Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“La bouillie vaseuse qui a mijoté dans nos têtes”

les lecteurs de Boulgakov (essentiellement le maitre et la marguerite) soulignent parfois que celui-ci a paradoxalement joui de la protection de Staline. Celui-ci n’était pas le rustre que l’on se plait à dépeindre, il aimait la littérature et encore plus passionnément le cinéma et le théâtre. A ceux qui dénonçaient Boulgakov comme étant de “droite”, il répondait que droite et gauche étaient des catégories politiques et que la littérature relevait de la civilisation et qu’en attendant que la civilisation soviétique produise ses propres artistes il fallait apprécier sa vision réaliste (au sens du réalisme socialiste, celui qui ne prétend pas comme le naturalisme reproduire le réel mais aider à la comprendre pour agir sur lui) et celle d’auteurs émanant de la civilisation bourgeoise et tsariste antérieure. C’est un débat passionnant qui a concerné Brecht, Lukacs, walter benjamin entre autres… La guerre, dont il ne faut d’ailleurs pas prononcer le nom en Russie, et dont Jadot – le plus caricatural – accuse en France ceux qui défendent la paix d’être des espions de Poutine, témoigne par le grotesque face à la vie et la mort, de l’essentiel de l’intervention humaine. la bouillie vaseuse des chars, des tranchées révèle celle qui a conduit à cette situation , la rend intolérable en 1917 comme aujourd’hui. (note de danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://vz.ru/opinions/2022/3/21/1148139.html

Une famille russe à Kiev. Des disputes sur la politique à la table dominicale. Des hommes armés pillant les citoyens, quelle que soit leur nationalité. Les grimaces de l’État ukrainien.

Un livre qui tombe à pic, comme l’a dit, à une autre occasion, une personnalité politique qui a joué un rôle dans la création de cet État. Il est vrai que le titre a quelque chose de désuet – La Garde Blanche.

Boulgakov est un écrivain kiévien, dans son roman Kiev est appelé la Ville avec une lettre majuscule, il l’a vue à la fois guerrière et pacifique, et sombre, et tendre, et remplie de réfugiés, et effrayée par les rumeurs. Les événements de Kiev, qui se sont produits après la chute de la monarchie puis du gouvernement provisoire, ont été qualifiés par les contemporains d'”opérette sanglante”. Boulgakov était d’accord avec ce qualificatif et il a dépeint tout le désordre des gouvernants et des régimes dans La Garde Blanche avec beaucoup de détails et d’émotion.

Une grande partie de l’émigration russe post-révolutionnaire n’a pas apprécié le roman, n’y voyant que la négation du mouvement blanc et de l’idée blanche. Des considérations similaires ont guidé la censure soviétique, qui a néanmoins autorisé l’impression du roman. Les deux (censure et émigration) avaient tort. Boulgakov n’a dénoncé personne. Il mettait en relation le choix des personnages et la logique de l’histoire, et il a mené le conflit à son terme lorsque les monarchistes ont commencé à scander : “Oui aux Soviets des commissaires du peuple…”.

Par rapport à la pièce Les Jours des Tourbine, qui met en scène les mêmes personnages, on peut dire que La Garde Blanche est restée plus ou moins dans l’ombre. Les Tourbine, mis en scène au Théâtre d’art de Moscou, ont provoqué un véritable émoi dans le Moscou théâtral. Des hystéries et des évanouissements se produisaient dans la salle, une équipe d’ambulanciers était en service à chaque représentation. Des dizaines de critiques ont été publiées dans la presse. Une telle attention au théâtre n’avait jamais été montrée auparavant par le gouvernement. Staline a vu Les Tourbine au moins quinze fois. Il a interdit la pièce en grande partie sous l’influence d’écrivains ukrainiens qui se sont plaints lors d’un entretien avec Staline : “C’est devenu presque une tradition dans le théâtre russe de faire des Ukrainiens des imbéciles ou des bandits”. Le leader ne voulant pas envenimer la question nationale, Les Jours des Tourbine ont été retirés du répertoire.

Et le roman ? Du vivant de l’auteur, il a été imprimé en partie, publié intégralement en URSS seulement en 1966. En ces jours troublés, cela vaut vraiment la peine de le relire, ou de le lire pour la première fois. Mikhail Afanasyevich avait prévu beaucoup de choses. Voici par exemple quelques vers du journal humoristique “La poupée du diable”, apporté à la maison des Tourbine :

Des brebis mettent bas sous une bâche.
Rodzianko sera président.
Breitman fait des mots d’esprit.
Mais où sont les régiments sénégalais ?

Remplacez Rodzianko par Zelensky et Breitman (éditeur du journal kiévien Dernières nouvelles) par l’animateur de télévision Shouster, mettez “troupes de l’OTAN” au lieu de “régiments sénégalais” et rien ne changera. Il ne s’agit pas d’individus, mais d’un paradigme historique qui reproduit sans cesse des situations similaires. “Tout passera. Souffrances, tourments, sang, famine et peste. L’épée disparaîtra, mais les étoiles resteront, quand aucune ombre de nos corps et de nos actes ne subsistera sur la terre. Il n’y a pas d’homme qui ne le sache pas. Alors pourquoi ne voulons-nous pas tourner nos regards vers elles ? Pourquoi ?”.

L’écrivain russe Boulgakov, malmené par la vie, malmené par la critique et ses confrères littéraires, écrit un roman sur la force qui a divisé, séparé, rendu ennemis des compatriotes. Cette force est une haine virulente, alimentée par des décennies de conflits, “une bouillie vaseuse qui a mijoté dans leurs têtes”. C’est pourquoi Boulgakov et son livre sont nécessaires aujourd’hui – pour comprendre comment il est arrivé que le destin de Kiev, le destin de la ville dépende à nouveau de la rapidité avec laquelle le mal peut être combattu, la boue éliminée de sorte qu’au lieu d’opérette une histoire épique commence.

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1 Commentaire

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    “une bouillie vaseuse qui a mijoté dans leurs têtes” dont les ingrédients y ont probablement été ajoutés depuis les premières propriétés agricoles de l’humanité avec l’apparition de surplus de l’échange commercial tissant des liens, partageant une langue commune qui s’étend, nouant des alliances familiales, politiques, inventant une culture commune, des religions, un état, une communauté différenciée de ceux qui sont à la frontière que l’ont aimerait intégrer par le commerce ou la soumission et la guerre.

    Combien ces origines de l’accumulation primitive du capital sont loin ou totalement absentes dans des millions de têtes soumises à la manipulation psychologique par les maîtres de la pensée hier les prêtres invoquant les saintes croisades, plus tard des Républicains civilisateurs, aujourd’hui des cyniques adorateurs des droits de l’homme.

    Qui à chaque fois a envoyé des peuples soumis divisés par des frontières se battre pour les intérêts de la classe dirigeante ?
    Même quand la noblesse d’armes partait au combat en y envoyant ses propres fils elle le faisait dans le but de maintenir son fief ou de conquérir celui d’un rival ou le soumettre ; en fin de compte exploiter le travail des paysans pour la richesse ou la gloire du seigneur ;produisant les craintes légitimes d’autres peuples d’être envahis et cherchant une protection entraînant le monde dans une spirale de conflits violents avec des moyens technologiques de destruction de plus en plus puissants.

    Divisions sous formes “douces” inculquées y compris dans la “saine et sainte” concurrence (méritocratie) entre étudiants dès leur premières années d’école puis comme travailleurs sur le marché du travail puis comme travailleur dans la concurrence entre entreprises pour finir par la concurrence entre les nations dont l’aboutissement ne peut être que la guerre pour les nouveaux fiefs que sont les marchés “libres”. Tous entraînés dans une stupide recherche de “nouvelles opportunités” c’est ainsi que l’on présente aujourd’hui une offre d’emploi aux “nouveaux talents”.

    Sans s’attaquer à la racine de ses pouvoirs et aux institutions qui permettent leur domination il n’y aura pas de paix.

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