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Guerre en Ukraine : dans le Donbass, une défiance latente entre civils et militaires

De temps en temps dans la mer de bulletins en faveur de la guerre par procuration dans la charmante et innocente petite Ukraine et son merveilleux chef de guerre, le pitre Zelensky qui réclame toujours plus alors que personne ne sait dans quelle poche tout cela finira, de temps en temps, un reportage dit autre chose. C’est bref, rare et vite étouffé sous la propagande habituelle y compris de la part de la Croix. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Reportage

Les militaires ukrainiens sont sur leurs gardes face aux inclinations prorusses d’une partie de la population restée dans les régions de Lougansk et de Donetsk, dans le Donbass, malgré les combats.

  • Pierre Sautreuil, envoyé spécial dans la région de Donetsk (est de l’Ukraine), 
  • le 14/07/2022 à 09:04

Lecture en 4 min.

Guerre en Ukraine : dans le Donbass, une défiance latente entre civils et militaires
Un homme regarde une voiture détruite à la suite du bombardement d’un quartier résidentiel de la ville de Kramatorsk dans la région de Donetsk, en Ukraine, le 7 juillet 2022.GEORGE IVANCHENKO/EPA/MAXPPP

La roquette russe a frappé avec une précision mathématique. Dans une cour arborée du centre de Kramatorsk, au milieu d’un carré d’immeubles d’habitations, bée désormais un cratère de 5 mètres de diamètre. Autour, un chaos de feuilles, de briques, de métal tordu, de voitures renversées, de verre. L’onde de choc a soufflé toutes les fenêtres et rompu les troncs d’arbre. Près d’une table de pique-nique, des mouches s’agglutinent sur une flaque de sang que la terre refuse de boire. On compte un mort et de nombreux blessés.

« Si les soldats n’étaient pas venus s’installer en face, jamais il n’y aurait eu ce tir », enrage un homme venu pelleter les débris de plafond et de meubles brisés chez sa belle-mère. « Avant qu’ils n’arrivent, tout allait bien », renchérit son épouse en désignant l’hôtel Industrie, de l’autre côté de la cour. Des centaines de soldats de la 57e brigade d’infanterie motorisée s’y sont installés à partir du 1er juillet, à mesure qu’ils se repliaient de Lyssytchansk, plus à l’est, où ils ont résisté à l’armée russe jusqu’à frôler l’encerclement. Presque tous étaient déjà repartis quand la roquette est tombée, ce vendredi 8 juillet.

« Les soldats, c’est un risque », affirme Tetiana Khijniak dans sa cuisine dévastée, maculée du sol au plafond par une grande giclée rouge. « C’est de la confiture de framboise », sourit cette retraitée de 66 ans, « l’âge du bonheur ». En 2014, déjà, ses fenêtres avaient été soufflées lors de l’offensive ukrainienne pour reprendre la ville aux séparatistes prorusses. Aujourd’hui, elle est la dernière de sa cage d’escalier à ne pas avoir quitté la ville, et, comme la plupart de ceux qui sont restés jusque-là, elle n’envisage toujours pas de fuir Kramatorsk.

« Où irions-nous ? »

Les autorités de la région, dont Kramatorsk est la capitale administrative depuis la prise de Donetsk par les séparatistes il y a huit ans, n’ont de cesse d’encourager les habitants à s’éloigner du danger, alors que la région voisine de Louhansk vient de tomber aux mains des Russes. Sans trop de succès. « Tout le monde est parti en mars, mais beaucoup reviennent car ils n’ont plus d’argent, dit Roman Zenov, premier adjoint du maire de Kramatorsk, visiblement exaspéré. On a beau continuer d’organiser des évacuations gratuites, plus personne ne veut partir, alors qu’il n’y a plus de travail ici. »

D’après lui, la ville compterait actuellement 60 000 civils, trois fois moins qu’avant l’invasion. Des personnes âgées ou précaires pour la plupart, de ceux qui répondent presque toujours « Kouda nam iekhat ? » (« Où irions-nous ? » ) quand on leur demande pourquoi ils ne partent pas. Les plus enclins, aussi, à nourrir des sentiments ambivalents envers l’Ukraine, voire favorables à la Russie.

« Je suis certain que ce sont des locaux qui ont indiqué aux Russes que les soldats étaient dans l’hôtel Industrie, affirme Roman Zenov, qui ne fait même pas semblant de cacher ses soupçons. C’est la deuxième fois que ça arrive. Dès que les soldats s’installent quelque part trop longtemps, ils se font bombarder. »

« Je me suis fait crever mes pneus »

Des militaires interrogés par La Croix témoignent eux aussi de leur méfiance envers les habitants de la région de Donetsk. « Ceux qui soutenaient l’Ukraine sont déjà partis, dit Andreï (1). Ceux qui restent n’ont pas l’air heureux qu’on soit là. Ça se voit sur les visages, ils ne sont pas nombreux à sourire. » Un autre déplore l’absence de soutien de la part de la population. «À Kharkiv, quand on avait une voiture endommagée, on pouvait compter sur l’aide des gens. Ici, c’est différent. L’autre jour, je me suis fait crever mes pneus… » Un troisième : « Les civils, ils te sourient par-devant, mais ils sont capables de prendre leur téléphone pour donner des coordonnées aux Russes dès que tu as le dos tourné… »

Cette représentation n’efface pas la part importante de personnes qui, dans le Donbass, soutiennent l’Ukraine et son armée. Nombre de volontaires originaires de la région s’activent sur place pour aider matériellement les soldats. « Le niveau de soutien augmente », assure Serhiy Nakonetchnyi, habitant de Kramatorsk à la tête d’une petite organisation qui collecte de l’argent pour acheter des drones, des voitures et des systèmes de visée aux soldats.

Propagande russe

D’après lui, un tiers de la population locale serait plus ou moins favorable à la Russie : « Il n’y a pas de portrait-robot : ça peut être un vieux nostalgique de l’URSS ou un jeune qui croit que tous les Russes vivent comme des influenceurs moscovites. » Dans cette région câblée de longue date sur les chaînes de télévision russes, la propagande du Kremlin a trouvé de nouvelles autoroutes grâce aux réseaux sociaux.

À ce titre, les « scènes de liesse » captées par les caméras russes dans les localités tombées aux mains de la Russie ne font rien pour arranger l’image que les soldats ukrainiens peuvent se faire de la population du Donbass. « Dans le village où on était postés, à Mouratovo, il y avait une famille à qui on apportait régulièrement de quoi se nourrir, raconte derrière l’hôtel Industrie un soldat de la 57e brigade, en désossant à coups de couteau une voiture détruite par la roquette. Quelques jours après qu’on s’est repliés, voilà qu’on les découvre à la télé russe, à dire “ça fait huit ans qu’on vous attend”…

Les sentiments exprimés devant les caméras étaient-ils sincères ou contraints ? Ce n’est pas son affaire. Lui sait juste que certaines unités de la 57e brigade ont perdu jusqu’à 85 % de leurs hommes dans les combats pour Severodonetsk et Lyssytchansk. « Tout ce temps, ils nous ont menti, lâche-t-il en arrachant le phare avant droit de l’épave. Ils attendaient juste que les Russes viennent les “libérer”. »

(1) Le prénom a été modifié.1

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