Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quand le temps vous reste en travers de la gorge

Comme le disait l’immense Aragon : Un jour vient que le temps ne passe plus. Il se met en travers de la gorge… Oui, il avait raison et je l’ai vu en pleurer, à la veille de sa mort… J’avais alors ton âge, petit et je puis te dire à toi qui l’ignore encore, ce qu’il adviendra de toi en ce moment où le mensonge de ceux qui prétendent usurper ta vie t’étrangle: la seule chose qu’il te restera à faire est de crier avec le filet de voix qui est le tien, crier, crier, pour les dénoncer ceux qui prétendent en ton lieu et place déshonorer tous tes combats comme ceux qui ont voté cette résolution derrière l’OTAN, cette union sacrée avec les marchands d’armes, les bailleurs de fond de Macron… Le PCF, le F change tout disait Aragon, il signifie Français et pas forfaiture, trahison de notre peuple, de notre histoire, oui ce temps-là s’est mis en travers de ma gorge et la déchire… du temps où mes cheveux sont aussi blancs que les siens… et que j’ai l’âge où il mourut… dans un hiver semblable à celui-ci..

Ah! j’allais oublier, Marianne est dans un état voisin du mien, épuisée et écœurée par le combat incessant pour alimenter ce blog, traduire, traduire pour faire face au flot de propagande et la découverte du vote des députés communistes, l’ont rendue malade “comme on dit”, elle découvre l’ampleur du mal et en reste sidérée, moi cela fait trente ans que je sais ce qu’il en retourne… L’argument en faveur du vote on le connait : il va être défendu par ceux qui depuis trente ans jouent les malins tacticiens et limitent à l’horizon de la social démocratie leur projet communiste jusqu’à la forfaiture de signer la guerre. L’argument va être “si on se pose la question : « pourquoi cette Motion avec ce texte tel qu’il est construit », on devine rapidement que nos députés sont moins cons qu’il n’y parait.” Nous aussi, vos manœuvres à la petite semaine qui ont mené le PS où il en est, la gauche en général nous sommes capables de les voir, mais le PCF c’était autre chose, une alliance avec l’Histoire, avec le peuple qui toujours mena la lutte des classes contre les fauteurs de guerre… de Robespierre à la deuxième guerre mondiale, en passant par la Commune de Paris et le refus de Munich… Jamais le parti communiste n’a raisonné ainsi sur une question aussi fondamentale jusqu’à l’arrivée de Robert Hue… Nous le savons tous, et ce n’est pas fini… aussi j’ai conseillé à Marianne, une semaine et plus de repos, de joies familiales… Heureusement il y a ce blog, ce lieu de rencontre et de participation, pour organiser le relais, il y a des participations qui sont devenues indispensables à son fonctionnement. Il y a en projet l’association de Franck Marsal à l’équipe de rédaction. Alors considérons ce temps comme celui d’une pose où chacun apporte sa quote-part, son expérience à la construction commune non pas dans une pseudo-objectivité mais dans un combat qui a choisi son camp en défense de l’humanité…

illustration : Aragon, Jean Ristat et moi…

Précisions sur lesquelles je n’aime pas intervenir mais ça commence à bien faire…

A un interlocuteur qui confond tout et qui accuse Aragon de s’être tu quand le parti communiste selon lui attaquait les homosexuels je réponds :

Vous vous trompez et je sais de quoi je parle : il s’avère que j’ai été celle qui lors de la loi qui prétendait limiter les droits à la majorité sexuelle à 15 ans pour les hétéro et à 18 pour les homos, a été chargée par le PCF de porter la position du parti. Le PCF avait refusé cette loi parce qu’elle introduisait une distinction inadmissible entre citoyens. J’ai porté cette position à Jussieu dans la réunion que tenaient là les organisations homosexuelles dont pas mal des participants étaient membre du PCF, j’ai été très applaudie. Parce que ceux qui étaient là avaient, comme moi, conscience de l’importance d’un positionnement de classe dans la conquête des libertés individuelles et je vous conseillerais de le retrouver parce que rien n’est plus aisément remis en cause que des libertés que seuls le capital et ses fascistes auraient un temps portées, pour de fugaces révolutions de couleur, qu’il s’agisse du droit des femmes, du refus du racisme, ou du refus de l’antisémitisme. S’allier avec les USA n’est certainement pas une garantie et les homosexuels ne sont pas à l’abri des massacres d’Orlando qui n’ont lieu nulle part ailleurs et surtout pas en Russie, même devenue la proie des conservatismes portés toujours au pouvoir avec l’appui des capitalistes occidentaux.

J’ai partout en tant que communiste, membre de la direction du PCF, en accord avec mon parti, défendu ce droit des homosexuels contre les discriminations en particulier politiques et j’étais l’amie d’Aragon et de Ristat… les archives du parti en témoignent : au comité des libertés dont j’étais membre comme Aragon, je me suis particulièrement attachée à cette question-là et c’est vrai qu’il y avait peu d’enthousiaste pour venir en parler publiquement… donc je sais de quoi je parle puisque moi je suis ainsi faite, et c’est peut-être ma limite, je ne vois pas où il y a problème et je trouve particulièrement stupide et contreproductif d’exiger des gens majeurs et consentants ce qu’ils ne peuvent pas assumer et de les priver de ce qui ne gêne personne par diktat inapplicable d’ailleurs.

Je voudrais ajouter qu’Aragon aimait les femmes et à 80 ans il était plus que sensible à mes charmes… J’aimais mon mari j’ai donc calmé ses ardeurs mais il me plaisait de l’entendre me faire des déclarations, de recevoir ses dédicaces amoureuses, à qui cela n’aurait pas plu et j’ai donc cultivé une amitié amoureuse avec lui en toute complicité avec Ristat qui était son fils bien aimé et qui l’a entouré jusqu’à la fin… Ma conclusion est qu’Aragon AIMAIT et l’objet de l’amour importe peu comme les enfers que parfois l’on frôle dans la condition humaine, l’important est d’en faire l’essentiel, une sublimation qui trouve des voies multiples pour s’exprimer…

Donc autant je ne supporterais pas de vivre dans un pays où l’homosexualité soit réprimée et jamais je ne l’accepterais parce que c’est profondément injuste, là-dessus il faudrait parler de la situation en Russie, à Cuba dont vous ignorez tout… mais cela ne justifie en aucun cas de soutenir les crimes des USA et de ne pas voir les souffrances que ce pays occasionne…

Pour avoir vécu les derniers jours d’Aragon j’affirme qu’il n’aurait jamais toléré d’être transformé en icône gay antisoviétique lui qui a été jusqu’à la fin de sa vie, l’insolent, le surréaliste, le paysan de Paris, errant dans les rues à la recherche de l’aventure, lui dont Breton disait « Aragon échappe plus aisément que quiconque au petit désastre du quotidien » à l’inverse de la plupart de ses amis qu’il n’a jamais reniés (même Drieu la Rochelle dont il fit son alter ego dans Aurélien) il était tout de la France comme de son parti avec lequel il la confondait, tout de cette épopée de la première grande révolution qui en engendra bien d’autres, il s’engagea face à la guerre du Rif et chanta Elsa, comme un ménestrel dénonçant la guerre d’Algérie du côté de Grenade… Il s’acharna à faire connaître les écrivains du monde entier et en particulier de ce creuset qu’étaient l’URSS, la fraternité, l’anticolonialisme et ça il ne l’a jamais renié… On ne le résume à rien et il fut d’abord de son temps celui de Matisse disait-il, si facilement convaincu de ses manques par rapport à la lâcheté ordinaire.

Je précise encore pour que l’on mesure les limites de cette intervention : j’ai toujours considéré qu’avoir été l’amie d’Aragon ne me donnait aucun privilège particulier puisqu’il ne cessait de répéter “tout est dans ce que j’ai écrit, il suffit de lire mes livres” la seule biographie est celle qui travaille son œuvre, ses écrits, à ce titre Jean Ristat est celui en qui j’ai le plus confiance. Et à ce titre seulement parce que sur le plan politique nous avions souvent tous les trois des divergences (comme sur le vote pour Mitterrand qu’Aragon détestait autant et plus que moi et pour lequel Ristat s’obstinait à vouloir nous faire voter) et nous en discutions avec passion… mais sur l’œuvre il est réellement celui qui non seulement la connait mais sait mieux que personne les relations qu’il faut établir avec la biographie, ils n’ont cessé d’y travailler ensemble. J’aimerais que tous ceux qui feignent comme Bernard Vasseur de l’avoir connu et que je n’ai jamais vus auprès de lui aient les mêmes scrupules que moi…

Danielle Bleitrach

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