Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

MACRON : De la présidentialisation française à la présidentialisation européenne?

Et si le président envisageait dans la logique de la modification des institutions dans la crise impérialiste de passer directement à la présidence de l’UE? Quelques rappels historiques qui donnent du sens à cette hypothèse. Mais il y a aussi dans ce jeu de dupe de la “présidentialisation” quelque chose qui désigne ce qu’il faut abattre et qui peut à la fois aggraver les dangers mais accélérer la nécessaire transformation.

1- La présidentialisation comme un piège pour la démocratie

En France, les déboires de la seconde république furent longtemps une antidote à l’élection d’un président au suffrage universel. La Révolution trahie culmina dans l’élection en décembre 1848 de Louis-Napoléon Bonaparte et le coup d’Etat de décembre 1851 prélude à la proclamation de l’Empire, et la voix de HUGO tonnant de l’exil. Ce double événement a longtemps hanté la mémoire républicaine comme le plus terrible des pièges. Les mâchoires de celui-ci se refermèrent sur la débâcle de la défaite contre la PRUSSE, l’amputation du territoire français et il fut versé le sang des communards. Leur patriotisme fut puni sous l’œil goguenard des troupes allemandes. Mais il n’y a pas que la France pour identifier la présidence à la guerre et à la dictature, Tocqueville, quand il justifia du bout des lèvres l’élection d’un président aux Etat-Unis, affirma que cela n’avait de sens que tout autant que ce pouvoir était faible et dépendant : un mauvais président ne pourrait pas faire grand mal, corseté comme il l’était par la cour suprême, par le Congrès et dans les droits autonomes des Etats-fédérés. Cette présidence était néanmoins conçue comme le pilier sur lequel devait s’arcbouter cette complexe architecture, mais les occupants s’avèreront bien décevants. Si l’on garde le souvenir de figures historiques, c’est parce qu’elles ont été confrontées à quelques catastrophes devenues inévitables vu le caractère médiocre et parfois dangereux de leurs prédécesseurs, comme Abraham Lincoln et la guerre de sécession, mais aussi Roosevelt qui fit trois mandats malgré son état de santé.

2- Le Président, un chef de guerre parce qu’il n’y a jamais de paix impérialiste

On peut considérer que c’est selon la même logique que les guerres mondiales mirent à l’ordre du jour la présidentialisation. Ce fut en tous les cas ce que cela inspira au Capital alors que la fin des guerres mondiales s’accompagnait de dérèglements de l’économie. Le président fut élu en fonction de la capacité d’une nation à partir en guerre pour s’approprier les terres et les ressources des autres contrées autant que de devoir lutter contre ses propres désastres, une version d’impérialisme stade suprême du capitalisme de Lénine. Lénine souligna dans la même analyse que seul le socialisme sous direction du prolétariat imposait la paix. De toute manière, tout au long du XXe Siècle, cela paraît irréversible, la paix devient l’objet des relations internationales mais avec l’équilibre de la terreur. Le jeu s’opère dans une dialectique entre partage du monde et dépossession interne des Assemblées en système capitaliste, c’est ce qui est défini comme la “démocratie”. Le tout pondéré par des formes perverses de régulation, sous la menace de la contagion bolchevique, avec donc l’octroi de droits et conquêtes sociales dans laquelle la social démocratie retrouvait un prestige mise à mal par la trahison de son adhésion à la guerre. Mais le cap de l’éviction des masses du jeu démocratique a été maintenu dans les dites “démocraties”, parfois avec férocité et toujours avec des modes de scrutin organisant l’éviction. Cela alla du meurtre des leaders à l’aliénation par le divertissement en passant par l’achat de conscience moins farouches que d’autres. La présidentialisation poursuivit son bonhomme de chemin avec la médiatisation. Qu’il s’agisse du président ou du premier ministre, on assiste à l’accélération de la tendance : on le voit bien dans le couple Reagan- Thatcher, il y a présidentialisation du premier ministre en Grande Bretagne, il devient responsable de tout, de leader d’un parti il en devient l’unique justification. Le rôle du chancelier allemand connait la même évolution depuis Konrad Adenauer. La France s’y conforme dans le contexte des guerres coloniales et De Gaulle lui donne la forme la plus monarchique qui se puisse imaginer, l’idée même des contrepouvoirs est abandonnée, le judiciaire va voir étendu son rôle et le peuple perd jusqu’au droit de juger de la paix et de la guerre.

3- La conquête du pouvoir change de nature

La chute de l’URSS transforme la tendance en tsunami, alors même que toutes les interventions néo-coloniales se font au nom de la démocratie, celle-ci se modifie à l’interne et le partage de la décision publique devient si caricatural que la défiance partout s’étend. L’on y répond par une incarnation du pouvoir dans l’individu providentiel, la guerre est bien utile et le chef de guerre en temps de paix s’impose.

Quand on regarde ces tendances qui ont leur écho sur d’autres continents que les USA (Europe, Amérique latine, Asie et Afrique), on mesure bien en quoi l’élection présidentielle loin de représenter le couronnement d’un État de droit et la passation d’un contrat avec la société civile, idéal type de la démocratie, a le plus souvent œuvré pour renverser les institutions existantes et imposer un pouvoir dit autocratique, mais cette élection, comme dans le cas de l’Amérique latine par exemple avec Chavez et d’autres peut devenir au contraire un facteur de transformation et de souveraineté. C’est en effet un exercice bien dangereux que celui de résumer le pouvoir politique d’une classe sociale dans la fragilité de l’omniscient, l’individu providentiel. Il y a aussi la montée au titre de la première puissance mondiale de la Chine qui présente la double caractéristique d’être la plus ancienne civilisation de la planète en continuité et d’avoir connu la dévastation colonialiste dans toute sa vigueur, ce qui inaugure de nouveaux rapports sud-sud et joue un rôle tout à fait central dans la modification de la définition du progrès, le refus du relativisme historique et en même temps l’implication de la diversité des modes de gouvernances dans l’universel. Il y a certes le refus du progrès, la montée de l’indigénisme, mais l’universel et le progrès ne sont pas non plus abandonnés, ces valeurs changent de nature avec au centre le socialisme. C’est tout le sens de l’interpellation chinoise.

Incontestablement au vu de ces transformations, il faut un sacré aplomb idéologique pour prétendre aujourd’hui oser diviser le monde en démocratie et régime autocratique, il faudrait plutôt étudier les formes de verrouillages instituées pour que rien ne change sur le fond en matière de domination de classe

A ce moment-là on comprendrait mieux la crise de la démocratie et la manière dont elle parait frapper en priorité ceux qui s’affirment depuis deux siècles les fondamentaux en l’affaire avec la montée au pouvoir de personnages des plus improbables. Les plus caractéristiques étant non seulement Trump (entre nous Biden n’est pas mal non plus) Bolsonaro, Dutertre et dans un genre mineur Zelensky l’ukrainien qui surjouent la fonction. La caricature touche de si près à la nature du capital, à son mode d’accumulation destructeur que les exemples se multiplient. Nous n’avons pas l’espace ici d’opérer un panorama de la planète mais il serait tout à fait stupéfiant. Résultat, toutes les élections présidentielles sont a peu près assurées de bénéficier d’un manque de légitimité qui se voit dans la campagne où le candidat favori du Capital apportera la garantie d’être omniscient et de représenter le changement, quasiment la Révolution mais qui n’aura le pouvoir et la faveur médiatique qu’à la condition d’avoir un peu plus dissous les forces organisées de ce changement.

Le socialisme cherche les voies de sa propre mutation entre dictature du prolétariat et souveraineté du peuple. Autant on peut considérer comme une imbécilité intellectuelle le négationnisme antistalinien, la tentative d’identifier le communisme du temps de Staline au nazisme, la volonté de faire rejouer éternellement la même négation contre le socialisme existant, en accusant par exemple la Chine de pratiquer un génocide, autant il est évident que le socialisme cherche les moyens d’articuler la centralité du pouvoir avec des moyens inédits de contrôle et de mobilisation de la base. Le rôle d’un parti est essentiel tout autant qu’il est effectivement ouvert sur la mobilisation la plus large. Répondre à l’agression permanente du capital fait partie de cette étape qui est fondamentalement différente de la réponse stalinienne parce que le champ de bataille n’est plus seulement militaire, il est devenu tout autant économique en particulier en jouant avec les piliers du pouvoir impérialiste : le dollar et les sanctions et un quasi monopole sur l’information.

Comme le dit le dirigeant du parti communiste ukrainien que nous publions par ailleurs : “Le capital s’efforce d’établir dans la conscience publique un système de valeurs dans lequel les classes ouvrières accepteraient “volontairement” et docilement le sort d’objets impuissants de l’exploitation, tout en restant la principale source d’enrichissement de la bourgeoisie.” C’est là la base de la destruction de la démocratie comparable aux autres formes de destruction environnementales, des droits conquis qu’exerce l’impérialisme à partir de la contrerévolution contre l’URSS et le démantèlement partiel de la dite Union soviétique avec le fait du non retour à l’identique prérévolutionnaire. La chute de l’URSS a aussi libéré de l’équilibre de la terreur, accru à nouveau les potentialités de guerre mondiale mais rendu de plus en plus désuètes les formes d’autorégulation du capital. Malgré ou à cause de cela cette crise de la démocratie telle qu’elle est apparue en tant que régime d’assemblée et à la nécessité des débats, des compromis, coïncide avec la crise de l’impérialisme et le monde unipolaire sous la courte hégémonie des USA.

4-Est-ce que macron veut nous annoncer d’autres temps dont il serait le Napoléon ?

Puisque nous sommes dans la présidentielles française, est-ce que l’on assiste de la part de notre président Macron à une nouvelle étape : en finir totalement avec l’État Nation et profiter de la faiblesse de l’UE, du mépris du suzerain US et des nations vassales comme la Pologne, pour à partir de ce “labyrinthe” tenter d’installer à sa mesure un pouvoir celui de l’Europe en imposant une transformation des institutions qui aille dans le sens de la présidentialisation de l’Union européenne. Il s’agirait de transformer l’élection nationale en simple formalité, en utilisant les périls. Est-ce qu’il a vendu ce choix à ceux qui l’ont déjà imposé à la France, sans donner dans aucun complot il est clair qu’il avait derrière lui le Siècle, l’institut Montaigne, AXA,etc.. Il y a quelque chose d’assez remarquable c’est la manière dont cette autocratie généralisée produit des individus persuadés pour avoir gagné une élection qu’ils sont supérieurs à tous et pour s’imaginer un destin historique, alors même qu’ils ont créé une cible de plus en plus fragile et qui pour se maintenir peut devenir dangereux. La référence au “maître de l’horloge” montre à quel point la stratégie présidentielle est elle-même simple tactique d’une carrière parce que le temps du politique pour s’inscrire dans l’histoire doit excéder une et plusieurs générations, la nation conçue dans le champ de la modification planétaire de l’humanité est le levier et le point d’appui à ce jour de cette pensée, encore faut-il repenser la nation pour et pas contre seulement.

Pour le moment, comme l’analysait très justement un récent article de ce blog à propos du retour de la Chine au marxisme, le phénomène de prise de conscience des possible reste surtout celui des couches intellectuelles diplômées, j’ajouterai “le fantassin du social” qui a de plus en plus conscience des apories du libéral libertaire et des limites de sa propre mobilité dans le capitalisme autoritaire, une conscience nationale qui se réveille avec la mise à mal des services publics, mais elle a du mal à atteindre les couches prolétarisées. A ce titre, le rôle des anciens ne doit pas être négligé et les effets de leur mobilisation sous-estimés. A ce titre partir dans une reconquête à partir d’un parti communiste, resté symbole d’une gauche populaire, patriotique et républicaine est une force pour peu qu’elle dépasse les errance de la sympathie pour la candidature d’un Robert HUE qui a mal fini et dans la même logique d’une Marie Georges Buffet. Il ne doit pas s’agir d’opportunisme électoral mais bien de stratégie d’une nation et de son internationalisme de paix.

Si l’élection n’est pas seulement un jeu de dupe mais s’articule sur un projet de société qui a besoin d’une intervention populaire organisée, tout cela nécessite d’être pensé dans sa logique temporelle, spécifique immédiate dans le temps de l’élection et dans une temporalité longue. La campagne électorale de ROUSSEL constitue un des phénomènes les plus marquant de cette fausse compétition démocratique de la présidentielle, sa force est sa capacité à s’ancrer sur le peuple français dans se diversité historique au moment même où Macron joue à l’inverse la fin de la nation et en s’affirmant sans rival. Et pour le moment la campagne de ROUSSEL est bien conçue en laissant la porte ouverte sur un avenir post-électoral qui ne se limite pas à la hantise des autres partis, avoir un groupe à l’Assemblée nationale. La campagne de Roussel peut donc être une négation de la négation si le projet est pensé tel sur le court et long terme. Mais pour être autre chose qu’un moment de sympathie nostalgique, il faut impérativement recréer un parti porteur de l’universel du socialisme et donc déjà s’inscrire sur le temps plus long qui est aussi positionnement international. Pour le moment effectivement, si faible soit-il Roussel représente la seule dynamique capable de s’inscrire a contrario du “projet” présidentiel et il le fait en s’ancrant sur le patriotisme républicain, mais pour entraîner les masses il faudra poursuivre plus avant l’affrontement.

Ce qui est frappant dans ces temps de transition c’est la manière dont l’Histoire est en train d’être pillée, réinterprétée et quelque chose est en train d’apparaître la diversité comme non une concurrence mais un progrès, peut-être est-ce là ce à quoi il faudrait penser en priorité en terme de civilisation plus que d’insitution politique qui se sont homogénéisées dans un processus défensif.

DANIELLE BLEITRACH

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