Merci Marianne qui dans ses traductions arrive comme ici à nous faire comprendre ce qui se joue réellement entre l’Ukraine et la Russie. Nous sommes loin des bulletins de triomphe de part et d’autre, c’est la “Storia”, ce beau bouquin d’Elsa Morante dont les protagonistes sont des petites gens vivant au jour le jour dans la guerre géostratégique et développant leur propre logique celle de la survie. Les tactiques y compris proclamées aboutissent à des comportements inattendus comme ici avec cette route de l’exode non vers l’Europe pour laquelle il faut plus de moyens financiers mais vers la Russie dont on parle la langue et qui est moins loin du peu que l’on possède. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/world/2022/7/26/1169398.html
26 juillet 2022, 14:46
Photo : photo de la vidéo
Texte : Nikolaï Storozhenko
Les médias occidentaux s’étonnent : les Ukrainiens fuient en masse vers les territoires libérés du régime de Kiev par l’armée russe, les régions de Zaporojié et de Kherson. Ironiquement, il existe une route officielle pour cela. Comment est mis en place le système que l’on peut appeler la “barrière de Zaporojié”, et pourquoi son existence même est une preuve de la justesse et de l’efficacité de l’Opération spéciale ?
“Les Ukrainiens retournent dans les territoires occupés” – la nouvelle portant ce titre est publiée par Euronews. Et démontre ainsi soit une incompréhension totale de la situation en Ukraine et spécifiquement dans la région de Zaporojié, soit la volonté de cacher le véritable état des choses. Non, bien sûr, il y a aussi des Ukrainiens qui sont dans ce cas : ils sont partis pour la durée des hostilités et reviennent maintenant. Cependant, beaucoup de ceux qui sont partis temporairement sont revenus depuis longtemps. Et aujourd’hui, ceux qui franchissent la barrière de Zaporojié en convoi ne sont pas du tout des gens qui rentrent chez eux.
En groupe, en ligue, en procession (1)
Les départs vers les territoires non contrôlés par l’Ukraine ont commencé au printemps et n’ont pas été réglementés dans un premier temps. Cependant, au début du mois de juin, une nouvelle procédure a été établie pour quitter Zaporojié vers le sud.
Le mouvement se déroule en colonnes. Des convois sont formés dans la zone du marché automobile de Zaporojié. Habituellement, il y a trois ou quatre convois de 50 voitures par jour. Seuls les citoyens ukrainiens sont autorisés à partir. Avant le départ, vous devez remplir et envoyer à l’administration militaire régionale de Zaporojié une demande de départ, et surtout, vous devez recevoir la confirmation de l’enregistrement de la demande et la “permission” de départ. Ensuite, vous pouvez vous rendre au marché de l’automobile et chercher un transporteur (si vous n’avez pas votre propre moyen de transport).
Officiellement, la plupart des voyageurs rentrent chez eux, vont vérifier la sécurité de leurs maisons/possessions, rendre visite à leurs proches ou les emmener en Ukraine. Dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’alibis pour les postes de contrôle ukrainiens (qui font l’objet de multiples plaisanteries). En réalité, la “barrière” de Zaporojié est un moyen relativement facile et peu coûteux pour toute personne ayant des raisons de quitter l’Ukraine.
Qui sont ces gens ? Tout d’abord, ceux qui fuient la mobilisation. Le prix officieux de la sortie par la frontière occidentale ou vers la Moldavie pour les hommes de la catégorie “18-60” est absolument exorbitant : 5 mille dollars et plus. Et même pour cet argent, personne ne garantit rien. En conséquence, les commissaires militaires ont augmenté les taux. Un certificat d’exemption du service militaire coûtera 1 à 2 mille dollars.
Mais vous ne pouvez de toute façon pas quitter le pays avec un tel certificat ; son propriétaire sera immédiatement démasqué à la frontière. Et une “exemption” plus fiable, avec un rapport du médecin, vaut déjà 10 000.
Il est moins cher de passer par Zaporojié pour aller à Kherson et de là en Crimée. Ensuite vers l’UE via la Géorgie (un chemin plus court, mais les médias font peur avec les files d’attente à la frontière) ou via les pays baltes. Ou bien on peut rester en Russie, selon ce qui nous tient le plus à cœur.
Un exemple typique est une histoire publiée en juin sur Pikabu : “J’ai 26 ans, astreint au service militaire, deux jours avant mon départ j’ai reçu une convocation à ma porte”, peut-on lire dans une courte introduction. Vient ensuite la description fascinante d’un voyage à Kherson, puis en Crimée, ainsi que des tentatives de retrait à distance d’argent sur des cartes bancaires ukrainiennes.
Ensuite, il y a ceux qui fuient l’Ukraine tout simplement. Ceux-là, bien sûr, fuient aussi souvent une éventuelle mobilisation, mais dans l’ensemble, la motivation est plus large. Ce sont des gens pour qui l’opération militaire russe a finalement ouvert les yeux sur les perspectives de l’Ukraine. Et ils se rendent en Russie en passant par Kherson et la Crimée, bien que le détenteur d’un passeport ukrainien puisse aujourd’hui se rendre dans l’UE en tant que réfugié sans trop de problèmes.
Mais cette absence de problème est illusoire. La masse de ces réfugiés sera tôt ou tard invitée à quitter l’UE, et tous ne parviendront pas à s’y implanter. Alors où retournent-ils ? En Ukraine, qui a choisi la méthode lente et douloureuse du suicide ?
– Faut-il dire aller “à l’Ukraine” ou “en Ukraine” ? (2)
– Le plus correct est de dire : [sortir] d’Ukraine.
La vieille anecdote a soudainement pris de nouvelles couleurs.
Une barrière qui profite à tous
D’ailleurs, les Ukrainiens eux-mêmes réfutent la version d’Euronews. Depuis la fin du printemps, ils annoncent une contre-offensive des forces armées ukrainiennes dans le sud. En conséquence, certains habitants des régions de Kherson et de Zaporojié se déplacent précisément dans la direction opposée, ne souhaitant pas se retrouver à nouveau dans la zone de guerre. Début mai déjà, selon la partie ukrainienne, un habitant sur deux avait quitté Kherson. En juin, l’Administration de Zaporojié a enregistré 8 000 personnes supplémentaires qui ont quitté les territoires des régions de Kherson et de Zaporojié non contrôlées par l’Ukraine.
Certains l’ont regretté plus tard : “Maudit soit le jour où j’ai décidé de quitter Kherson pour Nikolaiev ! Je me cache parmi mes proches. Il n’y a rien pour nourrir mes enfants. Je ne trouve pas de travail. Parce que j’ai l’âge de la conscription. Je ne veux pas faire la guerre, car cette guerre n’est pas la nôtre. J’ai déjà reçu deux convocations du bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire. J’ai déjà dû quitter ma deuxième cache. Je vois rarement mes enfants et ma femme aussi”, se plaint l’un des hommes qui sont partis. Le retour coûte 8 000 dollars, dit-il.
Mais il s’agit probablement de tarifs locaux, c’est pourquoi de nombreuses personnes préfèrent passer par la “barrière” de Zaporozhye. Les transporteurs demandent environ 300-400 dollars à ceux qui sont prêts à faire le voyage. Non seulement c’est nettement moins cher, mais c’est aussi parfaitement légal. Et même le nouvel réglement, en vigueur depuis juin, n’a en rien limité le flux d’émigrants. Au contraire, même les données du côté ukrainien montrent que le nombre de départs n’a fait qu’augmenter.
Au début du mois de juillet, on craignait que la “barrière” ne soit fermée, du moins pour les hommes. À l’époque, les autorités ont informé les Ukrainiens en âge d’être appelés sous les drapeaux de la nécessité d’obtenir l’autorisation des bureaux d’enrôlement militaire pour quitter la région de sa résidence principale. Cependant, à en juger par les discussions dans les chats thématiques du réseau Télégram, personne ne refuse les hommes âgés de 18 à 60 ans et ne distribue de convocations aux points de contrôle (du moins pas en masse). Tout au plus, ils avertissent de la nécessité de revenir après le délai spécifié dans la demande de sortie et de la responsabilité en cas de non-retour.
L’une des raisons de cette soudaine loyauté envers les gens qui veulent partir (au moment où l’on assiste à des raids de recruteurs sur les plages et dans les supermarchés) est probablement que les transporteurs facturent 400 dollars par tête de pipe pour une bonne raison.
Ce prix comprend le passage des points de contrôle : chaque voiture ou minibus Sprinter laisse un montant convenu au point de contrôle. Tout le monde est heureux, tout le monde en profite : 150 à 200 voitures passent, chacun se remplit les poches. S’ils commencent à distribuer des contraventions aux points de contrôle, le flux de circulation sera instantanément réduit, et avec lui les profits de tous les participants au système.
Quant à Euronews… Nous soupçonnons que même expliqué comme ça, la situation les laisse perplexes. Comment peuvent-ils retourner dans les territoires “occupés” ? ! Les “occupants” y sévissent ! C’est pourquoi, lorsque vous vous efforcez de trouver des récits de ceux qui ont traversé la “barrière” de Zaporojié, en règle générale, vous tombez sur des récits et des interviews de ceux qui ont traversé cette voie en sens inverse : depuis Kherson, Melitopol, Energodar. Et il n’y a pas d’histoires de ceux qui quittent l’Ukraine, du moins pas dans les médias traditionnels. Il faut les chercher dans les discussions Telegram (“Corridor vert”), demander à des amis et connaissances de les raconter. Toutes ces histoires sont assez typiques, mais personne ne se souvient d’un flot de personnes rentrant chez elles depuis les oblasts de Zaporojié et de Kherson.
Incidemment, il serait utile que les administrations civilo-militaires des régions libérées d’Ukraine puissent clarifier cette situation. Y compris pour les médias occidentaux. Combien de citoyens ukrainiens sont passés par la “barrière”, combien ont fait le voyage de retour, combien ont demandé (et obtenu) l’asile temporaire, combien d’entre eux font l’objet d’une mobilisation. Sur la base de ces chiffres, il est possible de faire une présentation aussi vivante des résultats de l’Opération spéciale que celle d’un rapport sur les objectifs “calibrés” [frappés par des Kalibr, NdT] en Ukraine. Et surtout, c’est compréhensible et proche de tous : voilà des gens, ils sont si nombreux, ils viennent à nous – parce que la vérité et la justice sont de notre côté.
(1) J’ai remplacé les paroles de Vyssotski (“la Gymnastique matinale”, où dans la merveilleuse course sur place il n’y a pas de premiers ni de retardataires) par celles de Jean Ferrat.
(2) A peu près intraduisible : en russe il y a deux prépositions possibles pour traduire “à” (complément de lieu) : в et на. Et en conséquence, Russes et Ukrainiens se déchirent pour savoir laquelle placer devant le mot Ukraine…
Vues : 984
John V. Doe
J’ai lu ailleurs une proposition de traduction de cette plaisanterie citée au (2) : est-ce qu’il faut dire que “on se rend en Ukraine” ou “dans l’Ukraine” ? Il faut dire que l’on se rend “hors d’Ukraine” !
Marianne
Excellent, merci !
admin5319
pour marianne:
https://youtu.be/9BWd2TXg3rE
cela dit avec tous ces déplacements qui peut savoir qui est qui y compris en France, cela m’a inspiré aujourd’hui l’idée d’une lettre adressée à mon gouvernement français:
Lettre de délation d’une “bonne française” à qui de droit
je viens de lire une sombre histoire qui nous vient des USA. Un couple résidant à hawai vient d’être démasqué: ils avaient pris une fausse identité de bébés morts à la naissance et avaient servi chez les garde-côte et aujourd’hui tentaient de reprendre du service. Non seulement les services officiels type FBI les avaient débusqué pour usurpation d’identité mais dans une perquisition avaient découvert une photo du couple habillés en officiers du KGB… Le couple est aux arrêts, l’enquête se poursuit…
mais cette mésaventure de la vertueuse amérique, de la chaste CIA qui elle n’a jamais espionné ses alliés ou les peuples qu’elle se contente de défendre en respectant leur souveraineté, chacun le sait et il suffit de voir les films hollywoodiens pour mesurer à quel point une telle vertu est facilement dupée. C’est pareil bien sur pour les services Britanniques ou français, la noblesse et le respect incarné ce qui en font des cibles désignés pour les Russes et Chinois qui sont le mal incarné.
Alors comme je suis une citoyenne française soucieuse de l’intégrité de mon pays, je signale à qui de droit un personnage que je trouve réellement suspect. C’est un type qui reconnait lui-même avoir été espion du KGB et avoir bénéficié des appuis les plus hauts pour trouver une couverture bien rénumérée. Cet individu a dénoncé recemment sa “couverture” et même les bons offices de Valérie Pecresse (qui est nettement reconnaissons-le hors service) et d’ailleurs depuis il ne quitte plus le plateau de LCI, en fait une tonne sur la dénonciation de la Russie et de Vladimir Poutine.
Ce gars là est trop caricatural pour être vrai… Ce qu’il dit est invraisemblable… Espion un jour, espion toujours… je demande à mon pays de le surveiller de près, lui et les autres intervenants russophobes sur les plateaux de télé. On va se retrouver bientôt dans le triste état des services secrets ukrainiens, truffés d’espion à la solde de la Russie…A force de croire qu’il suffit de brandir un drapeau nazi pour l’être réellement.
Une amie qui veut du bien aux autorités
Daniel Arias
Merci pour ce partage !
Dans cette chaîne “Mouluc” j’y ait découvert ceci pour les hispanophones:
Francisco Curto – La guerra civil españolaUne leçon d’Histoire en musique
https://youtu.be/kPv-YjQexkw
Avec une photo d’une famille espagnole.
Migrants ? Exil ?
Pas de sourires ; enlevés par la guerre incessante livrée par les propriétaires d’Espagne et d’ailleurs une guerre qui ne cesse pas même en temps de paix contre les travailleurs.
Une guerre millénaire et toujours les mêmes visages, des mêmes qui souffrent.
Girard
On peut aussi “se rendre en Ukraine”
https://www.youtube.com/watch?v=NxFgm6TvPak