discours les plans du Venezuela pour construire différents types de drones. A ses côtés trônait une maquette d’un drone – probablement le Muhajer 6 iranien, entré en service en Iran en 2018. Le ministre de la défense israélien de l’époque, Benny Gantz, a d’ailleurs rappelé cet épisode lors d’une rencontre avec les dirigeants des organisations juives états-uniennes en février 2022.

Ces développements étaient directement liés aux efforts de Soleimani. Un responsable gouvernemental vénézuélien nous a confirmé que le projet de drones vénézuéliens était développé avec le plein support des iraniens : depuis la formation des ingénieurs jusqu’à l’établissement de centres de recherche et de facilités de production.

En octobre 2019, le commandant du SouthCom, l’amiral naval Craig S. Faller a averti que la Russie, la Chine, l’Iran et Cuba opéraient dans divers domaines au sein de l’ère de responsabilité de son  commandement. Il insistait notamment sur le fait que l’influence de l’Iran et sa présence étaient de plus en plus ressenties en Amérique du Sud. En mars 2020, il devait répéter l’avertissement et plaçait l’Iran « en haut de la liste des pays » qui aident le Venezuela à contourner les sanctions états-uniennes.

Les Etats-Unis ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur arrière-cour et ont toujours cherché à y limiter l’influence de rivaux potentiels ou hostiles en accord avec la ‘doctrine Monroe’. L’influence de Soleimani dans cette région a certainement été considérée comme une menace contre les intérêts états-uniens et comme empiétant sur leur ‘lignes rouges’. Son rôle dans l’aide apportée au Venezuela pour développer ses capacités militaires, dont la production de drones, a été analysée à Washington comme un changement qualitatif dans les relations étrangères de l’Iran et a probablement été un facteur dans la décision de l’assassiner.

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1 Commentaire

  • Bosteph
    Bosteph

    Merci pour cette analyse pertinente, et très instructive.

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