Cet article qui reste souvent trop gentil par rapport à l’usurpation de l’idée de paix par le comité du Nobel, démonte l’histoire et comment les idéaux du génial inventeur (lui-même magnat de l’industrie de l’armement !) sont trahis par la mécanique en place. Il aurait pu aller plus loin, donner les exemples récents le plus ravageurs, tels que l’attribution à Obama, grand responsable de l’extension de l’OTAN contre la Russie et les pays émergents, instigateur du coup d’état du Maidan et par extension de la guerre de l’Ukraine occidentale contre les populations du Donbass, ou encore le ridicule du prix attribué à une directrice d’une ‘ONG’ ukrainienne, financée par la NED, qui réclame dans son discours plus d’armes pour le régime ukrainien. Mais dans l’ensemble son exposé des plus documentés établit bien ce que sont les zones de pouvoir que l’empire contrôle ou cherche à contrôler à son profit : le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU, qui a bien failli lui échapper en est un autre exemple. Ce commentaire de Jean-Luc Picker traducteur de l’article complète notre dossier sur la manière dont désormais les Etats-Unis et l’occident capitaliste ont réussi à transformer toutes les institutions internationales en leur contraire, de la charte des Nations-Unies au Nobel de la paix à travers leur suprématie unique loi. (note d’histoireetsociete)
Illustration : Le Storting, ou bâtiment du Parlement, à Oslo, en Norvège. (Magnus Fröderberg/norden.org, CC BY 2.5, Wikimedia Commons)
Un prix Nobel sans Paix.
Publié le 9 décembre 2022 dans Consortium News par Frederik S. Heffermehl
https://consortiumnews.com/2022/12/09/taking-peace-out-of-the-nobel-peace-prize/
Il y aura cette semaine cent ans que le comité norvégien du prix Nobel aura décerné le prix de la Paix 1922 à Fridtjof Nansen, un explorateur polaire norvégien, scientifique et penseur qui sera plus tard nommé Norvégien du siècle.
Pour les Norvégiens, c’était matière à réjouissance de le voir recevoir les honneurs du prix Nobel. Mais pour le reste du monde, c’était plutôt un triste adieu aux principes qu’avait voulus insuffler Alfred Nobel à travers sa donation pour la paix mondiale.
Selon le comité, c’est « son travail pour les prisonniers de guerre et les affamés qui a valu à Nansen de recevoir le prix ». Le travail humanitaire pour soulager les conséquences de la guerre est une grande et digne cause. Mais Nobel voyait plus loin : son prix était destiné à mettre un terme aux guerres à travers le désarmement et la coopération mondiale pour la paix.
Portrait d’Alfred Nobel, vers 1901 (domaine public)
Prévenir vaut mieux que guérir. Dans son testament, Nobel décrit quel type de lauréats et quel genre de travail pour la paix lui semblent convenir pour ce « prix des champions de la paix ». Il s’étend sur les principes de communauté des nations, désarmement et congrès pour la paix.
Le comité ne s’est jamais donné la peine de faire ce qui était pourtant son travail de base : il n’a jamais cherché à vérifier ce que Nobel envisageait pour son prix, tel que décrit dans son testament. Au lieu de cela, il a décidé de décerner ses prix selon sa propre interprétation du mot ‘paix’ qui a pris avec les années un sens de plus en plus large, aux limites confuses.
Comment se fait-il que des exécuteurs testamentaires aient pu commettre une violation aussi flagrante de leur mission ?
Les discours des lauréats eux-mêmes ont souvent rappelé le comité aux idéaux de Nobel, à la vision d’une paix basée sur le désarmement, mais il n’est pas sûr qu’ils aient été entendus. J’en suis venu à cette conclusion en étudiant les archives internes du comité pour mon dernier livre : Adieu à la guerre (qui n’est pour l’instant disponible qu’en norvégien). Sur cette base, il est licite d’affirmer que le comité qui a désigné Nansen comme lauréat en 1922 avait parfaitement conscience que cette décision n’allait pas dans le sens des dernières volontés de Nobel.
Petit à petit, une nouvelle mentalité s’est installée. A partir de cette date, les intentions testamentaires de Nobel n’ont eu qu’une influence marginale sur le choix des lauréats. Malgré la référence polie d’usage à Nobel, le comité ne s’est jamais préoccupé de faire connaître ses vraies idées sur la paix.
J’ai redécouvert le contenu du testament en 2007. Après 110 années, il était plus que temps de les faire connaître, mais je n’ai réussi à y intéresser ni le Storting (parlement norvégien), ni le Comité du prix Nobel. En 2018, j’ai publié le livre La volonté de Nobel, à ma connaissance la première interprétation professionnelle de ce document
Nobel lui-même l’avait appelé : « le prix pour les champions de la paix ». Mais la situation politique à la date de sa mort en 1896 avait déjà changé. La Norvège s’inquiétait alors de ce qu’une guerre serait nécessaire pour mettre un terme à leur union avec la Suède. Dans mon dernier livre, je suggère que les présidents du parlement de Norvège ont discrètement décidé de ne pas tenir compte des formulations bien précises du testament : « réduire ou abolir les armées existantes ». Ils ont préféré changer son nom en « Prix de la Paix » et s’élire eux-mêmes de façon à contrôler la majorité au sein du comité et pouvoir décerner le prix comme ils l’entendaient.
La pire décade de l’histoire du prix
Le prix est allé au président des Etats-Unis, Teddy Roosevelt, en 1906. Mais pas pour le genre de travail en faveur de la paix que Nobel avait envisagé [i].
La décision de donner le prix à Nansen en 1922 a ensuite ouvert la pire décade dans l’attribution de ce prix. La première guerre mondiale avait fragilisé l’idée que le militarisme pouvait être gardé sous contrôle. L’attribution du prix à des politiciens plus ou moins bellicistes est devenu chose commune.
En 1929, le prix reconnaissait à juste titre la valeur du courageux traité contre la guerre dit Briand-Kellogg. Mais les archives du comité montrent que 3 autres candidats non moins importants furent écartés : Salmon O Levinsohn, Charles C. Morrisson et John Dewey. Ces 3 géants intellectuels avaient mobilisé un puissant mouvement aux Etats-Unis pour mettre une interdiction totale à la guerre. L’attribution du prix à Frank Kellogg, secrétaire d’état états-unien, s’est faite sous la pression de son directeur, premier ministre et ministre des affaires étrangères norvégiens Johan Ludwig Mowinckel.
Avec cette nomination, il est devenu clair que le contrôle du comité par un parlement n’était pas le meilleur moyen de faire entendre la pression populaire grandissante pour la paix mondiale.
Pour reprendre les déclarations du mouvement de Levinsohn, Morrison et Dewey à l’époque : « la guerre ne peut pas être régulée ou contrôlée. Elle crée ses propres lois impitoyables. Tout le système de la guerre et son intrication avec les pouvoirs conduit à la mort. Il doit être éradiqué, rejeté, déclaré illégal et ABOLI ». Bien d’autres ont exprimé la même chose au cours des années, loin de la culture politique dominante. Pourtant, aujourd’hui, la demande pour la démilitarisation totale de la politique internationale semble être une idée en voie d’extinction.
La tâche prioritaire du comité Nobel devrait être de stimuler une discussion globale sur comment créer un ordre mondial reposant sur la paix. Malheureusement, comme on vient de le voir avec l’attribution cette année à des dissidents russe et biélorusse ainsi qu’à une supportrice du président Volodymir Zelensky en Ukraine, le comité semble être retourné à ses habitudes de la guerre froide.
Le prix Nobel est devenu partie à la guerre. Il choisit son camp. Il ne s’y oppose plus. Il est grand temps d’arracher ce prix des mains des politiciens qui le retiennent prisonnier.
Frederik S. Heffermehl est avocat et auteur. Son dernier livre s’intitule ‘le revers de la médaille’
[i] Le prix Nobel a été accordé à Th. Roosevelt pour sa médiation dans le conflit entre la Russie et le Japon
Vues : 200
Jean François Dron
Parfaitement clair ce texte. Tout comme pour les droits de lhomme les USA ont dénaturé ce trophée afin d’en faire un justificatif des leur politique d’agression hégémonique.