Marianne Dunlop a découvert et traduit ce petit bijoux “sociétal” sur le visage attrayant “fruit défendu”, capitalisme de la séduction, des marques sur les Russes. Il démontre que l’industrie du luxe n’est déjà plus l’apanage de PARIS, Milan, toutes ces capitales européennes qui de fait la sous-traitent dans les ateliers du tiers monde, et qui comble de l’arrogance prétendent en contrôler l’accès par “les sanctions” sans se rendre compte de la fragilité de ce qui a été peu a peu vidé de son savoir faire. Un monde qui a cru et croit encore au caractère conquérant de couches moyennes, ce que ma prolétaire de mère appelait la bourgeoisie vestimentaire, inventant une mondialisation de la jouissance mais pour le profit de plus en plus démesuré des oligarques et une planète crevant de faim et de sous-développement, et le vol, le pillage devenant le seul accès à l’objet du désir, l’austère communisme ne faisait pas le poids. Aujourd’hui est le moment où s’écroule la fiction du luxe pour tous. Un plaisir de lecture plus sérieux qu’il n’y paraît (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
8 avril 2022, 12h00
https://vz.ru/opinions/2022/4/8/1151987.html
Les marques mondiales ne veulent plus embellir la vie des Russes. Il est rapporté que les boutiques Chanel à l’étranger refusent de vendre les produits de la firme aux personnes possédant un passeport russe ou exigent d’elles qu’elles signent un reçu attestant qu’elles n’apporteront pas de produits Chanel en Russie et ne les montreront pas sur le sol russe.
À cette occasion, on se souvient de la contribution des émigrés russes, tels le peintre futuriste Ilya Zdanevitch, à la prospérité de la maison de couture Coco Chanel. On peut rappeler également l’histoire peu reluisante de la collaboration de Coco avec les nazis pendant l’occupation de la France. Mais tout cela n’a rien à voir avec le sujet. Chaque marque a sa propre histoire, elle peut être glorieuse, suspecte ou sans intérêt. Les sanctions touchent tout le monde, aussi de mauvaises surprises peuvent-elles attendre les clients russes dans d’autres boutiques de marque.
Ce qui est le plus frappant ici, c’est l’arrogance des maisons de mode elles-mêmes et des gouvernements occidentaux qui ont décidé d’interdire la vente de produits de luxe aux Russes. Ainsi, ce ne sont pas eux qui doivent réfléchir à la manière d’écouler les produits d’une industrie qui est depuis longtemps en crise esthétique et morale. Ce sont les Russes qui doivent se creuser la tête pour savoir comment ils peuvent réussir à acheter un article de marque. Encore qu’on peut se demander, qui prendra la place des Russes ? Ce n’est pas sans raison que récemment, dans presque tous les magasins de mode en Italie, on pouvait rencontrer du personnel russophone (généralement d’origine ukrainienne).
Cependant, on ne peut pas dire que cette arrogance n’ait aucun fondement. La passion pour les marques de mode (“branded goods”) a une longue et riche histoire dans notre pays, et les architectes de la politique de sanctions doivent en être bien conscients ; ce n’est pas sans raison que la vague actuelle de sanctions a commencé par la déclaration de Jacques Borrell selon laquelle les Russes ne feraient plus leurs courses à Milan. À l’époque soviétique, lorsqu’il n’y avait que peu ou pas d’importation officielle, il existait toute une industrie souterraine de contrebandiers et de leurs “distributeurs”. Le parfum Chanel n° 5, par exemple, était déjà mentionné dans le film “Le bras de diamant” (1969). Tout le monde se souvient également de la danse enflammée avec un paquet de cigarettes Marlboro dans le film “Ivan Vassilievitch change de métier”. Et dans les milieux de la jeunesse soviétique branchée, à partir d’une certaine époque, il était impossible d’apparaître sans la bonne “étiquette” sur la poche arrière d’un jean, qui coûtait un salaire moyen et demi. Même si s’agissant de l’une de ces “étiquettes”, le Montana, les chercheurs n’ont pas encore été en mesure de déterminer où le pantalon, qui faisait l’objet de tout un folklore, était fabriqué.
En d’autres termes, le problème de l’authenticité est apparu dans l’industrie bien avant que l’on voie des Africains sur les ponts de Venise, vendant de faux sacs à main vingt fois moins cher que dans les boutiques adjacentes. Faut-il rappeler l’origine du mot “marque” ? Par rapport à une chose, c’est une marque personnelle de l’artisan qui dit qu’il a fabriqué la chose lui-même et se porte garant de sa qualité et de son originalité par sa propre réputation. C’est comme la signature d’un artiste qui, dans le cas où elle est authentique, fait d’un paysage représentant un pauvre taudis un grand succès chez Sotheby’s.
Photo : Horst Ossinger/dpa/Global Look Press
Il ne pouvait s’agir de créations uniques et originales qu’à l’époque des ateliers d’artisanat médiéval. Dans l’ère capitaliste post-industrielle, où le bagel, le trou dans le bagel et l’ombre du bagel sont vendus comme des marchandises individuelles et ont leur propre valeur, la déconnexion de la marque par rapport au maître artisan est devenue inévitable et même nécessaire.
Je me souviens que mon patron américain de l’époque déplorait déjà, à la fin des années 90, qu’ils ne fabriquaient plus de jeans américains en Amérique. C’était probablement le début de la fin du pouvoir des marques dans l’industrie de la mode. Le temps était venu pour la Chine d’être l’usine du monde et de là sont apparues les fameuses contrefaçons chinoises. Un peu plus tard, on s’est rendu compte que les “produits de marque” et les “contrefaçons bon marché” – des sacs à main aux smartphones – étaient souvent fabriqués dans la même usine, mais qu’un article avait une marque et une majoration associée et l’autre non. Mais le “bon” lieu de production a également cessé de garantir quoi que ce soit : une robe fabriquée en Italie peut avoir été fabriquée par des Chinois (ou, pour varier, par des Bangladais), mais vivant quelque part près de Milan ou dans la banlieue de Bologne.
Et pourtant, les foules de touristes russes, désireux de surpayer l’étiquette, ont continué à contribuer à ce que nous reconnaissons maintenant comme une économie occidentale surfaite. Après tout, il n’y a pas d’étiquette sur notre pétrole et notre gaz, il n’y a donc rien à surpayer. L’étiquette Chanel sur un vêtement, en revanche, crée une valeur ajoutée, qui, soit dit en passant, est souvent payée au final par nos revenus pétroliers et gaziers.
Les personnes les plus avisées de notre pays ont, bien entendu, compris depuis longtemps la futilité des marques de consommation. Les sanctions occidentales qui nous privent de “produits de luxe” peuvent et doivent couler complètement la réputation des marques. Une campagne visant à tourner le dos à Chanel est déjà en cours, et c’est une bonne chose. C’est un cas où il devient à la mode et prestigieux de ne pas porter une certaine marque mais de la boycotter.
À l’époque soviétique, des tentatives ont aussi été faites pour surmonter le pouvoir des vêtements de marque en se moquant du consumérisme, par exemple dans le magazine Krokodil ou en persiflant les fashion victims lors de réunions. Mais ce combat n’avait aucune perspective : la douceur du fruit défendu l’emportait sur tout. Aujourd’hui, ce fruit est à nouveau interdit, mais de l’autre côté. Cependant, il semble qu’il perdra de son attrait. D’une part, sa majesté la Marque ressemble de plus en plus à un roi nu, et d’autre part, se débarrasser de la fascination pour les marques est plus que jamais dans notre intérêt national, y compris pour surmonter l’hégémonie occidentale.
Le fait est que la fascination pour les marques est l’un des piliers de cette hégémonie, avec la puissance de la monnaie. Notre pays a déjà entamé sa transition vers le règlement en roubles, ce qui devrait éliminer la sous-évaluation de nos exportations. Mais il est tout aussi important de révéler la véritable valeur de la propriété intellectuelle occidentale, dont les étiquettes, les brevets, les labels, etc. font partie. La situation actuelle ressemble à celle d’avant la Réforme, lorsque l’Église romaine s’efforçait de tirer profit de la vente des indulgences, qui étaient en fait des licences d’utilisation de sa propriété intellectuelle – l’absolution et la félicité du paradis à venir. On sait comment ça s’est terminé.
Aujourd’hui, le même rôle est joué par les symboles de réussite que représentent les marques de produits de consommation. Mais je suis convaincu que nous pouvons nous en passer et que nos vies n’en seront pas moins belles.
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le sith rouge
Il y a toujours eu une consommation de prestige, les bijoux, l’or, les beaux objets. Mais ce qui change avec le capitalisme c’est l’honneur lié à ce prestige: la valeur d’un homme se mesure par l’Argent. Dis moi ton honneur je te dirai ton temps.
« L’acte d’instituer des valeurs en doit être un nouveau, donc non seulement par ce qui est institué en tant que valeur, mais avant tout par la manière dont les valeurs en viennent seulement à être instituées » Heidegger
Il est facile de voir que dans une pub on ne vante pas le produit mais l’acheteur, par un mode d’existence “branché”, exemplaire pour la pensée dominante.
“César est aussi maître de la grammaire.”
Le privilège capitaliste doit être transcender, sanctifier, absolutisé, en privilège de signes, de valeurs, d’honneur, de mode d’existence. C’est l’hégémonie. Baudrillard a écrit 3 bouquins là-dessus (le système des objets). L’ex typique est l’art moderne, un mépris du travail, du beau, de l’habileté, une dilapidation d’argent pour de la merde signe de total mépris et d’entre-soi.
On peut ajouter “l’extension du domaine de la lutte” (Clouscard) des classes au corps, nouvel universel. Plus sauver son âme, la nation, l’avenir radieux, mais soi-même, l’Unique de Stirner, défini, comme le fait le wokisme, par son corps (la couleur et l’utilisation du trou du cul), corps prostitué (Sade avait vu cette évolution, pas Marx), le corps nouveau sanctuaire idéologique, nouveau sur-moi pour rester dans un statu-quo politique et spirituel, mais aussi sanctuaire de sa propre aliénation par le fétichisme de l’Argent, sous alibi de droitdelhommisme (“panier supérieur de l’aliénation” avait bien vu Marx). Corps sujet et objet de sa petite propriété privée, mais trou du cul, vagin, utérus, sang, et bientôt organes sur le Marché.
Seulement ce narcissisme ultime libèrera un jour sa contradiction avec la mort de La Mort, qui, elle, ne se vend pas.
Daniel Arias
Au delà des Russes le luxe nous pourrit également.
Et s’il était un des principaux moteurs du vote Macron, du soutien de la droite à la social démocratie ? Un éventail politique qui se confond sans trop d’efforts.
Le luxe aujourd’hui plus marqué par le coût des objets que leur raffinement, un plaisir que l’on peut s’acheter sans nécessité, un marqueur social avant tout.
Si l’on prend en exemple la marque Apple leurs produits utilisent des composants de bonne qualité mais ceux-ci ne leurs sont pas exclusifs, d’autres marques Chinoises font largement aussi bien techniquement et même du point de vue esthétique pour moins cher.
Par contre il est le marqueur social qui distingue son possesseur par son pouvoir d’achat, celui qui peut s’offrir le dernier modèle au prix fort de celui qui ne peut pas.
Même si ce luxe ne correspond pas au travail exécuté sur un œuf de Fabergé, les marques d’aujourd’hui on encore le plus souvent un niveau de qualité supérieur, même s’il faut surtout payer la distinction sociale. Les parfums se tiennent mieux, les tissus plus résistants, les couleurs mieux arrangées, une certaine assurance qualité garantie par les normes de production modernes. Pour que le luxe devienne une industrie il faut maintenir l’équilibre entre une accessibilité la plus étendue et une rareté maintenant le prix fort celui de “l’exclusivité” pour les couches moyennes.
Ce luxe sans grande splendeur devient un signe de reconnaissance de ceux qui dominent, d’une classe supérieure, de la “réussite”, du “mérite”, de ceux à qui on reconnaît le droit d’avoir plus et de pouvoir gaspiller.
En France cela se traduit par l’achat d’une voiture Audi pourrie quand Citroën fait largement aussi bien et même mieux, par la piscine personnelle au lieu de se baigner dans la piscine municipale avec le peuple, par les vacances coûteuses dans des appartements minables en bord de mer ou au ski.
Une frange de la population aspire à cette reconnaissance et pour cela il faut maintenir les inégalités sous n’importe quel prétexte, noblesse, droit naturel et sacré à la propriété et à “gauche” le mérite qui feront que de l’héritier au professeur un grand nombre souhaite maintenir son statu social et perpétue cette société inégalitaire.
Cette frange de la population soutient la réaction en France au mieux un réformisme bien conservateur ce qui explique par exemple le salaire de 1 à 20 des sociaux démocrates comme Mélenchon. Cette même frange dans les pays communistes est prête à se vendre et vendre les biens communs et se vautre pareillement dans le luxe en URSS comme en Chine, cette frange ne souhaite pas partager la vie du peuple ordinaire.
Le luxe pourtant était bien présent en URSS dans le plus beau métro du monde accessible au peuple sans distinction de statu. Un luxe basé sur le travail, la surqualité comme on dit en entreprise. Certains immeubles du temps de Staline étaient de grande qualité comparé aux Kroutcheva fabriquées selon le modèle des HLM bon marché français. Ces immeubles staliniens encore rares étaient attribués selon le mérite des artistes ou scientifiques. (c’est le cas en RPDC). Déjà les critères d’attribution ne sont plus la fortune mais le mérite un petit progrès. Il restait à en augmenter le nombre pour rendre accessible la qualité à tous, faisant disparaître ainsi le caractère luxueux, le privilège.
La fin du mythe de l’ascenseur social pourrait être aussi le ressort du vote d’extrême droite, la fin du consensus avec les classes supérieures, cela se traduit par l’effondrement de la social démocratie et d’une droite dite “sociale”.
Macron rafle encore des voix de ceux qui sont en haut avant que l’ascenseur commence à descendre.
Nous sommes loin d’honorer l’Ouvrier et la Kolkhozienne.