L’occident surpuissant a démontré en Ukraine à la fois son impuissance et l’état de sa dégradation collective.
L’enjeu n’est plus de gagner ni tactiquement ni stratégiquement une guerre contre un adversaire à notre mesure, mais de contrôler la fabrique de l’opinion publique afin de garantir la perpétuation du pouvoir d’un establishment sur ce qui demeure une aire de richesse insolente mais fragile à l’échelle de la planète.
Plus le temps passe, plus le diagnostic que quelques-uns, vite catalogués de pétainistes, défaitistes, ou poutinistes, se concrétise: l’Ukraine n’est non seulement pas en mesure ni de reconquérir le Donbass ni encore moins la Crimée. Quand bien même les meilleures agences de communication occidentales continueraient à appuyer le gouvernement de Kiev – ce sont eux qui ont inventé le concept de “dé-occupation de la Crimée” et qui sans doute ont travaillé d’arrache-pied pour transformer une reddition sans condition en “évacuation organisée par les services de sécurité” à Mariupol. Face aux gains russes, il ne reste plus que la novlangue.
L’occident part d’un premier constat erroné: que l’on peut gagner une bataille uniquement dans le champ médiatique. Quelle que soit l’importance prise par les médias aujourd’hui, une guerre se gagne malgré tout sur le champ de bataille. Quand bien même les Kurdes avaient en 2017 toute légitimité à accéder à l’indépendance en KRG, le rapport de force consécutif à la chute de Kirkuk (curieux accord irano-américain) a enterré pour des décennies toute perspective d’indépendance. La domination des flux d’information (quitte à procéder à l’exclusion de toute concurrence possible) et le contrôle militaire qui en est fait (le media center ukrainien est concrètement placé sous l’égide du ministère de la défense ukrainien) ne peut pas corriger une chose: un soldat mort n’est pas moins mort parce qu’il n’est pas annoncé comme tel dans un média. Une brigade qui n’a plus de munitions ne sera pas sauvée parce qu’on annonce en grande pompe livrer du matériel onéreux qui ne parvient pas à destination. La question qui se pose n’est plus si la Russie gagne la guerre mais le prix que l’Ukraine et le camp occidental vont devoir payer pour limiter la casse. Les stratèges communicationnels auront bon inviter des hommes politiques à prétendre “ne pas vouloir humilier la Russie” ou “à détruire son économie”, la défaite de l’Ukraine EST celle de l’Occident. Le principe des sanctions a ceci d’intéressant qu’il s’agit d’une arme non létale, censée infléchir un processus politique. Que ce soit la Corée du Nord, l’Iran ou la Russie, non seulement l’élite de ces régimes est restée en place malgré des décennies de sanctions dans certains cas, mais elles se sont montrées inefficientes à moyen terme. L’Iran dispose finalement d’un stock militaire d’uranium enrichi. Dans le cas de la guerre en Ukraine, les dizaines de milliers de sanctions ont non seulement échoué à conduire à l’effondrement de l’économie russe qui démontre une résilience surprenante dans ce contexte de boycott occidental massif, mais surtout ont échoué à produire l’effet politique recherché: le retour à un statu quo ante bellum.
Précisément parce que les sanctions unilatérales sans mandat de l’ONU sont conçues non comme des outils stratégiques mais des outils communicationnels, avec des effets d’annonce impressionnant, mais totalement inopérants. La guerre a-t-elle diminué en intensité? Non. Le Kremlin a-t-il annoncé renoncer à ses objectifs de conquête territoriale et rétrocéder la Crimée? Non. Il y a une inadéquation totale entre les objectifs annoncés et la réalité des moyens à disposition. Ce n’est pas la capacité à enrober le discours, par des moyens variés de communication, qui dicte le réel mais les moyens qui dirigent l’extension maximale de ce qui est réalisable. Il y a deux mois, vous passiez pour un collabo qui accepte de négocier avec Hitler, si vous évoquiez, une fois les troupes russes retirées de Kiev, un accord qui inclurait la reconnaissance ukrainienne de la cession de la Crimée, Donetsk et Lougansk. Deux mois après, des dizaines de milliers de soldats ukrainiens tués, prisonniers ou blessés, après des villes dévastées ou abandonnées, et un corridor allant de Kherson à Mariupol privatisant la mer d’Azov comme lac russe, il est illusoire de croire que les territoires conquis seront rétrocédés dans le moindre accord, si tant est qu’une négociation soit possible à ce jour. C’est le terrain qui détermine le rapport de force. Ce sont les forces ukrainiennes qui abandonnent Zolotoe, Severodonetsk… pas les Russes.
Sun Tzu précise que si on ne connaît pas son ennemi, on est dans l’incapacité totale à pouvoir le vaincre. Force est de constater que l’avantage décisif se situe dans le camp des régimes autoritaires / semi-autoritaires (Russie, Chine…). Non seulement les capacités militaires russes n’ont pas été entamées, mais ses capacités industrielles à moyen terme sont en résilience. Boeing et Airbus ne livrent plus de pièces détachées? Elles sont livrées via la Chine. Airbus refuse de vendre des avions aux compagnies aériennes russes? La Russie est en phase de construction de ses propres avions de ligne de fabrication entièrement locale (en Sibérie orientale). Cruelle ironie, l’Ukraine a longtemps été à l’instar du bureau Antonov de Kiev ou de Sich Motors, la clé de la réussite de l’industrie aéronautique russe. Et aujourd’hui, la Russie produit son propre turbofan. Ce n’est qu’un exemple, mais il rappelle une donnée essentielle, le pays, malgré son économie moins puissante que l’UE ou les USA, n’a pas fait le pari de délocalisation ou de la désindustrialisation, et dispose de ressources naturelles massives mais aussi de ressources humaines compétitives. De fait, ceux qui sont vulnérables et dépendants, ce sont les Occidentaux et non les Russes. Oui, il est compliqué de mettre à jour son iPhone à Moscou ou d’acheter des semi-conducteurs, mais cela n’altère en rien la capacité à conduire la guerre. En ce sens, les sanctions échouent à réaliser l’objectif annoncé.
Ce même constat se retrouvera à tous les niveaux de l’industrie de l’armement où l’occident est soit dépassé par la Chine ou la Russie, mais dispose d’une industrie qui contrôle l’établissement des politiques militaires et géopolitiques et non l’inverse. Seul Israël en occident échappe en partie à cette absurdité et cherche à partir du terrain pour en déduire les moyens à obtenir [et encore, l’expérience du laser anti roquette / mortier est la preuve que ce n’est pas aussi simple]. En ce qui concerne les systèmes d’imagerie satellitaire et l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’acquisition de bases de données de cibles ajustées en temps et heure, en ce qui concerne la détection précoce par radar des tirs de missiles balistiques ou encore les missiles hypersoniques, l’occident est en retard. Ce retard signifie que dans l’optique d’une guerre nous n’avons plus que le recours qui n’en est pas un, au nucléaire – destruction mutuelle assurée. Sur le strict champ opérationnel et conventionnel, nous avons eu beau fournir du matériel militaire coûteux et en grand nombre au point de réduire nos stocks – donc réduire notre capacité en tant qu’Otan à opérer contre la Russie dans une guerre prolongée – nous n’avons pas été en mesure d’influencer le cours du conflit en Ukraine. Le fameux howitzer américain M777 censé inverser la tendance est fabriqué en titane de façon à être plus léger, plus mobile, transportable en avion. Mais sa maintenance est plus coûteuse et son espérance de vie sans maintenance réduite à une semaine. Autrement dit, le canon a été conçu par d’excellents ingénieurs mais pas à partir d’une expérience de combat total. De la même façon, des obusiers à guidage GPS, dont les munitions peuvent corriger leur trajectoire en cours de tir, sont en théorie très intéressants, mais que faire de ces armes en cas de brouillage GPS? En cas de contre mesure électronique? En cas de repérage par drone et détection par radar au sol? Ce type d’armes n’est pas aisément remplaçable en raison de son coût. Il présuppose un adversaire qui n’a aucun moyen de réagir.
Nos dirigeants et médias entretiennent une cruelle désillusion en accentuant à outrance les défaites tactiques russes (mais qui connait l’histoire militaire sait qu’aucune guerre ne se déroule de manière linéaire sans échec temporaire) pour mettre de côté notre incapacité à pouvoir obtenir sur un terrain conventionnel une victoire contre la Russie. Il y a deux mois, nous insistions sur la nécessité de négocier au début de la guerre pour ne pas avoir à perdre plus. Le temps passe et rien ne laisse augurer d’une inversion de tendance. L’illusion entretenue d’un possible reflux russe suite à une offensive majeure, promise pour juin, puis pour juillet et maintenant pour août, rappelle à quel point les errements affligeants de l’échelon politique et l’incapacité à disposer d’une analyse objective, factuelle des capacités de l’ennemi conduisent au désastre à la fois économique (effet boomerang des sanctions), militaire et géopolitique.
On passe notre temps soit à amplifier une menace secondaire (la Russie n’utilisera pas son missile sarmat 2 puisqu’il signifie une guerre nucléaire) soit à minimiser une menace réelle (notamment la puissance de feu conventionnelle et l’expérience interarmes nouvelle acquise sur le terrain). Qu’est-il encore temps de faire face à Poutine et Xi en arrière plan? Si nous adoptions le même plan de bataille pour défendre Taïwan, la Chine est assurée de remporter la mise: zones d’interdiction en mer de Chine, interruption des capacités de projection maritime de la Navy, contrôle et expansion sur les lignes de défense de l’océan pacifique. Les moyens militaires de la Chine empêchent concrètement de garantir une véritable dissuasion américaine permettant de préserver l’indépendance de fait de Taïwan.
Alors pour Kiev, la question se pose de trois façons:-que peut-on faire pour minimiser les pertes? Négocier comme le dit Jens Stoltenberg et concéder une partie du territoire pour sauver l’essentiel à court terme en associant la concession territoriale à une inclusion dans l’Otan.
-que peut-on faire pour rattraper notre retard? Changer le modèle industriel en réformant complètement le renseignement occidental (celui dont les experts annoncent que la Russie manquerait de munitions il y a deux mois…) et l’état réel des forces stratégiques (accès aux ressources, capacités militaires réelles) et en le basant sur une analyse renouvelée de la menace russe (ils n’envahiront pas Paris, c’est sûr, mais ils ont les moyens de contrôler certaines ressources stratégiques et de se financer grâce à cela) afin de disposer de moyens de défense centrés sur les moyens de réaliser une mission face à un adversaire égal ou plus puissant.
-que peut-on faire pour restaurer l’indépendance de l’Ukraine dans ses frontières de 1991?
Rien. Il fallait agir avant 2022.
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Xuan
Impuissance occidentale tandis que la réunion des BRICS tenue ce week end vient de lancer un scud sans faire de bruit, d’autant plus que les médias n’en ont pratiquement pas parlé.
Selon le compte rendu de Ria Novosty les BRICS pourraient s’élargir à plus d’une dizaine de nouveaux pays.
Des dispositions permettraient de soustraire les pays tiers des sanctions US frappant un autre pays :
Les BRICS brisent les sanctions et construisent un nouveau monde
Les dirigeants des BRICS se réunissent – RIA Novosti, 1920, 26.06.2022
© RIA Novosti / Alexei Druzhinin
Les trois jours d’événements des BRICS à Pékin avaient deux options. La première option (celle qui aurait sans doute séduit davantage l’opinion publique russe) consistait à ce que les hauts dirigeants du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud adoptent un document final qui dirait en termes clairs : “Si un groupe de pays occidentaux veut traiter avec nous par des menaces et surtout des sanctions économiques, c’est-à-dire des interdictions et des restrictions du commerce et du développement, c’est leur affaire. Nous, les cinq pays, déclarons solennellement que nous continuons à travailler les uns avec les autres sans tenir compte des sanctions des États-Unis ou de l’UE. Les sanctions sont illégales et doivent rester le choix personnel d’un pays ou d’un autre, sans les imposer à quiconque”.
Mais, d’une part, ces mots ont été entendus dans toutes les déclarations précédentes des précédents sommets des BRICS. Et cette fois, si vous regardez attentivement le document final – la déclaration de Pékin – vous trouverez une référence au fait que les cinq réaffirment toutes leurs positions précédentes et appellent au commerce selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Mais le jeu est différent maintenant, et les déclarations tapageuses ne mèneront à rien. L’Occident a lancé une guerre économique, psychologique et autre à grande échelle contre les deux membres du BRICS, la Russie et la Chine, et dans ces conditions, il doit travailler différemment. Il convient notamment de tenir compte des sanctions secondaires, lorsque des entreprises de pays tiers qui tentent de faire des affaires avec quelqu’un qui a été frappé par des sanctions, sont les plus susceptibles d’être traitées. Il serait extrêmement stupide de défier quelqu’un verbalement et de subir des dommages dans le processus.
Le pays hôte de la réunion, la Chine, a donc choisi une approche différente, plus intelligente et plus proche d’un jeu de pions que d’un éclatement frénétique des pièces sur l’échiquier.
En particulier, les conversations sur les mécanismes qui permettraient de désamorcer les sanctions ont eu lieu à un stade préparatoire, avec une analyse approfondie de tout – les leurs, les systèmes de paiement fermés, les liens logistiques nouvellement créés et tout le reste. En outre, ces conversations ont dû être élargies de façon spectaculaire. À Pékin, les cinq dirigeants ont surtout donné le ton de l’événement par liaison vidéo, mais des hommes d’affaires de deux douzaines de grandes économies émergentes étaient présents en direct pour la première partie de l’événement – le sommet des affaires. Et à la réunion de clôture, un dialogue de haut niveau, il y avait des hauts dirigeants de 13 autres pays, tous des États très importants.
Il convient de noter qu’il y a eu auparavant de nombreuses personnes désireuses de rejoindre les BRICS. Mais nos 5 ne souhaitaient pas vraiment une telle tournure des événements. L’idée était que les dirigeants de régions entières, l’élite du monde réel, se réunissent ici : l’Afrique du Sud est la voix de l’Afrique ; l’Inde est la voix de l’Asie du Sud, etc.
Mais les choses ont changé et, en mai de cette année, le pays qui préside, la Chine, a lancé un processus de reconstitution des rangs et de transformation des BRICS en quelque chose de différent et de nouveau – une alliance de la quasi-totalité du monde en développement contre l’Occident exaspérant. Cette fois, des discussions très sérieuses ont eu lieu sur un tel sujet, mais il a été décidé de ne pas rendre les résultats publics. Cependant, il est clair que beaucoup des 13 personnes qui ont participé au dialogue de haut niveau sont des candidats. Et certains de ceux qui n’ont pas participé.
Mais le public a reçu un message extrêmement efficace. C’était quelque chose comme ça : l’Occident construit des murs entre les peuples, freine leur développement économique avec ses sanctions. Et nous, l’alternative à l’Occident, construisons des ponts et des routes, rapprochant les gens les uns des autres. De plus, nous sommes bons dans ce domaine, alors que l’Occident, en jouant sur les sanctions, s’est pris à son propre piège et a été confronté à une catastrophe économique. Pour nous, c’est l’inverse.
Et sur ce sujet, beaucoup de faits et de chiffres forts sont apparus lors du sommet de Pékin et autour de celui-ci. Par exemple, le montant du PIB mondial produit par les membres des BRICS importe peu. Ce qui est important, c’est qu’ils ont représenté 50 % de la croissance économique mondiale l’année dernière. Ce sont donc eux qui se font avancer et font avancer le monde, et l’Occident joue le rôle inverse.
Pour être plus précis, l’année dernière, le commerce de biens (à l’exclusion des services) de nos cinq pays a atteint 8,55 billions de dollars, soit une augmentation de 33,4 %. Une telle croissance est sensationnelle. Dans l’ensemble, il montre clairement où se trouve l’épicentre du développement mondial, où se construit l’avenir.
Le message qui ressort de toutes les réunions de Pékin est que le groupe des BRICS est devenu une plateforme mondiale permettant de tracer les voies de l’avenir. Les parcours ne sont pas déclaratifs, mais bien concrets. Le document final de la réunion est plein de détails, c’est-à-dire de références aux programmes et mécanismes qui fonctionnent dans les BRICS – dans l’agriculture, les nouvelles technologies, les nouveaux types d’énergie, la biotechnologie. Il existe de nombreux mécanismes de ce type, et d’autres sont en cours de création. Et surtout dans la sphère financière, qui a commencé à se transformer en alternative à l’Occident dès la première année de travail des BRICS, c’est-à-dire depuis 2006.
La Russie a été mentionnée assez souvent sur le forum. D’une part, elle a offert à ses partenaires – surtout la Chine et l’Inde – d’énormes possibilités en fournissant du pétrole et du gaz à des prix qui n’ont qu’un rapport minime avec le marché énergétique enragé de l’Occident. En d’autres termes, nous avons fourni à l’Est un avantage et une compétitivité énormes dont, par exemple, l’Europe s’est privée en forçant l’approvisionnement russe. En réponse – depuis que les sanctions sont en place – plusieurs Chinois et Indiens ont parlé d’entrer dans notre secteur des réseaux commerciaux pour remplacer ceux qui sont partis.
Et ils ont aussi parlé de beaucoup d’autres choses, mais moins ouvertement. Et pas seulement les Indiens ou les Chinois.
Quant aux sanctions, rappelons que le groupe des BRICS, depuis sa création, est un mécanisme permettant de les briser – si elles se présentent. C’est ce qu’ils ont fait, et de manière sérieuse. Et le coup le plus dur pour eux n’a pas été la condamnation des sanctions dans des déclarations régulières, mais l’absence totale de discussion. Tout le déroulement des événements de Pékin a envoyé un message simple et clair à la communauté internationale : des sanctions ? De quoi parlez-vous ? Nous nous portons bien, nous parlons d’une forte accélération de la coopération et de la croissance, et nous discutons de nouveaux projets. Mais vous pouvez faire ce que vous voulez de vos sanctions, cela ne nous intéresse pas.