Franck Marsal nous propose cet article qu’il a traduit de l’anglais depuis le blog IndianPunchline tenu par un ancien diplomate indien, M.K. Bhadrakumar dont nous avions déjà parlé et qui s’avère un fin connaisseur de la situation géopolitique d’un point de vue en particulier qui est celui du continent asiatique. “Cela signifie que la capacité des USA de fournir des équipements rapidement pourrait être en train de diminuer … L’administration pourrait devoir demander au Congrès des fonds supplémentaires prochainement. Bien que le consensus bi-partisan pour soutenir l’Ukraine demeure solide, il pourrait y avoir une lutte avec la gauche progressiste et avec la droite isolationniste sur le bien-fondé d’envoyer de l’argent à l’étranger alors qu’il y a de si pressants besoins au pays”. Si les trusts de l’armement occidentaux peuvent être satisfaits du fait que l’on ne se contente plus des stocks mais que le carnet de commande s’enfle, le temps imparti n’est plus celui qui permettrait une victoire de l’Ukraine et il entre en concurrence avec ceux qui dénoncent la gabegie face aux nécessités de plus en plus pressantes internes… (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
https://www.indianpunchline.com/
article, daté du 27 août 2022
En lisant et relisant la dernière déclaration du président américain Joe Biden, lundi dernier, à l’occasion du jour d’indépendance de l’Ukraine, on peut se rappeler de la phrase immortelle du poète anglais John Keats “Les mélodies entendues sont douces, mais celles qu’on n’entend pas sont plus douces encore”. Trois choses sont frappantes :
Biden a invoqué à plusieurs reprises la relation éternelle des USA avec le peuple ukrainien. Mais, dans la totalité de la déclaration, il ne mentionne pas une seule fois le gouvernement ukrainien ou le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Une omission par négligence ?
Deuxièmement, Biden minimise au point de l’ignorer, l’intense partenariat d’état à état USA – Ukraine. Le régime de Kiev est impensable sans un soutien robuste des USA. Troisièmement, Biden reste silencieux sur la guerre en elle-même qui se trouve à un point décisif désormais.
Pas plus tard que le 18 août, vingt professionnels de sécurité américains de premier rang ont pressé l’administration Biden de “produire une orientation stratégique satisfaisante permettant aux gouvernements de maintenir un soutien public pour l’engagement de l’OTAN sur le long terme (…) et de s’engager plus rapidement et plus stratégiquement dans la réponse aux demandes ukrainiennes de systèmes d’armement”.
Mais Biden a soigneusement laissé cela de côté. Même lorsqu’il évoque la dernière tranche d’armement pour l’Ukraine, d’une valeur de 2,98 milliards de dollars, Biden exprime l’espoir que ces systèmes d’armements pourront garantir que l’Ukraine “pourra continuer à se défendre dans le long terme”.
Les analystes américains estiment que le paquet de 2,98 milliard de dollars d’armes est radicalement différent dans son mécanisme d’attribution. En effet, alors que jusqu’ici l’aide militaire était retirée des stocks existant d’armes et de matériels de l’armée américaine, ce paquet d’aide devra être acheté ou commandé auprès des fabricants.
John Kirby, le porte parole du Conseil National de Sécurité a admis devant les journalistes qu’une partie de l’aide de ce dernier paquet pourrait être fournie plus lentement que d’autres, selon la disponibilité des stocks des fabricants. Il a déclaré vaguement “cela dépendra, franchement, de chaque matériel dont on parle. Certaines choses demanderont probablement encore un certain temps de production pour arriver”.
En effet, le complexe militaro-industriel pourrait voir davantage de satisfaction que Zelensky dans les dernières annonces de Biden. L’administration Biden sort de l’utilisation des stocks militaires, comme les autres alliés européens le font également.
Selon Mark Cancian, Conseiller Senior sur le Programme International de Sécurité du CSIS (Centre d’études Internationales et Stratégiques), le dernier paquet d’aide de Biden de 2,98 milliards “soutiendra l’armée ukrainienne dans le long terme mais mettra des mois ou même des années à être pleinement accompli … Donc, ce paquet soutiendra l’armée ukrainienne sur le long terme, vraisemblablement pour l’après -guerre, plutôt que d’améliorer ses capacités dans le court ou moyen terme.”
“Cela signifie que la capacité des USA de fournir des équipements rapidement pourrait être en train de diminuer … L’administration pourrait devoir demander au Congrès des fonds supplémentaires prochainement. Bien que le consensus bi-partisan pour soutenir l’Ukraine demeure solide, il pourrait y avoir une lutte avec la gauche progressiste et avec la droite isolationniste sur le bien-fondé d’envoyer de l’argent à l’étranger alors qu’il y a de si pressants besoins au pays”.
C’est presque le même dilemme auquel font face les alliés européens des USA. Le prestigieux think tank allemand, l’institut de Kiel pour l’économie mondiale a rapporté la semaine dernière que “le flot de soutiens nouveaux pour l’Ukraine s’est asséché en juillet. Aucun grand pays européen, comme l’Allemagne, la France ou l’Italie n’a pris de nouveaux engagements.”
Il dit que la Commission Européenne presse pour des paquets d’aide plus importants et plus réguliers pour l’Ukraine mais que l’enthousiasme manque au niveau des états membres. “Les principaux pays, comme la France, l’Espagne ou l’Italie n’ont jusqu’ici apporté qu’un soutien très limité ou sont restés très opaques sur leur aide”.
L’évanouissement du soutien intérieur est le facteur principal. Même en Pologne, il y a une “fatigue des réfugiés”. L’inflation est la préoccupation qui efface toutes les autres dans l’opinion publique. Le magazine allemand Der Spiegel a rapporté que le Chancelier Olaf Scholtz rencontre une opposition dans les rangs de son propre parti, de la part de ceux qui veulent que Berlin arrête de fournir à l’Ukraine des armes et que le Chancelier engage le dialogue avec la Russie.
Jeudi, le Chancelier Scholtz a fait une remarque significative lors d’un événement public à Magdebourg, exprimant que Berlin ne fournira pas à Kiev d’armes qui pourraient être utilisées pour attaquer la Russie. Scholtz expliqua que l’objectif de Berlin en envoyant des armes est de “soutenir l’Ukraine” et de “prévenir une escalade du conflit vers quelque chose qui pourrait être très différent”. Il a dit faire ainsi écho à la pensée de Biden.
En fait, alors que d’une main les USA continuent à exercer une pression militaire sur la Russie, espérant briser la résistance de son adversaire stratégique de long terme, de l’autre côté, depuis plus de deux mois, Washington a signalé qu’il ne recherche pas de victoire, mais une solution finale au problème ukrainien par des négociations pacifiques.
Comme en Allemagne, il y a un large volume de pressions anti-guerre aux USA également, particulièrement au sein du parti démocrate et des élites universitaires, ainsi que dans les personnalités de haut rang à la retraite et des dirigeants d’affaires, demandant à l’administration d’arrêter de mettre de l’huile sur le feu de la situation autour de l’Ukraine. Si les démocrates perdent les élections de mi-mandat, ou si les républicains reviennent au pouvoir en 2024, alors la guerre prendrait un tour radicalement différent. Avec le temps, des changements similaires ont une grande probabilité d’avoir lieu en Europe également.
Déjà, le déclin en intensité de l’impact des sanctions européennes et américaines contre la Russie parle de lui-même. Le journal The Economist, qui est un critique virulent du Kremlin, reconnait cette semaine que le KO espéré provenant des sanctions anti-russe “ne s’est pas matérialisé”. Le magazine écrit : “Les ventes d’énergie vont générer un surplus des comptes courants de 265 milliards d’euros cette année (pour la Russie), le second plus important au monde après la Chine. Après un choc, le système financier russe s’est stabilisé et le pays est en train de trouver de nouveaux fournisseurs pour certaines importations, notamment la Chine.”
Dans une note sombre, The Economist écrit “le moment unipolaire des années 1990, durant lequel la suprématie américaine était incontestée, est fini depuis longtemps et l’ouest a perdu l’appétit de l’usage de la force militaire depuis les guerres en Irak et en Afghanistan.”
De même, internationalement, le soutien à l’Ukraine de l’extérieur du bloc occidental à chuté dramatiquement durant les derniers mois. La résolution proposée par Kiev mercredi pour condamner la Russie à attiré seulement le soutien de 58 pays sur les 193 membres de l’ONU, alors que lors de la session du 2 mars de l’Assemblée Générale de L’ONU, 141 pays avait voté pour une résolution non contraignante condamnant Moscou.
La protection en Téflon de Zelensky part également en lambeaux. Son addiction aux drogues est rendue publique. Le régime est secoué, comme le montre la vague de purges dans les services de sécurité. Selon le président turc Recep Erdogan, qui a rencontré Zelensky à Lvov récemment, ce dernier à semblé hésitant et incertain quant au fait qu’il serait tenu complètement informé de la situation.
Le comportement erratique de Zelensky ne le rend pas non plus très attachant. Le pape François est la dernière personnalité à avoir fait les frais des remontrances de Kiev – parce que le Pontife avait remarqué que Daria Douguina était “innocente”. L’ambassadeur du Vatican à été convoqué au ministère des affaires étrangères ukrainien pour recevoir les protestations de Kiev.
Le quotidien allemand HandelsBlatt, écrit ce jour que “la cohésion interne du gouvernement ukrainien est en danger”. Il y a de sérieuses allégations contre le président. Sur place, le président, célébré à l’étranger comme un héros de guerre, est sous pression. (…) Le comédien s’est transformé en seigneur de guerre (…). L’homme de 44 ans a était capable jusque-là d’agir et d’évoluer librement avec son équipe, partiellement composée de collègues de sa société de télévision. Mais la période de grâce semble désormais arriver à son terme.” Le quotidien prévoit un soulèvement politique pour l’hiver.
Biden s’est distancé prudemment du régime de Kiev et s’est concentré sur les relations entre les peuples. Même si les Américains connaissent les corridors byzantins du pouvoir de Kiev, ils ne peuvent se permettre d’être explicites, comme l’ancien président russe Dimitri Medvedev qui a prédit la semaine passée que les militaires ukrainiens pourraient prendre le pouvoir et engager des négociations de paix avec la Russie.
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