Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Vu de Russie : ce que nous vendons à l’Amérique, et ce que Washington essaie de cacher au reste du monde.

https://svpressa.ru/economy/article/346297/

Le bois, les métaux, l’uranium, le titane, la nourriture partent de Russie pour aller au-delà des océans. En fait malgré les sanctions et les tentatives de perturber le commerce mondial celui-ci poursuit plus ou moins ses circuits mais dans le même temps il évolue, suivre le mouvement du capital au-delà des conflits peut réserver des surprises (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)


Valentin Katasonov

J’ai déjà abordé à plusieurs reprises le sujet du commerce avec l’ennemi. Je veux parler du commerce de la Russie avec l’Occident collectif, qui mène une guerre de sanctions contre notre pays depuis plus de six mois maintenant. La guerre, malheureusement, est toujours à sens unique. Ils nous attaquent, ils imposent de plus en plus de sanctions, et nous ne faisons que réagir, c’est-à-dire nous adapter et nous défendre.

Aujourd’hui, il est devenu difficile d’analyser la situation dans la sphère des relations économiques extérieures de la Russie avec d’autres pays, car le Service fédéral des douanes (SFC) et d’autres départements économiques de la Russie ont fermé les informations statistiques opérationnelles sur le commerce extérieur du pays. Cependant, certaines informations provenant des services statistiques et douaniers d’autres pays avec lesquels la Russie commerce sont disponibles.

Les derniers chiffres du ministère américain du commerce montrent que les États-Unis ont exporté pour 1,30 milliard de dollars de marchandises américaines vers la Russie entre janvier et juillet de cette année. Les importations de la Russie vers les États-Unis pendant cette période sont estimées à 11,64 milliards de dollars.

Ainsi, le commerce russo-américain ressemble cette année à une rue à sens unique. Nos livraisons au-delà de l’océan dépassent de près de 9 fois nos achats outre-mer ! À titre de comparaison, l’année dernière, nos exportations vers les États-Unis se sont élevées à 16,88 milliards de dollars et nos importations en provenance des États-Unis à 17,54 milliards de dollars. En d’autres termes, les échanges étaient plus ou moins équilibrés.

Après le 24 février de cette année, Washington a immédiatement imposé des sanctions commerciales à l’encontre de la Russie, et celles-ci ont été particulièrement sévères à l’égard de la fourniture de biens américains à la Russie. Il y avait également certaines restrictions sur les importations en provenance de Russie, mais elles étaient très modérées. La logique ici est évidente. Il est nécessaire d’étrangler l’économie russe en stoppant les investissements vitaux et les matériels de haute technologie. Surtout si l’on considère que certains d’entre eux (par exemple les micropuces) sont utilisés dans la production d’armes russes.

Mais l’économie américaine a besoin de la fourniture de toute une série de biens en provenance de Russie. L’Amérique les paiera avec ses dollars. Et à un moment donné, Washington, qui contrôle le système mondial du dollar, appuiera sur un bouton et mettra à zéro toutes les économies russes en monnaie américaine. Moscou a accepté ces règles du jeu, ce qui revient à jouer à qui perd gagne*. Au lieu de réduire à néant l’approvisionnement de ses produits de l’autre côté de l’océan (et les États-Unis ont grandement besoin de certains produits), Moscou a fait de son mieux pour continuer à fournir des biens à son principal ennemi.

Le 25 août, l’Associated Press (AP) a publié un article intitulé “Six mois de guerre, les marchandises russes continuent d’affluer vers les États-Unis”.

La publication commence par cet avant-propos : “Six mois après le début du conflit en Ukraine, les entreprises américaines, y compris les entrepreneurs fédéraux, continuent d’acheter tout aux grandes entreprises russes, des parquets en bouleau au titane de qualité militaire.”

Les auteurs, Juliet Linderman et Marta Mendoza, soulignent que les chiffres utilisés dans l’article sont des informations détaillées provenant des agences statistiques et douanières américaines. Ils comprennent non seulement des indicateurs de valeur, mais aussi des données sur le nombre de navires et d’expéditions de marchandises en provenance de Russie, ainsi que sur leur volume physique. Ils écrivent : “Associated Press a constaté que plus de 3 600 cargaisons de bois, de métaux, de caoutchouc et d’autres marchandises sont arrivées dans les ports américains en provenance de Russie depuis que celle-ci a commencé à lancer des missiles et des frappes aériennes sur son voisin en février. C’est une baisse significative par rapport à la même période en 2021, où environ 6 000 expéditions sont arrivées, mais cela représente toujours plus d’un milliard de dollars par mois.”

Ils donnent les informations les plus détaillées sur les différents groupes de marchandises arrivant de Russie aux États-Unis entre le 24 février et le 12 août. Le plus grand nombre d’envois concerne le bois. Un total de 1.294 envois pour un poids de 96.100 tonnes. Ensuite (par nombre d’envois de marchandises) : “Métaux” (métaux ferreux, aluminium, titane, poudre d’acier, etc.) – 909 envois pour un poids de 264,44 millions de tonnes. En troisième position, on trouve le groupe de produits “Alimentation”. – 341 lots pour un poids de 9,97 milliers de tonnes.

Il existe de nombreuses catégories intéressantes dont les médias ne parlent bizarrement pas. Par exemple : “Matériaux radioactifs” (47 lots ; 7,7 mille tonnes) ; “Électrodes en carbone et graphite” (39 lots ; 8,04 mille tonnes) ; “Munitions” (47 lots ; 3,39 mille tonnes) ; “Équipement de production de pétrole” (20 lots ; 791,99 tonnes) ; “Équipement de traitement des données” (11 lots ; 446,5 tonnes) ; “Câble à fibre optique” (8 lots ; 388,41 tonnes) ; “Turbines” (2 lots ; 45,43 tonnes), etc. Je pense qu’au moins une partie des marchandises appartenant aux groupes ci-dessus peuvent et doivent être classées dans la catégorie des biens “stratégiquement importants”. Et la question se pose de savoir pourquoi Moscou, après le 24 février, a continué à les fournir à un pays qui nous a directement déclaré son principal ennemi.

En fait, l’article contient des indices sur les “points douloureux” sur lesquels on peut et on doit faire “pression” sur la Russie en premier lieu.

La Russie est un exportateur clé vers les États-Unis de métaux tels que l’aluminium, l’acier et le titane. La fin de ce commerce pourrait entraîner une forte hausse des prix pour les Américains qui sont déjà aux prises avec l’inflation. Les auteurs de l’article citent Jacob Nell, économiste de la banque Morgan Stanley, qui a déclaré : “L’idée de base des sanctions est que vous essayez d’agir de manière à faire souffrir davantage l’autre partie et à souffrir moins.”

Pour souffrir moins, la plupart des entreprises sidérurgiques américaines ont maintenu leurs relations avec les fournisseurs russes. Ces échanges, notamment d’aluminium, se sont poursuivis de manière quasi ininterrompue après le 24 février. Depuis février, AP a repéré plus de 900 cargaisons de métaux représentant un total de plus de 264 millions de tonnes. La Russie est l’un des plus grands producteurs d’aluminium non transformé en dehors de la Chine et un exportateur mondial important.

L’aluminium russe se retrouve dans les pièces de voitures et d’avions américains, les canettes de soda et les câbles, les échelles et les panneaux solaires. Le plus gros acheteur aux États-Unis au début de 2022 était une filiale du géant russe de l’aluminium Rusal. En avril, la direction de Rusal America a racheté la partie américaine de la société et l’a rebaptisée PerenniAL. PerenniAL a importé plus de 35 000 tonnes de Russie au cours du seul mois de juillet.

Un autre importateur américain de ce métal, Tirus US, appartient à la société russe VSMPO-AVISMA, le plus grand producteur de titane au monde. VSMPO fournit principalement le métal à l’armée russe pour la construction d’avions de chasse. Et Tirus US continue de fournir du titane russe à plus de 300 entreprises dans 48 pays, dont un certain nombre de clients américains – des fabricants de bijoux aux entreprises aérospatiales.

Le 8 mars, Joe Biden a annoncé que les États-Unis interdisaient toute importation de pétrole, de gaz et d’énergie russes, “ciblant ainsi l’artère principale de l’économie russe”. “Cela signifie que le pétrole russe ne sera plus accepté dans les ports américains, et que le peuple américain portera un nouveau coup puissant à la machine de guerre de Poutine”, a-t-il déclaré.

Quelques heures après cette déclaration, des informations sont apparues selon lesquelles un navire transportant 1 million de barils de pétrole russe à destination des États-Unis avait changé de cap pour se rendre en France. Mais ce n’était qu’une opération de com. En juillet notamment, les médias ont rapporté qu’un pétrolier transportant environ 75 000 barils de pétrole bitumineux russe était entré dans le port de Texas City, au Texas. Après une longue traversée de l’Atlantique Nord, le pétrole russe était en route vers les raffineries de Valero aux États-Unis.

Après le 8 mars, les expéditions de pétrole russe se sont poursuivies vers Valero, ExxonMobil et d’autres sociétés américaines. Julie King, responsable d’ExxonMobil, a déclaré à AP que la cargaison de pétrole de juillet provenait du Kazakhstan et n’était pas soumise aux sanctions. Un article d’AP sur les importations de pétrole russe aux États-Unis a noté : “Les produits actuellement interdits, tels que le pétrole et le gaz russes, ont continué à arriver dans les ports américains longtemps après l’annonce des sanctions, en raison des périodes de ‘liquidation’ permettant aux entreprises d’honorer les contrats existants”.

Dans certains cas, l’origine des produits expédiés depuis les ports russes peut être difficile à déterminer. Les compagnies énergétiques américaines continuent d’importer du pétrole du Kazakhstan via les ports russes, bien que ce pétrole soit parfois mélangé à du carburant russe. Les experts commerciaux mettent en garde contre le manque de fiabilité des fournisseurs russes, et les structures opaques de la plupart des grandes entreprises russes rendent difficile la détermination de leurs liens avec le gouvernement.

Les matières nucléaires en provenance de Russie ne font pas non plus l’objet de sanctions. AP a également retracé des envois d’hexafluorure d’uranium radioactif d’une valeur de plusieurs millions de dollars provenant de la société d’État russe Tenex, le plus grand exportateur mondial de matières premières pour le cycle du combustible nucléaire, vers Westinghouse Electric Co. en Caroline du Sud. L’article note : “La porte-parole de Westinghouse, Katie Mann, a déclaré que leurs installations de fabrication de combustible reçoivent des produits d’uranium enrichi et les transforment en pastilles de combustible dans le cadre du processus de fabrication du combustible nucléaire. Elle a précisé que Westinghouse ne possède pas l’uranium utilisé pour fabriquer le combustible. Ce matériel appartient aux clients qui exploitent des centrales nucléaires dans le monde entier.”

J’ajoute qu’en mars dernier, les autorités russes ont soulevé la question de la nécessité de cesser de fournir aux États-Unis l’uranium enrichi dont dépendent de nombreuses centrales nucléaires américaines. Une sanction de Moscou sur l’uranium provoquerait une crise énergétique immédiate aux États-Unis. Jusqu’à présent, on ne sait pourquoi, Moscou n’a pas décidé d’une telle sanction sur l’uranium.

Un article d’AP intitulé “U.S. Imports $6 Billion From Russia as It Forces Others to Quit Doing Business with Moscow” a été publié début septembre par Global Research.

Drago Bosnic, auteur de l’article, note : “Les États-Unis, en tant que principale puissance occidentale qui a poussé ses vassaux européens et autres dans une guerre économique avec la Russie aux conséquences dévastatrices pour l’UE et d’autres économies, continuent de faire des affaires avec Moscou… Selon les statistiques citées par Associated Press, plus de 3 600 navires en provenance de Russie sont arrivés dans les ports américains depuis le 24 février. Bien que cela représente près de 50 % d’expéditions en moins sur la même période par rapport à l’année dernière, les importations totalisent toujours plus de 6 milliards de dollars.”

Drago Bosnich note que l’approche très différenciée de Washington quant à ce qui doit être interdit et ce qui doit être conservé dans les importations russes permet aux autres pays de faire preuve de “créativité” avec les sanctions anti-russes.

Cette approche “créative” est particulièrement évidente parmi les pays qui ne se sont pas directement associés aux sanctions anti-russes. L’hypocrisie de Washington affaiblit considérablement l’efficacité des sanctions contre Moscou. “Washington essaie d’exercer une pression diplomatique sur les autres pour qu’ils cessent de faire des affaires avec Moscou. Si beaucoup ont suivi le diktat américain, d’autres ont non seulement maintenu leurs liens économiques avec la Russie, mais les ont même développés. Par exemple, la Turquie, membre de l’OTAN depuis 1952, a doublé ses importations de pétrole en provenance de Russie cette année.

Cette approche hypocrite a créé des frustrations dans de nombreux pays, y compris dans les grandes puissances mondiales comme l’Inde… comme la Turquie, l’Inde a également augmenté de manière significative ses importations d’énergie en provenance de Russie, malgré les pressions exercées par les États-Unis à New Delhi pour qu’elle ne le fasse pas.

On peut également noter que Washington est assez tolérant vis-à-vis de l’augmentation du commerce de la Turquie avec la Russie, car certaines entreprises turques ont joué le rôle d’intermédiaires. Les marchandises qui étaient auparavant envoyées directement de la Russie vers les États-Unis sont désormais envoyées via la Turquie. C’est ce qu’a rapporté le journal turc Yeni Şafak le 30 août, citant des sources parmi les hommes d’affaires turcs.

Selon les sources du journal, les entreprises qui ont quitté la Russie sont à la recherche de partenaires turcs à qui elles proposent des commissions et des affaires communes. “Les hommes d’affaires avec lesquels nous nous sommes entretenus ont noté que le nombre de ces offres émanant d’entreprises américaines a augmenté au cours des derniers mois”, indique le journal.

Et l’Europe, contrairement à la Turquie, à l’Inde et à un certain nombre d’autres pays qui ont abordé de manière “créative” la question des sanctions anti-russes, a démontré qu’elle est un parfait vassal américain. Elle applique toutes les sanctions sans broncher, se tirant une balle dans le pied. Cela menace d’une crise énergétique et économique grandiose et peut-être même de l’effondrement d’une Europe autrefois “unie”.

“Et à quoi ressemblera l’Europe en 2023, après qu’elle aura connu un effondrement politique complet ?”. Quoi qu’il arrive à l’Europe et aux autres vassaux des États-Unis, une chose est sûre : l’Amérique continuera à importer des biens essentiels de Russie tout en faisant pression sur les autres pour qu’ils ne le fassent pas. Ce n’est toutefois pas nécessairement une mauvaise chose, car il s’agira d’un test de souveraineté parfait pour de nombreuses personnes dans le monde et d’un excellent indicateur de ceux qui auront le privilège de rejoindre le nouveau monde multipolaire d’États souverains”, conclut Drago Bosnich.

Quant à la Russie, elle doit cesser ses échanges avec son principal ennemi le plus rapidement possible. À proprement parler, la fourniture de marchandises russes par-delà l’océan ne peut même pas être qualifiée de “commerce”. Il serait plus correct de l’appeler “aide” à l’ennemi. Pourquoi ? Parce que les milliards de dollars que la Russie reçoit actuellement des États-Unis ne peuvent être utilisés pour acheter les biens dont elle a besoin. Et à un moment donné, les milliards de dollars accumulés seront réduits à néant par l’ennemi à qui il suffira d’appuyer sur un bouton.

* L’expression russe est légèrement différente, il s’agit du “jeu de dames russe”, poddavki, où le but de jeu est de se faire prendre toutes ses pièces. https://en.wikipedia.org/wiki/Poddavki

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